La gouvernance d’Iliad, maison mère de Free, pourrait mieux refléter sa stratégie européenne

Cela fait plus d’un an que Xavier Niel a été renommé président du conseil d’administration d’Iliad, dont il est fondateur et premier actionnaire. Son mandat devrait être renouvelé le 2 juin prochain, pour quatre ans cette fois. La gouvernance du groupe, elle, gagnerait à être plus internationale.

Comme le mandat de Xavier Niel (photo) – redevenu le 16 mars 2020 président du conseil d’administration du groupe Iliad qu’il contrôle – arrive à échéance à la prochaine assemblée générale des actionnaires, prévue le 2 juin prochain, le conseil d’administration du 15 mars dernier a proposé « le renouvellement du mandat de M. Xavier Niel pour une durée de quatre ans », soit jusqu’à mi-2025 (résolution n°7 de la prochaine AG).

Près de 1 Md d’euros générés hors de France
Aujourd’hui, hormis son « nouveau » président, ce conseil d’administration est composé de onze membres dont cinq administrateurs indépendants et deux administrateurs représentant les salariés (1). Mais cette composition reflètet- elle la stratégie européenne d’Iliad ? Non, si l’on en croit le dernier document d’enregistrement universel (DEU) que le groupe a déposé le 15 avril dernier auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF). A l’issue d’une évaluation du conseil d’administration réalisée sur la base d’un questionnaire, « il en est ressorti que les administrateurs souhaiteraient qu’une réflexion soit menée par le management en vue d’une représentation de l’implantation internationale au sein du conseil [d’administration] ». Pour l’heure, à l’instar du président du conseil d’administration, les onze membres sont chacun de nationalité française – excepté pour l’Irlandaise Orla Noonan, qui, installée en région parisienne, est administratrice depuis 2009 et par ailleurs présidente d’Adevinta, la maison mère norvégienne de la place de marché Le Bon Coin.
Pour la première fois de son histoire, soit depuis que Xavier Niel a créé Free en février 1999, le groupe Iliad a réalisé l’an dernier 15 % de son chiffre d’affaires hors de France. Et cette proportion internationale affiche une croissance annuelle à deux chiffres. Cette fin du « franco-français » doit s’accompagner d’une gouvernance et d’une direction qui correspondent à cette expansion. Sur les 5,87 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisés par le groupe sis rue de la Ville-l’Evêque (ancien hôtel particulier parisien où se trouve son siège social), 874 millions d’euros ont été générés en Italie (674 millions) et en Pologne (200 millions).
Il s’agit d’ailleurs de la première contribution de l’opérateur télécoms polonais Play (2) – dont la maison mère luxembourgeoise Play Communications a été acquise fin 2020 pour 2,2 milliards d’euros – aux résultats du groupe de Xavier Niel qui se retrouve avec trois marques : Free en France, Iliad en Italie et Play en Pologne. Par ailleurs, depuis avril 2018, Iliad détient 31,6 % de l’opérateur historique irlandais Eir « aux côtés de NJJ, la holding personnelle de Xavier Niel, celle-ci devant acquérir une participation indirecte de 32,9 % dans Eir » avec « une option d’achat (call option) exerçable en 2024 (…) portant sur (…) 26,3 % du capital d’Eir » (dixit le DEU). L’objectif est d’en acquérir la totalité. En outre, Xavier Niel est – à titre personnel via sa holding NJJ Capital – propriétaire depuis fin 2014 (et administrateur) de l’opérateur suisse Salt et pour lequel Free Mobile est prestataire technique. En attendant l’« internationalisation » du conseil d’administration d’Iliad, l’équipe de direction, elle, a évolué avec l’intégration de dirigeants de l’Italie (Benedetto Levi) et de la Pologne (Jean-Marc Harion, Belge) « afin d’ajouter une vision européenne à la stratégie ». C’est un début. @

