Thierry Cammas, MTV Networks France : « La musique banalisée sur le Web renforce notre modèle exclusif »

Le PDG de MTV Networks France, filiale du géant des médias américain Viacom,
ne craint pas les sites vidéo comme YouTube. Il explique à Edition Multimédi@ comment la valeur ajoutée et l’exclusivité de ses chaînes musicales payantes
sont des gages de pérennité. Prochaine étape : la TV connectée.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : YouTube, Dailymotion, MySpace, … Les sites de partage vidéo rencontrent un large succès avec leurs vidéoclips gratuits. Trente ans après sa création (en 1981), MTV craint-il l’arrivée prochaine en Europe de Hulu ou surtout de Vevo, le « MTV du Web » ? Thierry Cammas (photo) : Plus les majors de
la musique banalisent la circulation non exclusive de vidéomusiquessur le Web de façon morcelée et non contextualisée, plus la fonction historique et incontestable d’agrégation et de tri éditorial de MTV en tant que chaîne musicale devient un confort et représente une valeur ajoutée pour le public. Vevo et Hulu qui propose en streaming du contenu « à la demande » sont sur des modèles différents de celui de MTV. Ils n’altèrent pas la valeur d’utilité du média MTV. Ainsi,
face à la promesse de Vevo, nous pouvons toujours garantir l’exclusivité de l’agrégation éditorialisée et l’exhaustivité des genres sur la musique. Et face à Hulu, nous garantissons l’exclusivité de la primo-diffusion linéaire de productions de divertissement (séries, télé-réalités).

EM@ : La question de « la fin du modèle MTV ? » posée par le CSA dans une étude publiée en juin est-elle pertinente ? L’Internet gratuit (streaming musical
et mobiles) et la TNT gratuite menacent-ils MTV ? T. C. :

C’est tout l’inverse ! Plus le gratuit banalise et affadit les contenus dans un environnement anonyme (l’Internet) ou généraliste (la TNT), plus les contenus
payants bien identifiés et exclusifs sont plébiscités par le public… Ce qui génère une monétisation d’autant plus grande. C’est pourquoi MTV n’est plus aujourd’hui une
vieille chaîne musicale des années 80 mais un multiplexe de quatre chaînes premium complémentaires (1). Parallèlement, MTV propose à son public de prendre le contrôle sur ses contenus au-delà de l’écran fixe, en mode multi-écran et multi-usage. Notre stratégie reste solide sur le long terme : le multiplexe MTV, au sein de l’offre payante, est définitivement positionné sur les thématiques générationnelles de la musique et du divertissement pour les 15-35 ans. En cinq ans et en créant trois chaînes musicales (MTV Base, MTV Pulse, MTV Idol) autour de la principale chaîne MTV, nous avons multiplié notre offre de programmes musicaux par quatre et celle du divertissement
par deux (2). Nous sommes n°1. Et c’est cette part de marché de leader en télévision payante qu’achètent nos partenaires distributeurs et annonceurs.

EM@ : Alors que l’Autorité de la concurrence a critiqué en 2009 sur les exclusivités, qu’est-ce qui motive MTV à travers son contrat d’exclusivité avec
le groupe Canal+ ? Quels sont vos autres distributeurs ?
T. C. :
L’exclusivité avec le groupe Canal+ [notamment de diffusion sur ADSL avec CanalSat, ndlr] est le choix stratégique de MTV Networks. Celui-ci a reposé sur la conviction qu’une distribution « simultanée tous supports/ toutes plateformes » et
« hyper-circulante » de nos contenus entraînait de fait leur banalisation et leur sousmonétisation. L’exclusivité avec Groupe Canal+ correspond donc à un choix assumé de « chronologie média », laquelle consiste à mettre en valeur nos contenus d’abord sur le mode payant puis, éventuellement, sur le gratuit. MTV a en outre distribuée par Numericable, principal financeur de la télévision payante avec Canal+.
Et nous travaillons aussi très bien avec Orange et Free dans le cadre d’accords de distribution linéaire, de vidéo à la demande (VOD), de télévision de rattrapage (catch
up TV) et de streaming sur mobile, en particulier autour de Game One.

