Jacques Toubon : « Faire en sorte que la diffusion en ligne respecte et rémunère la propriété intellectuelle »

Ancien ministre de la Culture (1993-1995), puis de la Justice (1995-1997), ex-eurodéputé (2004-2009), actuellement membre du collège de l’Hadopi et coauteur du rapport « Création & Internet » remis il y a un an maintenant, Jacques Toubon répond en exclusivité aux questions de Edition Multimédi@.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le rapport Zelnik- Toubon-Cerruti, dont vous êtes l’un des auteurs, a été remis à Frédéric Mitterrand il y a un an. Sur vos 22 propositions, lesquelles ont été suivies ou sont en passe de l’être ? Quelles autres avancées espérez-vous cette année ? Jacques Toubon : Le rapport Zelnik a connu le sort qui est couramment réservé aux propositions indépendantes : une partie est mise en oeuvre, une autre est refusée, une troisième est en cours de réalisation. Dans la première catégorie, ce qui a été fait : la carte musique a été lancée le 25 octobre dernier ; l’extension du prix unique au livre numérique et la TVA réduite sont en cours d’adoption ; les aides à la numérisation sur le grand emprunt pour les films et les livres ont été débloquées [750 millions d’euros consacrés au financement de la numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques, ndlr] ; l’avis de l’autorité de la concurrence sur la position dominante de Google a été rendu le 14 décembre dernier et l’enquête lancée par la Commission européenne sur le même sujet se poursuit. C’est beaucoup. Ont été en revanche refusées l’extension des crédits d’impôt et la taxation de Google au titre de l’impôt sur les sociétés, encore que sur ce point le Parlement a adopté le principe d’une taxe sur les revenus publicitaires en ligne.
Interviendront prochainement : des améliorations de la carte musique et une campagne de communication, le renforcement des moyens de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), une plateforme unique de distribution des livres numériques. S’agissant de la gestion collective des droits exclusifs, la médiation Hoog n’a pas pu obtenir un accord pour une gestion collective mais seulement la signature de « 13 engagements pour la musique en ligne ». Globalement, ce qui me paraît le plus positif est que l’idée-force du rapport – c’està- dire une économie durable de la culture en ligne assurant compétitivité économique et diversité culturelle – a été retenue. La stratégie européenne que nous appelions de nos vœux progressent aussi : l’agenda numérique de la Commission européenne comme le récent du comité des sages (l’un des trois est Maurice Levy) – qui a rendu son rapport le 10 janvier à Neelie Kroes au sujet de la numérisation du patrimoine culturel – en témoignent

A propos de la mission Hoog : “Si les engagements n’étaient pas tenus, le gouvernement reste déterminé à mettre en oeuvre la gestion collective par la loi.”

EM@ : Une des mesures-phares fut en effet la « gestion collective obligatoire » des droits musicaux sur Internet à défaut d’accord avant fin 2010. La mission a échoué sur ce point : le recours à la loi souhaité par Nicolas Sarkozy est-il abandonné au profit des 13 engagements ?
J. T. :
Ce n’est pas un échec mais un premier pas. Pour la première fois, la filière
musicale a pris [le 17 janvier, ndlr] des engagements sur la manière dont se déroulent
les « affaires ». Pour les services de musique en ligne, c’est un réel progrès. Il faudra maintenant en assurer la surveillance et le suivi. Ce sera le rôle du collège de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et pour la protection des droits sur Internet (Hadopi) au titre du développement de l’offre légale. Si les engagements n’étaient pas tenus, le gouvernement reste déterminé à mettre en oeuvre la gestion collective par la loi.

A propos du streaming : “Une extension réglementaire sera nécessaire pour y appliquer la réponse graduée.”