Charles de Laubier

ZOOM

Xavier Niel a retrouvé le 16 mars 2020 la présidence d’Iliad
Le 16 mars 2020 fut le premier jour du premier confinement des Français plongés dans l’état d’urgence sanitaire. Mais pour Xavier Niel, ce fut comme un « déconfinement », puisque le fondateur et premier actionnaire d’Iliad – maison mère de Free – est redevenu ce jour-là président du conseil d’administration de son propre groupe. Rappelons qu’il y a dix-sept ans, il avait dû céder son fauteuil de président après avoir été mis en examen pour abus de biens sociaux et proxénétisme aggravé.
Bien qu’il ait bénéficié en 2005 d’un nonlieu concernant les accusations de proxénétisme – mais condamné l’année suivante pour recel d’abus de biens sociaux concernant un de ses « peep-show » qu’il détenait au début des années 2000 –, Xavier Niel était resté depuis lors directeur général délégué en charge de la stratégie et membre du conseil d’administrateur, dont il était jusqu’à il y a un an vice-président. Au cours de toutes ces années, la présidence du conseil d’administration a été assurée alternativement par ses bras droits Cyril Poidatz et Maxime Lombardini (3).
Ce retour historique de Xavier Niel, le 16 mars 2020, à la présidence (4) était intervenu après qu’il ait renforcé son contrôle du groupe Iliad – passant de 52 % à plus de 70 % du capital (5). Et ce, à l’issue d’un rachat d’actions suivi début 2020 d’une augmentation de capital à laquelle a souscrit « Holdco II », une holding familiale contrôlée par le milliardaire et assumant depuis « un rôle de holding animatrice du groupe Iliad ». @

Pour la première fois, la TV sur ADSL est dépassée

En fait. Le 9 avril, l’Arcep a publié son observatoire des marchés des télécoms en France au quatrième trimestre 2020. Selon les constatations de Edition Multimédi@, le nombre d’abonnements donnant accès à la télévision par l’ADSL (prise téléphonique) est pour la première fois dépassé par les autres accès TV (FTTH, câble, satellite, …).

En clair. C’est une première historique : la France ne compte plus, au 31 décembre 2020, que 11.048.000 abonnements triple play incluant l’accès à la télévision par l’ADSL, ou, par extension, « xDSL » comprenant le très haut débit VDSL2. Cet accès TV couplé à l’abonnement Internet sur la paire de cuivre téléphonique, et le plus souvent doté de la fonction téléphone, vient d’être dépassé – à la fin du quatrième trimestre de l’an dernier – par le nombre d’abonnements donnant accès à la télévision mais via cette fois la fibre optique (FTTH), le câble ou encore le satellite : soit 11.146.000 dans ce cas.
Bien que cela se joue à une courte tête, la tendance est irréversible puisque les abonnements « TV/ADSL » continuent leur déclin (-12,3 % en un an) tandis que les autres abonnements « TV/autres accès » affichent, eux, une croissance annuelle à deux chiffres (+ 29,3 % l’an dernier). La technologie numérique ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line), créée dans les années 1980 par deux Américains – Joseph Lechleider pour le « A » et John Cioffi pour la partie « DSL » (1) (*) (**) –, reste cependant encore l’accès majoritaire des Français au haut débit : 15.303.000 abonnements à fin 2020, ce qui fait un taux encore aujourd’hui de 72,2 % d’entre eux à recevoir aussi les chaînes de télévision par leur « box » connectée à leur bon vieux fil téléphonique. Plébiscité par la plupart des Français pour son haut débit de qualité et le prix du triple play à 30 euros par mois popularisé en premier par Free (2) en novembre 2003, l’ADSL a rendu – et continue de rendre – de fiers services à Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, ainsi qu’aux éditeurs de chaînes distribuées sur les « box » en mode IPTV (3). La télévision sur ADSL a atteint son apogée en 2017 avec 14.263.285 abonnements incluant la réception de chaînes, contre seulement 5.874.122 accès couplés via les autres technologies : le FTTH alors encore émergent (fin 2020 le nombre d’abonnés à la fibre à domicile a dépassé pour la première fois la barre des 10 millions (10.361.000 abonnés), et le câble ou le satellite peu ou pas couplés.
Au global, tous types d’accès confondus, le taux des Français qui reçoivent la télé via leur « box » poursuit sa progression pour atteindre 72,5 % au 31 décembre 2020 – soit un gain de 1,2 point en un an. Ce taux n’a jamais été aussi élevé, illustrant par ailleurs l’érosion de la diffusion hertzienne de la TNT. @

Suppression de 1.700 postes : les syndicats de SFR dénoncent « un scandale social, économique et financier »

Sur les 9.500 emplois que compte encore le 2e opérateur télécoms français SFR, 1.700 postes vont être supprimés en 2021 sur la base du volontariat. C’est près de 18 % des effectifs « télécoms » de la filiale française d’Altice. Les syndicats, eux, sont vent debout contre ce projet « Transformation et ambitions 2025 ». Blocage.

