Frédérique Bredin se veut prudente sur la sortie simultanée de films en salles et en VOD

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), en pleine réforme de la filière et de la chronologie des médias face au numérique, veut mieux aider la VOD en France. A l’occasion du 67e Festival de Cannes, sa présidente nous répond aussi sur la sortie simultanée salles-VOD. Et elle souhaite une taxe sur la publicité en ligne.

Propos recueillis par Charles de laubier

Frédérique BredinEM@ : Pensez-vous que les premières expérimentations
de simultanéité salles-VOD par les projets Speed Bunch de Wild Bunch, Edad d’Artificial Eye avec Rezo Films, et Tide de l’ARP – tous soutenus financièrement par la Commission européenne jusqu’en juin prochain – soient une bonne chose, alors que de nouveaux projets (dont Spide de l’ARP avec Wild Bunch) ont d’ores et déjà été retenus ?

Frédérique Bredin : Ces expérimentations, soutenues jusqu’ici par la Commission européenne dans le cadre d’une action préparatoire, doivent être examinées avec la plus grande attention. Il est notamment indispensable qu’elles se fassent dans le respect de la chronologie des médias de chaque Etat membre et avec l’accord des exploitants qui diffusent le film.
Il serait donc prudent, avant toute conclusion hâtive, de tirer rapidement un premier bilan rigoureux de ces premières expérimentations, afin d’en extraire tous les enseignements utiles. Et ce d’autant que cette initiative a été reconduite et que la Commission européenne souhaite la poursuivre en intégrant cette action préparatoire au sein même du volet MEDIA du programme Europe Creative.
La Commission européenne devrait d’ailleurs présenter les premiers résultats de ces expérimentations (1) à l’occasion du Festival de Cannes [le 16 mai, ndlr].

Le cinéma français fait la publicité gratuite de Netflix !

En fait. Le 24 mars, La ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a reçu des dirigeants de Netflix qui prévoit d’arriver en France à l’automne. Le 21 mars, elle avait rassuré les organisations françaises de l’audiovisuel et du cinéma qui s’inquiètent de l’arrivée du géant de la SVOD.

En clair. Cela fait plus de trois ans maintenant que les professionnels de l’audiovisuel et du cinéma français font gratuitement de la publicité pour Netflix, qui n’en demandait pas tant. Et ce, bien avant que le pionnier américain de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) n’envisage de se lancer à l’automne prochain dans le pays de
« l’exception culturelle ». La campagne publicitaire qu’ont offerte à Netflix les organisations françaises – relayées par les médias surfant aussi sur les rumeurs de lancement maintes fois reporté (1) – n’a pas faibli depuis lors.
Entre mises en garde, craintes, peurs et fantasmes, les chaînes de télévision et les producteurs français n’ont de cesse de crier au loup. « Mars Attacks », a ironisé Pascal Rogard, DG de la SACD, sur son blog le 23 mars : « Le cas Netflix illustre parfaitement l’incroyable agilité de ces sociétés qui défient les vieilles règlementations fondées encore sur la taxation des portes et fenêtres alors que celles-ci dans l’univers numérique n’ont jamais existé ». Canal+ étant encore en France le premier pourvoyeur du Septième Art en France (lire p. 4), un poids lourd international de la SVOD comme Netflix fait trembler les fondements du financement de « l’exception culturelle » française. De son côté, l’Union des producteurs de films (UPF) a adressé un courrier daté du 24 mars à Aurélie Filippetti – qui recevait ce jour-là Netflix – pour la mettre en garde contre l’arrivée de « grands groupes internationaux nullement concernés par aucune régulation » et lui demander
« l’égalité de traitement (…) entre opérateurs audiovisuels (…), quel que soit leur lieu d’établissement ». Netflix aurait, selon Les Echos, décidé d’opérer ses services pour
la France à partir du Luxembourg.
Quant à l’ARP (2), elle a déclaré le 25 mars que « Netflix est bienvenu en France pour en devenir un nouveau diffuseur, mais seulement dans le respect d’un équilibre bénéfique à
la pérennité de la création, qui ne brade ni nos oeuvres, ni nos règles collectives ». Mais l’ARP rappelle « l’urgence de la réforme de la chronologie des médias pour les services de SVOD », l’UPF, elle, estime qu’« il n’est pas question ni d’assouplissement ni de marchandage ni d’aménager les lois et règles (…) pour organiser l’arrivée en concurrence frontale autant que déloyale de groupes internationaux » comme Netflix. @

La fenêtre de Canal+ : un « monopole » en sursis

En fait. Le 26 mars, René Bonnell – producteur et auteur du rapport « Le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure
du numérique » – a réitéré devant le Club audiovisuel de Paris la nécessité
d’« arrêter de geler les droits » pendant la « fenêtre » de diffusion de Canal+.

