Crise sanitaire : plus que jamais, les Français parient sur les jeux d’argent et de hasard en ligne

L’Autorité nationale des jeux (ANJ) fête ses un an. Succédant à l’Arjel, elle a été constituée le 15 juin 2020 par la nomination des neuf membres de son collège, dont sa présidente, Isabelle Falque-Pierrotin, ex-présidente de la Cnil. Avec les confinements, les jeux d’argent et de hasard ont le vent en poupe, paris sportifs en tête.

Plus de dix ans après l’ouverture du marché français des jeux d’argent et de hasard en ligne que sont les paris sportifs, les paris hippiques et le poker, le dynamisme est de mise malgré – ou grâce à – la crise sanitaire : sur l’année 2020, le chiffre d’affaires des opérateurs de jeux à gains a augmenté de 22 % en un an pour atteindre un peu plus de 1,7 milliard d’euros, soit un record depuis l’ouverture à la concurrence (1). Ce que l’on appelle aussi le « produit brut des jeux » (2) a été généré grâce à presque 5 millions de comptes joueurs actifs (CJA), un joueur pouvant en avoir plusieurs chez différents opérateurs (3). « Ces performances illustrent l’accélération de la digitalisation des pratiques de jeu, qui est une conséquence de la crise sanitaire », avance, pour expliquer cet engouement dans les jeux d’argent et de hasard en ligne, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) présidée depuis sa création il y a un an par Isabelle Falque-Pierrotin (photo). En effet, nombre de compétitions sportives et de courses hippiques physiques ont été suspendues en raison de la pandémie. Ce qui a favorisé l’an dernier la forte hausse des revenus des opérateurs agréés, non seulement dans les paris en ligne – chiffre d’affaires d’ailleurs plus important sur les enjeux hippiques (+ 31 % en 2020) que sur les mises sportives (+ 7 %) –, mais aussi et surtout dans le poker (+ 64 %).

Parier sur l’Euro de football et les JO de Tokyo
Qu’en sera-t-il à l’ère post-covid, s’il devait y avoir un monde d’après ? Pour l’heure, dans la foulée de l’année 2020, le premier trimestre 2021 s’est inscrit lui aussi en croissance soutenue à deux chiffres, de 35 % sur un an à , toujours en termes de chiffre d’affaires des opérateurs de jeux d’argent en ligne – au nombre de quinze aujourd’hui. Quant à l’ensemble des quelque 3 millions de comptes actifs, il est aussi en forte augmentation, de 19 % sur le premier trimestre. Après avoir été la victime collatérale des confinements, les paris sportifs en ligne reprennent, eux, du poil de la bête cette année avec « la progression des mises la plus spectaculaire », à plus de 2,1 millions de mises, du jamais vu sur un trimestre. Les parieurs sportifs – près de 2,5 millions de comptes joueurs actifs auprès d’opérateurs tels que Betclic, Unibet ou Winamax – sont tenus en haleine avec les deux compétitions majeures cette année : l’Euro de football du 11 juin au 11 juillet (4), pendant lequel les mises en France pourraient totaliser entre un demi-milliard et 1 milliard d’euros, et les JO de Tokyo du 23 juillet au 8 août (5), ces deux événements ayant été reportés à ces dates-là à cause de la pandémie.

