Eric Villemin, Groupe Les Echos : « Nos supports numériques sont rentables ou en passe de l’être en 2011 »

Eric Villemin a été nommé, il y a deux ans, directeur des activités numériques
du Groupe Les Echos, lesquelles représentent environ 15 % du chiffre d’affaires global de la filiale médias de LVMH. Pour Edition Multimédi@, il dresse un bilan de son action. Il vise les 50.000 abonnés numériques cette année.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Qu’est-ce qui a changé en deux ans depuis que Nicolas Beytout vous a nommé à la tête des activités numériques ?
Eric Villemin (photo) :
Le Groupe Les Echos est passé
du statut d’un groupe de presse, qui faisait aussi du Web,
à celui de groupe d’information. C’est la direction qui a été donnée par notre PDG Nicolas Beytout. La nuance peut paraître subtile mais cela crée une énorme différence : notre métier est de produire et de vendre de l’information de qualité sur tous les supports disponibles. Cette mutation est passée par une réorganisation interne du groupe par marques et non plus par médias. Nous avons également fusionné les rédactions papier et web, avec à la clé une nouvelle organisation, de nouveaux contrats de travail pour les journalistes et un nouvel accord sur les droits d’auteur [lequel fut le premier à être signé en France après la promulgation de la loi Hadopi, ndlr]. Ce mouvement s’est doublé d’une refonte de notre stratégie commerciale en termes d’abonnements : aujourd’hui, on s’abonne à la plateforme « Les Echos » et non plus seulement à tel ou tel média. Nos abonnements numériques auront ainsi plus que doublé cette année pour atteindre le seuil de 50.000. Le point d’orgue de cette stratégie a été le lancement, le 9 septembre dernier, de la nouvelle offre des Echos : reforme de la maquette du quotidien, refonte du site, V2 de l’application pour iPad, à laquelle a été ajouté un journal permanent comprenant de la vidéo, enrichissement des applis pour smartphones…

Culture en ligne et TVA réduite : la France s’impatiente

En fait. Le 5 novembre, lors du Forum d’Avignon, Frédéric Mitterrand, ministre
de la Culture et de la Communication, a interpellé Neelie Kroes, commissaire européenne en charge du Numérique, sur le souhait de la France de pouvoir appliquer la TVA réduite sur les biens culturels en ligne en Europe.

En clair. S’il y avait unanimité entre les Vingt-sept, une TVA à taux réduit – 5,5 % par exemple en France au lieu de 19,6 % – pourrait s’appliquer aux biens culturels en ligne : livres, musiques, films, presse, vidéo, … Pour le ministre français de la Culture et de la Communication, « les nouveaux services de distribution d’œuvres culturelles en ligne sont encore à la recherche d’un modèle économique viable, et doivent pouvoir bénéficier d’un environnement fiscal favorable, comme c’est d’ailleurs le cas au Japon ou dans une grande partie des Etats- Unis ». Frédéric Mitterrand a réitérer le souhait
de la France « que la directive [européenne] sur la TVA permette aux Etats [membres] d’appliquer des taux réduits sur les biens culturelles en ligne ». Pour lui, il en va du pluralisme de la diffusion. La fiscalité sur Internet en Europe fait polémique en France, où le gouvernement va instaurer des obligations progressives de financement de films aux nouveaux services de médias audiovisuels à la demande (VOD, catch up TV, …). Ces derniers se plaignent que des acteurs du Web, dispensés de taxe culturelle, profitent en plus d’une fiscalité réduite, au Luxembourg par exemple. Dans sa contribution au livre vert de la Commission européenne sur les industries culturelles, envoyée le 30 juillet 2010, la France avait déjà exprimé sa demande en faveur d’« un même taux de TVA pour les biens et services culturels diffusés sur support physique ou distribués en ligne ». A l’occasion du Conseil des télécoms de l’Union européenne en avril dernier, la France avait proposé un amendement instaurant un taux réduit de TVA pour « certains services en ligne, en particulier culturels, tels que les e-books, presse en ligne, musique en ligne et VOD ». Mais il n’avait pas été retenu. En France, autant Frédéric Mitterand a obtenu gain de cause pour l’extension du prix unique au livre numérique (adoptée par le Sénat le 26 octobre), autant cela n’a pas été le cas avec la proposition de loi du député Hervé Gaymard (rejetée le 22 octobre par l’Assemblée nationale) plaidant pour une TVA à 5,5 % sur le livre numérique (1). Interpellée lors du Forum d’Avignon, Neelie Kroes n’a pas répondu sur la fiscalité mais sur « les obstacles au partage de la création culturelle et artistique » : droits d’auteur fragmentés, titres de catalogues indisponibles, divergences nationales sur la copie privée « Murs de Berlin culturels », … @

