Jérémie Manigne, groupe SFR : « Il faut sans doute réfléchir à une autorité de régulation unique »

Directeur général au sein du groupe SFR, en charge de l’innovation, des services et des contenus, Jérémie Manigne – également co-auteur du rapport « TV connectée » – explique à EM@ comment les règles du jeu devraient évoluer. Sa stratégie passe par la « coopétition » avec les acteurs du Web.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous êtes – avec Takis Candilis (Lagardère), Marc Tessier (VidéoFutur), Philippe Levrier (ex-CSA) et Martin Rogard (Dailymotion) – l’un des cinq co-auteurs du rapport « TV connectée » remis aux deux ministres Frédéric Mitterrand et Eric Besson : quelles sont les plus importantes propositions de la mission ?
Jérémie Manigne :
Le rapport met en lumière la nécessité d’adapter rapidement les règles, qui s’appliquent aux acteurs de l’audiovisuel français, à un contexte de plus en plus ouvert et mondialisé, où Internet s’impose peu à peu comme média de diffusion de contenus. Les mesures proposées visent, d’une part, à permettre le développement d’acteurs français et européens puissants capables de rivaliser avec leurs concurrents internationaux et, d’autre part, à pérenniser le soutien à la création audiovisuelle française en y faisant participer l’ensemble des acteurs de l’Internet.

France Télévisions : 1,83 % du budget dans le digital…

En fait. Le 22 novembre, Frédéric Mitterrand a signé avec Rémy Pfilmlin
le « contrats d’objectifs et de moyens » COM) de France Télévisions pour cinq ans, 2011-2015, en augmentation budgétaire de 2,2 % par an en moyenne. Pour 2012 : plus de 2,1 milliards d’euros, soit environ 3 milliards avec publicités.

En clair. Avec un tel budget, la part consacrée au développements numériques de France Télévisions auraient pu être beaucoup plus significative qu’elle ne l’est : le COM 211-2015 de France Télévisions prévoit en effet un budget numérique de… 55 millions d’euros en 2011 seulement, puis une perspective de 125 millions en 2015. Lors de la cérémonie de signature au ministère de la Culture et de la Communication, rue de Valois, Edition Multimédi@ a demandé au PDG de France Télévisions si ce budget numérique n’était
pas « une goutte d’eau » dans le budget annuel de 3 milliards d’euros : 1,83 % ! Surtout comparé aux 300 millions d’euros par an que la BBC au Royaume-Uni consacre au digital. « Le budget numérique va monter progressivement ; il est d’une importance majeure, comme l’illustre le développement de la catch up TV avec Pluzz dans les environnements Apple et Android (1). C’est un budget équilibré où il a fallu faire des arbitrages, notamment en faveur de la création : 420 millions pour l’audiovisuel et 60 millions pour le cinéma », nous a répondu Rémy Pfilmlin. Est-ce à dire le digital du groupe de télévisions publiques
a été sacrifié sur l’autel de la création ?
Egalement sollicité sur ce point, Bruno Patino – directeur général délégué à la stratégie,
au numérique et au média global de France Télévisions – nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas s’exprimer sur le COM (2)… Est-il déçu de ne pas avoir les moyens de
ses ambitions numériques ? Lors de la présentation de sa stratégie numérique le 7 avril dernier, il avait dit « regrette[r] que [le budget numérique de 55 millions] soit peu sur l’ensemble du groupe » (3), en expliquant donc miser sur la publicité en ligne (8,7 millions d’euros cette année) et réfléchir à des services payants de VOD (à l’acte) et SVOD
(par abonnement). Mais les chaînes publiques – déjà financées par le contribuable et
la redevance – peuvent-elles déroger à la gratuité du service public ? « Pas question
de monétiser l’information », avait répondu Bruno Patino (4).
Quoi qu’il en soit, le groupe audiovisuel risque d’être démuni face aux défis numériques.
« La TV connectée pourrait être plus disruptive que la musique ou la presse en ligne »,
a prévenu pour sa part Eric Scherer, directeur des nouveaux médias chez France Télévisions, lors de l’AG du Geste (lire cidessus) se tenant justement dans les locaux
du groupe. @

Les éditeurs craignent de « perdre» leurs clients

En fait. Le 23 novembre, s’est tenue la 26e assemblée générale du Groupement
des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste). Son président, Philippe Jannet – PDG du Monde Interactif – constate que les promesses des tablettes
et de la TV connectée s’accompagnent aussi de « complexités nouvelles ».

