André Nicolas, Observatoire de la musique : « Il faut des indicateurs plus pertinents sur l’offre numérique »

Le responsable de l’Observatoire de la musique, créé il y a dix ans au sein de la Cité de la musique, explique à Edition Multimédi@ pourquoi le marché français de la musique en ligne manque d’analyses plus pertinentes. Un « comité professionnel » s’impose dès 2011. Explications.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Pourquoi l’Observatoire de la musique propose que soit créé un « comité professionnel pour le suivi du marché numérique » ?
André Nicolas :
L’Observatoire de la musique a déjà mis en place deux comités professionnels pour le suivi de la diversité musicale dans les médias. C’est ainsi que,
dès 2003 pour la radio et en 2008 pour la télévision, ces comités professionnels nous assistent dans la mise en place d’indicateurs pertinents, le suivi statistique de ces derniers, ainsi que dans l’exploitation de tableaux de bord qui permettent un suivi régulier de l’exposition de la musique dans les médias (1). Ces comités professionnels bénéficient par ailleurs, d’examens croisés, réalisés par l’Observatoire de la musique, centrés sur les artistes, sur les évolutions des marchés physiques et numériques, les investissements publicitaires du secteur des éditions musicales dans les médias et des performances d’exposition dans les médias (panel de 31 radios et de 17 télévisions). Compte tenu de la profonde mutation des marchés de la musique, la constitution d’un troisième comité professionnel pour suivre et analyser les évolutions du marché numérique est indispensable.
A l’évidence, il faut aborder dans sa dimension complète l’offre numérique qui dépend
des « outils » offerts (le web, les applications, le mobile, la TV connectée, les consoles
de jeux, …), des usages (rapport encore insatisfaisant entre une filière numérique et les communautés d’internautes), de l’offre légale et d’indicateurs plus précis de la consommation comme les ventes mais aussi une volumétrie de la consommation gratuite. Ce comité devrait se mettre en place dès 2011.

Le streaming perçu comme relais de croissance

En fait. Le 25 octobre, la Cité de la musique a publié le volet numérique de son Observatoire de la musique pour le premier semestre 2010. Cette sixième étude semestrielle montre une concentration du marché de la musique en ligne,
une croissance « chaotique » de celui-ci et un mouvement vers le streaming.

En clair. « L’attractivité et la généralisation du streaming, le développement des applications pour les smartphones et demain la télévision connectée, pourraient être
la clef première d’une stabilisation du modèle économique de la diffusion en ligne », avance l’Observatoire de la Cité de la musique (1) dirigé par André Nicolas. Son analyse est faite à partir d’une centaine de sites web en France, dont 19 de streaming : Musiline, Meemix, Musicovery, Lastfm, Pandora, Finetune, Deezer, Ilike, Tommy TV, Hulu, Faitilizer, MOG, Spotify, Mix DJ, Sevenload, MaestroFM, Qloud, Vuze et Jiwa repris par la société Digiteka. « Face au problématique ralentissement de l’économie musicale numérique, l’écoute en streaming constitue un espoir de relais de croissance sous une forme premium : cela traduirait un profond changement de comportement
de consommation en ligne du public vis-à-vis de la possession des fichiers, devenue accessoire par ses contraintes », explique-t-il. Le streaming musical à la demande augmente car il investit d’autres types de sites web comme les boutiques généralistes (Fnacmusic, Virginmega, AmazonMP3, Beezik, …).« L’accessibilité des contenus en streaming gratuit, payés par la publicité ou payant par abonnement à des offres premium, génèrent des actes d’achat en téléchargement à l’issue d’accords quadripartites, en BtoB, entre les labels, leurs distributeurs et/ou agrégateurs, les sites marchands et les éditeurs en ligne », analyse l’étude. En publiant en septembre les chiffres semestriels du marché français de la musique vu par les producteurs, le Snep (2) avait indiqué que les revenus provenant des abonnements et du streaming payant avait progressé de 16 % au premier semestre à 11,5 millions d’euros (soit près d’un tiers des revenus de la musique numérique).
« Le streaming audio a l’avantage de rendre obsolète le téléchargement illégal : à quoi
sert de remplir sur disque dur des fichiers piratés, alors que le streaming offre un accès instantané et mobile », ont expliqué les dirigeants du Snep (3). L’Observatoire de la musique explique que « si aux USA le niveau actuel des abonnements au streaming payant est très faible (1,5 million d’abonnés), en Europe, Spotify, avec sa version mobile, annonce 600.000 abonnés et un objectif de 30 % supplémentaires en 2011
sur les six marchés européens pénétrés ». Seul problème : « Spotify manque de fonds propres et qu’une alliance éventuelle de cette jeune société avec un des concurrents d’Apple comme Amazon annoncerait une vive compétition ». @

