L’article 17 de la directive « Copyright » validé, le filtrage des contenus sur Internet peut commencer

La Cour de justice européenne (CJUE) a validé le 26 avril 2022 l’article 17 de la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché unique numérique ». Le filtrage des contenus mis en ligne soulève des questions. La liberté d’expression et d’information risque d’être la victime collatérale.

En France, aussitôt après que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ait – dans un arrêt du 26 avril 2022 – validé le controversé article 17 sur le filtrage des contenus mis en ligne sur Internet, au nom de la lutte contre le piratage, l’Arcom a publié deux questionnaires pour l’ « évaluation du niveau d’efficacité des mesures de protection des œuvres et des objets protégés » par le droit d’auteur et les droits voisins. L’un s’adresse aux fournisseurs de services de partage de contenus (de YouTube à TikTok en passant par Facebook et Twitter). L’autre s’adresse aux titulaires de droits (de l’audiovisuel à la musique en passant par la radio, les podcasts, la presse écrite, les photos, les illustrations, les livres ou encore les jeux vidéo). Ils ont tous jusqu’au 20 juin 2022 pour y répondre (1).

Content ID, Rights Manager, Surys, TMG, …
La France est, parmi les Vingt-sept, le pays qui veut être le bon élève dans la transposition de la directive européenne de 2019 sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (2), censée l’être depuis le 7 juin 2021 par tous les Etats membres. Sans attendre l’échéance, le gouvernement français avait pris une première ordonnance dès le 12 mai 2021 pour transposer (3) les dispositions concernant la responsabilité des plateformes et le fameux article 17.
Maintenant que la CJUE a tranché en faveur de la validité de cet article 17 au regard de la liberté d’expression et d’information, l’Arcom consulte les ayants droit et les plateformes de partage en vue de publier des recommandations (4) pour améliorer l’« efficacité » et la « robustesse » des mesures de protection mises en place par les acteurs du Net concernés, ainsi que leur « transparence », leur « simplicité d’usage » et leur « finesse ». Ces systèmes automatisés et méconnus du grand public se nomment, pour n’en citer que quelques uns : Content ID (YouTube), Rights Manager (Facebook), Audible Magic (5), Signature (Ina), Surys (ex-Hologram Industries, ex-Advestigo), Trident Media Guard (TMG), Kantar ACR (ex-NexTracker et SyncNow de Civolution), Digimarc (acquéreur d’Attributor) ou encore Blue Efficience (6). Ces outils de filtrage de contenus en ligne font de la reconnaissance automatique des ces contenus en recourant soit au « hachage numérique » (hashing), soit au « marquage numérique » (watermarking), soit – de façon plus sophistiquée, automatisée et la plus répandue – à l’« empreinte numérique » (fingerprinting). Mais l’Arcom comme ses homologues de l’Union européenne réunis au sein de l’Erga (7) savent que le filtrage des contenus sur Internet à l’aide de ces outils de protection – pour distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, sans bloquer ce dernier – relève d’un exercice d’équilibrisme entre le droit fondamental de la liberté d’expression et d’information, d’une part, et le droit de propriété intellectuelle, d’autre part.
Autant dire que les régulateurs et les plateformes vont marcher sur des œufs. La Commission européenne avait bien publié le 4 juin 2021 ses lignes directrices sur l’application de l’article 17, en insistant sur « la nécessité d’équilibrer les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et limitations [au droit d’auteur et aux droits voisins] » (8). Elle avait aussi prévenu que l’objectif n’était pas de créer une obligation générale de surveillance de l’Internet (9). Mais malgré ses « orientations », les craintes sur la liberté d’expression et d’information ont persisté. Celle-ci est garantie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières » (article 11). Et c’est à la suite d’un recours – en annulation de l’article 17 – introduit le 24 mai 2019 par la Pologne que la CJUE a dû mettre les choses au clair vis-à-vis de ces droits fondamentaux, tout en rejetant ce recours avec le soutien de la France, de l’Espagne et du Portugal. Les juges ont suivi – comme souvent à la CJUE – les conclusions que l’avocat général, Henrik Saugmandsgaard Øe (photo), ou usuellement Henrik Øe, avait rendues le 15 juillet 2021 (10).

