Consacré aux Emmy Awards pour une série, Hulu a l’ambition d’être disponible mondialement

Hulu fête ses dix ans avec bientôt 13 millions d’abonnés, tous aux Etats-Unis. Car, contrairement à Netflix et Amazon, la joint-venture de NBCUniversal, 21st Century Fox, Disney et Time Warner tarde à conquérir le monde depuis sa première tentative infructueuse au Japon en 2011.

Selon nos informations auprès de Digital TV Research, Hulu devrait atteindre 13 millions d’abonnés d’ici la fin de cette année 2017 et 17 millions en 2022. Quant au service Hulu Japon, lancé en 2011 mais revendu trois ans après à Nippon TV (1) faute de résultat, il est devenu indépendant du consortium et ses 1,5 million d’abonnés (1,79 millions prévus en 2022) ne sont comptabilisés dans les 13 millions de la plateforme américaine de catch up TV et de SVOD.

Le monde : « Un objectif à long terme »
Si la croissance prévisionnelle de 30 % en cinq ans – à 17 millions d’abonnés – semble faible, c’est que Hulu n’est pas Netflix (100 millions d’abonnés) ni Amazon Prime Video. Pendant que ses deux rivaux américains sont actifs dans le monde entier, Hulu continue de jouer à domicile – dix ans après sa création. « Hulu est disponible en streaming des Etats-Unis et à partir des bases militaires américaines, tandis que Hulu Japon est disponible au Japon. Vous ne pouvez actuellement pas utiliser Hulu dans aucune autre région », rappelle la plateforme de Catch up TV et de SVOD créée en mars 2007 par Fox (News corp), ABC (Walt Disney), NBCUniversal (General Electric/Comcast) et Providence Equity Partners. Cependant, la joint-venture – aujourd’hui détenue par Disney, 21st Century Fox, AT&T (via Time Warner) et Comcast (via NBCUniversal) – n’a jamais renoncé à envisager une expansion internationale, alors que ses rivaux Netflix et Amazon ont d’emblée une stratégie globale. « Alors
que l’un de nos objectifs à long terme est de rendre disponible mondialement la liste grandissante des contenus de Hulu, nous n’avons pas de calendrier ni aucune information à ce stade concernant cette expansion au-delà de Hulu Japon. Cette expansion exige de travailler avec les détenteurs de contenus pour fixer les droits pour chaque programme ou film dans chacune des régions spécifiques, et ces accords peuvent prendre un certain temps avant d’être conclus », explique toujours la société californienne basée à Los Angeles et dirigée par Mike Hopkins (photo). A la fois service de télé et de vidéo à la demande par abonnement, Hulu a toujours en tête l’international depuis sa première tentative infructueuse au Japon en 2011. Mais l’activité a ensuite été rachetée en 2014 par Nippon TV, qui continue d’opérer sous la marque Hulu Japan et à qui la joint-venture fournit ses contenus.
Hulu ronge son frein en restant cantonné aux Etats-Unis. La plateforme de Catch up TV/SVOD des géants de l’audiovisuel et du cinéma américains n’est pas non plus présente au Canada pour de multiples raisons telles que la pratique d’exclusivités
des ayants droits avec les câblo-opérateurs de ce pays. Hulu a bien songé en 2009 débarquer en Europe par le Royaume-Unis via un partenariat avec le groupe audiovisuel ITV, mais les négociations sur la diffusion de contenus exclusifs et une participation au capital de Hulu sont restées sans lendemain (2). Résultat : Hulu a beau se forger une notoriété internationale, celle-ci ne lui sert pas à grand-chose pour l’instant. La plateforme américaine reste la championne du geoblocking, ce blocage géographique qui refoule les non-résidents des Etats-Unis. Il y a bien des outils de contournement, tels que le VPN (Virtual Private Network) ou l’Anonymous Proxy, pour tenter d’accéder « illégalement » à Hulu. Mais, depuis le printemps 2014, la plateforme s’est mise à bloquer les utilisateurs indésirables en repérant non seulement l’origine des adresse IP mais aussi le recours à des VPN. « En raison des contrats avec nos partenaires et publicitaires, Hulu ne peut pas diffuser les vidéos en streaming auprès des utilisateurs de serveurs de proxy anonyme (en raison de possibles limitations géographiques) », justifie la plateforme vidéo. Cette chasse aux VPN ne va pas sans provoquer des dommages collatéraux sur le sol étatsunien. En effet, de nombreuses entreprises utilisent des VPN ou des VPS (Virtual Private Servers) pour gérer et sécuriser le trafic Internet de leurs employés (3).

