Spotify : 10 ans cette année, et une dent contre Apple

En fait. Le 1er juillet, Apple a rejeté les accusations de Spotify d’entrave à la concurrence sur l’App Store. Le service de musique en ligne suédois – qui fête ses 10 ans d’existence – se plaint de la commission de 30 % que prélève sur ses abonnements la marque à la pomme… éditrice d’Apple Music.

En clair. Spotify a 10 ans ; Apple Music a 1 an. La plateforme musicale d’origine suédoise a une longueur d’avance avec à ce jour 33 millions d’abonnés payant (sur
100 millions d’utilisateurs déclarés). Tandis que la plateforme de la marque à la pomme revendique actuellement 15 millions d’abonnés payant. Mais Spotify est tributaire en partie d’Apple pour être disponible sur les smartphones, tablettes et baladeurs fonctionnant sous iOS (iPhone, iPad et iPod Touch), via la plateforme de téléchargement App Store.
Et comme Apple y a récemment refusé une mise à jour de Spotify qui proposait un système d’abonnement alternatif à celui du système de paiement iTunes, le directeur juridique de l’entreprise suédois (Horacio Gutierrez) a envoyé le 26 juin une lettre (1) au directeur juridique de la firme de Cupertino (Bruce Sewell) pour s’en plaindre. « Cela soulève de sérieuses questions au regard des règles concurrentielles américaines et européennes », a prévenu le premier. Le second a répliqué : « Spotify doit utiliser le système de paiement d’Apple [iTunes] s’il veut utiliser son application mobile pour recruter de nouveaux utilisateurs et vendre des abonnements ». Ce dialogue de sourds – pour des mélomanes, c’est un comble ! – a le mérite d’étaler au grand jour la rivalité exacerbée entre les deux groupes, depuis qu’Apple Music a été lancé en juin 2015. Non seulement, la marque à la pomme ne permet pas à un service d’utiliser un modèle de paiement alternatif au sien (à la différence de Google), mais elle prélève aussi au passage ses 30 % de commission auprès de ceux qui finalement utiliseraient le billing system iTunes. De plus, Spotify ne peut distribuer son application iOS en dehors de l’App Store d’Apple.
Pour répercuter la commission d’Apple lorsque son appli est achetée chez ce dernier, Spotify a décidé de facturer aux clients 13 dollars par mois au lieu de 10 dollars par mois si elle est acquise à l’extérieur. Le suédois a même proposé à l’automne dernier trois mois d’abonnement à seulement 0,99 dollar pour ceux qui le contractaient directement sur Spotify.com. En juin, Spotify a relancé cette promotion « anti-iTunes », mais a dû l’interrompre sous la menace d’Apple de lui retirer son appli de l’App Store. Ambiance…
Pendant ce temps, Apple veut renforcer Apple Music en voulant acquérir Tidal (2), la plateforme musicale de Jay-Z… @

Le manque d’interopérabilité des écosystèmes de l’Internet mobile à nouveau pointé du doigt

L’Internet Society (Isoc), association qui est à l’origine de la plupart des standards ouverts du Net, dénonce le verrouillage des plateformes mobiles
telles que celles d’Apple, de Google ou de Microsoft. Ce qui limite les choix
des consommateurs et augmente les coûts de développement des applications.

Michael Kende« Aujourd’hui, nous associons l’Internet mobile à un appareil intelligent qui tourne sur une plateforme spécifique et qui permet d’accéder aux applications que nous utilisons. Bien que cela ait généré des avantages extraordinaires pour les utilisateurs et toute une économie des applications pour les développeurs, les utilisateurs sont prisonniers d’une plateforme et cela limite au final les choix d’une manière inédite pour l’Internet », déplore Michael Kende (photo), chef économiste de l’Internet Society (Isoc) et auteur du rapport « Global Internet Report 2015 » dévoilé le 7 juillet dernier.
Le problème est que la grande majorité des applications mobiles sont « natives », c’est-à-dire qu’elles sont développées pour une plateforme mobile telle que Android de Google, iOS d’Apple, Windows Phone de Microsoft ou encore Blackberry du fabricant éponyme (ex-RIM).

