L’odyssée de la presse

Ah bon, on lit encore la presse ? Mais oui, même s’il est vrai que cela ne fait que quelque temps que j’ai retrouvé
le goût de la lecture des nouvelles du matin. J’ai lu mon dernier exemplaire papier il y trois ans : j’avais succombé aux ultimes efforts des groupes de presse pour nous satisfaire en prenant un abonnement à mon quotidien préféré, livré chaque matin avant que le soleil ne se lève. Mais la dernière réorganisation industrielle conjuguée à
la pression des nouvelles directives européennes en matière de développement durable (le cocktail « matière première-impression-transport- livraison » était devenu vraiment insoutenable) a encore réduit la part du support papier. Je lis maintenant l’actualité du matin sur mon écran ePaper, un lecteur dédié qui me permet de disposer de ma sélection d’articles (local, économique, politique) chargés automatiquement dès leur parution, bien avant mon réveil. J’apprécie cet écran qui
se fait oublier et qui me suit partout, même sur ma table du petit déjeuner, éclairée
par le soleil matinal.

« Les groupes de presse se sont réorganisés
autour de rédactions quiont les moyens de
produire des émissions diffusées et déclinées à la
radio, à la télé, sur Internet et dans des magazines. »

Après les âpres batailles de 2009 – où l’on a vu tour à tour fondre les effectifs des rédactions aux Etats-Unis, le vote de l’étrange loi Hadopi en France et la mise en place du statut d’éditeur de presse en ligne – s’en est donc presque fini de notre presse d’autrefois, même si le papier garde ses lettres de noblesse et un lectorat. Il est vrai cependant que, même avant 2010, les étudiants ne lisaient déjà presque plus de quotidiens papier, hormis un gratuit attrapé hâtivement avant de prendre leur métro.
En fait, mon accès à l’info s’est bien simplifié depuis que j’ai tout regroupé dans mon abonnement Internet : les deux magazines auxquels je tiens et les journaux au format électronique pour des articles de fond et l’analyse de certains éditorialistes. Il y aura toujours une place de choix pour l’investigation et l’analyse. J’avoue cependant que mon accès le plus fréquent à l’info reste mon moteur de recherche préféré, qui est
mon lien le plus régulier tout au long de la journée : ma revue de presse personnalisée et actualisée en permanence. J’ai ainsi appris à dompter et maîtriser les sources qui
me conviennent. J’utilise une dizaine de sites qui sont pour moi autant de titres de référence et que je consulte plus ou moins régulièrement : politiques locale et internationale, cinéma, voyage, vie citoyenne, …

C’est d’autant plus facile qu’aujourd’hui on ne fait presque plus la différence entre nos médias bien différenciés d’hier : les groupes de presse se sont en effet réorganisés autour de rédactions qui ont les moyens de produire des émissions diffusées et déclinées à la radio, à la télé, sur Internet et dans des magazines.

Ainsi, je ne me
lasse plus de regarder ma radio. Ce n’est plus une petite boîte noire mais un écran
très fin qui me permet de savoir ce que j’écoute et d’accéder à des émissions en vidéo retransmises en direct.
Le direct, c’est ce qui m’attire encore, comme beaucoup d’autres, vers mes écrans de télé. Les chaînes ont finalement fait leur révolution. Cela a été long, mais c’est un réel bonheur pour des passionnés d’information de découvrir les nouveaux Albert Londres parcourant le monde, caméra désormais embarquée dans leurs lunettes de soleil.

Ah, j’allais oublier : le soir, cela fait longtemps que nous avons appris à nous passer
du « 20 heures », disparu de mort naturel, pour aller puiser l’info à de multiples sources.
Ce soir, par exemple, je prendrai des nouvelles de mon réseau social, des infos de mes proches et de mes amis, rassemblés par la magie du web et premiers producteurs des news qui me concernent. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique “2020” : L’Internet des objets
* Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing

et commercial de l’Institut de l’audiovisuel
et des télécoms en Europe (Idate).
Rapports sur le sujet : « Stratégies Internet de la presse » par
Gille Fontaine et Marc Leiba, et « e-Paper » par Vincent Bonneau.

