La nouvelle loi « militaire » relance le débat entre sécurité renforcée et liberté sur Internet

La loi de programmation militaire, promulguée le 19 décembre 2013 sans avis
de la Cnil, élargit considérablement – voire trop – le périmètre d’accès aux données numériques. Mais les interceptions des communications sur les réseaux, par les autorités publiques et judiciaires, ne datent pas d’hier.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

L’article 20 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire (LPM (1)) intitulé « Accès administratif aux données de connexion » a, à lui seul, suscité une polémique largement relayée par les médias et les réseaux. Selon eux, cet article – qui prendra effet à compter du 1er janvier 2015, en élargissant le régime et les modalités d’accès des services de renseignement de l’Etat aux informations ou documents ainsi qu’aux données de connexion et de géolocalisation – instituerait un contrôle des pouvoirs publics sans précédent, augmentant ainsi les risques d’atteintes aux libertés individuelles.

Concentration des télécoms : pas une bonne nouvelle

En fait. Le 5 mars à 20 heures était la limite fixée par Vivendi à laquelle les
candidats au rachat de sa filiale SFR devaient présenter une offre préliminaire. Altice (Numericable) et le groupe Bouygues (Bouygues Telecom) sont officiellement en lice. SFR vaudrait entre plus de 10 et 15 milliards d’euros.

En clair. C’est le retour annoncé de l’oligopole ! La France a mis en place au cours
des quinze dernières années une concurrence dans les télécoms, après avoir aboli le monopole d’Etat de France Télécom. Et voilà que le marché s’apprête à détricoter, en deux temps trois mouvements, ce que les pouvoirs publics – gouvernements successifs et les régulateurs, l’Arcep et l’Autorité de la concurrence – ont élaboré depuis 1er janvier 1998 (date officielle de l’ouverture du marché français de la téléphonie à la concurrence). La fusion absorption de SFR avec Numericable ou Bouygues Telecom
– la holding Altice et le groupe Bouygues étant les deux candidats officiels – serait un mauvais signal pour les consommateurs qui bénéficient depuis le début des années 2000 de tarifs attractifs dans le fixe (autour des fameux 29,90 euros par mois). De plus, depuis l’arrivée de Free Mobile début 2012, les tarifs mobiles sont à leur tour devenus
« meilleur marché ». Mais depuis quelques temps, les opérateurs télécoms historiques (Orange, SFR, Bouygues Telecom) se plaignent du « trop de concurrence » que leur imposerait l’Arcep et la Commission européenne accusées de mener une politique
« consumériste ».

L’Icann : 15 ans de règne américain sur l’Internet

En fait. Le 18 novembre, l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l’organisme américain qui coordonne la gestion des adresses IP et des noms de domaine sur Internet, a annoncé la constitution d’un groupe de réflexion sur l’avenir de la gouvernance du réseau des réseaux.

En clair. Une nouvelle gouvernance d’Internet, plus internationale et moins américaine, pourrait voir prochainement le jour. Mais l’Icann, organisation de droit californien sans but lucratif née en septembre 1998, tente de garder la main sur la régulation du Net face aux critiques qui lui sont de plus en plus adressées. C’est l’Icann qui autorise par exemple VeriSign ou l’Afnic à vendre respectivement les noms de domaines « .com» et « .fr ». Basé à Playa Vista en Californie, l’Icann a décidé de créer « un groupe de réflexion
de haut niveau » (1) avec plusieurs parties prenantes (pouvoirs publics, société civile, secteur privé, communauté technologique et organismes internationaux) pour préparer
« l’avenir de la coopération internationale pour Internet ».
La première réunion du groupe, présidé par le président estonien Toomas Ilves et vice-présidé par Vinton Cerf, cofondateur d’Internet (avec le Français Louis Pouzin) et vice-président de Google, se tiendra les 12 et 13 décembre prochains à Londres, pour
ensuite rendre un rapport début 2014. Il s’agit pour l’Icann de donner des gages sur
des « principes d’une coopération mondiale pour Internet ».