En clair. « La stratégie de Canal+, de monopole à partir du 10e mois jusqu’au 22e interdisant toute exploitation à l’intérieur de sa fenêtre, s’explique par le niveau de ses obligations », a encore expliqué René Bonnell, cofondateur de Canal+ il y a 30 ans et aujourd’hui producteur (Octave Films). Mais ce « monopole » de Canal+ dans la chronologie des médias a vécu, selon lui : « Il faut arrêter de geler les droits pendant la période où une chaîne comme Canal+ a acheté les droits pour sa fenêtre de diffusion, à partir du 10e mois [après la sortie d’un film en salle de cinéma, ndlr] ». Ce gèle des droits au profit de la chaîne cryptée se fait au détriment de la vidéo à la demande (VOD) qui, après avoir ouvert sa fenêtre à 4 mois après la salle, doit obligatoirement la refermer au bout de six mois d’exploitation pour laisser place nette à Canal+.
Et le tunnel des droits exclusifs peut ainsi s’éterniser sur plusieurs années. « Et s’il y a en plus derrière Ciné+, cela peut geler les droits pendant 18 mois. La VOD butte là et ne peut pas se développer », dénonce René Bonnell. Selon GfK, le marché français de la VOD est en baisse de 3 % à 245 millions d’euros en 2013. Ceci explique peut-être cela. « Cette pratique du gel des droits peut même s’étendre jusqu’à 48 mois quand les maisons mères des chaînes historiques en clair regroupent leurs achats avec ceux de leurs filiales de la TNT », avait relevé le rapport Bonnell. Le pire est ce gèle des droits ne touche que la VOD. En effet, la vente des DVD et autres Blu-ray – eux aussi à 4 mois après la salle – peut continuer, de même que le téléchargement définitif où iTunes d’Apple s’arroge 95 % de parts de marché !

Adapter le cinéma à Internet : le CNC se met en quatre

En fait. Le 6 mars, le CNC se met véritablement en quatre pour ouvrir les négociations professionnelles suite aux Assises du cinéma et au rapport Bonnell : trois groupes de travail pilotés (financement des films, transparence/partage, distribution/diffusion) et une négociation sur la chronologie des médias.

Frédérique BredinEn clair. Frédérique Bredin (photo), qui préside le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) depuis un peu plus de huit mois maintenant, entame sans doute la période la plus difficile de son mandat avec des discussions inter-professionnelles, qui devraient aboutir à des accords entre le prochain Festival de Cannes de mai et l’été prochain.
Il s’agit ni plus ni moins que d’adapter rapidement le cinéma
à Internet, à la lumière des 50 propositions du rapport Bonnell sur « le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure du numérique » (1) et à l’aune des Deuxièmes Assises du cinéma organisées par le CNC en janvier. Sans oublier de s’inspirer du rapport « Acte II
de l’exception culturelle » de Pierre Lescure, lequel sera président du Festival de Cannes…

Virgin Mobile offrirait bien Netflix avec Videofutur

En fait. Le 25 février, Pascal Rialland, DG d’Omea Telecom (Virgin Mobile) nous
a indiqué qu’il serait intéressé si un accord entre Netflix et Videofutur devait intervenir. Pour l’heure, le premier MVNO français – dont la 4G sera lancée
au printemps – a perdu 6,2 % de clients sur un an, à 1,7 million.

Pascal RiallandEn clair. « Bien sûr », nous a répondu Pascal Rialland (photo), DG
de Virgin Mobile à notre question de savoir s’il serait intéressé par un éventuel accord entre Netflix et Videofutur, alors que des spéculations évoquent un rachat hypothétique de Netgem (maison mère de Videofutur) par Netflix pour entrer sur le marché français. Le premier MVNO français a lancé la Virgin Box il y a près de deux ans maintenant et distribue depuis trois mois la box de Videofutur (1).