Dépendance OS-App Store
Cela augmente les coûts pour les développeurs, lesquels doivent concevoir des applications pour chacune de ces plateformes, tandis que les consommateurs sont pieds et poings liés par ces écosystèmes verrouillés, dans l’impossibilité de passer d’une plateforme à une autre. Ce qui limite et le choix des mobinautes et la concurrence entre ces plateformes. Le rapport de l’Isoc constate ainsi une « dépendance croissante aux applications mobiles ».
Cette association internationale pionnière du Net, regroupant une communauté de concepteurs, d’opérateurs, de fournisseurs de réseau et de chercheurs (2), s’en prend ainsi à ces walled gardens. Alors que l’on compte aujourd’hui plus de 1,3 million d’applications mobiles dans le monde, l’inconvénient est qu’elles ont été pour la plupart d’entre elles développées pour des plateformes dites « propriétaires ». Le mobinaute se retrouve non seulement dépendant de l’OS (Operating System) sous-jacent mais aussi de l’App Store correspondant. Par exemple : l’iOS d’Apple est associé uniquement à iTunes et Android à Google Play. Comparée à l’accès au Web avec un navigateur Internet sur un ordinateur, l’expérience de l’internaute est largement plus ouverte que celle du mobinaute dans sa prison dorée (3). « Sur les terminaux intelligents utilisant des applis natives, c’est complètement différent. D’abord, les utilisateurs ne peuvent pas facilefacilement chercher parmi les applications, ou facilement se déplacer entre elles comme sur des sites web. De plus, ils ne peuvent pratiquement télécharger que ce qu’il y a dans l’App Store, et il ne leur est pas possible de changer de boutique. Finalement, s’ils changent de système d’exploitation, ils auront à ré-accéder à toutes leurs applis, pour peu qu’elles soient aussi disponibles sur la nouvelle plateforme », souligne le rapport de l’Isoc.

A cela s’ajoute le fait que bon nombre d’applis mobiles sont des outils standalone :
elles n’ont pas d’adresses web ni d’hyperliens dit « profonds » (ou deep link) permettant de pointer vers une autre appli ou vers une de ses ressources précises. Résultat : les informations trouvées sur une appli ne peuvent pas être facilement partagées et les utilisateurs ne peuvent pas passer d’une appli à l’autre. Il faut donc encourager les développeurs à adopter ces liens profonds, en assignant à chaque application une URI (Uniform Resource Identifier) sur le modèle des URL du Web. « Cependant, malgré des progrès, il y a toujours des pierres d’achoppement sur l’adoption du deep linking », regrette Michael Kende.
En plus de ce manque d’interopérabilité mobile, qui génère de la confusion chez les mobinautes, il y a le problème du contrôle exercé par les propriétaires des App Stores qui peuvent « limiter l’expression et le choix des consommateurs ». Les Apple, Google et autres Microsoft peuvent en tant que gatekeepers se transformer en censeurs de contenus, ayant le droit de vie ou de mort sur les applis qu’ils publient sur leur boutique en ligne. Leur pouvoir peut potentiellement restreindre l’innovation.

Problème identifié en Europe
Le manque d’interopérabilité des applis et de leur écosystème a aussi fustigé par la Commission européenne sur la base d’un rapport commandité à Gigaom et intitulé
« Sizing the EU App Economy ». Publié en février 2014, il assimile les non-interopérabilités à des « goulets d’étranglement technique » que Bruxelles voient comme une cause de « morcellement » du marché unique numérique (4). En France, le 10 décembre 2014, Tim Berners-Lee – l’inventeur du World Wide Web il y a 25 ans – a lui aussi dénoncé les environnements fermés et verrouillés des applis mobiles (5), tout en se posant en garant de l’ouverture et de l’interopérabilité du Net avec HTML5. @

Charles de Laubier

Après la neutralité du Net, l’interopérabilité des applis

En fait. Le 13 février, la Commission européenne a publié une étude commanditée à Gigaom et intitulée « Sizing the EU App Economy » : de 17,5 milliards d’euros en 2013, le marché européen des applications pour mobiles devrait bondir de 260 % d’ici cinq ans, à 63 milliards. Mais quid de l’interopérabilité ?