Catch up TV, SVOD et maintenant Live TV
Hulu n’en finit pas de fourbir ses armes face à Netflix, Amazon, YouTube (Google), PlayStation Vue (Sony) ou encore Sling TV (Dish Network). Depuis le mois de mai,
« Hulu with Live TV » propose pour 40 dollars par mois (4) des flux directs de chaînes, de la télévision de rattrapage et de la SVOD (films et séries). A l’instar de Netflix et d’Amazon, Hulu investit dans des productions originales telles que « The Morning
After » mais surtout « La servante écarlate » (« The Handmaid’s Tale ») – élue meilleure série dramatique le 17 septembre aux prestigieux Emmy Awards. Hulu doit maintenant sortir de ses frontières. @

Charles de Laubier

Affaire Vizio : des cookies sans consentement préalable sur les TV connectées, c’est illégal

Déposer un code unique sur un téléviseur connecté, sorte de cookie qui permet de suivre à des fins publicitaires le comportement du téléspectateur, nécessite
un opt-in de la part ce dernier. Sinon, la collecte de données est « déloyale et trompeuse ». Vizio l’a appris à ses dépens.

Par Winston Maxwell, avocat associé, Hogan Lovells

Le 6 février 2017, le fabricant de téléviseurs connectés Vizio (1) a conclu un accord transactionnel avec l’autorité américaine de la protection des consommateurs, la FTC (2). Cet accord prévoit le paiement par Vizio d’une indemnité transactionnelle de 2,2 millions de dollars, et l’engagement par cette entreprise californienne de mettre en oeuvre un programme de conformité pour une durée de vingt ans. Homologué par un tribunal fédéral, cet accord nous apporte plusieurs enseignements, notamment sur le caractère sensible de données liées au visionnage de programmes audiovisuels, ainsi que sur les pouvoirs très étendus de la FTC.

Cookie sur la TV connectée sans opt-in
Les téléviseurs Vizio disposent d’un logiciel qui analyse les écrans visionnés par le téléspectateur. Ce logiciel analyse les pixels de l’écran, envoie cette information à la société Vizio qui croise cette information avec d’autres bases de données afin d’identifier le contenu visionné par le téléspectateur. Par exemple, Vizio pourra conclure qu’une série de pixels correspond à un épisode des Simpsons, ou à une publicité pour une voiture Renault. En somme, le logiciel Vizio est similaire à des cookies déployés aujourd’hui sur l’ordinateur d’un internaute, sauf que le logiciel Vizio est également conçu pour identifier les émissions de télévision ou les DVD regardés par l’utilisateur. Comme un réseau de publicité en ligne, Vizio vend cette information à des annonceurs et à des prestataires de publicité. Le nom de l’utilisateur n’est pas connu mais, comme pour les cookies, le téléviseur est identifié par un code unique qui permet de suivre le comportement du ou des téléspectateurs. La plupart des internautes sont aujourd’hui habitués aux publicités ciblées sur le Web : si je visite le site d’un constructeur automobile, je peux m’attendre à voir sur un autre site web une publicité de voiture. Ce qui est plus surprenant dans l’environnement de la télévision connectée est de voir sur son compte e-mail par exemple une publicité liée à un film que l’on vient de visionner. Jusqu’à présent, la télévision a été perçue comme une zone protégée contre le phénomène des cookies. Le logiciel Vizio a cassé cette séparation entre TV et Web, sans pour autant chercher le consentement explicite de l’utilisateur, ce qui a conduit la FTC et le procureur de l’état de New Jersey à entamer une procédure de sanction. La FTC a estimé que la collecte de données à caractère personnel par Vizio était à la fois « déloyale » et « trompeuse », ce qui est incompatible avec l’article 5 du Federal Trade Commission Act (FTC Act). Les Etats-Unis s’appuient sur la loi concernant la protection des consommateurs, et notamment l’article 5 du FTC Act, pour sanctionner les traitements illicites de données. Le concept de pratiques « déloyales et trompeuses » permet à la FTC d’atteindre certains des mêmes objectifs que ceux visés par la législation européenne, et notamment le nouveau règlement européen sur la protection des données à caractère personnel. Dans le cas présent, les pratiques de Vizio étaient déloyales et trompeuses car le consommateur moyen ne s’attend pas à ce que ses habitudes de visionnage soient suivies et exploitées sans son consentement explicite. Compte tenu de la sensibilité des données, l’utilisation de conditions générales pour recueillir le consentement n’est pas suffisante, selon la FTC. Un opt-in spécifique est nécessaire. On constate une ressemblance entre la position de la FTC et la position, en France, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) en matière de consentement pour les cookies. La FTC cherche une adéquation entre le niveau de consentement, d’une part, et les attentes du consommateur, d’autre part. Une pratique qui est susceptible de surprendre le consommateur ne sera pas tolérée sans son consentement explicite. En revanche, une pratique qui est conforme aux attentes générales du consommateur pourra s’affranchir d’un consentement explicite préalable.