Depuis la première réunion de négociation du 10 mars dernier entre les syndicats de SFR et la direction générale du 2e opérateur télécoms français, c’est le black-out total. Aucune date de nouvelle rencontre n’est prévue. « La direction a fermé la porte des négociations ; elle boude, c’est le blocage », regrettent le 18 mars les représentants syndicaux, contactés par Edition Multimédi@. La CFDT, la CFTC et l’Unsa Com ont dénoncé ce 10 mars « un scandale social, économique et financier ». Ils l’ont fait savoir dans un « manifeste pour la vérité« , dans lequel ils ont fait connaître « leur opposition à une négociation ouverte sur la base d’un tissu de mensonges travestissant la réalité économique de SFR » et « sur la base d’une construction artificielle et inacceptable de “nouvelles” orientations stratégiques ». Alors que SFR en est à son troisième plan social en moins de dix ans (2), dont 5.000 emplois supprimés en 2017, celui-ci – avec sa destruction de 1.700 emplois – ne passe pas. « Cette invitation à la négociation d’une réduction des effectifs est faite alors que justement les excellents chiffres de la période, au contraire des autres entreprises françaises, auraient dû conduire SFR à organiser une discussion autour d’un partage des résultats », s’insurgent les organisations syndicales, rappelant que Patrick Drahi (photo), le patron fondateur de la maison mère Altice, s’était dit « sensible » au dialogue social au sein de l’entreprise.

Les télécoms pourtant préservées par la crise
Au lieu de cela, les négociations démarrent, selon les syndicats, sur des « bases tronquées, anti-économiques et antisociales ». Et les syndicats représentatifs de SFR d’enfoncer le clou : « Il serait en effet particulièrement intolérable que dans un secteur préservé par la crise, les pouvoirs publics puissent faire preuve d’un “turbulent silence”, face à des suppressions d’emplois qui vont peser sur les comptes sociaux de la nation, alors que l’entreprise est prospère ». En croissance de 2,4 % sur un an, l’opérateur SFR est la vache à lait d’Altice France, dont il génère 97 % du chiffre d’affaires total (lequel est de 10,9 milliards d’euros en 2020), avec un ratio de rentabilité opérationnelle de 39,8 % (Ebitda télécoms).
La volonté de SFR d’embaucher parallèlement 1.000 jeunes d’ici 2025 ne suffit pas à apaiser le courroux des syndicats. Ce millier de nouvelles recrues sur quatre ans se fera « sur les nouveaux métiers qualifiés du numérique, par exemple liés à la sécurité, l’analyse de la donnée ou l’IA ». Ce que la direction présente comme « un grand plan de recrutement » de 1.000 « jeunes diplômés » rend d’autant plus indigeste pour les syndicats la suppression de 18 % des effectifs de SFR, même si « l’embauche de jeunes est une nécessité ».