Neelie KroesEn clair. Les 94,4 milliards d’applis téléchargées dans le monde en 2013 présentent un problème majeur, tant pour les développeurs que pour les mobinautes : leur manque d’interopérabilité entre les principales plateformes que sont Android de Google, iOS d’Apple et celle de Facebook.
C’est ce qui ressort de l’étude confiée à la société américaine Gigaom par la Commission européenne. « Les développeurs d’applications mobiles, tant indépendants qu’en interne ont classé l’incompatibilité des plates-formes au premier rang des goulets d’étranglement technique », souligne l’étude.

HTML5 et responsive design contre les incompatibilités
Sur ce point précis, il est indiqué dans les recommandations que « des outils de développement multi-plateformes (cross-platform) de plus haut niveau comme HTML5
et des méthodologies de conception adaptative (responsive design) pourraient soulager les incompatibilités ».
Cette absence d’interopérabilité – déjà dénoncée par la fondation Mozilla (1) – contribue, aux yeux de la Commission européenne, au « morcellement » du marché numérique.
« A peu près 35% des développeurs ont été gênés par le manque d’interopérabilité
entre plateformes comme Android, iOS et Facebook », relève Neelie Kroes (photo),
vice-présidente de l’exécutif européen, chargée de l’Agenda numérique.

Plus de ce frein technique, « une majorité de développeurs se sont plaints de dépendre entièrement, de fait, des plateformes mises au point par les géants américains, ainsi
que des conséquences d’une telle dépendance en termes de recettes ». C’est en fait l’oligopole des Google, Apple et Facebook – tous américains qui pose problème à l’Europe. « Même si l’avenir est radieux, les développeurs ont exprimé des inquiétudes concernant le manque de personnel qualifié (2), la connectivité et le morcellement qui pourraient entraver l’essor des applis », retient-on du côté de Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne, en charge de l’Agenda numérique.
Après la neutralité du Net, l’interopérabilité devrait devenir le nouveau sujet de débat.
Les boutiques d’applications (App Stores) sont dans le collimateur, notamment en France (3) où l’Autorité de la concurrence enquête et perquisitionne (chez Apple) : verrouillage des utilisateurs, exclusivité ou fausse protection de la vie privée sont en cause. @

Mozilla pose la question de la neutralité des App Store

En fait. Le 21 novembre, Tristan Nitot, président Mozilla Europe et porte-parole mondial de la fondation, est intervenu au DigiWorld Summit pour dénoncer « la face sombre des places de marché » de type App Store – Apple en tête. Il a plaidé pour que le Web soit « la plate-forme de marché universel ».

Tristan Nitot siteEn clair. Le fondateur de la Mozilla Foundation Europe, qui distribue depuis maintenant dix ans le navigateur Firefox (1),
n’y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer les écosystèmes fermés tel que celui d’Apple. « Les places de marché comme l’App Store d’Apple ont une face sombre.
Les développeurs d’application sur ces plates-formes perdent
la relation avec les utilisateurs finaux. C’est un problème grave car ils ne peuvent plus se passer de ces intermédiaires. On est obligé de passer par Apple », a prévenu Tristan Nitot (photo), lors de son intervention incisive remarquée à Montpellier.

« Avec Apple, c’est très dangereux »
Selon nos informations, l’Arcep, intéressée par son propos, lui a demandé de le rencontrer pour parler avec lui de « la neutralité des plates-formes », question actuellement discutée au niveau de la Commission européenne, et le confier à intervenir lors du prochain colloque de l’Arcep l’an prochain, où la question des plates-formes ouvertes ou fermées fera partie des thèmes abordés.
A noter que le patron de Mozilla Europe est membre du Conseil national du numérique (CNNum) et participe justement au groupe de travail sur la neutralité du Net.