Données « sensibles » de TV connectées ?
Cette approche permet aux autorités américaines d’avoir une approche plus souple
et évolutive que leurs homologues européens, qui sont liés par des textes moins souples en matière de consentement. Dans la plainte de la FTC, celle-ci qualifie de
« sensibles » les données de visionnage collectées par Vizio. A défaut de textes explicites définissant ce qu’est une donnée « sensible », la FTC s’appuie sur une appréciation générale du préjudice potentiel qui pourrait découler de l’exploitation de certains types de données. La FTC cite une loi américaine qui interdit l’utilisation par
les câblo-opérateurs de données de visionnage pour des finalités liées à la publicité.
La FTC dispose d’une souplesse comparée à l’approche européenne en matière de protection des données à caractère personnel (3).

Les sept mots de la loi américaine
La FTC a bâti une jurisprudence sur la protection des données à caractère personnel aux Etats-Unis à partir d’une loi sur la protection des consommateurs qui se résume en sept mots : « Les pratiques déloyales et trompeuses sont interdites ». Le règlement européen, qui compte 61.723 mots pour sa version française, est plus détaillé mais
en même temps moins souple que la législation américaine. Dans le cas Vizio, la FTC
a pu construire une approche européenne sur le fondement des sept mots de la loi américaine. L’approche utilisée par la FTC en matière de consentement converge avec l’approche européenne. Dès lors qu’il s’agit de données sensibles et que le traitement par Vizio dépasse la zone de confort du consommateur moyen, un consentement explicite est nécessaire. La FTC impose à Vizio des conditions très précises sur le recueil du consentement, et la manière de présenter l’information. Celle-ci doit être
« incontournable » et « compréhensible pour un consommateur ordinaire ». La FTC a ordonné l’effacement par Vizio des données collectées avant le 1er mars 2016, et la mise en oeuvre d’un programme de conformité et de responsabilisation (accountability) digne d’un programme issu du règlement européen. La version moderne de l’accountability est née aux Etats-Unis en 1991 avec le décret américain sur les sanctions (4). Aujourd’hui, l’accountability (5) est l’un des piliers du nouveau règlement européen car il impose aux entreprises une série de mesures internes pour assurer
la conformité des pratiques de l’entreprise avec la réglementation (6). La liste des mesures imposées par la FTC dans l’affaire Vizio est impressionnante : l’entreprise californienne (basée à Irvine) doit nommer un délégué à la protection des données à caractère personnel ; elle doit conduire une étude d’impact sur la protection des données à caractère personnel pour identifier des risques ; elle doit mettre en place
des mesures de protection adéquates pour contrer ces risques. Ces mesures doivent inclure une formation des salariés et la mise en oeuvre de la protection des données à caractère personnel au stade de la conception des produits selon le principe du Privacy by Design. Vizio doit en outre mettre en oeuvre des mesures de contrôle internes, y compris des tests réguliers de la conformité. Le programme doit prévoir un mécanisme pour sélectionner des sous-traitants en fonction de leur niveau de protection des données à caractère personnel, et prévoir la mise en place de clauses contractuelles avec chaque sous-traitant pour garantir un niveau de protection élevé. L’entreprise doit aussi disposer de documents pour démontrer sa conformité avec chacune des engagements pris au titre de l’accord transactionnel. Elle doit faire appel à un auditeur indépendant, approuvé par la FTC, pour rédiger un rapport d’audit sur la conformité de Vizio avec ses engagements. L’audit doit avoir lieu tous les deux ans pendant vingt ans.