… et le « marché unique » des contenus numériques

En fait. Le 30 septembre, s’est achevée la consultation publique de la Commission européenne sur la neutralité des réseaux. Une autre, terminée le
30 juillet, portait sur l’avenir des contenus des industries culturelles face au numérique. Car Neelie Kroes prépare aussi un « marché unique » des contenus.

En clair. Il ne suffit pas de poser des « tuyaux » partout ; encore faut-il les remplir de contenus. Parallèlement au plan (très) haut débit, la commissaire européenne Neelie Kroes, en charge de l’Agenda numérique, prépare plusieurs actions pour un « marché unique » des contenus (1). Après deux consultations publiques sur les « contenus créatifs en ligne » – en 2006 et en 2010 (EM@1, p. 4) –, la Commission européenne s’est déjà fixé l’objectif à 2015, puis à 2020, de lever les « sept obstacles les plus importants » pour décloisonner la « mosaïque de marchés en ligne nationaux ». La première action qu’a envisagée Neelie Kroes – ancienne commissaire européen en charge de la Concurrence – est de « simplifier l’acquittement et la gestion des droits d’auteur et l’octroi de licences transnationales », à commencer par « renforcer le régime et la transparence de la gestion des droits (en ligne) et l’octroi de licences paneuropéennes en proposant une directive-cadre sur la gestion collective des droits d’ici à 2010 ». Le vote du Parlement européen en faveur du rapport Gallot sur « le renforcement de l’application des droits de propriété » (avec création d’un Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage) et les négociations internationales sur le texte « anti-contrefaçon » dit ACTA (2) prévu d’ici la fin de l’année (EM@9, p. 3 et EM@ 16, p. 8) devraient complérer la réforme vis à vis des ayants droits. La musique est en première ligne mais l’audiovisuel et le cinéma se seront pas en reste. L’audiovisuel devrait faire l’objet cette année, d’un « livre vert » où « les problèmes posés par la distribution en ligne d’œuvres audiovisuelles » seront identifiés. En outre, une
« communication interprétative sur la directive européenne SMA [services de médias audiovisuels, dont ceux à la demande]» est sur le point de sortir. Et sera publiée
« d’ici à 2011 » une « recommandation sur la promotion de la numérisation du cinéma européen » et « autres contenus créatifs ». Et pour l’année 2012, Neelie Kroes proposera des mesures pour « la libération du potentiel des industries de la culture et de la création » sur la base des enseignements de la consultation publique qui s’est achevée le 30 juillet dernier. C’est dans ce contexte des contenus pour les réseaux que la Commission européenne s’apprête à mettre son grain de sel dans le débat sur la neutralité du Net, dont la consultation publique s’est terminée le 30 septembre dernier. @

Microsoft lance Zune en Europe : haro sur iTunes

En fait. Le 21 septembre, Microsoft a indiqué que Zune – service de téléchargement de musique et de films – sera lancé « cet automne » dans quatre pays européens, dont la France. Il sera accessible sur PC Windows, mobiles et console de jeu Xbox. En ligne de mire : iTunes, Amazon ou encore Spotify.

