Jérémie Manigne, groupe SFR : « Il faut sans doute réfléchir à une autorité de régulation unique »

Directeur général au sein du groupe SFR, en charge de l’innovation, des services et des contenus, Jérémie Manigne – également co-auteur du rapport « TV connectée » – explique à EM@ comment les règles du jeu devraient évoluer. Sa stratégie passe par la « coopétition » avec les acteurs du Web.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous êtes – avec Takis Candilis (Lagardère), Marc Tessier (VidéoFutur), Philippe Levrier (ex-CSA) et Martin Rogard (Dailymotion) – l’un des cinq co-auteurs du rapport « TV connectée » remis aux deux ministres Frédéric Mitterrand et Eric Besson : quelles sont les plus importantes propositions de la mission ?
Jérémie Manigne :
Le rapport met en lumière la nécessité d’adapter rapidement les règles, qui s’appliquent aux acteurs de l’audiovisuel français, à un contexte de plus en plus ouvert et mondialisé, où Internet s’impose peu à peu comme média de diffusion de contenus. Les mesures proposées visent, d’une part, à permettre le développement d’acteurs français et européens puissants capables de rivaliser avec leurs concurrents internationaux et, d’autre part, à pérenniser le soutien à la création audiovisuelle française en y faisant participer l’ensemble des acteurs de l’Internet.

EM@ : Le rapport propose notamment d’instaurer une « contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne » pour le trafic Internet et vidéo transitant par des opérateurs télécoms, d’autres services en ligne ou des intermédiaires techniques (hébergeurs, CDN, …), une sorte d’impôt pour compenser la « distorsion de concurrence fiscale » : est-ce techniquement faisable et les FAI comme SFR sont-ils disposés à prélever cette taxe d’acheminement ?
J. M. :
La mise en oeuvre d’une participation de l’ensemble des acteurs de l’Internet à la création – via par exemple le Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (Cosip) – est possible techniquement en s’appuyant sur les relations « contractuelles » existantes entre tous les acteurs de l’Internet et les opérateurs pour accéder aux réseaux locaux. Elle nécessite une volonté politique forte que le rapport appelle de ses vœux. Elle doit également s’accompagner de la mise en oeuvre d’une TVA réduite sur les œuvres numériques, seule à même de rétablir pleinement l’équité concurrentielle avec les acteurs extraterritoriaux.

EM@ : Le rapport préconise en outre de rapprocher l’Arcep et le CSA. Ou, sinon, confier à l’Arcep l’ensemble de la régulation des réseaux (télécoms, audiovisuels, Internet) : pensez-vous qu’il faille aller jusqu’à une fusion Arcep-CSA que l’on évoque depuis longtemps pour répondre à la convergence numérique ? Pourquoi ?
J. M. :
A une époque où la moitié des foyers français ont accès à la télévision par un réseau télécom et où une profusion de services audiovisuels est accessible sur différents supports, et notamment via Internet, les compétences des autorités de régulation vont inévitablement se chevaucher. Pour tenir compte de ce contexte, le rapport propose de clarifier les compétences de l’Arcep et du CSA à l’intersection des secteurs de l’audiovisuel et des télécoms. Il faudrait sans doute réfléchir à terme à la création d’une unique autorité, à l’instar de ce qui existe dans plusieurs pays européens. Cette question n’est pas tranchée par le rapport et mérite, à elle seule, une mission d’étude. La décision d’engager une telle réflexion revient au pouvoir politique.

EM@ : Au DigiWorldSummit, vous avez dit que SFR n’est pas fermé aux OTT (Over-The-Top) : « Nous sommes pour la “coopétition” », avez-vous dit : ouvrir la box IPTV managée, n’est-ce pas ouvrir la boîte de Pandore ?
J. M. :
La « coopétition » avec les OTT signifie que, d’une part, nous travaillons à l’intégration des services de certains d’entre eux au sein de l’expérience client proposée par nos box. Ainsi, les clients de SFR peuvent déjà profiter de Dailymotion, de Picasa, d’AlloCiné… D’autre part, nous développons nos services opérateurs, par exemple SFR TV, sur l’ensemble des écrans et pour les porter sur tous les équipements, des télés connectées aux consoles de jeux.