Exclusivités sur les réseaux : un sujet embarrassant pour tout le monde

Les conflits sur les exclusivités se sont accumulés ces derniers mois. L’exclusivité iPhone- Orange a été suspendue, tandis que le modèle de
double exclusivité Orange-France Télévisions et Orange Sport a été autorisé.
La mission Hagelsteen prémunira-t-elle contre d’autres litiges ?

Par Katia Duhamel, avocate, cabinet Bird & Bird

Bâtis sur le sacro-saint principe de l’interopérabilité et de la neutralité, les télécommunications étaient jusqu’à présent ouvertes vis-à-vis des contenus. A l’inverse les médias – soutenues par une réglementation qui cloisonne l’exploitation des œuvres dans le temps et selon leur support de diffusion (chronologie des médias) – ont construit un modèle d’accès discriminant permettant de financer la création des œuvres
et dont la valeur réside largement dans des exclusivités de distribution. Ces pratiques se heurtent aujourd’hui à l’évolution des technologies qui permet une personnalisation et une nomadisation croissantes des modes de consommation, de plus en plus indépendants des terminaux et des plateformes (catch-up TV; vidéo
à la demande; télévision mobile, etc.). Par ailleurs, la banalisation des flux de communication contraint les opérateurs télécoms à se différencier par les contenus offerts sur leurs réseaux, comme ils le font déjà en offrant des terminaux mobiles subventionnés, packagés dans leurs offres.

« Double exclusivité » : contestée mais autorisée…
Telle est la stratégie d’Orange qui entend se réserver l’exclusivité des chaînes qu’elle édite, comme elle a essayé, avec moins de succès, de conserver son exclusivité de distribution sur l’iPhone (voir Zoom). Deux contentieux ont eu à traiter du premier sujet sans pour autant trancher parfaitement la question. Le premier dirigé contre l’exclusivité réservée par France Télévisions à Orange pour la diffusion de ses programmes de télévision de rattrapage (catch up TV) ; le second concerne la commercialisation de
la chaîne Orange Sport, ainsi qu’un avis du conseil de la concurrence. Qu’entend-t-on d’abord par « double exclusivité » ? C’est le terme employé par l’Autorité de la concurrence pour désigner le modèle soutenu par Orange qui superpose à l’exclusivité de distribution, bien connue dans le secteur de la télévision payante, une seconde exclusivité de transport et d’accès. Dans le premier cas, le distributeur se réserve l’exclusivité de services et/ou de chaînes – sans pour autant s’opposer à la diffusion de ces services sur une autre plateforme technique (satellite, TV ADSL, fibre optique,…) – et conserve à ce titre la relation commerciale avec l’abonné. C’est le modèle de l’auto-distribution développé par Canal+, dont on peut recevoir les programmes payants, aussi bien en étant abonné à Canalsat qu’à Orange ou Free. Dans le second cas,
le fournisseur d’accès à Internet (FAI) se réserve l’exclusivité des contenus, chaînes
ou services, commercialisés à ses seuls abonnés.

1er épisode – Le 8 octobre 2007, le Conseil de la concurrence (devenu depuis l’Autorité de concurrence) est saisi par l’Aforst (1) d’une demande de mesures conservatoires aux fins de suspendre l’accord exclusif permettant au groupe France Télécom de distribuer auprès de ses seuls abonnés ADSL certains programmes de France Télévisions en catch up TV. Les opérateurs alternatifs représentés par cette association invoquent notamment un abus de position dominante de France Télécom et de France Télévisions. Ils font valoir le caractère de vente liée d’une commercialisation de ces programmes subordonnée à un abonnement triple-play d’Orange, ainsi que des soupçons d’entente verticale entre France Télécom et France Télévisions et d’entente horizontale entre France Télévisions et les nombreux producteurs qui lui ont abandonné des droits de diffusion sur les émissions incluses dans les programmes de catch up TV. Le 7 mai 2008 (2), le Conseil rejette la demande de l’Aforst au fond et au titre des demandes conservatoires, fondant sa décision sur l’absence d’éléments probants de nature à démontrer « en l’état » le caractère anticoncurrentiel de l’accord, sur le champ restreint de l’exclusivité (3) et sur le fait que l’exclusivité incriminée ne confère pas un avantage concurrentiel déterminant pour Orange au préjudice de ses concurrents.