« Transformation et ambitions 2025 »
En annonçant le 3 mars son projet stratégique « Transformation et ambitions 2025 », SFR a justifié son objectif de 1.700 suppressions d’emplois par, d’une part pour 400 d’entre eux, la baisse de fréquentation dans les boutiques (- 30 %) et la progression continue des actes en ligne, et, d’autre part pour 1.300 d’entre eux, l’évolution du réseau de boutiques ramené à 568 magasins d’ici fin 2022. En outre, dans le cadre de ses obligations légales qu’il affirme déjà dépasser, le groupe Altice France-SFR – incluant les médias BFM et RMC – s’est engagé à créer 1.000 contrats d’apprentissage par an. « A l’heure où nous sommes déjà dans une phase d’investissements massifs pour la fibre et la 5G, nous devons, en tant qu’acteur sur lequel repose toute l’économie numérique, nous mettre en ordre de marche et nous fixer des objectifs élevés pour faire face à ce niveau d’exigence », a expliqué Grégory Rabuel, directeur général de SFR. Le deuxième opérateur télécoms en France revendique 25 millions de clients.
L’un des points d’achoppements entre direction et syndicats réside dans la demande des seconds à ce que l’emploi soit maintenu jusqu’en 2025 au niveau où il est début 2021. Pour la direction, ces exigences « posées en préalable à toute négociation » sont « incompatibles avec la situation de l’entreprise et la nécessité de sa transformation » (3). Pour les syndicats, il ne s’agit pas d’un « péalable » mais d’un contre-projet à négocier. Nul ne sait maintenant quand la direction présentera son plan de réorganisation. La dernière entrevue entre les syndicats de SFR et le président d’Altice Europe, Patrick Drahi, accompagné de son directeur opérationnel Armando Pereira, remonte au 16 décembre 2020. Les deux dirigeants auraient alors assuré aux organisations syndicales leur « attachement à un dialogue social de qualité ». Mais ces dernières ont rapidement déchanté, constatant début février « que le dialogue social est en mode totalement dégradé et qu’il n’existe plus d’interlocuteur faisant un lien entre les salariés, leurs représentants et vous [Drahi et Pereira] ».
La vente au groupe espagnol Cellnex de la filiale Hivory, qui se présente au sein d’Altice comme « la 1ère Tower Co en France » avec son parc de plus de 10.000 points hauts pour les antennes mobiles 3G, 4G et 5G (pylônes, châteaux d’eau, toits-terrasses, …), est aux yeux des syndicats révélatrice de l’absence de concertation et d’information préalable. Les partenaires sociaux ont appris la nouvelle par voie de presse (4). Hivory a comme principal client SFR, mais travaille aussi avec Bouygues Telecom et Free. Autres signes de dégradation du climat social et des conditions de travail : le recours massif au télétravail, sous prétexte de crise sanitaire, s’est fait sans concertation et sans accompagnement (5) ; le recours au chômage partiel pour des milliers de salariés a permis des économies substantielles pour le groupe. Depuis l’annonce du plan social le 3 mars, le dialogue de sourds s’est installé et la réunion du 10 mars a donné le coup d’envoi du bras de fer social. La direction de SFR, elle, défend son projet stratégique « Transformation et ambitions 2025 » auprès de ses « partenaires sociaux » en invoquant « l’accélération de la digitalisation des usages constatée par tous depuis le début de la crise sanitaire », « de[s] revenus captés par d’autres acteurs » (les GAFAN), « de[s] tarifs toujours très bas » et « une fiscalité spécifique au secteur extrêmement lourde ». Le groupe Altice France-SFR entend « poursuivre sur le long terme sa politique d’investissements efficace ». Il s’agit, selon la direction, de pouvoir absorber le trafic qui ne cesse d’augmenter chaque année (+35 % de trafic pour SFR en 2020) et de s’adapter aux évolutions technologiques récurrentes, comme la fibre et la 5G. Côté fibre : « Altice France-SFR poursuivra le déploiement de l’infrastructure fibre du pays et se fixe comme objectif le raccordement de plus de 90 % des foyers français en 2025 » et « vise 5 millions de nouveaux clients FTTH ». Côté 5G : « Altice France- SFR appuiera ses efforts de déploiement 5G et couvrira 98 % des villes de plus de 10.000 habitants en 5G », dont Paris depuis le 19 mars.

Altice Europe n’a plus la cote
Quant à la maison mère d’Altice France-SFR, Altice Europe, elle n’est plus cotée à la Bourse d’Amsterdam depuis le 27 janvier dernier. Le milliardaire Patrick Drahi a repris le contrôle (plus de 92 % du capital) du groupe de télécoms et de médias qu’il a fondé et dont il était déjà actionnaire majoritaire. Son opération de rachat d’actions avait pour objectif de ne plus être pénalisée par les investisseurs inquiets de sa dette, bien que ramenée à 28,5 milliards d’euros (6). @

Charles de Laubier

Légère hausse du tarif du dégroupage : l’Arcep ne voulait pas de « rente temporaire au profit d’Orange »

Pour tenter d’inciter les Français à basculer du réseau ADSL/VDSL2 (cuivre) vers le réseau FTTH (fibre), le régulateur propose d’augmenter le tarif du dégroupage total que facture Orange – soit 1,1 milliard d’euros en 2019 – aux autres opérateurs télécoms qui louent la boucle locale téléphonique. Mais pas trop…

La rente historique de l’ex-France Télécom ne va pas grossir. Non seulement en raison d’une hausse très modérée du tarif 2021-2023 proposée par l’Arcep, mais aussi et surtout parce que le nombre de ligne en dégroupage total en France ne cesse de décliner. C’est ce que montrent les chiffres du rapport financier 2019 d’Orange (publié en avril dernier) : sur les 29,2 millions de lignes téléphoniques fixes gérées par l’opérateur télécoms historique (en baisse de 5,6 % sur un an, passant sous la barre des 30 millions), 9,7 millions d’entre elles étaient en dégroupage total (en chute de 9,9 % en an, passant sous la barre des 10 millions). Selon les calculs de Edition Multimédi@, le dégroupage total du réseau de cuivre a donc rapporté à Orange l’an dernier un total hors taxe de 1,1 milliard d’euros en 2019 (à raison de 9,46 euros par mois et par ligne), contre 1,2 milliard d’euros en 2018 (à raison de 9,31 euros par mois et par ligne).

