Le transfert de valeur des télécommunications traditionnelles vers l’Internet s’accélère

Les services Internet, dont les revenus devraient atteindre 400 milliards d’euros en 2017 grâce à une croissance annuelle à deux chiffres, n’ont pas fini de donner du souci aux secteurs historiques des télécoms, de l’informatique et de la télévision, où la croissance se le dispute au déclin.

Dans trois ans, les services Internet pèseront 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial grâce à une croissance d’environ… 20 % par an ! Vous avez dit « crise économique » ?
En 2017, les revenus générés par cette nouvelle économie numérique – basée sur l’intermédiation en ligne (moteurs de recherche, publicité en ligne, commerce électronique, …) ou l’agrégation de contenus (vidéo en partage ou à la demande, boutiques d’applications, médias numériques, …) – représenteront ainsi pour la première fois 10 % du poids cumulé des industries télécoms, informatiques et télévision dites « historiques ».
Découplage entre réseaux et services
C’est ce qui ressort de l’étude annuelle DigiWorld Yearbook 2014 de l’Idate. Alors que
ces services Internet ont franchi l’an dernier la barre des 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires (voir tableau ci-contre), soit 6,3 % du total, c’est donc à un doublement de ces nouveaux revenus numériques auquel le monde doit s’attendre dans les trois ans qui viennent. Un véritable pied-de-nez à la morosité ambiante. Les réseaux sociaux, les applications mobiles et la vidéo en ligne sont les segments du Net les plus dynamiques, avec des croissances records situées entre 30 % et 50 % par an ! Ce tiercé gagnant
est suivi de près par le cloud, les moteurs de recherche et le e-commerce (1).
« La très grande majorité des acteurs de ces nouveaux marchés sont américains, et cinq parmi les premiers (GAFAM, pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) pèsent pour plus de la moitié des revenus globaux », relève Didier Pouillot (photo), directeur (2) à l’Idate. L’Amérique du Nord reste aussi la région la plus productive en termes de revenus OTT (3) par internaute, avec près de 271 euros par internaute en 2013 contre 215 en Asie-Pacifique (avec des acteurs aux ambitions internationales comme Alibaba, Sina, Baidu, Tencent, Rakuten, …) et 123 en Europe (où les champions européens du Net font défaut). « L’e-commerce et les moteurs de recherche sont les “vaches à lait” de l’Internet, des segments majeurs mais avec une forte maturité et donc des taux de croissance. Le cloud computing – déjà le plus gros marché Internet – reste en revanche une véritable locomotive. Les perspectives restent également très positives pour les applications et contenus mobiles », ajoute Vincent Bonneau (4). Et ce dynamisme exceptionnel, malgré « un léger ralentissement à… 16 % » prévu par l’Idate, se fera en partie au détriment des secteurs traditionnels qui voient augmenter sur eux la pression venant de ces « nouveaux entrants ». D’autant que, à côté de ce nouvel eldorado du Net, les acteurs traditionnels des télécoms, de l’informatique et de la télévision voient leur croissance annuelle à la peine autour de 3 %. « La téléphonie fixe poursuit depuis 2002 un déclin inéluctable, par des effets de substitution (fixe vers mobile) ou de transfert (vers l’IP via la VoIP et l’IM (5)). La généralisation de l’Internet contribue à favoriser des offres concurrentes de services télécoms par les réseaux sociaux et les acteurs OTT, qui captent de plus en plus de valeur », souligne l’institut d’études. Le marché mondial des services télécoms, qui a généré 1.187 milliards d’euros en 2013 (dont 60 % issus des services mobiles), est désormais le terrain de jeu des acteurs de l’Internet qui poussent de plus en plus à un découplage entre réseaux d’accès et offre de services. A cela s’ajoute une régulation européenne plus favorable jusque-là aux consommateurs qu’aux opérateurs télécoms (6). @

Charles de Laubier

NETmundial : plus de divergences que de gouvernance

En fait. Les 23 et 24 avril, s’est tenu à Sao Paulo le NETmundial organisé par la présidente du Brésil, Dilma Roussef, sur l’avenir multipartite de la gouvernance de l’Internet, lequel ne soit plus dépendre des Etats-Unis via l’ICANN (dont les statuts doivent changer). Mais les divergences demeurent.

En clair. Le NETmundial était la première conférence mondiale sur la gouvernance de l’Internet. Dans la résolution publiée à la fin de ces deux journées (1), les participants
(180 contributions) ont émis des recommandations sur des principes de gouvernance multipartite du Net et une feuille de route fixant leur mise en oeuvre « d’ici la fin 2015 ». Mais plusieurs points ont été malheureusement renvoyés à des discussions ultérieures.
Il en va ainsi de l’attribution des rôles et responsabilités des parties prenantes dans la future gouvernance du Net, y compris sur la notion de « pied d’égalité ».
C’était pourtant une exigence de la présidente brésilienne, Dilma Roussef : « J’attache beaucoup d’importance à la perspective multilatérale, selon laquelle la participation [à
la gouvernance d’Internet] devrait se faire sur un pied d’égalité entre les gouvernements
de façon à s’assurer qu’aucun pays n’aura ou portera un poids plus grand par rapport
à d’autres pays », avait-elle déclaré dans son discours d’ouverture.
Autre point d’importance renvoyé à plus tard : la question de la juridiction dont relèvera tout ce qui touche à la gouvernance d’Internet, notamment en matière de cybersécurité, d’atteinte à la vie privée ou de cybercrime. La résolution renvoie aussi à l’après-NETmundial la manière de contrôler la mise en pratique des principes de gouvernance
de l’Internet, à travers du benchmarking et d’indicateurs.

