Denis Ladegaillerie et David El Sayegh, Snep : « Les revenus de la musique en ligne deviennent enfin significatifs »

Le président et le directeur général du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) se félicitent de l’évolution du marché de la musique
sur Internet après des années d’inquiétude. La richesse de l’offre et l’installation
de l’Hadopi y participent.

Edition Multimédi@ : Vous avez publié ce mois-ci les chiffres semestriels du marché français de la musique enregistrée, lequel a progressé de 4,1 % sur un an.
La filière musicale est-elle sauvée par le numérique ?
Denis Ladegaillerie (photo) et David El Sayegh :
Le marché de la musique enregistrée en France, en progression sur le premier semestre de 4,1 % sur un an à 239,3 millions d’euros, est en train de passer un cap, encourageant pour la suite. Nous entrons dans un cercle vertueux après des années de déclin. Les revenus provenant du numérique deviennent significatifs. En effet, la progression du marché des ventes de musiques dématérialisées reste forte avec 12 % de croissance – à 42,9 millions d’euros – sur
les six premiers mois par rapport à la même période de l’an dernier. Globalement, le marché s’est stabilisé sur les six premiers mois et nous espérons que cela reste le cas sur le restant de l’année. Maintenant, la décroissance des ventes physiques (CD, DVD, Blu-Ray) est compensée par le numérique, la vente d’albums en téléchargement ayant augmenté de 47,2 % au cours du dernier semestre. Nous sommes à un point d’inflexion. Il y a un changement de comportement des internautes, dans un cadre régulé, et les catalogues sont là avec aujourd’hui 8 millions de titres disponibles en ligne.

EM@ : Quelles offres progressent le plus sur Internet ?
D. L. et D. E. S. :
Ce sont en particulier les ventes d’albums en téléchargement
qui commencent vraiment à décoller : 47,2% d’augmentation pour le 1er semestre 2010, contre 33 % pour les titres vendus à l’unité. Pour la première fois, la baisse des ventes d’albums sur supports physiques est ainsi compensée par la hausse des ventes dématérialisées d’albums qui représentent maintenant un quart du marché numérique en France. Nous sommes à un moment charnière. La stabilisation de ce segment de marché des albums est très importante pour les maisons de disques et constitue un signe positif pour toute la filière, qui aussi besoin de ces formats longs. En passant cette étape, les producteurs vont pouvoir investir dans des albums enrichis de vidéos, de contenus et de bonus. Reste que si les ventes de titres à l’unité affichent 25,4 % de croissance sur le semestre, c’est grâce au numérique qui génère un chiffre d’affaires cinq fois supérieur à celui des ventes physique de singles. Du côté des vidéos musicales, ou vidéoclips, nous observons un bond de 53,2 % des ventes physiques
– après plusieurs années de baisse (1) – mais une chute de 62,5 % des ventes en téléchargement, due au développement du streaming – principal mode de consommation pour ce format – sur des sites de partages comme YouTube ou Dailymotion.

EM@ : Le streaming progresse plus vite que le téléchargement, est-il l’avenir de
la musique en ligne ?
D. L. et D. E. S. :
L’écoute en streaming a modifié depuis 2007 les habitudes des consommateurs, qui peuvent aujourd’hui écouter gratuitement l’offre musicale financée
par la publicité, ou bien souscrire à une offre premium. Ces revenus provenant des abonnements et du streaming payant continuent en effet de progresser de janvier à juin 2010, avec 16 % de hausse sur un an à 11,5 millions d’euros. Ce chiffre d’affaires a été multiplié par 5 depuis 1998 et représente aujourd’hui 27 % des revenus numériques. Mais le téléchargement n’est pas pour autant hors jeux, contrairement à ce qu’affirmaient certains. Il progresse encore beaucoup : 56,4 % sur les douze derniers mois, albums et singles confondus (13 % si l’on intègre les vidéoclips en déclin). Le téléchargement – sur l’Internet fixe ou à partir de mobiles – pèse ainsi encore les deux tiers des revenus du marché numérique en France, soit 28,3 millions d’euros. Les smartphones contribuent de plus en plus à cette croissance (2), comme nous l’a confirmé Apple pour iTunes.

EM@ : Le streaming est-il un antidote au piratage en ligne ?
D. L. et D. E. S. :
Le streaming audio a l’avantage de rendre obsolète le téléchargement illégal : à quoi sert de remplir sur disque dur de fichiers piratés, alors que le streaming offre un accès instantané et mobile.

EM@ : Est-ce l’offre ou l’effet Hadopi qui profite au marché de la musique en ligne ? D. L. et D. E. S. : La mise en oeuvre effective de l’Hadopi (3) a sans aucun doute eu des effets positifs sur le comportement comportement des internautes, qui sont 69 % à déclarer renoncer à télécharger illégalement en raison des risques de sanction encourus (4). Et ils sont 66 % à se dire incités à s’orienter vers les plateformes légales de musique en ligne. Pour une loi comme l’Hadopi que l’on disait déjà dépassée ou obsolète, c’est quand même un premier succès. Nous attendons beaucoup de la réponse graduée.
Nous ne sommes pas la police ; nous voulons seulement que les gens basculent vers le numérique légal. L’offre est plus que jamais là, sur 150 plateformes légales, cela devient très significatif. C’est même une offre deux à trois fois plus riche que dans le meilleur des grands magasins spécialisés comme Virgin Megastore. Tout ce que nous avons mis en place, avec sans doute retard comme on nous l’a suffisamment reproché, commence à donner des effets (5).

EM@ : iTunes d’Apple génère à lui seul 53,8 % des ventes de musiques téléchargées en France. N’est-ce pas révélateur de la faiblesse des autres plateformes ?
D. L. et D. E. S. :
Le poids d’iTune montre qu’il manque une ou deux autres grosses plateformes. La Fnac et Virgin ne sont peut-être pas assez présents. Les industriels n’ont pas suffisamment investi sur le marché, la fiscalité en France n’étant pas étrangère à cela, bien que les offres se multiplient avec Amazon, Sony, Ericsson, Nokia et bientôt Google.

EM@ : Quand la carte musique va-t-elle être lancée ?
D. L. et D. E. S. :
Nous attendons beaucoup de la carte musique pour les 12-24 ans (6). Nous avons eu début septembre une réunion au ministère de la Culture qui nous
a indiqué son lancement à fin octobre avec un budget de 25 millions d’euros. Elle participera à la pédagogie que les producteurs et les pouvoirs publics doivent faire.

EM@ : La première réunion thématique de la mission Hoog a été reportée au 30 septembre. Etes-vous prêt à des concessions sur le projet de gestion collective
des droits ?
D. L. et D. E. S. :
Nous allons à nouveau nous inscrire en faux par rapport aux erreurs
de diagnostics qui ont été faites par le rapport Zelnik, lequel porte notamment atteinte au droit exclusif des producteurs (7). Nous n’accepterons jamais que la gestion collective soit imposée. Cependant, ce mode de gestion des droits ne pourrait se fait qu’au cas par cas sur la base du volontariat. Reste que la gestion collective est une réponse locale à une tout autre problématique internationale : celle de la fiscalité, la TVA appliquée aux plateformes musicales étant plus avantageuse au Luxembourg ou aux Etats-Unis qu’en France.

EM@ : L’UPFI (8) demande à Nicolas Sarkozy un « Cosip » pour financer la musique (lire page 7) …
D. L. et D. E. S. :
Nous laissons l’UPFI s’expliquer sur ses revendications. @