Forum d’Avignon : entre Internet et Ancien Régime

En fait. Du 4 au 6 novembre, s’est tenue à Avignon la troisième édition
des Rencontres internationales de la culture, de l’économie et des médias organisées par le Forum d’Avignon – présidé par Nicolas Seydoux – sur le
thème : « Nouveaux accès, nouveaux usages à l’ère numérique : la culture
pour chacun ? »

En clair. Le Forum d’Avignon, association qui bénéficie d’une convention triennale
avec le ministère de la Culture et de la Communication (lire EM@12 p. 7), se veut un
club d’échange très sélect sur la « diversité culturelle » et les médias. Certains, comme
le directeur général de la SACD (1), Pascal Rogard, ont trouvé ces rencontres
« frustrantes » : « Ce qui a manqué, c’est la présence et l’expression singulière des auteurs et artistes loin des langages formatés des spécialistes du marketing ». De plus, les industries culturelles « ne parlent plus de films, de livres, de musique mais utilisent toutes les dix secondes cet horrible mot de “contenu” qui permet de “consommer du Kant” sans doute comme des yoghourts » ! Avec le soutien de dix-sept partenaires privés (Vivendi, Orange, Bertelsmann, Le Figaro, Bayard, BNP Paribas, …), le Forum d’Avignon a le mérite de débattre sur la vague du numérique pour éviter qu’elle n’emporte toute la culture sur son passage. Sur fond de loi Hadopi, de réponse graduée, d’adoption par les eurodéputés du rapport Gallo sur « le renforcement de l’application des droits de propriété » (2) ou encore de futur accord ACTA anti-contrefaçon, ces troisièmes recontres avaient un petit air de revanche contre « les derniers partisans de la gratuité à tout prix [des contenus en ligne] », qui, selon Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture et de la Communication, « ressemblent de plus en plus à des mutins de Panurge ». Et d’ajouter lors de l’ouverture du Forum d’Avignon :
« La question de la rémunération des créateurs et de la valeur des (…) contenus a repris sa place centrale dans un débat qui vise à articuler offre numérique légale et dynamisme des filières culturelles de nos économies (…) Défendre l’offre légale contre le piratage, ce n’est pas, bien sûr, céder pour autant à la logique du tout marché ».
Le numérique suppose, selon lui, de repenser l’intervention de la puissance publique : partenariats publics-privés, propositions de loi, TVA à taux réduit sur les biens culturels en ligne, … Il a, sur ce dernier point, interpellé Neelie Kroes intervenant elle aussi à Avignon. La commissaire européenne en charge du Numérique a parlé, elle, de
« révolution Internet, qui révèle la position insoutenable de certains “gardiens” [détenteurs de droits, ndlr] des contenus relevant de l’Ancien Régime »… Instaurer
un système de licence de droits musicaux pan-européen fait parti de ses projets. @

Convergence des médias : quelle régulation ?

En fait. Le 16 novembre, l’agence de relations publiques Aromates a lancé ses invitations pour les 4e Assises de la convergence des médias qui se dérouleront
le 13 décembre à l’Assemblée nationale avec l’Idate, à l’initiave de Patrice Martin-Lalande. Thème : « Quels médias dans le monde de l’Internet ? ».

