… et un autre 2 milliards pour les « e- contenus »

En fait. Le 20 novembre, le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, a demandé que 753 millions d’euros du grand emprunt
soient consacrés à la numérisation des biens culturels (films, créations audiovisuelles…).
Les contenus numériques « innovants » se partageraient le reste des 2 milliards.

En clair. Répartir ce deuxième fonds « numérique » de 2 milliards entre « l’ancien » et
« le nouveau », en termes de contenus et services à soutenir, ne sera pas une mince affaire. La commission Rocard-Juppé propose de « financer des projets partenariaux publics-privés de recherche et de démonstration visant la conception de logiciels, d’usages et de contenus numériques innovants dans tous les domaines, en premier lieu dans les réseaux intelligents (électriques et de transport), mais aussi dans le télétravail,
la télémédecine, l’e-santé, l’e-administration, l’e-éducation, l’e-justice, la numérisation des contenus culturels… en s’appuyant au besoin sur le développement d’infrastructures partagées (cloud computing (1), super-calculateurs…) ». Pour les deux anciens Premiers ministres, les infrastructures numériques de très haut débit (voir ci-dessous) sont nécessaires pour permettre le développement de services à forte valeur ajoutée pour les ménages et pour les entreprises (télétravail, télémédecine, …).
« La demande en débit est multipliée par deux tous les 18 mois, elle devrait atteindre 100 Mbit/s vers 2013. (…) La France a accumulé du retard sur les systèmes d’exploitation et le hardware (ordinateurs, serveurs, stockage). Elle ne doit pas passer
à côté des prochains », prévient leur rapport. D’autant que les contenus et services numériques, qui représentent 60 % des investissements du secteur, enregistrent
une croissance annuelle de 20 %. Cette deuxième enveloppe de 2 milliards fera l’objet de la création du Fonds de numérisation de la société, géré là aussi par l’Agence pour le numérique. Les projets éligibles devront répondre à plusieurs conditions : « être innovants, avoir une taille critique suffisante, impliquer systématiquement des cofinancements privés, prévoir un retour économique direct. Ce à quoi s’ajoute une exigence de cofinancements privés et recherche de cofinancements européens ».
La secrétaire d’Etat Nathalie Kosciusko-Morizet, n’a pas attendu le grand emprunt pour débloquer dès le mois de mai 2009 une enveloppe de 50 millions d’euros (financements et commandes publiques) – dont 30 millions pour les « jeux sérieux » (serious games) développés pour des usages professionnels et 20 millions pour des projet dans le
« Web 2.0 ». @

Contenus numériques : risque de cannibalisation des offres traditionnelles

 l’occasion de la 31e édition des journées internationales de l’Idate, « Digiworld Summit » des 18 et 19 novembre à Montpellier, son directeur général adjoint,
Gilles Fontaine, 
explique à Edition Multimédi@ les effets de la migration des contenus vers Internet.

La bataille des contenus numériques est engagée. Mais comment évolue réellement aujourd’hui le marché mondial des contenus numériques et des médias par rapport
aux tuyaux qui régentaient quasiment seuls Internet ces dernières années ? C’est ce que nous avons demandé à Gille Fontaine, le directeur général adjoint de l’Idate (1).
« Il n’est pas certain que le poids relatif des contenus dans le marché global de la communication électronique doive progresser », répond-t-il. Pour l’heure, le marché
des contenus – de l’ordre de 200 milliards d’euros au niveau mondial – représente 70 % de celui des services télécoms. « Moins de 6 % de ce marché provient de la distribution sur Internet, avec des écarts très significatifs selon les segments : 15 % pour la musique ou moins de 1% pour le livre », précise-t-il.

La crise de la publicité
Pour expliquer cette possible non-progression, il avance trois raisons. Premièrement,
la migration des contenus vers Internet se traduit par une destruction de valeur, au moins en ce qui concerne les recettes publicitaires. Deuxièmement, le maillon-clé
de la chaîne de valeur semble se déplacer vers les terminaux, dont le poids devrait s’accroître. Troisièmement, les opérateurs télécoms disposent de réserves de croissance comme fournisseur de services de communication avancés, en B2C
comme en B2B. La publicité illustre ce manque à gagner provoqué par cette migration vers le numérique. « Le marché publicitaire connaît une crise qui n’est pas seulement conjoncturelle mais structurelle.
La multiplication des supports de publicité sur Internet se traduit mécaniquement par une augmentation de l’offre et donc une baisse des tarifs dont les effets perdureront à long terme. Ceux qui en bénéficient réellement sont les annonceurs », explique Gilles Fontaine. Reste à savoir si la crise mondiale de la publicité peut menacer les industries culturelles et les médias dans leur quête de nouveaux modèles économiques et de partage de la valeur avec les réseaux. « Le défi des industries de contenu est la mise en place d’offres légales, mais qui, même si elles s’avèrent un succès, cannibaliseront le marché traditionnel avec une rentabilité bien moindre. C’est sans doute ce qui explique la lenteur de la mise en place de ces nouvelles offres », poursuit-il. Cannibalisation et dévalorisation sont les deux risques que craignent les producteurs
de musique et de cinéma, quitte à ralentir la mise à disposition de leur catalogue (2).
La musique en ligne, première impactée par le piratage sur Internet, n’a-t-elle pas privilégié la bataille judiciaire au détriment du développement d’une offre légale ?
La “délinéarisation” de la télévision et de la radio remette en question les modèles traditionnels de groupes de médias historiques et traditionnels. Par exemple, pour
la télévision, l’Idate privilégie le scénario “My Web Video” induit par une migration télévisuelle vers le Net d’ici à 2020.
« La combinaison d’une meilleure qualité de service sur l’Internet ouvert, de la possibilité de connecter aisément le téléviseur à Internet, la volonté de certains groupes de contenus de proposer des programmes de qualité sur le Web, l’apparition de plateformes de distribution créent, tout cela crée les conditions d’une migration de l’industrie de l’audiovisuel vers Internet », explique Gilles Fontaine (voir aussi le Focus ci-dessous). Selon lui, le succès de la télévision de rattrapage montre la capacité des grandes chaînes de développer de nouveaux services et d’évoluer vers des portails vidéos. « Mais, pour réussir cette stratégie, elles doivent prendre garde à leur contournement possible par leurs fournisseurs, les producteurs de programmes et
donc s’installer le plus vite possible sur le Net, au risque, là encore, de cannibaliser leurs marchés traditionnels ». @

FOCUS

« Prioritiser les flux ne met pas fin à la neutralité du Net »
Si le PAF – paysage audiovisuel français – débarque massivement sur le Web, le “réseau des réseaux” pourra-t-il supporter longtemps la montée en charge de la vidéo, de la télévision et de la radio et tous les flux multimédias ? « Le développement de
la vidéo sur Internet va créer des goulets d’étranglement, prévient Gilles Fontaine, directeur général adjoint de l’Idate. Et les opérateurs télécoms peuvent hésiter,
à juste titre, à consentir des investissements qui profiteraient seulement aux acteurs en amont (les éditeurs de services et de contenus) et en aval (les fabricants de terminaux) des réseaux ».
L’une des approches possibles : “Prioriser” les flux. Ce qui, selon lui, « n’implique
pas nécessairement la fin de la Net Neutrality ». D’autant qu’ « identifier les flux, notamment liés au piratage, n’irait probablement pas contre les attentes de l’industrie des contenus ».