L’enquête de Bruxelles plane sur Numericable coté

En fait. Le 8 novembre, l’action Numericable à 24,80 euros (au prix fort) a réussi son départ à la Bourse de Paris en gagnant près de 15 % au cours de cette première journée. Ce qui valorise le câblo-opérateur 3,5 milliards d’euros, lui permettant de lever plus de 650 millions d’euros pour se désendetter.

En clair. On est loin du bond de 92 % enregistré la veille à New York par l’action de Twitter le premier jour de cotation, mais quand même ! Si Numericable fait bonne figure malgré ses 2,75 milliards d’euros d’endettement (1) et la tendance baissière après la dégradation le jour même de la note souveraine de la France (2), c’est que les actionnaires du câblo-opérateur espèrent une fusion avec le groupe SFR l’an prochain lors de l’introduction en Bourse de ce dernier à la fin du premier semestre 2014. A moins que Bouygues Telecom ne se décide à lancer une offre sur Numericable… Quoi qu’il en soit, cet état de grâce, auquel contribuent Vodafone et Liberty Global qui s’emparent de deux autres câblo-opérateurs européens (respectivement Kabel Deutschland pour 7,7 milliards d’euros et Virgin Media pour 17 milliards), pourrait ne pas faire long feu. Une épée de Damoclès est en effet au-dessus de la holding Ypso du câblo-opérateur que détiennent les fonds Altice du fondateur Patrick Drahi (30 % contre 24 % avant l’introduction), Carlyle (26 % contre 37,5 %) et Cinven (18 % contre 37,5 %), le flottant étant à ce stade de 24 %.

La culture pèse presque autant que les télécoms

En fait. Le 7 novembre, France Créative – soit treize organisations professionnelles représentant neuf industries culturelles (musique, cinéma, presse, livre, jeux vidéo, arts graphiques et plastiques, spectacle vivant, télévision, radio) – et EY (ex-Ernst & Young) publient leur 1er Panorama économique.

En clair. Ce premier « Panorama économique des industries culturelles et créatives »
a été commandé par le collectif France Créative (1) auprès du cabinet d’études EY et réalisé sous le haut patronage de François Hollande. A ce titre, l’étude a été présentée
à l’Elysée et à Matignon. Elle a le mérite de démontrer que la culture et la création sont devenues des « industries » à part entière. Les neuf analysées pèsent ensemble 61,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires direct sur l’année 2011 considérée, soit presque autant que l’industrie des télécoms et ses 62,2 milliards. Bien que l’étude ne s’y attarde pas, cette comparaison est plutôt saisissante dans la mesure où elle révèle que ces
deux grandes industries – culture et télécoms – sont deux géants économiques de tailles comparables. Mais si elles se regardent en chiens de faïence, c’est que le numérique a quelque peu bouleversé leurs modèles économiques respectifs sur le mode de destruction créatrice.
Ce premier panorama de France Créative confirme, si besoin était, que les industries culturelles ne sont pas le Petit Poucet menacé par l’ogre des télécoms. L’économie numérique est loin d’avoir spolié les industries culturelles. « Les nouvelles formes de création et de distribution de biens et services culturels constituent des relais de croissance importants pour les industries culturelles et créatives françaises », constate l’étude. Rien ne dit qu’il y a ou pas transfert de valeur entre les industries culturelles et
les télécoms, alors que le Snep et l’UPFI estiment « nécessaire de rééquilibrer le partage de la valeur » (lire page 3).
Dans leur avant-propos, les cinq dirigeants (2) de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et de compositeurs (Cisac), comme la Sacem en France, préviennent : « Tout recul [de l’Europe] sur le soutien à la diversité culturelle, sur le combat pour la juste rémunération des créateurs et des artistes, sur les questions de partage de la valeur, aurait un impact direct et défavorable sur les millions de créateurs » (3). Avec Universal Music (Vivendi), Hachette (Lagardère), TF1 (Bouygues), Ubisoft ou Deezer, la France a ses grands acteurs. Reste que l’étude d’EY est quelque peu biaisée car elle considère comme « chiffre d’affaires » les subventions, dont bénéficient certaines industries culturelles en France. Dans ce cas, les télécoms ne peuvent plus soutenir la comparaison. @