Les internautes français pirateraient autant, voire plus de films que de musiques

Le cinéma serait plus impacté que la musique par le piratage. C’est ce que l’on peut déduire de la précision apportée à Edition Multimédi@ par Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi, à propos des 340 multi-récidivistes.

Par charles de Laubier

« Un tiers des dossiers concerne le piratage de musiques uniquement ; un deuxième tiers porte sur des films/séries/spectacles vivants/concerts seulement, et un dernier tiers sur les deux à la fois (musiques et vidéos) », nous a indiqué Mireille Imbert Quaretta (notre photo), présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi. Cette répartition, qu’elle n’avait pas indiquée publiquement lors de la présentation chiffrée des « deux ans de réponse graduée » le 5 septembre, a été constatée sur l’ensemble des dossiers traités. Ces trois tiers portent ainsi non seulement sur ceux des 340 multi-récidivites – dont
14 ont été déférés au parquet au 1er juillet (« d’autres ont été transmis depuis », a-telle précisé) –, mais aussi globalement sur les 1.150.000 abonnés à Internet qui ont reçu
au cours de ces deux ans un premier avertissement par e-mail et a fortiori les 100.000 d’entre eux destinataires d’un deuxième avertissement (1).

Pourtant, la musique est quatre fois plus « défendue »
C’est la première fois que l’Hadopi donne une indication sur la répartition entre les œuvres faisant l’objet de téléchargements illicites sur les réseaux peer-to-peer, dans
le cadre de la réponse graduée. « Il n’y a pas de répartition plus précise que celle que Mireille Imbert Quaretta vous a indiquée », nous a assuré un porte-parole de l’Hadopi.A défaut, Edition Multimédi@ part de l’hypothèse que les œuvres du dernier tiers (ceux qui ont piraté musiques et films à la fois) se répartissent grosso modo à parts égales entre les deux premiers tiers. Résultat : contre toute attente, la CPD a eu affaire à autant de cyber-pirates de musiques et de cyber-pirates de films. Pourtant, des cinq organisations d’ayants droits auxquelles a affaire la CPD depuis le début, celles de
la musique – Sacem (2), SDRM (3), SCPP (4), SPPF (5) – sont quatre fois plus nombreuses que la seule Alpa (6) pour l’audiovisuel et le cinéma. Il est donc possible d’en déduire que – proportionnellement – les œuvres cinématographiques et/audiovisuelles sont plus piratées que ne le sont les œuvres musicales. L’Hadopi,
à qui Edition Multimédi@ a fait part de cette déduction, n’est pas en mesure de la confirmer mais ne la conteste pas non plus…

L’Alpa, présidée par Nicolas Seydoux, en première ligne
Alors que tous les débats autours des lois Hadopi de 2009 et que la « riposte graduée » avait été d’abord mise en oeuvre pour la musique en ligne, première industrie culturelle à être victime de piratage, le cinéma à la demande apparaît finalement au bout de
deux ans de CPD autant impacté – si ce n’est le plus touché – par le piratage avec l’audiovisuel. Et ce n’est pas faute d’avoir eu les cinq organisations sur les mêmes starting-blocks ! En effet, après avoir déposé en avril 2010 leurs dossiers respectifs auprès de la Cnil pour demander l’autorisation de collecter via la société nantaise TMG les adresses IP des internautes présumés pirates (7), les cinq organisations ont obtenu chacune le même feu vert en juin 2010 (8) : les cinq délibérations de la Cnil fixent un plafond de 25.000 constats par jour pour chacune des cinq autorisations. Cela représente un potentiellement de 125.000 saisines quotidiennement ! Ce que le secrétaire général de l’Hadopi, Eric Walter, avait confirmé à Edition Multimédi@ (n°18).
Bien que les cinq organisations soient parties en même temps et sur un même pied d’égalité, c’est en fin de compte l’Alpa qui aurait fait remonter auprès de la CPD le plus d’adresses IP à l’origine de piratage de films et/ou de vidéos. Sans doute pas parce que l’association – créée il y a plus de 25 ans et présidée depuis maintenant dix ans par le producteur de films Nicolas Seydoux, patron de la major du cinéma Gaumont – ait été plus efficace que les quatre organisations de la filière musicale, mais probablement plus en raison d’un nombre supérieur d’actes de piratages de films que de musiques sur les réseaux peerto- peer. Et ce, malgré la diminution de l’usage du P2P en France en 2011 si l’on en croit Nielsen, Médiamétrie- Netratings ou encore Peer Media Technologies. L’Alpa a même constaté une baisse d’environ 66 % au cours de l’an dernier des mises à disposition illicites de films sur les réseaux P2P.

Catalogues : l’offre de VOD laisse encore à désirer
Edition Multimédi@, faute d’avoir obtenu de réponse des cinq organisations d’ayants droits sur cette prédominance de films et/vidéos dans le piratage sur Internet en France, avance une explication : la filière musicale a probablement réussi à enrayer
en partie le piratage de ses œuvres en favorisant le développement de plates-formes légales aux catalogues de plus en plus fournis, ce que tardent à encourager les producteurs de cinéma vis-à-vis des offres de vidéo à la demande (VOD, SVOD).
En conséquence, le cinéma français risque aujourd’hui de faire les mêmes erreurs
que la musique hier. @

 

Trident Media Guard (TMG) est prêt pour le streaming et se déploie à l’international

La société nantaise TMG va fêter ses dix ans en mars 2012. Même si la surveillance des réseaux peer-to-peer l’a fait connaître, elle revendique aussi
une expertise sur le streaming. Mais ses ambitions ne se limitent pas à la France. Il y a aussi les Etats-Unis et la Grande Bretagne.

