Eric Walter, Hadopi : « Nous nous apprêtons à recevoir les premières saisines des ayants droits »

Alors que les premières plaintes des ayants droits de la musique et du cinéma sont attendues avant fin juillet par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et pour la protection des droits sur Internet (Hadopi), son secrétaire général n’exclut pas l’envoi des premiers avertissements dès ce mois-ci.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Quand attendez-vous les premières adresses IP d’internautes de la part des industries de la musique et du cinéma, lesquelles ont prévu à terme un maximum de 125.000 constats par jour ?
Eric Walter (photo) :
La phase de tests d’interconnexion se termine, entre notre système d’information, celui du prestataire technique
TMG et ceux des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Nous allons pouvoir recevoir ces jours-ci les premières saisines de la part des ayants droit de la musique et du cinéma. Mécaniquement, l’envoi des premiers e-mails d’avertissement aux internautes interviendra après les premières saisines. Mais je ne peux pas vous dire s’ils partiront d’ici à fin juillet car la Commission de protection des droits (CPD) peut décider d’envoyer ou non un e-mail. A compter de la réception des saisines, nous avons deux mois pour envoyer les premiers e-mails (1).

EM@ : Le plafond des 125.000 laisse présager un afflux d’adresses IP. Y ferez-vous face ? E. W. : Les quatre organisations de la musique – SCPP, SPPF, Sacem et SDRM – prévoient 25.000 saisines par jour, il en est de même de l’ALPA avec 25.000 saisines pour le cinéma, soit 50.000 constats quotidiens. C’est la base sur laquelle nous
travaillons actuellement. Cependant, les cinq délibérations de la CNIL fixent un plafond
de 25.000 constats par jour pour chacune des cinq autorisations. Le nombre total de saisines provenant de la musique et du cinéma pourrait en effet potentiellement atteindre 125.000 par jour, et on peut imaginer une montée en charge. Nous sommes
à même de répondre à ce nombre important de façon graduée et de trois manières : une partie du traitement des saisines et des envois d’e-mails d’avertissement sera automatisée ; une autre sera semi-automatisée ; une troisième sera personnalisée.
En jouant sur ces trois clés, la CPD pourra, sans aucun problème, gérer ce que vous appelez « l’afflux d’adresses IP ».

EM@ : En dehors de la musique et du cinéma, quelles sont les autres industries culturelles susceptibles de saisir l’Hadopi ? La musique est-elle prioritaire ?
E. W. :
Dans la loi, il est question des œuvres et objets protégés par un droit de propriété intellectuelle. Sont donc concernés non seulement la musique et le cinéma, qui sont les plus avancés, mais aussi le jeu vidéo, le logiciel, le livre numérique, voire la presse en ligne. Les professionnels du jeu vidéo, réunis au sein du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir (SELL), nous ont manifesté leur intérêt et nous leur avons précisé que nous étions disposés à recevoir leurs saisines. Maintenant, c’est à eux de choisir leur prestataire technique. Dans le logiciel, nous n’avons pas encore de contact à ce stade. Pour le livre numérique, les discussions n’ont pas encore eu lieu mais pourraient se faire par exemple avec le Syndicat national de l’édition (SNE). Nous avions eu un tout premier contact à mon arrivée, en mars, à l’Hadopi. Concernant la presse en ligne, Franck Riester s’est exprimé il y a quelques mois. Ces différentes industries culturelles peuvent faire appel à l’Hadopi, qui n’a pas de priorité d’action, ni même en faveur de la musique.

EM@ : La CPD a-t-elle un effectif suffisant pour appliquer la « réponse graduée »
de l’Hadopi ? Quels seront sa politique et ses critères ?
E. W. :
Nous devrions être en septembre une quinzaine d’agents, y compris les trois membres de la CPD et leurs suppléants. Nous sommes en pleine phase de recrutement, pour atteindre 20 à 25 agents en fin d’année. La CDP se réunit chaque semaine pour donner son avis sur les recrutements. Nous menons actuellement 10 à 15 entretiens d’embauche par semaine.
Selon ses propres critères, la CPD s’assurera très en amont que la plainte est bien identifiée, non seulement par l’adresse mais aussi par les autres informations transmises (2). L’objectif de la réponse graduée est que la personne interrompe une activité problématique avant d’en arriver à ce que Mireille Imbert-Quaretta [présidente de la CPD, ndlr] a appelé « l’arme nucléaire », à savoir la transmission au parquet. La CPD a vraiment le souci de l’équilibre. Nous sommes sur le registre de la négligence caractérisée (3) et non pas sur l’accusation de téléchargement illégal. L’Hadopi n’accuse pas, elle informe.

EM@ : Si les ayants droits étaient déçus des « prestations » de l’Hadopi, ne craignez-vous pas qu’ils saisissent finalement directement la justice au pénal ?
E. W. :
Je n’ai pas l’impression que les ayants droits craignent d’être déçus. Nous avons la même impatience. Ils sont les premiers à identifier un effet psychologique
de la loi, avant même que la Haute autorité n’ait commencé à fonctionner. Les ayants droits savent parfaitement que, dans la loi Hadopi 2, il s’agit d’un processus pédagogique. L’objectif est que l’abonné soit conscient de ce qui se passe sur sa ligne et mette en oeuvre les moyens nécessaires pour éviter que cela ne se reproduise. Le but est de l’informer sur le risque si le juge le condamne (1.500 euros d’amende et un mois maximum de coupure de leur connexion). C’est l’idée d’une citoyenneté du Web : responsabiliser l’internaute, comme il exerce sa responsabilité dans la vie physique. Cela n’empêche pas les ayants droits d’engager de leur côté des procédures au pénal pour contrefaçon. Comme ce sont eux qui obtiennent la première information par le biais de la société TMG, il leur revient de choisir la procédure à suivre entre la négligence caractérisée et la contrefaçon.

EM@ : Avec combien de FAI l’Hadopi va-t-elle travailler ? Combien ont signé une convention d’interconnexion avec l’Hadopi ? Qui prend en charge les coûts ?
E. W. :
Le gouvernement étudie actuellement le recours à un arrêté pour fixer ces modalités d’interconnexion [entre les fichiers informatiques des organismes des ayants droits, l’Hadopi et les FAI, ndlr]. Le décret sur le traitement automatisé de données à caractère personnel [décret du 5 mars 2010, ndlr] prévoit en effet que les modalités de cette interconnexion entre les fichiers (4) doivent être précisées dans une convention entre ces acteurs ou, à défaut, par arrêté. La décision gouvernementale est attendue d’ici la fin du mois. Les FAI membres de la Fédération française des télécoms [Orange, SFR, Bouygues Telecom, Numéricâble, etc, ndlr] et Free travaillent à la mise en oeuvre des échanges. Tous les FAI sont tenus de coopérer. Concernant la prise en charge des
coûts d’identification, les FAI en discutent avec le ministère de la Culture et de la Communication. Si le gouvernement décidait une compensation et nous confiait la
charge de la verser aux FAI, nous le ferions.

EM@ : Où en est le recours devant le Conseil d’Etat ?
E. W. :
Concernant le recours devant le Conseil d’Etat contre le décret « Traitement automatisé des données » [saisine du 6 mai par FDN et la Quadrature du Net dénonçant le fait que l’Arcep n’ait pas été consultée, ndlr], la procédure est en cours. Nous attendons de voir ce que va dire le juge administratif. @