EM@ : SFR revendique 25 % du marché français de VOD, lequel est encore limité à un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros au 1er semestre 2011. Les 4 mois de la VOD à l’acte sont-ils encore trop long ? Et à 36 mois pour CanalPlay Infinity sur SFR, la SVOD est-elle disqualifiée ?
J. M. :
Si le marché de la VOD est encore petit, il est néanmoins en très forte croissance. Il est porté par l’appétence très élevée des consommateurs pour un usage de plus en plus délinéarisé des contenus. Tous les acteurs doivent accélérer ce développement pour répondre à cette attente des téléspectateurs mais également à la forte croissance du piratage. Celui-ci est particulièrement prévisible sur les TV connectées disposant d’un accès ouvert sur Internet. Pour réduire cette tentation du piratage, nous devons nous attacher à renforcer l’exhaustivité et l’attractivité de l’offre légale. Nous devons renforcer l’exposition des œuvres : il n’est ainsi pas rare, au-delà de la première fenêtre, que des films ne soient jamais disponibles sur les fenêtres des offres de vidéo transactionnelle ou par abonnement. Quoi de plus décevant que de ne pas trouver un film que l’on cherche spécifiquement ?

EM@ : La VOD à l’acte doit-elle baisser ses prix (4,25 euros en moyenne le film) pour être plus attractive ?
J. M. :
Les prix sont perçus par les consommateurs comme homogènes et assez élevés sur le marché français, pénalisant l’usage, même si l’arrivée d’offres d’abondance comme Canalplay Infinity change ce sentiment et séduit de plus en plus d’abonnés. @

ZOOM

Après la musique et la vidéo, SFR se lance dans le livre numérique et réfléchit à la presse en ligne
Dans le prolongement de son partenariat avec la Fnac, annoncé en juin dernier, SFR – qui ouvre ses propres espaces commerciaux dans les grands magasins de ce dernier (1) – va distribuer la liseuse «Kobo by Fnac ». Selon nos informations, la direction « Innovation & Nouveaux marchés » finalise ce projet qui va se retrouver en concurrence frontale avec Amazon France, et réfléchit, par ailleurs, à la distribution de presse numérique. « Après la musique en ligne et la vidéo à la demande (VOD) très prisées par des utilisateurs plutôt jeunes, SFR entend aussi proposer à cette même tranche d’âge une offre de l’écrit », a indiqué Marianne Morcet, chef de produit « Innovation & Marchés émergents », à Edition Multimédi@, en marge de la conférence Médias des Echos le 13 décembre dernier. La Fnac, qui revendique sa place de « premier libraire en France », apporte ainsi à SFR son catalogue de 80.000 livres numériques en français, ainsi que 2 millions de titres en anglais de son partenaire Kobo, filiale du libraire canadien Indigo (2). La liseuse Kobo est déjà disponible à la Fnac depuis fin novembre. »Nous avions déjà un partenariat avec la Fnac autour de son Fnacbook [premier modèle que le grand distributeur avait lancé fin 2010, mais plus coûteux (3) et aux ventes décevantes, ndlr]. Sur le Fnacbook, notre réflexion a porté sur la connectivité embarquée dans la liseuse », a indiqué Laurent Le Toriellec, responsable du « Lab Innovation » à la direction « Innovation & Nouveaux médias » de SFR, toujours en marge de la conférence des Echos. Contrairement au Fnacbook que fabriquait Sagem et qui nécessitait une clé 3G, le Kobo, lui, intègre en effet une connexion WiFi pour télécharger les e-books. Reste à savoir si les « e-lecteurs » seront au rendez- vous, au moment où la TVA réduite sur le livre numérique va passer de 5,5 % à 7 % à partir du 1er janvier 2012. @