Rapport détaillé en février 2018
Au plus tard dans les douze mois suivant l’accord transactionnel, Vizio doit envoyer à la FTC un rapport détaillé sur la mise en oeuvre de l’ensemble des obligations découlant de l’accord. A travers cet accord transactionnel, la FTC a démontré non seulement la souplesse du concept de « pratique déloyale et trompeuse » mais également l’étendue des pouvoirs de la FTC de mettre en oeuvre un programme de suivi des engagements, dans l’esprit d’accountability. @

ZOOM

En France, bientôt des cookies dans la TV connectée ?
Le dépôt de cookies ou de logiciels dans les téléviseurs en France doit se conformer
à la recommandation de la Cnil sur les cookies. La personne concernée doit être informée et donner son consentement préalablement au dépôt de ces mouchards,
sauf si ces actions sont strictement nécessaires au fournisseur pour la délivrance d’un service expressément demandé par l’abonné ou l’utilisateur. Les solutions de mesures d’audience sont soumises à une simple déclaration auprès de la Cnil (et non à une demande d’autorisation). « La société Samsung nous a adressé en 2013 une déclaration relative à une prestation de services Smart TV. Nous leur avons envoyé un récépissé car leur demande était complète », indique la Cnil à Edition Multimédi@. Reste qu’en France la publicité ciblée est interdite à la télé. L’article 13 du décret de 1992 sur la publicité télévisée dit bien que « les messages publicitaires doivent être diffusés simultanément dans l’ensemble de la zone de service ». Mais des éditeurs de chaînes veulent une évolution de cette réglementation. « Si l’interdiction existante était levée, se poserait la question de la protection des données à caractère personnel des téléspectateurs. L’utilisation des données issues des “box” (composition du foyer, âge, etc.) pour pouvoir cibler les publicités qui leur seront adressées ne pose pas de problème en soi, tant qu’elle est envisagée au regard de la loi “Informatique et libertés” et de ses principes, dont l’information, le consentement, la durée de conservation des données ou la sécurité, etc. », nous précise la Cnil. BFM Paris, la nouvelle chaîne du groupe SFR, va tester l’été prochain des « publicités adressées ». Une première en France. C’est ce qu’a annoncé le 10 février dernier Alain Weill, directeur général de SFR Media, devant l’Association des journalistes médias (AJM). @

Charles de Laubier

Dégrouper la « box » des opérateurs aux Etats-Unis : idée transposable aux objets connectés en Europe

Le régulateur américain des communications, la FCC, s’apprête à changer
de président pour être « Trump » compatible. Du coup, ses propositions de dégrouper les set-top-boxes des câblo-opérateurs risquent d’être enterrées
avant d’avoir existé. Pourtant, elles méritent réflexion – y compris en Europe.

Par Winston Maxwell*, avocat associé, Hogan Lovells

La prise de fonctions le 20 janvier 2017 du nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump, sera suivie de la démission du président actuel de la FCC (1), Tom Wheeler. Le successeur
de ce dernier, issu du Parti républicain, sera nommé pour le remplacer. Le départ de Tom Wheeler (2) signifie l’abandon probable de l’idée de dégrouper le décodeur des câblo-opérateurs américains. Cette idée, qui a fait l’objet d’une proposition adoptée par la FCC le 28 février dernier, mérite néanmoins notre attention car elle illustre les enjeux liés à la télévision connectée et plus généralement au partage de données collectées dans le cadre des objets connectés.