Consultation publique jusqu’au 12 octobre prochain
Alors que l’ex-France Télécom, aujourd’hui dirigé par Stéphane Richard, réclamait une augmentation de deux à trois euros par ligne de cuivre louée, le régulateur des communications électroniques présidé par Sébastien Soriano (photo) ne lui a concédé un gain d’à peine une vingtaine de centimes d’euros : le tarif de chaque ligne téléphonique louée par les opérateurs alternatifs (SFR, Bouygues Telecom et Free principalement) à l’opérateur télécoms historique (aujourd’hui Orange) passera de 9,46 euros hors taxe par mois à 9,65 euros par mois pour la période 2021-2023 (après celle de 2018-2020 qui va s’achever). Toujours selon nos calculs, en tenant compte d’une probable baisse de 10 % du nombre de lignes en dégroupage total (à 8,7 millions de lignes), le chiffre d’affaires correspondant attendu pour l’an prochain serait de tout juste 1 milliard d’euros. Si l’Arcep n’a pas accédé à la demande du détenteur de la boucle locale de cuivre, c’est notamment parce qu’elle craignait « la création d’une rente temporaire au profit d’Orange » en cas Continuer la lecture

La fibre optique pour tous, initialement prévue à fin 2022, pourrait ne pas être réalité fin 2025

La fibre optique pour tous à domicile n’est pas pour demain. Initialement promis sur tout le territoire d’ici fin 2020, le fameux FTTH « à 100 % » aura du mal à tenir son nouvel objectif fixé à fin 2025. La crise sanitaire a freiné les déploiements de prises. De plus, les Français ne se précipitent pas pour s’abonner.

« Nous accélérerons en particulier tous les projets sur les réseaux qui permettent de structurer et de développer nos territoires [comme le] déploiement du très haut débit », a promis Jean Castex (photo), le nouveau Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale le 15 juillet dernier. Mais la France s’en donnera-t-elle les moyens financiers ? « Pour passer du Plan France Très haut débit 2022 à la généralisation du FTTH, 5,4 milliards d’euros seraient nécessaires pour généraliser la fibre partout en France d’ici 2025, sans oublier de fournir du très haut débit d’ici là aux personnes connectées tardivement », a chiffré Etienne Dugas, président d’Infranum, lors des 14èmes Assises du Très haut débit, organisées par l’agence Aromates le 2 juillet dernier.

Le FTTH pèse la moitié des 11 Mds€ demandés
Fédération des entreprises partenaires des territoires connectés, Infranum fut créée fin 2012 sous le nom de Fédération des industriels des réseaux d’initiative publique (Firip) pour accompagner le « Plan France THD ». Elle regroupe plus de 200 entreprises – bureaux d’études, opérateurs, intégrateurs, équipementiers, fournisseurs de services, etc. – représentatives de la filière des infrastructures numériques. Ensemble, avec un total de 13.000 entreprises actives en France, ces acteurs des réseaux représentent un poids économique de 52 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 280.000 emplois. « La crise actuelle, d’une ampleur sans précédent, a impacté toute la filière des infrastructures numériques, en particulier le déploiement de la fibre », a expliqué Etienne Dugas. Les 5,4 milliards d’euros nécessaires, selon Infranum, pour mener à bien le déploiement de la fibre optique partout sur le territoire français d’ici cinq ans représentent à eux seuls près de la moitié des 11,2 milliards d’euros estimés indispensables par la filière comme « plan de relance », dont 7 milliards à prendre en charge par les pouvoirs publics.
Et encore : sur ces 5,4 milliards d’euros pour la généralisation du FTTH, 150 millions d’euros seront tout de même alloués à des technologies alternatives pour atteindre les objectifs du très haut débit pour tous à fin 2022. D’après les chiffrages effectués par les cabinets EY (Ernst & Young) et Tactis pour Infranum, quelque 3 milliards d’euros devraient à la charge de la filière et les 2,4 milliards restants – soit plus de 60 % – financés par les pouvoirs publics que sont l’Etat, les collectivités et le financement européen dans le cadre du plan européen de relance (voir tableau ci-dessous ). Pour accélérer le mouvement et rattraper ainsi le retard accumulé durant les mois de confinement, la filière suggère de « mettre en place des actions “coup de poing” dès cet été pour reconstituer l’outil de production nécessaire à la poursuite du déploiement de la fibre et au raccordement ». Le FTTH a été rattrapé par le covid-19. Après « une activité fortement réduite durant le confinement », en particulier dans les territoires des réseaux d’initiative publique (« zones RIP »), mais sans qu’il n’y ait pas eu d’arrêt d’activité, les déploiements ont repris de façon « significative » depuis le 11 mai, premier jour de déconfinement progressif. Pour autant, prévient la fédération de la filière des infrastructures numériques, « un retour est prévu à seulement 90 % d’activité nominale dès septembre à cause du maintien des mesures de protection indispensables » – contre seulement 40 % à 50 % d’activité durant le confirment et 75 % lors de la reprise actuelle. Quoi qu’il en soit, selon Infranum, « le déploiement du très haut débit à fin 2022 pourrait ne pas être achevé à temps avec le mix technologique initialement prévu ». Et comme « le plan actuel laisserait environ 3 millions de foyers et entreprises qui ne disposeraient pas du FTTH, un plan de généralisation s’avère indispensable ».