EM@ : Du côté des mobiles, vous avez une exclusivité avec SFR depuis avril 2008 : quel est bilan ?
T. C. :
Ce n’est pas une exclusivité. Il s’agit d’un partenariat stratégique choisi sur un marché partitionné (MTV est avec SFR, M6 avec Orange, etc…). MTV accompagne ainsi et nourrit – avec sa marque, ses services de télévision linéaire, de VOD et de SVOD – les offres de forfaits bloqués mobiles de SFR à destination des jeunes utilisateurs. Nous avons aujourd’hui presque 2 millions d’abonnés aux forfaits MTV de SFR et plus de 3 millions d’abonnés mobile aux quatre chaînes MTV et à Game One. Cela représente un parc désormais significatif en termes d’audience (3).

EM@ : Alors que votre maison mère Viacom discute autour de l’Apple TV, comment s’inscrit iTunes dans votre stratégie ? Et Google TV ?
T. C. :
Nos quatre chaînes MTV, Game One, Nickelodeon et Nickelodeon Junior
sont référencées sur iTunes depuis 2006 aux Etats-Unis et 2008 en Europe. Elles proposent, en téléchargement définitif, les principaux contenus qu’elles diffusent. Des plateformes comme iTunes sont essentielles dans notre chronologie média : l’utilisateur peut regarder sur l’écran fixe la série de son choix (4). Puis, il va pouvoir acheter entre 1,99 et 2,49 euros via iTunes tous les épisodes ou en disposer définitivement pour ses enfants sur son ordinateur et/ou son iPhone. Ce type de services représente donc une vraie valeur ajoutée. Nous montons régulièrement des opérations avec Apple en France pour offrir des téléchargements promotionnels et/ou gratuits à nos abonnés TV ou mobiles, et ainsi mieux les fidéliser. Au total, iTunes représente pour MTV Networks France plus de 10.000 téléchargements par mois. Concernant Apple TV, MTV n’est
pas concerné pour l’instant. Et pour Google TV, il faudra voir.

EM@ : Et la TV connectée ?
T. C. :
Nous avons un accord en cours de signature avec Philips pour créer – à l’identique de ce que nous faisons en syndication sur le web – quatre portails de TV connectée autour des chaînes MTV, Game One, Nickelodeon et Nickelodeon Junior. Ces portails devraient être ouverts d’ici la fin de l’année.

EM@ : Viacom a perdu en juin contre YouTube (Viacom ayant décidé de faire appel), quelle répercussion cela a eu ou a avec MTV Networks France ?
T. C. :
Tous les distributeurs doivent rémunérer nos contenus. Ce n’est pas le cas
avec YouTube. Dès lors que nous avons des accords de distribution rémunérés,
nous utilisons pleinement les plateformes de partage vidéo gratuites pour y promouvoir nos contenus, comme c’est le cas avec Dailymotion ou MSN en France, par exemple.

EM@ : Comment se répartissent vos revenus en France ? Et que rapportent la VOD par abonnement (SVOD) et la catch up TV ?
T. C. :
Suivant les chaînes, les revenus digitaux et dérivés représentent entre 20% et 40% du mix global de revenus. Quant à nos offres de SVOD, elles sont surtout très rentables sur les contenus pour la jeunesse (par exemple, les packs Dora, packs Bob, etc… sur CanalPlay). La catch up TV, elle, reste inférieure à 5 % du mix des consommations digitales que nous observons sur nos contenus.

EM@ : Pourquoi MTV, qui a généré 51 millions d’euros de chiffre d’affaires publicitaires en 2009, a retenu cet été StickyADStv comme régie pub online.
T. C. :
Parce que la commercialisation des « bannières publicitaires » (display) n’est pas assez rémunératrice autrement qu’en l’agrégeant dans une offre publicitaire de volume, ce que nous apporte StickyADStv. En revanche la vente des espaces online
à très forte valeur ajoutée que sont les pré-rolls et/ou post-rolls (5) vidéo est exclusivement vendue par MTV Networks Brand Solutions. @