Des set-top-boxes peu performantes
D’abord examinons la notion de « dégroupage » d’un décodeur, appelé aux Etats-Unis set-top-box. Les services de transmission d’un câblo-opérateur se divisent en deux
« tuyaux » logiquement distincts. Le premier tuyau consiste en la transmission de programmes utilisant de la bande passante réservée à cet effet. Il s’agit de services de transmission gérés de bout en bout par le câblo-opérateur. Le deuxième tuyau consiste en la fourniture d’un service d’accès à Internet. Cette deuxième partie du service est ouverte et soumise aux règles sur la neutralité de l’Internet. Pour accéder à l’offre télévisuelle sur la partie gérée du service, le téléspectateur doit utiliser un décodeur fourni par le câblo-opérateur. Aux États-Unis, la fourniture de cette « box » est payante, le téléspectateur s’acquittant d’un loyer mensuel. Selon la FCC, ce décodeur est non seulement cher, mais il est aussi peu performant, la technologie ayant peu évolué depuis une décennie. Les téléspectateurs américains semblent donc prisonniers d’une situation où le câblo-opérateur leur impose la location d’un décodeur peu performant. En 2015, la FCC, a lancé une première consultation publique pour mettre fin au monopole de fait qui existe en faveur des câblo-opérateurs pour la fourniture de leurs décodeurs. L’idée était de créer un marché dynamique où les développeurs indépendants pourraient proposer des fonctions qui aujourd’hui sont regroupées au sein du décodeur. Car cette « box » agrège plusieurs fonctions distinctes. La fonction
la plus basique consiste à transformer les signaux vidéo en images et sons lisibles par le téléviseur. Mais elle gère également l’accès aux programmes payants. Pour ce faire, elle a une fonction d’authentification et de gestion des conditions d’accès. Ces systèmes font régulièrement l’objet d’attaques par des pirates qui essayent de contourner le système afin d’organiser un marché noir d’accès aux programmes payants. C’est pour cette raison que les câblo-opérateurs et les ayant droits ne souhaitent pas que cette fonction soit séparée du décodeur, car l’existence d’un décodeur physique permet d’augmenter les mesures d’anti-piratage. Une autre fonction de la « box » est de fournir le guide électronique de programmes – Electronic Program Guide (EPG) – et de gérer les fonctions de recherches de programmes et de navigation. Les décodeurs actuels semblent archaïques comparé à l’interface d’une tablette ou d’un smartphone. C’est pour cette raison que la FCC a souhaité envisager de dégrouper les différentes fonctions du décodeur afin de permettre plus d’innovation et de choix au bénéfice du téléspectateur. La première proposition de la FCC aurait contraint les câblo-opérateurs à fournir des flux de données selon un standard ouvert, de manière à permettre à n’importe quel développeur d’intégrer ces fonctions dans différents types de terminaux. Ces fonctions pourraient être intégrées par exemple
dans le logiciel de navigation d’une tablette, ou d’une télévision connectée. La FCC
a rencontré une forte résistance de la part des câblo-opérateurs et des ayant droits. Dégrouper la fonction d’authentification et de gestion des conditions d’accès augmenterait le risque de piratage. La FCC a ainsi fait marche arrière et a proposé
une solution de compromis par laquelle le câblo-opérateur fournirait une application téléchargeable sur une tablette ou télévision connectée. Cette application resterait
sous le contrôle du câblo-opérateur permettant un niveau plus élevé de sécurité que
s’il s’agissait d’une application tierce.

Les enjeux de l’interface et des données
Mais la sécurité n’est pas le seul enjeu. La FCC souhaitait également ouvrir à la concurrence les fonctions du décodeur liées à l’interface avec les utilisateurs.
Cette proposition s’est également heurtée à une opposition des câblo-opérateurs
qui craignaient la perte de leurs relations commerciales avec leurs abonnés. L’enjeu était ici commercial. La maîtrise de l’interface de navigation permettrait à un prestataire tiers d’organiser la page d’accueil, d’apposer ses propres marques, et surtout de collecter des données sur les habitudes des téléspectateurs. Aux yeux des câblo-opérateurs, le décodeur reste un rempart contre la captation de la valeur des données par les grands prestataires d’Internet.