Feeling Publishing, 15e opérateur agréé
Le gendarme des jeux d’argent redouble de vigilance sur les publicités alléchantes et les pronostiqueurs (tipsters) attirant de nouveaux joueurs par parrainage commissionné. C’est d’ailleurs sur le segment des paris sportifs que l’ANJ a agréé en mars dernier le quinzième opérateur du marché français (tous jeux d’argent en ligne confondus) : la société marseillaise Feeling Publishing, qui édite désormais la plateforme de paris sportifs Feelingbet.fr, laquelle était depuis 2013 exploitée en marque blanche en partenariat avec un autre opérateur lui aussi agréé dans les paris sportifs, France Pari, et éditeur de son côté de France-pari.fr. « On va basculer dans les prochaines semaines sur Feeling Publishing/Feelingbet. La marque blanche sous France Pari va disparaître », indique Pascal Vallet, fondateur de Feeling Publishing, à Edition Multimédi@. L’ANJ lui a délivré son agrément pour cinq ans (6) à compter du 4 mars dernier. « France Pari, via sa filiale Sportnco, continuera à nous fournir le logiciel de jeu mais nous prenons notre indépendance en ayant obtenu notre propre licence de paris sportifs. Ce qui me permet d’être officiellement opérateur et de pouvoir mener notre propre politique de développement », nous confie Pascal Vallet.
De leur côté, les paris hippiques en ligne – segment de marché bien plus modeste que les paris sportifs – observent aussi une envolée à deux chiffres des enjeux depuis l’an dernier (354 millions d’euros), qui se poursuit sur les trois premiers mois de cette année (110 millions d’euros). C’est là aussi un record trimestriel en ligne, s’expliquant en partie par la fermeture « sanitaire » des points de vente physiques d’enregistrements de paris (PMU et 237 hippodromes régulés aussi par l’ANJ). Le chiffre d’affaires des six opérateurs agréés dans les paris hippiques, dont Genybet ou Joabet, est de ce fait en forte hausse, tout comme le nombre de turfistes : plus de 1,8 million de comptes joueurs actifs sur 2020 et près de 1 million sur le seul premier trimestre 2021. A noter que, par ailleurs, le milliardaire Xavier Niel, fondateur de Free et (co)détenteur de titres de presse (Le Monde, L’Obs, Télérama, Nice-Matin, France Antilles Martinique, France Antilles Guadeloupe, France-Guyane) et copropriétaire de Mediawan, a obtenu en février le feu vert de l’Autorité de la concurrence (7) pour s’emparer de Paris-Turf via NJJ Holding qu’il contrôle. Le groupe éponyme édite des quotidiens à l’attention des parieurs et des professionnels hippiques (Paris Turf, Paris Courses, Week-End, La Gazette des Courses, Tiercé Magazine, Bilto). Sur les paris sportifs, cette fois, le groupe édite l’hebdomadaire Lotofoot Magazine.
Le poker en ligne (plus de 1,8 million de comptes joueurs actifs en 2020 pour 446 millions d’euros de chiffre d’affaires, et près de 1 million de CJA au premier trimestre 2021) n’est pas en reste. Le bond du produit brut des jeux généré pour les opérateurs agréés par le poker en ligne, dont Partypoker ou Pokerstars, est de 53 % l’an dernier et de 23 % au début de l’année en cours – merci aux confinements. Selon l’ANJ, l’embellie devrait se poursuivre et le recrutement de nouveaux joueurs de poker en ligne aussi.
Si l’ANJ contrôle la politique de « jeu responsable » des casinos physiques, au nombre de 202 casinos en France (groupes Partouche, Lucien Barrière, Joa, Tranchant, …) et les clubs de jeux parisiens peu nombreux, elle ne régule pas les jeux de casino en ligne. Et pour cause : le casino en ligne est interdit en France, contrairement à la plupart des autres européens tels que la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Suède ou encore le Royaume-Uni (8). Sur l’Hexagone, le ministère de l’Intérieur a encore la main sur la lutte contre le blanchiment et sur l’intégrité de l’offre des jeux. Or, les casinos « en dur » ont souffert de la fermeture de leurs établissements durant les confinements et les couvre-feux (rouverts totalement depuis le 9 juin, mais jusqu’à 23 heures) – sans parler par ailleurs de la concurrence des « tripots » (9) clandestins… La crise sanitaire serat- elle l’occasion de lancer une réflexion sur l’introduction en France du casino en ligne. Edition Multimédi@ a posé la question à Isabelle Falque-Pierrotin, mais n’a obtenu aucune réponse.