2e épisode – Le 20 mars 2009, le tribunal de commerce de Paris fait droit aux demandes de Free et SFR/Neuf Cegetel (après les avoir rejetées en référé en juillet 2008). Il ordonne à Orange de mettre fin à l’exclusivité de retransmission de certains matches de football diffusés sur sa chaînes Orange Sport. Autrement dit : de cesser
de subordonner l’abonnement à cette chaîne à une souscription à son service d’accès triple-play, subordination que le tribunal juge constitutive d’une vente liée illégale (contrairement au Conseil dans l’affaire précédente (4)). Le 30 mars, la cour d’appel saisie par Orange refuse de lever cette interdiction. En revanche, le 14 mai 2009, la même Cour d’appel saisie sur le fond de la décision du tribunal de commerce renverse la vapeur en infirmant cette décision pour tenir compte d’une décision de la Cour de justice des Communautés européennes (« CJCE ») intervenue entre-temps (5). Cette décision a interprété la directive relative aux pratiques commerciales déloyales (6) comme prohibant toute réglementation nationale, qui, à l’instar de l’article L 122-1
du code français de la consommation, interdirait les offres conjointes « en toutes circonstances ».

3e épisode – Le 7 juillet 2009, l’Autorité de la concurrence rend l’avis, qui lui a été demandé en janvier par la ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi sur
les exclusivités d’accès aux contenus TV par les FAI. L’Autorité conclut : l’exclusivité d’accès doit rester une solution exceptionnelle, strictement limitée dans sa durée
et dans son champ ; l’auto-distribution apparaît comme une solution d’équilibre satisfaisante (le modèle de Canal+), à l’avantage des acteurs de la chaîne de valeur
et des consommateurs ; la régulation du marché de gros des chaînes payantes reste
un complément indispensable. Les sages de la rue de l’Echelle considèrent enfin que leurs éventuelles décisions à venir en matière contentieuse, comme celles des tribunaux judiciaires, seront insuffisantes à fournir la sécurité juridique nécessaire aux acteurs, en particulier dans le cadre des investissements requis pour le développement de la fibre optique et donc du très haut débit. Ils en appellent à ce titre à l’intervention du législateur. Plus récemment, en octobre dernier, le Premier ministre a demandé à Marie-Dominique Hagelsteen (7) de poursuivre la réflexion initiée par l’Autorité de la concurrence. Et ce, afin de rendre un rapport le 15 décembre prochain sur ses propositions.

Résoudre la difficile équation par la loi ?
Objectif : éclairer le gouvernement sur la nécessité et la possibilité (ou non) de limiter
la pratique de « double exclusivité » et de réguler les marchés de gros de la télévision payante au moyen d’un cadre juridique spécifique. Ce rapport constituera-t-il le socle
de la révision législative souhaitée par l’Autorité de la concurrence et mettra-t-il fin des contentieux à répétition ?
Ce n’est pas certain compte tenu des nombreux obstacles, qui nous semblent devoir être levés au cas par cas et non de façon générale.  En particulier, comment traiter cette question par la loi alors que la télévision reste un produit d’appel non rémunérateur pour les opérateurs de communications électroniques ?
En effet, ceux-ci semblent aujourd’hui incapables de proposer un modèle économique se substituant au modèle de l’exclusivité pour le financement des œuvres. De notre point de vue, la réflexion économique inhérente au droit de la concurrence serait mieux en mesure que la loi de résoudre cette difficile équation. @

ZOOM

Fin de l’exclusivité iPhone-Orange : la question de la concurrence demeure
Le 17 décembre 2008, l’Autorité de la concurrence rendaient une décision enjoignant
à Apple et à France Télécom de suspendre l’exclusivité dont bénéficiait Orange sur l’iPhone en France. Le 4 février 2009, cette décision était confirmée en tous points
par la cour d’appel de Paris. Ce système d’exclusivité de long terme portait atteinte
à la concurrence, principalement en raison de trois facteurs : la faible intensité concurrentielle caractérisant le marché des services de téléphonie mobile ; le risque
de cloisonnement du marché pouvant résulter des effets cumulatifs de partenariats exclusifs entre opérateurs de réseaux et fabricants de terminaux ; l’avantage concurrentiel majeur que constituerait cette exclusivité pour Orange du fait notamment de l’attractivité particulière de l’iPhone et de la position prééminente d’Apple sur les marchés des baladeurs numériques et du téléchargement payant de musique en ligne. Pourtant, l’analyse des sages de la rue de l’Echelle n’est pas sans soulever certaines interrogations. Davantage que la suppression d’une exclusivité, ne sont-elles pas en cause les conditions dans lesquelles se fera l’attribution de la quatrième licence à un opérateur permettant de redynamiser la concurrence sur le marché ? Reste qu’Apple et Orange, pour des raisons différentes, ont décidé courant octobre 2009 de se conformer aux injonctions prononcées par l’Autorité de la concurrence et de supprimer l’exclusivité.