Dégroupage des objets connectés ?
A première vue, le dégroupage des « box » semble similaire à l’ouverture à la concurrence des téléphones dans les années 1990. Le dégroupage des téléphones a conduit à une vague d’innovation sans précédent, aux extrémités des réseaux. Cette innovation se perpétue encore aujourd’hui sur l’Internet, où il est possible d’« innover sans permission » – pour emprunter les termes de Yochai Benkler (3) – aux extrémités du réseau. Le droit d’innover aux extrémités du réseau est aujourd’hui garantie par la régulation sur la neutralité de l’Internet. Mais les règles sur la « Net Neutrality » ne s’appliquent pas aux services « gérés », comme la télévision accessible sur les « box ». S’agissant d’un opérateur de télécommunications bénéficiant d’un monopole juridique, imposer le dégroupage des terminaux en 1990 semblait logique. La question devient plus complexe lorsque l’opérateur en cause évolue dans un marché concurrentiel.
La proposition de la FCC fournit un exemple des complexités qui se transposent facilement à l’Internet des objets, où l’accès aux données est devenu un enjeu clé
pour l’innovation : compteurs électriques intelligents, maisons connectées, ou encore véhicules connectés. Obliger une entreprise privée à ouvrir à des tiers l’accès aux données de ses clients peut sembler à première vue attrayant pour encourager l’innovation. Mais vue de plus près, la question est complexe (4) et la notion
d’« innovation » incertaine (voir encadré ci-dessous), sans même parler de la protection des données à caractère personnel, un enjeu crucial. L’étude de l’Autorité de la concurrence (France) et de la Competition and Markets Authority (Grande-Bretagne) sur les écosystèmes et leurs effets sur la concurrence – analyse conjointe publiée en décembre 2014 (5) – montre que l’existence d’un écosystème fermé ne se traduit pas forcément par une diminution de la concurrence et de l’innovation. Chaque situation doit être examinée séparément. La même conclusion découle de l’étude récente conduite par la même Autorité de la concurrence avec cette fois la Bundeskartellamt (Allemagne) sur la collecte de données par les plateformes – analyse conjointe publiée en mai 2016 (6). Cette collecte de données ne conduit pas forcément à une diminution de l’innovation et de la concurrence.
La Commission européenne s’est exprimée le 10 janvier dernier sur le partage de données collectées dans le contexte des terminaux, compteurs ou encore véhicules connectés. Selon sa communication intitulée « Construire une économie européenne de la donnée » [« Building a European Data Economy », lire l’article pages 6 et 7, ndlr], la Commission européenne souligne la nécessité d’encourager le partage tout en respectant les négociations commerciales, la sécurité des systèmes, et l’investissement des entreprises ayant permis la production des données. Le débat sur le dégroupage des « box » et autres plateformes d’objets connectés promet de rester vif. @

* Winston Maxwell a eu l’occasion d’exposer la question du
dégroupage des « box » aux Etats-Unis au CSA Lab lancé
14 juin 2016, dont il est l’un des neuf membres experts,
ainsi qu’au Conseil d’Etat lors du colloque « Concurrence et
innovation à l’ère du numérique » le 9 décembre 2016.

ZOOM

Encourager l’innovation par la régulation, mais quelle « innovation » ?
Pour élaborer un système réglementaire qui favorise l’innovation, encore faut-il pouvoir la mesurer. Or, mesurer le niveau d’innovation est compliqué. Dans les années 1990, des recherches ont été faites aux Etats-Unis sur le lien entre la régulation sur la protection de l’environnement et l’innovation. A l’époque, certains disaient que la régulation favorisait l’innovation : cela s’appelait « l’hypothèse de Porter ». Valider cette hypothèse nécessite de se mettre d’accord sur ce que l’on entend par « innovation ».
Si l’on mesure l’innovation par les dépenses de recherches dédiées aux problèmes
de conformité (on parle de compliance innovation), alors, oui, la régulation conduit généralement à une augmentation de l’innovation. En revanche, si l’on mesure l’innovation par d’autres critères, par exemple le nombre de brevets déposés ou le nombre de start-up levant des fonds de capital risque, la réponse sera différente. Sans pouvoir mesurer l’innovation, on navigue à l’aveugle. La régulation peut elle-même innover. Certains auteurs prônent une régulation « adaptative » et « expérimentale »
qui s’adapterait en fonction des résultats observés. Préconisée dans la dernière étude annuelle du Conseil d’Etat, la réglementation expérimentale serait particulièrement bien adaptée aux marchés numériques, où le risque d’erreur est élevé. Mais cette forme de régulation nécessiterait des mécanismes de suivi sur l’efficacité de la régulation, et ces mécanismes sont rares. @

AT&T-Time Warner, l’indépendance et la neutralité

En fait. Le 22 octobre, l’opérateur télécoms AT&T a annoncé le rachat du
groupe de médias et de cinéma Time Warner pour plus de 85 milliards de dollars (108 milliards avec la dette). Cette méga-fusion « tuyau-contenu », si elle était autorisée d’ici fin 2017, pourrait être défavorable aux consommateurs.