Varsovie opposé à Paris sur la liberté
Dans sa plaidoirie, la Pologne estime que l’article 17 viole le droit à la liberté d’expression et d’information garanti par l’article 11 de la Charte. Son argumentation était la suivante : « Afin d’être exonérés de toute responsabilité pour le fait de donner au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par leurs utilisateurs en violation du droit d’auteur, les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont contraints, en vertu de l’article 17, (….) de procéder, de manière préventive, à une surveillance de l’ensemble des contenus que leurs utilisateurs souhaitent mettre en ligne. Pour ce faire, ils devraient utiliser des outils informatiques permettant le filtrage automatique préalable de ces contenus ». Et Varsovie de conclure : « En imposant, de fait, de telles mesures de surveillance préventive aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sans prévoir de garanties assurant le respect du droit à la liberté d’expression et d’information, les dispositions litigieuses constitueraient une limitation de l’exercice de ce droit fondamental qui ne respecterait ni le contenu essentiel de celui–ci ni le principe de proportionnalité et qui, par conséquent, ne saurait être considérée comme étant justifiée ».

Trois conditions cumulatifs obligatoires
Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne, soutenus par la France et l’Espagne, ainsi que par la Commission européenne, se sont inscrits en faux contre ce « moyen unique » soulevé par la Pologne. Dans son arrêt du 26 avril 2022, la CJUE rappelle que l’article 17, introduit « un régime de responsabilité spécifique pour l’hypothèse où aucune autorisation n’est accordée ». Pour autant, les plateformes ne peuvent « s’exonérer de leur responsabilité pour de tels actes de communication et de mise à disposition de contenus violant le droit d’auteur que sous certaines conditions cumulatives » :
Ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation.
Ils ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires. C’est ce que l’on appelle le principe juridique du « notice and take down » que l’on retrouve aussi aux Etats-Unis dans le Digital Millennium Copyright Act (DMCA).
Ils ont agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites Internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils soient téléversés dans le futur. C’est l’équivalent cette fois du « notice and stay down » qui n’est cependant pas prévu dans le DMCA malgré la tentative du sénateur américain Thomas Tillis en décembre 2020 de l’introduire. Ce sont ces trois « conditions cumulatives » qu’a dénoncées Varsovie face à l’avocat général de la CJUE soutenu par Paris. L’arrêté rejetant le recours rappelle que les acteurs du Net visés par l’article 17 n’agissent pas seuls : ils n’agissent que s’ils ont reçu de la part des titulaires de droits et dans le cadre d’une procédure de notification « les informations pertinentes et nécessaires » pour agir contre le piratage présumé. Les mesures prises par les plateformes de partage de contenus en ligne se font donc « en coopération avec les titulaires de droits ». Et la CJUE d’assurer que ces filtrages automatiques sur Internet « ne devraient pas avoir pour conséquence d’empêcher la disponibilité de contenus qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur, y compris d’œuvres ou d’autres objets protégés dont l’utilisation est couverte par un accord de licence, ou par une exception ou une limitation au droit d’auteur ou aux droits voisins » (considérant 66 de l’arrêt). Car il ne s’agit pas de sacrifier la liberté d’expression, de création et d’information – dont font partie la citation, la critique, la revue, la caricature, la parodie ou le pastiche – sur l’autel du droit de propriété intellectuelle (11). Il est en outre rappelé que l’article 17 prévoit lui-même que son « application (…) ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance » (son huitième point).
Pourtant, certains pourraient dire « et en même temps »…, l’avocat général Henrik Øe avait averti dans ses conclusions rendues le 15 juillet 2021 et suivies comme souvent par la Cour que « pour pouvoir effectuer un tel contrôle préalable, les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont, en fonction du nombre de fichiers téléversés et du type d’objet protégé en question, (…) contraints de recourir à des outils de reconnaissance et de filtrage automatiques » (points 57 à 69 de ses conclusions). Et l’arrêt du 26 avril 2022 d’abonder : « En particulier, ni les institutions défenderesses ni les intervenants n’étaient en mesure, lors de l’audience devant la Cour, de désigner des alternatives possibles à de tels outils » (considérant 54).