Vers un statut proche de « radiodiffuseur » pour les sites de streaming… légal

Les sites de streaming de musique comme Deezer, gratuits et financés par la publicité, tentent maintenant de proposer des abonnements payants. Alors que l’Hadopi va scruter le peer-to-peer mais aussi le streaming, la question d’un statut pour ces sites de flux est posée.

Mi-novembre, la secrétaire d’Etat chargée de l’Economie numérique, Nathalie Kosciusko- Morizet, a envoyé à la commission Zelnik – laquelle a retardé à mi-décembre la remise de son rapport (1) – ses propositions développer les offres légales de musique sur Internet. Elle y préconise notamment la « création d’un statut proche
de celui de radiodiffuseur pour les webradios et les sites de streaming ». Objectif :
« sécuriser les revenus des artistes, comme c’est le cas sur la radio, et ouvrir tous
les catalogues à ces sites » (2). En outre, NKM suggère la mise en place de « forfaits d’utilisation de la bande passante plus adaptés aux modèles économiques des sites
de streaming légaux et des webradios. »

Hadopi : après le peer-to-peer, le streaming
Pour l’heure, à peine installée, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et pour
la protection des droits sur Internet (Hadopi) devra non seulement s’intéresser aux réseaux peer-à-peer (P2P) mais également à la consommation de la musique sans téléchargement. Le rapporteur de la loi Hadopi, le député Franck Riester, avait prévenu dès le 22 octobre (3) – le jour même de la validation par le Conseil constitutionnel de l’essentiel de texte législatif – que les réseaux peer-to-peer utilisés pour les échanges
de musiques ne seront pas les seuls à être surveillés. Les sites de streaming aussi.
Cette écoute on line de la musique sans téléchargement permet également de regarder des clips vidéo – également des films – sur son ordinateur ou son mobile multimédia. Selon le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), sur les 9 premiers mois
de l’année 2009, le streaming musical pèse 12,3 % – soit 6,8 millions d’euros – du total des ventes numériques (4) générées par les éditeurs phonographiques (Universal Music, Sony Music, EMI, Warner Music en tête). Les sites de streaming, qui se sont développés en France comme Deezer, Sportify, Qobuz ou Wormee, sans oublier les réseaux sociaux comme Dailymotion et les webradios comme Oxyradio, ont misé sur une gratuité financée par la publicité.
« Les revenus du streaming ont été multipliés par trois par rapport à la même période de janvier à septembre de l’an dernier, mais ils sont encore largement sur un modèle gratuit, même si le streaming payant commence à arriver », constate David El Sayegh, directeur général du Snep. La musique dite de flux commence en effet à évoluer vers le modèle payant, à l’image du français Deezer qui a lancé début novembre une offre d’abonnement à 9,99 euros par mois pour écouter de la musique de bonne qualité sonore (lossless), sans publicité, sur mobile, baladeur ou ordinateur.
Il emboîte ainsi le pas de son concurrent suédois Spotify (9,99 euros aussi) et devance Wormee (Orange Vallée). Les maisons de disques y voient de nouvelles sources de revenus. Dans le cas de « Deezer Premium », les labels musicaux percevront environ 60% de ces 9,99 euros. C’est presque 10 % de mieux que le taux prélevé sur les recettes publicitaires du streaming gratuit. Deezer, site musical créé en 2007, vise 100.000 abonnés payants en fin d’année 2010 – notamment avec l’aide de ses nouveaux accords de rediffusion avec SFR (5), Numericable et, au début de l’an prochain, Bouygues Telecom. Perspective modeste par rapport aux 11 millions d’inscrits. « La question est de savoir comment monétiser nos 7 millions de visiteurs uniques par mois », a expliqué le 18 novembre Jonathan Benassaya, le PDG fondateur de Deezer, lors du Digiworld Summit de l’Idate. Cela passera selon lui par des moyens de paiement plus simple – « un seul clic » comme sur iTunes – et le paiement via téléphone mobile ou puces RFID. Deezer travaille en outre sur un prototype d’autoradio Wifi… Mais pour le jeune entrepreneur, « il faudra réguler un minimum Internet pour éviter les contenus illégaux et protéger nos enfants »…