En clair. La méga-fusion AT&T-Time Warner n’est pas un bon signal pour l’indépendance des médias, le marché concurrentiel et la neutralité du Net. Aux Etats-Unis, cette concentration verticale commence à inquiéter. Si le candidat républicain à la présidence des Etats-Unis, Donald Trump, a lancé un « c’est trop de pouvoir concentré dans les mains de trop peu de gens » (méfiant de certains médias qui lui sont hostiles), la crainte est bien plus sérieuse.
Pour l’indépendance des médias, Time Warner fait par exemple partie des généreux donateurs de la campagne de la candidate démocrate Hillary Clinton. Concernant la concurrence, cette annonce intervient au moment où la FCC souhaite « ouvrir » le marché des set-top-boxes aux nouveaux entrants du Net afin de baisser la facture des abonnés dépassant souvent les 150 dollars par mois (lire p. 5). Quant à la neutralité de l’Internet, elle pourrait être mise à mal par le favoritisme de certains contenus maison au détriment des fournisseurs tiers. C’est en fait la bataille du contrôle de l’abonné qui se joue, avec en toile de fond les revenus de la publicité en ligne de plus en plus ciblées. En faisant une OPA amicale sur Time Warner moyennant 85,4 milliards de dollars (1), AT&T s’empare de contenus audiovisuels et cinématographiques qu’il pourra diffuser sur ses réseaux. AT&T compte 142 millions d’abonnés mobile et, via DirecTV et U-verse, 38 millions d’abonnés vidéo. Time Warner détient les studios Warner Bros., les chaînes HBO, HBO Now, CNN ou encore TBS. Rien que HBO comme 130 millions d’abonnés. Cette convergence « tuyau-contenu » est brandie comme un bouclier face aux assauts des Netflix, Amazon, Google et autres Hulu (2). AT&T a déjà racheté en juillet 2015 l’opérateur télévision payante DirecTV pour 48,5 milliards de dollars. L’année précédente, AT&T créait Otter Media, une co-entreprise avec The Chemin Group, qui a notamment racheté Fullscreen, réseau de chaîne sur YouTube.
Depuis mai 2015, AOL est tombé dans l’escarcelle de Verizon, lequel est en train de jeter son dévolu sur Yahoo pour 4,8 milliards de dollars. Le câblo-opérateur américain Comcast s’est emparé de NBCUniversal entre 2011 et 2013 pour un total de 48 milliards de dollars, puis a racheté DreamWorks en avril dernier pour 3,8 milliards.
Que de positions dominantes ! @

En voulant devenir « le premier GAFA européen », SFR veut lui aussi tirer partie de la data et de la pub

Michel Combes veut faire croire que l’opérateur télécoms SFR, dont il est le PDG, va devenir « le premier GAFA européen » ! « Un peu ambitieux », concède-t-il. Mais en investissant dans les contenus, il se donne les moyens d’accéder aux données de ses millions de clients monétisables par la publicité.

« L’alternative pour les opérateurs télécoms est simple : se cantonner au rôle de fournisseur de tuyaux dans lequel on essaie de nous inciter à rester, ou bien dépasser ce rôle originel pour être pourvoyeurs de services nous mêmes et en quelque sorte devenir “les nouveaux GAFA” du monde qui s’ouvre afin de renouer avec
la croissance. C’est le dilemme stratégique », a exposé Michel Combes (photo), président du groupe SFR, lors du colloque organisé le 31 mai par NPA Conseil sur le thème de « Vers le meilleur des deux mondes ».

SFR va importer en France les pratiques de publicités ciblées de Cablevision, câbloopérateur américain que
vient de racheter sa maison mère Altice.