Trop de fibres raccordables sans abonnés
L’étude EY-Tactis estime en outre que la production du déploiement d’une prise de fibre optique a accusé un surcoût de 17 % à 23 % en période confinement, de 11 % à 17 % dans la période en cours de reprise, et 4 % à 8 % à partir de septembre lors de la période de « postreprise » durant laquelle les mesures de distanciation sont maintenues. « Ces surcoûts sont des moyennes et peuvent présenter des variations locales importantes », est-il précisé. Où en est-on précisément dans les déploiements de la fibre optique ? Lors des 14èmes Assises du Très haut débit, Julien Denormandie, alors encore ministre de la Ville et du Logement, s’est voulu confiant : « Un chiffre m’interpelle beaucoup : à mi-2017, il y trois ans, 9 millions de Français étaient raccordables à la fibre. Selon les projections de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca) à fin 2022, ce seront 31 millions de Français qui seront raccordables en FTTH. En cinq ans, on aura donc multiplié par trois ce nombre ». Pour l’heure, d’après les derniers chiffres disponibles de l’Arcep au 31 mars 2020, le nombre de prises FTTH « raccordables » s’élève à 19,5 millions en France. D’ici fin 2022, il reste donc encore 11,5 millions de prises de fibre raccordables à déployer en deux ans et demi (une trentaine de mois seulement). « L’année 2019 a été une année de tous les records, avec le déploiement de 4,8 millions de prises FTTH raccordables [contre 3,2 millions en 2018 et 2,6 millions en 2017, ndlr] », s’est félicité le ministre (voir tableau ci-dessous). Tout en assurant : « D’aucune manière que ce soit, les objectifs ne sont remis en cause : du bon débit pour tous fin 2020 [8 Mbits/s, ndlr] et du très haut débit pour tous fin 2022. Il s’agit de retrouver le rythme de la dynamique qui était le nôtre juste avant le covid-19, même si 2020 ne sera pas aussi bon que 2019 ».
Julien Denormandie n’a cependant pas mentionné l’ultime objectif fixé par Emmanuel Macron en juillet 2017, à savoir « la fibre pour tous à fin 2025 »… Quoi qu’il en soit, après fin 2022, il restera du pain sur la planche de la filière puisque le parc de logements et/ou locaux à raccorder en France ne cesse d’évoluer – zones très denses, zones dites AMII (à manifestation d’intention d’investissement) et zones dites RIP (réseaux d’initiative publique) confondues : de 39,7 millions de logements/locaux en 2019, ce parc total atteindra 41,1 millions de logements/locaux en 2022, puis 42,4 millions en 2025. Pour autant, la prise raccordable ne fait pas l’abonné. Au 31 mars 2020, l’Arcep compte 7,6 millions d’abonnés FTTH sur le total de 19,5 millions prises raccordables. Ce ne fait qu’un taux de 39 % de fibres raccordables vraiment utilisées. « On ne parle pas suffisamment du taux de pénétration, la différence entre le raccordable et le raccordé (…). Cela doit être un de nos chantiers dans les prochains mois », a prévenu le ministre. Généraliser la fibre en France aura coûté – investissements publics et privés conjugués – de 30 à 35 milliards d’euros. Il reste à convaincre tous les Français de son utilité. @

Charles de Laubier