Donner sa chance au streaming payant
Le streaming ne doit donc pas tomber dans le travers « hors-la-loi » du P2P. Si le numérique dans la filière musicale a dépassé pour la première fois cette année les
15 % du total des revenus, la vente de musiques dématérialisée reste néanmoins
faible par rapport au poids total du marché. Car le piratage en ligne peut toucher aussi le streaming. « Il faut donner sa chance au streaming payant ou ‘premium’. », fait remarquer David El Sayegh. Quoi qu’il en soit, le streaming ou l’abonnement de type Musicme rapportent plus aux ayants droit. Les royalties peuvent par exemple être de 0,01 euro pour 1.000 écoutes sur un site gratuit ou de quelques centimes sur un site payant. @

La « Net Neutrality » n’est plus un sujet tabou en Europe

La 31e édition du « Digiworld Summit » organisé par l’Idate à Montpellier, les 18 et 19 novembre derniers, a réussi à lancer le débat sur la neutralité de l’Internet.

L’Arcep, l’autorité de régulation en charge notamment des communications électroniques en France, va organiser un colloque au printemps 2010 sur la neutralité de l’Internet.
C’est ce qu’a annoncé son président, Jean-Ludovic Silicani, lors du Digiworld Summit.
Le gendarme des télécoms, qui a déjà engagé en interne une réflexion depuis fin septembre dernier, « devrait, dans la foulée, être en mesure de soumettre à consultation des recommandations puis de publier des lignes directrices au début de l’été 2010 ». Cette réflexion, a-t-il précisé, s’appuiera sur deux principes essentiels.
Le premier : « la non-discrimination, c’est-à-dire le fait qu’un opérateur de réseau ne puisse favoriser indûment certains contenus, notamment les siens s’il est intégré verticalement, et utilise le même réseau que les autres éditeurs de contenus ».
Le second : « la transparence, notamment vis-à-vis du consommateur qui doit être informé dans l’hypothèse où des règles de gestion de trafic son mises en oeuvre ».
Le régulateur va ainsi participer au débat engagé en Europe. Le nouveau Paquet télécom, adopté le 24 novembre par le Parlement européen, donne le pouvoir aux régulateurs nationaux de fixer un niveau de qualité minimale et d’interdire toute discrimination dans l’accès aux contenus et services (1).
Le président de l’Arcep intervenait en préambule d’une table ronde du Digiworld Summit, où l’on a vu s’affronter sur la « Net Neutrality » deux géants américains : Google et AT&T, en présence d’un opérateur télécom européen – Deutsche Telekom. Aux Etats-Unis, le débat fait rage depuis plus d’un an.

Dialogue de sourds entre AT&T et Google
Avec l’explosion de la vidéo, de la musique et des films, ou encore la montée en puissance des chaînes de télévision et de radio sur le Web, Internet peut-il encore continuer à supporter tout ce flux ? « Congestion et gestion du trafic constituent le double problème qui se pose aux opérateurs télécoms, lesquels doivent éviter de porter atteinte à la neutralité de l’Internet », a expliqué Yves Gassot, directeur général de l’Idate, en préambule au débat. Pour Google, le principe de Net Neutrality doit être réaffirmé par le régulateur fédéral américain des communications. « La FCC (2) a introduit deux principes [sur les six soumis à consultation publique depuis le 22 octobre 2009, ndlr] qui sont la non-discrimination [l’internaute doit accéder à tous les contenus légaux de son choix] et la transparence [les consommateurs doivent être averti en cas de restriction] », s’est félicité Richard Whitt, conseiller juridique Telecom and Media de Google à Washington.
En réponse, le vice-président Public Policy d’AT&T, Jeff Brueggeman, a préféré éviter
la polémique : « La FCC doit trouver un équilibre entre non-discrimination et autorisation de gérer le réseau, avec des garde-fous. Trop de contraintes risquent d’étouffer l’investissement. Il n’est pas besoin de réglementation prématurée ».