Le « en ligne », 17 % du marché total
Si le chiffre d’affaires du marché des jeux en ligne en concurrence a presque été multiplié par trois depuis dix ans de libéralisation, il pèse encore moins de 20 % du chiffre d’affaires total du marché français des jeux d’argent et de hasard (17 % des plus de 10 milliards de produit brut des jeux d’argent et de hasard en 2020, tous confondus, physiques ou dématérialisés, contre seulement 7 % il y a une décennie). L’ANJ, qui régule bien au-delà des jeux d’argent sur Internet, couvre un marché – la Française des jeux (FDJ) et le PMU compris – de plus de 50 milliards de mises sur l’année (10). @

Charles de Laubier

A quoi va servir le futur médiateur de la musique ?

En fait. Le 15 juin dernier, s’est réunie la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi « Création », lequel a ensuite été approuvé par les députés le 21 juin. Parmi les mesures-phares : l’instauration d’un « Médiateur de la musique », à l’instar du Médiateur du cinéma ou de celui du livre.

En clair. Le texte de loi sera définitivement adopté le 29 juin prochain au Sénat. Fleur Pellerin en a rêvé ; Audrey Azoulay va le faire. Le Médiateur de la musique, qui sera désigné par la ministre de la Culture et de la Communication, va être nommé une fois que la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » sera promulguée et suivie d’un décret « Médiateur de la musique » à publier au Journal Officiel. Ce médiateur sera chargé d’« une mission de conciliation pour tout litige » entre les artistes-interprètes, les producteurs de musique et les plateformes numériques telles que Spotify, Deezer, Apple Music ou encore YouTube. En cas de désaccord ou de conflit,
le Médiateur de la musique pourra être saisi par tout artiste-interprète, producteur, organisation professionnelle ou syndicale, ainsi que par le ministère de la Culture et
de la Communication. Après un premier principe de « liberté de création » que consacre cette loi, le seconde principe est de « créer un écosystème favorable aux artistes et à la création ». C’est dans ce cadre qu’est institué un Médiateur de la musique. « Il contribuera à la résolution des conflits au sein de la filière : ces conflits sont inévitables, même structurels, mais je crois à la possibilité de les résoudre par les vertus de la conciliation », a assuré la ministre de la Culture et de la Communication lors de son intervention à Cannes le 4 juin dernier au 50e Midem (1). Mais pour déminer le terrain avant la nomination de ce Médiateur de la musique, elle a confié à deux inspecteurs généraux des Affaires culturelles – Serge Kancel et Isabelle Maréchal – le soin d’aboutir avec la filière musicale à « la signature d’un code des usages, susceptible d’améliorer leurs relations contractuelles » et leur transparence « comme cela a été le cas dans le domaine du livre ».
Autrement dit : une mission de médiation pour faciliter le travail du Médiateur de la musique. Celui-ci aura un pouvoir d’investigation « sans que puisse lui être opposé le secret des affaires » et d’audition. Il pourra en outre saisir – en « procédure d’urgence » si besoin était – l’Autorité de la concurrence, laquelle peut également saisir le Médiateur de la musique. A l’instar du Médiateur du livre par exemple (2), il devrait faire des propositions législatives ou réglementaires au ministère de la rue de Valois, même si le Sénat a supprimé du texte cette dimension-là… @

Le Médiateur du livre est contraint d’adapter les lois sur le prix du livre aux usages numériques

Créé il y a plus de trois ans, le « Médiateur du livre » a livré le 1er avril son premier rapport d’activité. Sa présidente Laurence Engel, qui n’ira pas au bout
de son mandat fixé à septembre 2017 (car nommée à la tête de la BnF), quitte
une autorité en plein brainstorming.

La loi n°81-766 du 10 août 1981, dite loi « Lang » sur le prix
du livre, la loi n°2011-590 du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique, la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 sur la consommation qui a modifié les deux lois précédentes…
Tel est l’arsenal législatif français du prix du livre. Ces lois,
dont le fondement remonte à il y a 35 ans, sont obsolètes !