Du fingerprinting au matching, et après ?
Les outils de reconnaissance ou ACR (Automatic Content Recognition), qui recourent à l’« empreinte numérique » (fingerprinting), filtrent automatiquement les œuvres et autres objets protégés par le droit d’auteur et les droits voisins dès que les internautes les « téléversent » sur les plateformes de partage et les réseaux sociaux. S’effectue alors automatiquement une comparaison de ces contenus mis en ligne avec des informations de référence fournies par les titulaires de droit. Lorsqu’il y a correspondance, on parle de « match ». L’ayant droit a alors le choix : soit bloquer le contenu « piraté », soit de le laisser en ligne en étant informé sur son audience, voire de l’ouvrir à de la publicité en ligne pour le monétiser. @

Charles de Laubier

Livres numériques piratés : LeakID et Rivendell surveillent le Net

En fait. Le 24 juin, à l’occasion de son assemblée générale, le Syndicat national de l’édition (SNE) a publié son rapport d’activité 2020 assortis de chiffres du marché français. L’édition numérique peine à décoller : 263,6 millions d’euros de chiffre d’affaires (+13,5 %). Les éditeurs se protège contre piratage avec LeakID.

En clair. La frilosité des maisons d’édition perdure vis-à-vis de l’édition numérique qui, avec 263,6 millions d’euros de chiffre d’affaires, ne dépasse toujours pas les 10 % du marché global du secteur en France, alors que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou le Japon sont à des taux d’ »ebookisation » deux à trois fois plus élevés. Cet attentisme français qui se le dispute à la crainte est entretenu par les chiffres présentés comme alarmistes sur le piratage de livres en ligne. Selon le Syndicat national de l’édition (SNE), présidé par Vincent Montagne (photo), et la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), qui recensent plus de 17.000 œuvres éditoriales protégées par le droit d’auteur, « plus de 430.000 liens de téléchargement ont été notifiés, dont 85 % ont été fermés » et « plus de 2,2 millions de liens pirates déréférencés auprès de Google couvrant plus de 8.000 sites de phishing et 700 sites (web) pirates ».

Hervé Lemaire est propriétaire de LeakID et de Rivendell
Ce volume issu de la surveillance généralisée d’Internet est un cumul depuis novembre 2019, date à laquelle le SNE a commencé à proposer à ses membres – 720 adhérents aujourd’hui – une solution de lutte contre le piratage de livres sur Internet, élaborée par la société française LeakID basée à La Garenne-Colombes (en région parisienne) et dirigée depuis quinze ans par son fondateur Hervé Lemaire. En 2013, il avait dû s’excuser pour avoir déréférencé par erreur des sites web, dont une page de Wikipedia. Cet ancien de la major de la musique EMI est également propriétaire de la société Rivendell, partenaire de Google pour les déréférencements partout dans le monde. Rivendell revendique être un leader mondial sur la désindexation de contenus, et LeakID leader en France sur l’antipiratage (linéaire et non linéaire).
Auparavant, le SNE proposait aux maisons d’édition la solution de la société française Surys (ex-Hologram Industries, ex-ex-Advestigo). Mais Mais cette dernière a été racheté fin 2019 par IN Groupe (ex-Imprimerie Nationale). L’industrie du livre en avait profité pour changer de braquet en adoptant la solution LeakID jugée plus efficace et plus massive contre les téléchargements illicites et le streaming d’ebooks piratés. Autrement dit, LeakID surveille en permanence Internet (2) pour les majors du livre – Hachette Livre/Lagardère, Editis/Vivendi, Gallimard- Flammarion/Madrigall, Seuil-La Martinière/Média- Participations, …) – et tous les autres éditeurs du SNE. La Sofia, au nom des auteurs (3), contribue pour moitié au financement à cette solution mutualisée LeakID. @