Qualité : vers la différenciation tarifaire
En réponse pour Google, Richard Whitt a affirmé qu’il ne veut pas empêcher les AT&T, Verizon et autres Comcast à investir dans leurs réseaux mais « s’il y a trop de souplesse, il y aura trop de différenciation des flux et les fournisseurs de contenus devront payer pour ces lignes prioritaires ». Et Jeff Brueggeman de répliquer pour
AT&T : « Les réseaux peer-to-peer doivent être améliorés dans leur gestion du trafic. Nous y travaillons.
Car il y a beaucoup d’applications qui provoquent des embouteillages sur notre infrastructure.» Le vice-président des affaires publiques internationales de Deutsche Telekom, Roland Doll, semblait compter les points, tout en étant sur la même longueur d’onde que son homologue d’outre- Atlantique. « La différen-ciation tarifaire est un ‘must’ pour répondre à la demande de qualité de service, et ce à un prix attrayant. Openness [réseaux ouverts] ne veut pas dire gratuit ! On doit faire payer pour plus de qualité. Gagner de l’argent avec le trafic ne suffit plus. Pour la télévision sur Internet (IPTV), la gestion du trafic est nécessaire comme pour les réseaux privés virtuels
(VPN) », a-t-il déclaré. Mais d’émettre un bémol cependant : « Si nous dégradons
ou restreignons l’accès à des services en ligne, voire les interrompons, nos clients n’hésiteraient pas à passer chez nos concurrents ». Seuls les réseaux mobiles semblent épargnés.
C’est du moins la position des opérateurs de réseaux sans fils qui estiment la technologie cellulaire déjà limitée en bande passante. Aux Etats-Unis, la FCC a déjà posé la question de savoir s’il fallait aussi appliquer la Net Neutrality aux opérateurs mobiles… A suivre. @

Orange-cinéma : les films à petit budget exclus

En fait. Le 12 novembre, la Société des réalisateurs de films (SRF) annonce ne pas avoir signé l’accord conclu deux jours plus tôt entre Orange Cinéma Séries et la quasi-totalité des organisations du septième art français. SRF est pourtant membre du bloc signataire.

En clair. Le revirement de dernière minute de la SRF, qui a pourtant participé depuis plus d’un an aux négociations avec France Télécom s’étant conclues par un engagement minimum de 80 millions d’euros d’investissement sur trois ans dans le cinéma français et européen (EM@ n°1 p. 3), découle d’un constat « brutal » de
« misère » du cinéma français. Selon cette association, cofondée notamment par Claude Berri et organisatrice depuis 40 ans de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes (1), presque la moitié (44,7 %) des 170 films d’initiative française produits en 2008 ont des budgets inférieurs à2,5 millions d’euros. Or l’effort d’Orange Cinéma Séries pour la « diversité du cinéma »se traduit dans l’accord du 10 novembre par un engagement à consacrer 25 % de son obligation d’acquisition de films d’expression originale française à des œuvres dont le budget est égal ou inférieur à 5,35 millions d’euros. Ce qui représente plutôt des films à« moyen budget » que des films à « petit budget ».
La SRF dénonce une « inflation sur les gros budgets, les deux acteurs de télévision payante [Canal + et Orange, ndlr] se disputant les potentiels blockbusters à coup de millions d’euros, laissant des miettes toujours plus éparses aux autres films ». Et de constater que le film d’auteur, ou « cinéma de point de vue », est « mal aimé par les décideurs des groupes les plus puissants ». C’est sur cette répartition des 25 % de
« diversité culturelle » que les négociations ont achoppé jusqu’à la dernière minute.
« Nous avions demandé, in extremis, à Orange de s’engager à consacrer sa clause
de diversité à 10 films à petit budget par an. Nous ne l’avons pas obtenu et donc nous n’avons pas signé », a expliqué Laure Tarnaud, déléguée générale de la SRF, qui restera néanmoins vigilante sur les investissements d’Orange Cinéma Séries. France Télécom, qui est le premier opérateur à signer un tel accord en France avec le cinéma français, préachète déjà des films français via cette filiale et en coproduit via l’autre filiale Studio 37. Le bloc, et donc SRF, demande en outre à la mission Zelnik (EM@1 p. 6) que les opérateurs télécoms préfinancent les films européens ou français via une contribution prélevée sur leur chiffre d’affaires pour alimenter le Cosip, Compte de soutien à l’industrie des programmes. @