Triptyque télécoms-médias-publicité
« Nous avons donc décidé de donner le coup d’envoi en France à une convergence entre les télécoms et les médias ou les services numériques, en positionnant clairement le nouveau groupe SFR comme le premier GAFA européen. C’est peut-être un peu ambitieux… », a-t-il poursuivi. La filiale télécoms d’Altice, holding du milliardaire Patrick Drahi, tente ainsi de mettre en place un triangle vertueux, en se positionnant sur trois ingrédients qu’elle estime essentiels : l’accès (le métier de base de SFR, fixe ou mobile totalement convergents), les contenus et services numériques (pour se différencier), la publicité, dont celle ciblée, en regroupant les régies (télévision, presse et digitale). « Il s’agit de construire dans les mois à venir un distributeur de contenus, mais surtout un acteur télécoms-médias-publicité », a-t-il résumé. En se positionnant résolument comme un GAFA, l’opérateur télécoms SFR est décidé à essayer de se battre à armes égales avec Google, Apple, Facebook, Amazon et les autres acteurs du numérique. Le nerf de la guerre réside dans le Big Data que la publicité en ligne permet de monétiser. « Quand Verizon achète AOL [en mai 2015 pour 4,4 milliards de dollars, ndlr] ou s’intéresse à Yahoo comme AT&T, c’est pour aller chercher de nouvelles compétences – notamment dans le domaine de la publicité ciblée, avec ce vieux rêve qu’un jour les opérateurs télécoms devraient rerentrer sur le marché de la publicité digitale », a justifié Michel Combes. Selon cet ingénieur X-Télécom (Polytechnique et Ecole nationale supérieure des télécommunications), « il n’y a pas de fatalité à ce que ce marché reste exclusivement aux mains des acteurs du numériques, alors même que les opérateurs télécoms concentrent entre leurs mains les portefeuilles de clients très importants, des audiences immenses qu’ils n’ont pas su jusqu’à présent monétiser ». Le groupe SFR compte 17 millions d’abonnés mobile et 6,3 millions dans le fixe. Mais de l’aveu même de Michel Combes, les données qu’ils représentent restent sous-exploitées. « Pour un opérateur télécoms, c’est difficile d’avoir accès à ces données car ses clients n’en voient pas la finalité ni l’intérêt. Alors que lorsque vous êtes un acteur de contenus, ils vont vous les donner. Donc, le fait d’être dans le contenu nous donne accès aussi aux data. (…) Nous avons besoin de la data individuelle du client », a-t-il indiqué. A ce propos, il se dit convaincu que « seuls des modèles d’opt-in fonctionneront à terme, c’est-à-dire que nous ne pourrons pas – et c’est peut-être un bien – utiliser les données des clients sans sa décision de nous donner accès à ses données ».

Une autre raison d’entrer dans le contenu est que cela donne à l’opérateur télécoms l’accès à un inventaire de publicités, c’est-à-dire aux espaces publicitaires disponibles sur les différents médias en ligne (sites web, applications mobile ou réseaux sociaux). SFR, dont la maison mère Altice finalise d’ici fin juin le rachat du câblo-opérateur américain Cablevision pour 17,8 milliards de dollars, compte importer en France les pratiques de publicités ciblées d’outre- Atlantique. « Les câblo-opérateurs aux Etats-Unis ont historiquement eu accès à une partie de l’inventaire publicitaire des programmes audiovisuels qu’ils distribuent. Une partie de leurs recettes n’est pas liée
à l’accès mais à la publicité. Ces opérateurs de télédistribution ont ainsi réfléchi à des modèles économiques un peu nouveaux pour mieux monétiser leurs audiences. Cablevision a lancé des activités de publicités ciblées, individualisées, sur l’écran
de télévision », a constaté le patron de SFR. Ainsi, aux Etats-Unis, le broadcast
se retrouve avec des schémas assez similaires à ceux de l’Internet : meilleure monétisation des publicités, avec la complétude des réseaux, la géolocalisation et
la capacité de comprendre les usages des téléspectateurs.

Accéder à l’inventaire publicitaire « Nous souhaitons amener ces briques technologiques en France, où nous n’avons pas accès à cet inventaire de publicité. C’est une des raisons de rentrer dans le contenu, car cela nous donne en fait un inventaire publicitaire ». En regroupant les régies publicitaires de la télévision (BFM TV, BFM Business, News24, …), de la presse (Libération, L’Express, …) et du digital (sites web, applis mobile, …), SFR veut tenir tête au GAFA en étant « GAFA » lui-même. @

Charles de Laubier