Même si elle fait surtout parler d’elle en France dans
le cadre de la réponse graduée de l’Hadopi, la société nantaise Trident Media Guard (TMG) a aussi de grandes ambitions internationales. Contacté par Edition Multimédi@, le PDG cofondateur Alain Guislain (notre photo) joue la discrétion : « TMG est présent à l’internationale mais nous ne souhaitons pas communiquer sur notre expansion à l’étranger ». TMG, qui fournit aux cinq organisations de la musique (Sacem (1)/SDRM (2), SCPP (3) et SPPF (4)) et du cinéma (Alpa (5)) les adresses IP des internautes présumés pirates, reste ainsi fidèle aux engagements de confidentialité qui la lie à ses clients.

Brevet publié en juillet au Etats-Unis
« Pour lutter efficacement contre le piratage une coopération internationale est souhaitable. Cette coopération existe d’ailleurs au sein des ayants droits », nous indique néanmoins Alain Guislain. Comme le piratage n’a pas de frontières, TMG est condamné à s’internationaliser. « Aujourd’hui, TMG est présent en Europe et aux Etats-Unis. (…) Notre plateforme est utilisée au niveau global grâce à notre infrastructure mondiale. Cela permet d’avoir la présence d’un réseau constant dans toutes les régions, et plus particulièrement en Europe, aux Etats-Unis et en Asie », peut-on lire
sur le site web minimaliste de TMG. Les Etats-Unis et la Grande- Bretagne sont ses deux premiers pays de conquête. Outre-Atlantique, TMG peut se féliciter : son brevet technologique de surveillance des réseaux peer-to-peer a enfin été publié – le 12 juillet dernier (6) – par le Bureau des brevets et des marques des Etats-Unis (USPTO) – soit quatre ans après avoir déposé. Les trois inventeurs du procédé anti-piratage – Alain Guislain, l’informaticien Bastien Casalta (directeur technique) et l’ingénieur télécoms Rouibia Soufiane (responsable R&D) – avaient enregistré leur dossier en juillet 2007. Cette reconnaissance américaine arrive à point puisque c’est le 7 juillet que les principaux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) (7) ont annoncé le même jour un accord avec des associations d’auteurs, de producteurs de musiques (RIAA et A2IM) et de films (MPAA et IFTA) pour lutter contre le piratage sur Internet (8). La conquête de l’Ouest, Alain Guislain y pense depuis longtemps. « Nous voulons (…) développer le lobbying aux États- Unis où se trouvent les grands donneurs d’ordre », expliquait-il en 2009.
L’Europe n’est pas en reste. Il y a deux ans, TMG s’est implanté à Londres. La société Trident Media Guard UK LTD, que dirige Alain Guislain, a en effet été créée en octobre 2009. Le Royaume-Uni s’est aussi inspiré de la loi « Hadopi » en adoptant en avril 2010
le Digital Economy Act, assorti de sanctions pouvant aller également jusqu’à la coupure de l’accès Internet. TMG étend dans le même temps son expertise : après le peer-to-peer, le streaming et le direct download. « Les ayants droits souhaitent garantir leurs droits légitimes quel que soit le canal de diffusion utilisé. TMG possède un ensemble
de technologies afin de vérifier si des sites de streaming diffusent des œuvres sans l’autorisation de leurs auteurs. Les actions à prendre vis-à-vis de ces sites appartiennent aux ayants-droits », nous indique Alain Guislain. Et de préciser :
« Il y a une grande différence technique entre un réseau peer-to-peer et un site web [sur lequel s’appuie le direct download, ndlr]. Les techniques pour rechercher les œuvres contrefaites sont très différentes ». TMG travaille d’ailleurs, au sein du pôle de compétitivité Images & Réseaux, sur le projet baptisé P2PWeb qui consiste à combiner peer-to-peer et Web. Faut-il pour cela que la Sacem/SDRM, la SCPP, la SPPF et l’Alpa demandent de nouvelles autorisations à la CNIL (9) ? Réponse d’Alain Guislain : « Les actions prises par les ayants droits contre les sites contrefaisant sont ici d’ordre juridique et uniquement. La technique permet juste t’apporter la preuve de la contrefaçon. Aucune demande d’autorisation CNIL n’est nécessaire. En effet, il ne s’agit pas de données personnelles ».

Vers de nouvelles autorisations de la CNIL ?
Pourtant, contactée par Edition Multimédi@, la SCPP affirme le contraire. « Oui [il faudra de nouvelles autorisations de la CNIL]. Mais pas parce qu’il s’agit de streaming, mais parce qu’il s’agit a priori de protocoles non visés dans l’autorisation », nous répond Marc Guez, directeur général de la SCPP. A suivre. @