En clair. Lancé en 2006 pour concurrencer l’iPod d’Apple, Zune n’a pas rencontré le succès escompté et est resté cantonné aux Etats-Unis. Il y a un an, en novembre 2009, Microsoft avait tenté de lancer en Europe une offre de films en streaming sur Zune pour les consoles de jeu Xbox 360. Cette fois, dans quelques semaines, le Zune Marketplace sera enrichi et accessible à partir de trois écrans bien identifiés : ordinateurs sous Windows, mobiles sous Windows Phone et consoles Xbox 360,
en attendant le lancement de la Kinect sans manette le 10 novembre prochain. L’interopérabilité s’arrête là puisque les autres baladeurs et terminaux (notamment iPhone) sont exclus. Les œuvres seront proposées en téléchargement ou en streaming illimités, en échange d’un abonnement via le Zune Pass proposé à 9,99 euros par mois (avec un essai de quinze jours et des engagements à un, trois ou douze mois).
Sur le Vieux Continent, Microsoft a déjà des accords de droits avec les filiales StudioCanal (Canal+) pour l’audiovisuel et Universal Music du groupe Vivendi pour la musique. En France, Canal + avait notamment annoncé en juin 2009 la signature d’un partenariat avec Microsoft pour proposer la vidéo à la demande VOD, catch up TV et matchs de football) sur la Xbox 360 via CanalPlay et Canal+ à la demande. D’autres accords existent aussi dans la musique (EMI, Warner Music, Sony Music, …) et le cinéma (EuropaCorp, Paramount Pictures, Warner Bros., …). En retard sur le marché des plateformes de musiques et de films en ligne, la firme de Steve Ballmer veut se poser ainsi en rival du dominant iTunes d’Apple et des autres : l’américain Amazon,
le suédois Spotify ou encore le nouvel entrant japonais Qriocity de Sony. Rien qu’en France, selon le rapport 2010 du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), iTunes détient 53,8 % de part de marché dans la musique en ligne et devance ainsi largement Orange, SFR, Virgin Mega et Fnac Music (1). Selon Chris Lewis, vice-président de Microsoft en charge du divertissement et de l’interactivité en Europe,
la Xbox 360 – qui compte déjà 40 millions d’utilisateurs dans le monde (2), dont 10 millions en Europe – est avec la future Kinect au cœur de la stratégie du numéro 1 mondial du logiciel grand public. Le lancement cet automne de la version Windows Phone 7 sera aussi déterminant pour conrrencer sur ce terrain l’iPhone (Apple), le Blackberry (RIM) ou l’Android (Google). @

Thierry Cammas, MTV Networks France : « La musique banalisée sur le Web renforce notre modèle exclusif »

Le PDG de MTV Networks France, filiale du géant des médias américain Viacom,
ne craint pas les sites vidéo comme YouTube. Il explique à Edition Multimédi@ comment la valeur ajoutée et l’exclusivité de ses chaînes musicales payantes
sont des gages de pérennité. Prochaine étape : la TV connectée.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : YouTube, Dailymotion, MySpace, … Les sites de partage vidéo rencontrent un large succès avec leurs vidéoclips gratuits. Trente ans après sa création (en 1981), MTV craint-il l’arrivée prochaine en Europe de Hulu ou surtout de Vevo, le « MTV du Web » ? Thierry Cammas (photo) : Plus les majors de
la musique banalisent la circulation non exclusive de vidéomusiquessur le Web de façon morcelée et non contextualisée, plus la fonction historique et incontestable d’agrégation et de tri éditorial de MTV en tant que chaîne musicale devient un confort et représente une valeur ajoutée pour le public. Vevo et Hulu qui propose en streaming du contenu « à la demande » sont sur des modèles différents de celui de MTV. Ils n’altèrent pas la valeur d’utilité du média MTV. Ainsi,
face à la promesse de Vevo, nous pouvons toujours garantir l’exclusivité de l’agrégation éditorialisée et l’exhaustivité des genres sur la musique. Et face à Hulu, nous garantissons l’exclusivité de la primo-diffusion linéaire de productions de divertissement (séries, télé-réalités).