Mais c’est surtout sur le principe de la « Net Neutrality » que la résolution multipartite
du 24 avril déçoit. Non seulement la version finale de ce texte n’évoque plus la non-discrimination sur le réseau des réseaux (2), mais en plus le principe de neutralité d’Internet est évacué lui aussi. « Il y a eu des discussions productives et importantes
sur la neutralité du Net, avec des divergences de vues sur savoir s’il faut l’inclure ou
pas comme principe au final », lit-on dans la résolution demandant à ce que ce point soit inscrit à l’ordre du jour du prochain Forum de la gouvernance de l’Internet (IGF) :
« Il est important que nous continuons la discussion sur un Internet ouvert et sur la façon de permettre cette liberté d’expression, de concurrence, de choix des consommateurs, de transparence significative, et de gestion approprié du réseau ».
En revanche, les droits d’auteurs et des créateurs sont bien pris en compte, eux,
dans la résolution. @

Neutralité du Net : un règlement européen suffisant ?

En fait. Le 7 avril, le Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste) s’est « réjouit des orientations adoptées par le Parlement européen en faveur d’un Internet libre et ouvert », après le vote en première lecture du projet
de règlement Marché unique européen des télécoms.

En clair. Ce projet de règlement européen, adopté le 3 avril en première lecture par les eurodéputés consacre explicitement – et pour la première fois – la « neutralité d’Internet » dans un texte législatif qui la définit comme « le principe selon lequel l’ensemble du trafic Internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil,
du service ou de l’application ». Mais le règlement entérine dans le même temps les pratiques des opérateurs télécoms et des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en termes de « gestion de trafic » en cas de « congestion du réseau » et dans des
« circonstances exceptionnelles » (décision de justice, sûreté du réseau, congestion
de trafic, …), ou de « services spécialisés » tels que la diffusion audiovisuelle de type IPTV (1), les services de vidéoconférence ou les applications de e-santé, voire des communications M2M (2).

Est-ce la porte ouverte à toutes les dérives et l’amorce d’un Internet à deux vitesses ?
Le projet de règlement tente de rassurer : « Ces services ne sont proposés que si la capacité du réseau est suffisante pour les fournir en plus des services d’accès à Internet et s’ils ne portent pas atteinte à la disponibilité ou à la qualité des services d’accès à Internet. Les fournisseurs proposant un accès à Internet aux utilisateurs finaux n’opèrent pas de discrimination entre des services et applications fonctionnellement ». Il faut espérer, comme le Geste, que ces garde-fous seront suffisants pour éviter tout abus (discrimination, restriction ou interférence).
Après le vote du Parlement européen, le Conseil de l’UE devra adopter une position commune sur le texte proposé par la Commission européenne. Ensuite, une deuxième lecture commencera devant le Parlement européen élu en mai prochain, probablement
en 2015. « D’ici là, la Commission européenne aura changé. Beaucoup d’incertitudes donc pour ce texte controversé », ont prévenu Winston Maxwell et Nicolas Curien, respectivement avocat et économiste, dans un article publié dans Edition Multimédi@ (n°99, p. 8 et 9).
Quant au Geste, il estime que « l’extension du principe de neutralité d’Internet aux plates-formes constitue la prochaine étape ». Car la neutralité du Net s’arrête là où commencent les iTunes, Google Play, Amazon et autres walled gardens… @

SFR-Numericable et Bouygues face à Orange et Free

En fait. Le 7 avril, le directeur financier de Vivendi, Hervé Philippe, a indiqué – lors d’une conférence téléphonique pour les analyses – que la cession de SFR à Altice-Numericable sera clôturée fin 2014, voire début 2015, si l’Autorité de la concurrence prend plus de temps pour rendre sa décision.