En clair. Entre le DigiWorld Summit de Montpellier de mi-novembre et les 4e Assises de la convergence des médias de mi-décembre à Paris, il y aura une constante dans les débats : la nécessité de faire évoluer la réglementation face à la domination de grands acteurs du Net : Google-YouTube, Apple, Yahoo, Facebook, Hulu, Dailymotion, etc. Si l’on y ajoute la montée dans la chaîne de valeur des fabricants de terminaux interactifs, tels que téléviseurs connectés, smartphones ou tablettes, force est de constater que la régulation reste très éclatée face à une économie numérique convergente. Les 4e Assises se tiennent à l’Assemblée nationale, où justement un rapport a été rendu le 28 octobre sur les autorités administratives indépendantes.
Il propose de « regrouper dans le cadre de la convergence numérique le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et la Haute autorité pour la diffusion des œuvres
et la protection des droits sur Internet (Hadopi), en lien avec le Forum des droits sur l’Internet (FDI) ». Les deux auteurs, les députés René Dosière et Christian Vanneste, renvoient « après le 30 novembre 2011, date du passage de la télévision hertzienne au numérique » le moment de cette fusion, « pour ne pas entraver les travaux en cours ». Illustration de la convergence des médias : la publication au BOAMP (1) le 18 octobre d’un « groupement de commandes » pour une étude sur « les nouveaux usages et services sur les réseaux très haut débit et leur impact sur le modèle économique de la fibre ». Il émane de trois régulateurs – le CSA, l’Arcep et de l’Hadopi –, ainsi que de trois organisations gouvernementales que sont la DGMIC (2), le CNC (3) et la DGCIS (4). Tablant sur 50 % des foyers ayant accès au très haut débit d’ici à 2015, l’étude devra identifier les nouveaux services audiovisuels (HD comprise), les SMAd (VOD, catch up TV, …), les offres multiécrans, la télévision en 3D, les services interactifs (notamment implantés dans les téléviseurs), les jeux vidéo. Il y sera aussi question
de consommation linéaire ou non linéaire – « complémentaire ou substituable » –
de programmes audiovisuels, «en incluant le streaming via Internet ». Enfin, l’étude évaluera « la consommation de contenus audiovisuels illégaux, eu égard notamment
au développement des offres de téléchargement illégal grâce au peer-to-peer et au streaming ». Date limite des candidatures : 23 novembre et rapport au printemps 2011. @

Pourquoi la vidéo menace la neutralité du Net

En fait. Le 17 novembre, lors du DigiWorld Summit de l’Idate à Montpellier, le séminaire
« Média » a fait la part belle à la vidéo en ligne, qui explose de 100 à 130 % par an et qui participe pour plus de la moitié à l’augmentation – de 50 % à 60 % par an – du trafic de l’Internet. Ce n’est pas neutre…

En clair. Imaginez que 40 % du trafic sur Internet soient de la vidéo en ligne mais que ces flux génèrent seulement 4,4 % des revenus du réseau des réseaux. Imaginez aussi que seulement 10 % du trafic sur le Net soient issus des moteurs de recherche mais que ces derniers représentent 26,7 % du chiffre d’affaires généré sur le Net. Cette dé-corrélation entre le trafic et les revenus est à l’origine des craintes des opérateurs télécoms de voir leurs réseaux saturer et des débats remettant en cause la neutralité. Et la montée en charge de l’Internet mobile et l’arrivée de la télévision connectée devraient accentuer le fait que le trafic augmente plus vite que les revenus. Les YouTube, Yahoo, Dailymotion et autres Facebook sont montrés du doigt par les opérateurs télécoms qui veulent un retour sur investissement. Comment ? En instaurant un péage sur leurs infrastructures, notamment à travers une « tarification à la terminaison d’appel data » ou d’un « paiement d’une interconnexion premium par les fournisseurs de services ou de contenus ». Le système de peering, selon lequel les opérateurs du Net s’échangeaient sans facturation mais compensation leurs trafics plus ou moins sysmétriques, est en passe de devenir obsolète avec le déséquilibre des flux provoqué notamment par la vidéo. Les acteurs du Web, de plus en plus gourmands en bande passante, estiment, eux, qu’ils font le nécessaire pour optimiser leur trafic, notamment avec des CDN (1). « Il n’y aura pas de Big Bang », a lancé Martin Rogard, DG de Dailymotion France, affirmant qu’il pouvait y avoir un effet de congestion mais pas de blocage. « Les grands émetteurs de trafic doivent contribuer [au financement
de notre réseau]», a répondu Stéphane Richard, DG de France Télécom. Dans cet écosystème perturbé, l’arrivée de la télévision connectée laisse présager une augmentation exponentielle de la vidéo sous toutes ses formes (VOD, catch up TV,
pub vidéo, …). Les fabricants de téléviseurs, vont à leur tour venir bousculer la chaîne de valeur (lire p. 7). Google TV, Apple TV mais aussi Yahoo ont déjà posé des jalons pour contôler le téléspectateur. Yahoo, dont la directrice « connected TV » pour l’Europe, Shirlene Chandrapal, s’est rendue pour la première fois au DigiWorld Summit, a indiqué à EM@ avoir trois accords européens ; avec le sud-coréen Samsung (2), le japonais Sony et le turc Vestel. Et dans le monde, « Yahoo! TV » est déjà présent sur 5,5 millions de téléviseurs connectés. @