Du soft law pour colmater les lois
Les développements des nouveaux usages numériques, que cela soit les offres d’abonnement, les ventes en ligne ou encore le marché de l’occasion, bousculent le droit régissant toute une filière du livre qui ne s’y attendait pas vraiment. A la demande express des maisons d’édition et des libraires, l’autorité administrative indépendante
« Médiateur du livre » a été instituée il y a maintenant trois ans pour préserver les acquis de l’ancien monde. Mais la pression du numérique est tellement forte que cette AAI (1) s’est aussitôt muée en une sorte de « législateur indépendant » contraint de fixer de nouvelle règles pour endiguer le tsunami numérique. « C’est ainsi un nouveau vademecum des lois sur le prix du livre qui se construit, en concertation avec les acteurs de la filière », peut-on lire dans le premier rapport (2) élaboré par Laurence Engel (photo), juste avant de troquer sa casquette de Médiatrice du livre par celle de présidente de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Le Médiateur du livre doit non seulement faire des rappels aux lois sur le prix unique du livre imprimé ou numérique (sa vocation première), mais il se retrouve aussi à édicter de nouvelles règles que ces lois n’avaient pas prévues. A défaut de légiférer à nouveau, au risque d’être aussitôt dépassé une nouvelle fois par les pratiques en ligne, le parti pris a été de prolonger le droit par de nouvelles mesures adoptées avec la profession du livre pour ne pas rester dans le statu quo. « Le débat engagé autour de l’émergence de formules d’abonnement dans le secteur du livre a ainsi abouti au rappel des principes posés par la loi mais aussi à leur (ré)incarnation dans les pratiques actuelles. Régulation ne signifie donc pas sclérose, mais elle protège de la brutalité des évolutions qui, sans elle, accentuent le risque de destruction de valeur », est-il expliqué. Ainsi, cette AAI en appelle à la soft law qui permettrait de réguler ou de laisser s’autoréguler un secteur en édictant de nouvelles règles sans avoir à légiférer à nouveau en fonction des évolutions technologiques. « Sans doute cette fonction [de médiateur] est-elle née justement à
ce moment de l’histoire des lois sur le prix du livre où le besoin de régulation appelait
à en assurer la continuation par d’autres moyens : non pas une refonte du droit dur, susceptible de se briser au contact de pratiques en constante mutation, mais un mode d’intervention souple », justifie-t-on. Mais ce « droit souple », dont la notion est apparue dans le droit international à partir des années 1930, est justement constitué de règles non obligatoires, non contraignantes, ce qui n’est pas sans créer de l’insécurité juridique comme l’avait relevé le Conseil d’Etat en 2006. Il faut aussi boucher les vides juridiques. « Le ministère de la Culture et de la Communication prévoit de procéder à l’actualisation de “Prix du livre, mode d’emploi”, un vade-mecum relatif à l’application
de la législation sur le prix. Il serait opportun d’intégrer à ce document les recommandations émises dans le cadre de l’activité de médiation », préconise le Médiateur du livre. Reste que le numérique aura toujours un temps d’avance sur le législateur.
A peine les plateformes numérique d’abonnement à des catalogues de livres sont-elles rentrées dans le rang (3) – à savoir que les maisons d’édition fixent elles-mêmes, comme le prévoit la loi, le prix des livres numériques sur Kindle Unlimited d’Amazon, Youboox, Youscribe, Iznéo de Media Participations, Cyberlibris ou encore StoryPlayR – que se profilent déjà d’autres colmatages à faire. D’autant que le Médiateur du livre est aussitôt saisi par le Syndicat national de l’édition (SNE), le Syndicat de la librairie française (SLF) et/ou le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) dès que
la filière du livre croit déceler une infraction. Il en irait ainsi du marché de l’occasion du livre qui se développe grâce au numérique.

Marketplace et marché d’occasion
« Des risques de confusion, voire de contournement de la loi, exist[er]aient, tenant à la promiscuité entre un marché du livre neuf soumis au régime de prix fixe et un marché du livre d’occasion dont les prix sont libres ». Il en irait aussi des plateformes en ligne dites « marketplace » de mise en relation entre acheteurs et vendeurs : Amazon, Chapitre.com, GibertJoseph, La Fnac, Leslibraires.fr, PriceMinister, etc. Après concertation avec ces acteurs, une charte de bonnes conduites devrait être trouvée. @

Charles de Laubier