« La liberté des utilisateurs est remise en question lorsqu’une place de marché est monopolistique. Avec Apple, on a pas d’autre choix que de passer par l’App store.
C’est très dangereux. Au moment où l’on est en train de construire l’avenir de nos enfants, c’est très inquiétant. Ce n’est pas le type d’avenir numérique que je leur souhaite », a-t-il expliqué. « Chez Mozilla, nous voulons que ce soit le Web qui soit la place de marché universel, la plate-forme universelle, que l’on ait besoin d’iPhone, d’Android, de Windows ou autres. Les développeurs doivent pouvoir développer une seule application – en HTML5 – pour qu’elle soit utilisable sur tous les terminaux et platesformes. Pour les internautes et les mobinautes, c’est la garantie d’avoir accès à plus de contenus en contournant ces places de marché fermés », a-t-il plaidé.
Par ailleurs, il a précisé que la Mozzila Foundation renégocie son contrat triennal arrivant à échéance en décembre 2014 avec Google, lequel le rémunère pour le trafic apporté par Firefox à ce dernier. Interrogé par EM@, il n’a pas exclu que Bing de Microsoft puisse éventuellement devenir le partenaire « moteur de recherche » par défaut. @

Contenus : la justice américaine s’en prend à Apple

En fait. Le 27 août, le tribunal de New York souhaite que les mesures qui seront prises contre Apple se limitent aux livres numériques (entente sur les prix). Alors que la Justice américaine (DoJ) a demandé le 2 août à ce que le verdict à venir soit étendu au contraire à tous les contenus en ligne.

En clair. Le DoJ (Department of Justice) et trente-trois procureurs généraux veulent élargir à tous les contenus numériques en ligne – et pas seulement aux ebooks –
les mesures de surveillance des pratiques commerciales et tarifaires à la marque à la pomme : « Il sera interdit à Apple de passer des accords avec des fournisseurs de livres numériques, de musique, de films, de programmes télévisés ou d’autres contenus s’ils sont susceptibles d’augmenter les prix auxquels les distributeurs concurrents d’Apple pourraient vendre ces contenus ». C’est la première fois que la justice américaine souhaite que des mesures soient prises à l’encontre d’Apple quels que soient les contenus numériques concernés. C’est ainsi tout l’écosystème App Store
et iTunes qui se retrouvent dans le collimateur. Mais la juge de New York, Denise Cote, est opposé à cet élargissement.
En revanche, elle est d’accord sur la proposition du DoJ de nommer un expert indépendant pour s’assurer que les obligations antitrust imposées à Apple soient suffisantes pour détecter les pratiques anti-concurrentielles avant qu’elles ne pénalisent les consommateurs.
Depuis que le tribunal de New York a accusé le 10 juillet dernier la firme de Cuppertino d’entente illicite sur les prix des livres numériques (1), le soupçon d’étend désormais à tous les contenus. Le DoJ demande l’annulation des contrats avec les éditeurs concernés par cette entente (2) et l’interdiction pendant cinq ans de signer de nouveaux contrats qui pénaliseraient la concurrence sur les prix. « Apple doit aussi pendant deux ans permettre à d’autres distributeurs comme Amazon et Barnes & Noble de proposer des liens de leurs applications ebooks vers leurs propres boutiques en ligne de livres numérique, afin que les consommateurs puissent acheter et lire des ebooks sur leur iPad et iPhone en comparant facilement les prix d’Apple avec ceux des concurrents », préconise la justice américaine. Apple a déjà indiqué qu’il ferait appel du verdict à venir. Si sa condamnation devait être confirmée, même sans sanction financière, la marque
à la pomme risque de faire l’objet d’une class action de consommateurs lésés. En Europe, la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence en France (lire Juridique p. 8 et 9) s’interrogent sur les pratiques de l’App Store d’Apple. @