Pourquoi le géo-blocage est l’un des points de… blocage pour le marché unique européen

La Commission européenne a confirmé le 6 mai vouloir réformer le droit d’auteur afin de mettre un terme aux géo-blocages qui empêchent l’émergence d’acteurs européens capables de rivaliser avec les sociétés américaines. La France, elle, défend son « exception culturelle ».

Par Katia Duhamel, expert en droit et régulation des TICs, et David Guitton, avocat au barreau de Paris

La Commission européenne veut mettre fin au géo-blocage, perçu comme un frein au développement du marché unique numérique, et concrétiser ainsi une promesse de son président Jean-Claude Juncker qui avait affirmé vouloir
« briser les barrières nationales en matière de réglementation (…) du droit d’auteur » (1) (*). Il est soutenu dans ce combat par le vice-président chargé du Marché unique du numérique, Andrus Ansip, et le commissaire européen au Numérique, Günther Oettinger.

France Télévisions veut accroître ses services payants, malgré la redevance audiovisuelle

Delphine Ernotte Cunci, qui sera présidente de France Télévisions à partir du
22 août prochain, veut accroître les services payants tels que la TV de rattrapage, la VOD et même la SVOD. Cela revient à faire payer deux fois les Français qui s’acquittent déjà de la redevance audiovisuelle.

« Afin de créer une passerelle directe avec les usagers, une nouvelle plateforme numérique, basée sur un algorithme de recommandation doit rendre la télévision
de rattrapage plus accessible, sur le modèle de Netflix
par exemple. (…) Il faut aller plus loin et penser une offre numérique plus riche, qui n’est plus uniquement liée à l’antenne. Le catalogue doit être complété en mettant notamment à disposition tous les épisodes d’une série
ou en s’adaptant au rattrapage séquencé », a notamment expliqué Delphine Ernotte Cunci (photo), lors de la présentation de son projet stratégique pour France Télévisions, devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Livre : contrat unique papier-numérique, TVA unique ?

En fait. Le 25 avril, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication,
a présenté en conseil des ministres un projet de loi ratifiant l’ordonnance du 12 novembre 2014 instaurant un contrat d’édition prenant en compte les livres numériques. C’est l’aboutissement plus de deux ans de gestation.

En clair. Le livre numérique en France n’est pas au bout de ses peines. Il a fallu plus de deux ans – depuis les travaux de la mission Sirinelli lancée le 11 septembre 2012 – pour que soient inscrits dans la loi les principes d’un nouveau contrat d’édition « uni-que » entre le livre imprimée et le livre numérique. C’est la concrétisation de l’accord-cadre signé le 21 mars 2013 entre écrivains (CPE) et éditeurs (SNE) sur le contrat d’édition à l’ère numérique, entré en vigueur depuis le 1er décembre dernier. Il était temps que le ministère de la Culture et de la Communication présente – enfin – un texte législatif qui, pour accélérer la procédure d’adoption, a pris la forme d’une ordonnance. Ce nouveau contrat d’édition est censé rééquilibrer les relations entre les auteurs et les maisons d’édition qui ne faisaient pas toutes le nécessaire contractuel vis-à-vis du livre numérique.
L’ordonnance définit l’étendue de l’obligation qui pèse sur l’éditeur en matière
d’« exploitation permanente et suivie », ainsi qu’en ce qui concerne la reddition des comptes pour chacune des deux éditions – imprimée et numérique (1). Le texte de loi prévoit en outre la possibilité pour l’auteur (ou l’éditeur) de mettre fin au contrat d’édition en cas de constat d’un « défaut durable d’activité économique dans l’exploitation de l’oeuvre ». Il garantit également une « juste rémunération de l’auteur » (sans en fixer
le niveau) en cas d’exploitation numérique, tandis que les conditions économiques de
la cession des droits numériques feront l’objet d’un réexamen régulier (2).
Reste à savoir si le contrat d’édition numérique à la française est euro-compatible, au moment où la Commission européenne se penche sur la directive « DADVSI » en vue d’adapter et d’harmoniser le droit d’auteur à l’ère du numérique. Les initiatives avant-gardistes de Paris dans le livre ont déjà échaudé Bruxelles : le 5 mars, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé – donnant ainsi raison à l’exécutif européen – que la France ne pouvait appliquer aux ebooks le même taux de TVA réduit que celui des livres imprimés (5,5 % au lieu de 20 %). Face à ces incertitudes juridiques, le marché français du livre numérique peine à franchir le seuil des 5 % du marché global de l’édition en France en terme de chiffre d’affaires, pour se situer autour de seulement 135 millions d’euros en 2014. @

Taxe « Copie privée » : 30 ans cette année, et après ?

En fait. Le 17 avril, l’amendement du sénateur PS Richard Yung – proposant d’étendre aux imprimantes 3D la taxe de la copie privée – a été retiré du projet
de loi « Macron ». Tandis que le 14 avril, la conseillère d’Etat Christine Maugüé
a été missionnée pour « réactiver » la commission « copie privée ».

En clair. C’est Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, qui a demandé au sénateur de retirer son amendement proposé dans
le cadre du projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » (en cours d’examen jusqu’au vote prévu le 12 mai). Il s’agissait d’assujettir les imprimantes 3D et les scanneurs 3D à la rémunération pour copie privée (taxe de quelques euros prélevée lors de l’achat du produit), sous prétexte qu’ils permettent de copier et de reproduire des objets protégés par le droit de propriété intellectuelle (1).
Mais le ministre a convaincu le sénateur de retirer son amendement en lui donnant des gages sur la poursuite de la réflexion : « L’Assemblée nationale a engagé une réflexion sur le sujet [la commission des Affaires culturelles doit rendre son rapport en juin, ndlr]. Je suggère que la Haute Assemblée [le Sénat] mette en place un groupe de travail,
en collaboration avec mon ministère, qui est également saisi. Nous devons (…) trouver le cadre adéquat dans les prochains mois ; le bon agenda serait d’ici à la fin de l’année. A mon avis, la solution ne saurait être une application classique de la copie privée ». Mais l’extension du domaine de la taxe « copie privée », laquelle va fêter ses 30 ans en juillet prochain (2), est loin d’être achevée. Car c’est aussi en juillet que la conseillère d’Etat Christine Maugüé, missionnée le 14 avril par la ministre de la Culture et de la Communication pour « réactiver » la commission « copie privée » dès septembre prochain, proposera « une feuille de route ». Avec à la clé de nouveaux supports à taxer : le cloud, dans le viseur de la copie privée depuis octobre 2012 (préconisation
du CSPLA), mais aussi – comme l’a révélé Next Inpact le 17 avril – liseuses et consoles de jeux. Bref, pour ses 30 ans, la taxe « copie privée » reprend du poil de la bête et pourrait dépasser rapidement les 250 millions d’euros par an. Seuls les ordinateurs, portant dotés de Gigaoctets de stockage, lui échappent encore pour des raisons politiques…
Quant à l’harmonisation européenne de la copie privée souhaitée par Bruxelles, confortée par le rapport de l’eurodéputée Julia Reda sur la réforme de la directive
« DADVSI » (droit d’auteur), elle devrait devenir une préoccupation majeure par rapport aux initiatives nationales. @