En clair. Les quelque 120 membres du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste), né avec le Minitel (1) en 1987, vont de plus en plus « au-delà des frontières du web et des mobiles ». Les nouveaux supports comme les tablettes et surtout les téléviseurs connectés « sont riches de promesses mais aussi de complexités nouvelles, tant législatives qu’économiques », a souligné Philippe Jannet, qui préside le Geste depuis 11 ans (2). Le métier d’éditeur est devenu « anxiogène ». Un besoin de clarification de la réglementation et de la régulation se fait pressant, au moment où la mission « TV connectée » rend son rapport. « A nouveau, nous allons être confrontés aux difficiles contours juridiques de supports mêlant plusieurs droits différents – notamment la télévision. Qui est responsable : le CSA ? Les opérateurs [l’Arcep] ? Les fabricants ? … », s’est inquiété Philippe Jannet. Lors d’une table-ronde, le directeur des nouveaux médias du groupe Le Figaro, Bertrand Gié (3), a abondé dans ce sens : « Faire les recommandations des éditeurs est devenu assez compliqué car à qui s’adresser ?
Avec la TV connectée, nous sommes à la croisée des chemins. Est-ce qu’elle relève des télécoms, d’Internet (IP), du CSA ? L’accord entre TF1 et Samsung, est-ce de l’audiovisuel ? ». Quant à Eric Scherer, directeur des nouveaux médias chez France Télévisions, il a mis en garde : « La TV connectée pourrait être plus disruptive que la musique ou la presse en ligne » (lire ci-dessous). Autre préoccupation : celle du risque
de « désintermédiation » des éditeurs vis-à-vis de leur lecteurs, téléspectateurs, auditeurs ou utilisateurs. « Nous allons aussi être confrontés à la multiplication des intermédiaires (fabricants, opérateurs, agrégateurs), nous éloignant de nos clients et soucieux de nous imposer leurs propres règles économiques », a prévenu le président du Geste. Apple, Amazon et Google sont cités en exemple. Les éditeurs reprochent par exemple à la marque à la pomme son refus de leur communiquer les données clients et de leur imposer sa grille tarifaire (EM@37, p. 7). L’un des objectifs pour 2012 va donc être de « préserver notre relation à nos utilisateurs » et d’avoir des « relations clarifiées avec les différents opérateurs techniques », de la tablette au cloud computing, en passant par les réseaux sociaux et les télévisions connectées. @

Le cinéma veut une « plateforme de suivi de la VOD » et un forum « TV connectée »

Selon nos informations, l’APC – qui par ailleurs passe à l’offensive contre les sites de streaming pirates – espère pouvoir lancer en 2012 une plateforme de suivi en temps réel de la VOD, pour les films, et demande aux pouvoirs publics de créer un forum consacré à la télévision connectée.

Par Charles de Laubier

Dans deux contributions – l’une du 7 octobre pour le « Plan France numérique 2020 » mis en ligne lors de 4e Assises du numérique, l’autre du 28 septembre pour la « mission sur la télévision connectée » que Edition Multimédi@ s’est procurée –, l’Association des producteurs de cinéma (APC) fait des propositions pour que les films soient valorisés et protégés sur les réseaux. Deux d’entre elles concernent respectivement la vidéo à la demande (VOD) et la TV connectée.

Nouvelles chaînes de TNT et TV connectée : l’année 2012 va chambouler le PAF

Si le paysage audiovisuel français (PAF) a déjà été agité par l’abrogation des chaînes « bonus », l’année prochaine le sera encore plus avec l’arrivée de six nouvelles chaînes gratuites sur la TNT, connues au printemps, et la montée en puissance de la télévision connectée.

Par Christophe Clarenc (photo), associé, et Elsa Pinon, collaboratrice, August & Debouzy

Dans le cadre de la disparition de la télévision analogique au profit du basculement définitif vers la Télévision numérique terrestre (TNT) finalisé le 30 novembre dernier, six canaux avaient été promis aux chaînes historiques (TF1, M6 et Canal+) pour compenser la possible baisse d’audience due à l’arrivée de chaînes concurrentes (1). En 2008, les groupes NRJ, NextRadioTV, Bolloré et AB ont contesté devant la Commission européenne la validité de ces attributions.