En clair. Un oligopole peut cacher une hydre à trois têtes… C’est en effet la crainte de Xavier Niel, le fondateur de Free et actionnaire majoritaire, qui de son côté n’exclut pas par ailleurs de s’emparer de Bouygues Telecom (1). « Si Altice rachetait SFR, on se retrouverait dans un scénario dans lequel Numericable, SFR et Bouygues Telecom – grâce à l’accord de mutualisation entre les deux derniers – feraient une seule et même entité », avait-il alerté dès le 10 mars.
C’est en effet le 28 février de cette année que SFR et Bouygues Telecom ont annoncé
un accord de mutualisation d’une partie de leurs réseaux mobiles, via la création d’une coentreprise, afin de couvrir ensemble 57 % de la population française d’ici 2017.
Et cet accord SFR-Bouygues ne devrait pas être remis en question après la fusion SFR-Numericable, selon Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance de Vivendi (2) : « Bouygues Telecom demeure un partenaire sérieux avec lequel nous devons travailler et la cession de SFR n’est pas un motif de rupture du contrat de mutualisation », a-t-il déclaré le 7 avril dans une interview aux Echos. C’est ce que pense aussi Patrick Drahi, le patron d’Altice, lequel rappelle au passage qu’il n’y a pas seulement le récent accord de mutualisation mobile SFR-Bouygues Telecom mais aussi les engagements
de décembre 2010 de coinvestissement dans les zones très denses pour le déploiement de la fibre optique en France. En outre, Bouygues Telecom s’appuie depuis 2009 sur le réseau câblé de Numericable, lequel est depuis 2010 MVNO sur le réseau de Bouygues Telecom. Ironie de l’histoire, c’est il y a exactement deux ans que SFR avait attaqué Bouygues Telecom devant le tribunal de commerce de Paris pour concurrence déloyale, lui reprochant d’utiliser le terme « fibre » pour désigner le câble.

Mais Free n’est pas le seul à s’inquiéter de l’imbrication entre SFR, Numericable et Bouygues Telecom. Orange est aussi préoccupé comme l’a manifesté Stéphane Richard, son PDG, le 14 mars : « Le rapprochement SFR-Numericable pourrait créer une position concurrentielle déséquilibrée (…) sur le mobile, le fixe et les contenus ». C’est en effet aussi sur les contenus – notamment la distribution de chaînes de télévision – que l’Autorité de la concurrence devra être vigilante. Par exemple, Numericable bénéficie pour sa box de 40 à 80 chaînes (selon le forfait) « en exclusivité partagée avec CanalSat ». @

Réseaux de chaînes : le PAM de YouTube et Dailymotion

En fait. Le 25 mars, Disney annonce l’achat de Maker Studios, diffuseur de quatre réseaux de 55.000 chaînes de vidéos diffusées sur YouTube et Dailymotion, pour
un montant de 500 à 950 millions de dollars selon des objectifs de performances. Canal+ (Vivendi) et Webedia (Fimalac) s’intéressent aussi aux MCN.

En clair. Les Multi-Channel Networks (MCN) s’imposent dans le paysage audiovisuel mondial (PAM) en revendiquant des audiences à faire pâlir les chaînes traditionnelles et séduire les annonceurs en quête d’audiences massives. Ces réseaux multi-chaînes, diffusés sur les grandes plates-formes de partage vidéo que sont YouTube (Google) et Dailymotion (Orange), se nomment par exemple Fullscreen, Machinima, Alloy, BigFrame ou encore Maker Studios.
C’est sur ce dernier, start-up créée en 2006, que Disney vient de jeter son dévolu en prévoyant de débourser pas moins d’un demi milliard de dollars. Ce ticket d’entrée élevé pour le monde émergent des MCN, illustre l’intérêt grandissant que suscite l’audiovisuel en ligne. Maker Studios (1) revendique 55.000 chaînes de vidéos courtes diffusées sur YouTube et Dailymotion via quatre réseaux thématiques (homme, femme, famille et divertissement), lesquels totalisent 380 millions d’abonnés et 5,5 milliards de vues par mois. Avec cette audience, ce nouveau network américain rivalise avec des chaînes classiques aussi renommée que Nickelodeon (Viacom). «La vidéo en ligne au format court croît à une allure stupéfiante », s’est félicité Robert Iger, PDG du groupe Walt Disney. Le groupe Canal+, qui détient une participation minoritaire (5 %) dans Maker Studios, s’est lui aussi positionné sur le marché des MCN en rachetant début mars la start-up française Studio Bagel diffusant plus d’une vingtaine de chaînes sur YouTube pour plus de 6 millions d’abonnés pour plus de 40 millions de vidéos vues par mois. La chaîne payante du groupe Vivendi, qui a lancé en 2013 un réseau multi-chaînes baptisé CanalFactory revendiquant aujourd’hui plus de 4 millions de vidéos vues par mois avec une vingtaine de chaînes là aussi, s’est dotée en janvier dernier d’une division OTT (Over-The- Top) pour se développer sur Internet et monétiser par la publicité ces nouvelles audiences.
De son côté, le groupe Webedia – détenu par Fimalac (2) – s’est offert en février un autre français du MCN : Melberries, diffusant ses chaînes sur YouTube, Dailymotion ou encore Wat.tv (TF1) et Orange (propriétaire de Dailymotion). Selon Comscore, le nombre de visiteurs unique de Google (essentiellement YouTube) et de Dailymotion en France sur
le mois de février était de respectivement 33,962 millions et 17,714 millions. @