EM@ : Vous êtes membre du collège de l’Hadopi, laquelle a maintenant un
an d’existence. Quel premier bilan dressez-vous de la « réponse graduée » ? Constatezvous une baisse ou une hausse du piratage sur Internet en France ? Quand le streaming sera-t-il « surveillé » ?
J. T. :
Il n’est pas possible de répondre maintenant à ces questions. La Hadopi a lancé
les procédures de la réponse graduée depuis quatre mois ; le rythme des avertissements augmente ; les seconds avertissements vont commencer à être envoyés. Nos décisions sur la sécurisation et la labellisation interviendront dans les prochaines semaines. Et nos « labs » [créés par l’Hadopi comme « ateliers de recherche confiés à des experts indépendants », ndlr] vont commencer à phosphorer. Cela est sûr. Quelle évolution des usages et quel effet de l’action de la Hadopi ? On ne peut pas sérieusement le mesurer et je me méfie des estimations partielles et plus ou moins intéressées. Nous nous mettons en situation de connaître les évolutions par l’enquête participative dont le stade « zéro » a été publié dimanche [23 janvier] au Midem. Quant à l’écoute en continu [le streaming, ndlr], elle fait l’objet d’actions en cessation des ayants droit chaque fois qu’ils le jugent utile.
Ce mode d’accès est inclus dans la loi existante ; une extension réglementaire sera nécessaire pour y appliquer la réponse graduée ; chaque chose en son temps.

EM@ : Le 13 décembre, vous avez reçu la lettre de mission de Nicolas Sarkozy pour une TVA réduite en Europe sur « tous les services culturels en ligne » (point 19 du rapport Zelnik-Toubon-Cerruti) ? Comment allez-vous procéder et avec quel calendrier ? Les internautes en profiteront-ils ?
J. T. :
Cette mission comporte un premier sujet : l’extension du taux réduit de la TVA
au livre numérique. La loi française prévoit de l’appliquer au début de 2012 ; je ferai
les démarches pour que soit adoptée une directive de l’Union Européenne qui en donne la faculté aux Etats membres. Plus globalement, il s’agit d’obtenir pour que – dans le régime définitif de la TVA que l’Union Européenne mettra en place en 2015 – un traitement favorable soit garanti aux biens et services culturels en général, qu’ils soient en dur ou en ligne. C’est une condition de la compétitivité des industries culturelles européennes et donc le moyen de la diversité culturelle qui est le principe adopté par l’Union Européenne comme par les Nations-Unies. Cela permettra notamment de procurer des prix en ligne plus attractifs aux usagers.

EM@ : La Commission européenne va réformer le régime des droits de propriété intellectuelle (DPI). Approuvez-vous le rapport Gallo ? Comment les DPI et la gestion collective doivent-ils évoluer face au numérique ? Faut-il 27 “Hadopi”
en Europe ou une Hadopi supra nationale ?
J. T. :
Je suis satisfait de voir que la Commission européenne, en particulier le commissaire au Marché intérieur, Michel Barnier, a mis le droit d’auteur à son ordre
du jour. Pour la France, il s’agit de faire en sorte que la diffusion en ligne respecte et rémunère la propriété intellectuelle et artistique, avec toutes les adaptations utiles pour tenir compte de la technologie et des usages. Je suis donc d’accord avec le rapport Gallo [adopté par les eurodéputés le 22 septembre 2010 comme résolution sur l’application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur, en vue de légiférer notamment contre le piratage sur Internet, ndlr]. J’avais d’ailleurs fait adopter
le 30 avril 2009 par la commission Juridique [du Parlement européen, ndlr] les conclusions d’un groupe de travail qui allaient dans le même sens. Concernant les moyens de parvenir à ces objectifs, je sais que la formule de la Hadopi est suivie avec beaucoup d’attention en Europe et aux Etats-Unis mais je suppose que chaque pays souhaitera appliquer des procédures qui seront propres à sa culture juridique. Sur le plan international, il sera passionnant de voir si le G8 [sous présidence française cette année, les 26 et 27 mai à Deauville, ndlr] et le G20 [également présidé par la France, les 3 et 4 novembre] envisagent des principes communs de « régulation » de l’Internet. A réseau mondial, réponse mondiale ? @