CSA : un régulateur du PAF en quête d’un PAE émergent

En fait. Le 2 octobre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – doté de compétences économiques depuis la loi du 15 novembre 2013 – a organisé
un premier séminaire sur « l’enjeu économique » du secteur confronté au numérique et à de nouveaux entrants dans le PAE (paysage audiovisuel européen).

En clair. Le PAF est mort. Vive le PAE (paysage audiovisuel européen) ! C’est en substance ce qui ressortait tant bien que mal de ce premier séminaire économique
du CSA, lequel s’est lancé le défi de réunir auteurs, producteurs, ayants droits, éditeurs, diffuseurs, distributeurs, annonceurs ou encore équipementiers pour un « dialogue » qui fait défaut jusque-là. Il s’agit surtout de préparer la réforme du cadre réglementaire national d’un audiovisuel encore très franco-français dépassé par la nouvelle donne
du numérique résolument transfrontalière. Et ce, dans un contexte très délicat de crise structurelle. « Le secteur de l’audiovisuel (…) est aujourd’hui confronté à un marché publicitaire sérieusement atteint et à l’arrivée d’acteurs globaux [dont Netflix, Google
ou Amazon, ndlr] dans un environnement numérique riche d’interrogations et de potentialités », a diagnostiqué le président du CSA, Olivier Schrameck, qui a aussitôt placé les enjeux économiques de l’audiovisuel au niveau de l’Europe. « L’adaptation
de la législation européenne est en effet indispensable pour affronter la concurrence internationale. C’est une priorité pour la régulation », a-t-il souligné. Il n’a pas manqué de rappeler qu’il avait été élu en mars dernier – et jusqu’à fin 2015 – président du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) (1), dont la deuxième réunion plénière se tiendra le 21 octobre à Bruxelles et la troisième devrait avoir lieu à Paris début 2015. Une aubaine pour la France qui pourra y faire valoir ses positions et son « exception culturelle ».

Ce séminaire a finalement pris acte de la fin du PAF au profit d’un PAE, dont les directives européennes qui le régissent détermineront plus que jamais les orientations législatives nationales (lire en Une). Aussi, le prochain séminaire du CSA sera consacré à « la rénovation des instruments juridiques européens », en particulier à la refonte de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA). Cette dernière (2) exclut de la définition des SMAd – « d » pour « à la demande comme la VOD ou la catch up TV – les plateformes telles que YouTube, Dailymotion ou encore Netflix. Cela suppose aussi de revisiter d’autres directives européennes : « Commerce électronique » (sur la question sensible de la responsabilité des hébergeurs), « IPRED » (sur les droits d’auteur), « DADVSI » (dont la définition des intermédiaires d’Internet). @

Pourquoi Microsoft s’offre à prix d’or Minecraft

En fait. Le 15 septembre, Microsoft a annoncé l’acquisition de la société suédoise Mojang et de la franchise de son en ligne Minecraft pour 2,5 milliards de dollars. Ce jeu massivement multi-joueur en ligne, très prisé des adolescents, a été vendu à 100 millions d’exemplaires depuis son lancement en 2009.

En clair. Les discussions entre Microsoft et Mojang avaient été dévoilées le 9 septembre par le Wall Street Journal, valorisant l’opération « plus de 2 milliards de dollars ». Moins d’une semaine après, le rachat – qui doit être finalisé d’ici la fin de l’année pour 2,5 milliards de dollars – était annoncé par la société du créateur de Minecraft, le Suédois Markus Persson (35 ans), alias Notch. Fort de plus de 100 millions d’exemplaires en ligne vendus sur toutes les plateformes (Xbox de Microsoft, PlayStation de Sony, ordinateurs, tablettes et smartphones), la société Mojang aurait réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 291 millions de dollars pour un résultat net de 115 millions (d’après des médias aux Etats-Unis). Minecraft, qui en est à la version
1.8 disponible depuis début septembre, a par ailleurs lancé en décembre dernier
une version pour mobile, « Pocket Edition », qui a rencontré un large succès (1).

Pour Microsoft, qui renforce ainsi la division jeux vidéo pour sa console Xbox passée
à la huitième génération (2) avec la Xbox One, ce jeux dématérialisé et free-to-play
de Lego virtuel le propulse sur le marché des jeux en ligne dits « massivement multijoueurs » – appelés MMOG dans le jargon, pour Massively Multiplayer Online Game, ou MMO. Jouez gratuitement et ne payez que des options : tel est le principe de ces jeux vidéo freeto- play (ou free2play) qui représentent maintenant plus de la moitié des titres vidéoludiques.
Après les succès de « Clash of Clans » de Supercell, « Candy Crush Saga » de
King Digital Entertainment, « Star Wars: The Old Republic » d’EA, « Gotham City Imposteurs » de Warner Interactive ou encore « Aion » de NC Soft, ce modèle économique a fait ses preuves. Même le best-seller en ligne « World of Warcraft » d’Activision, qui fêtera ses dix ans le 23 novembre prochain (7,6 millions abonnés,
a fait un premier pas vers le free2play en 2011.
Le marché mondial du jeu vidéo, équipements inclus, pesait 53,9 milliards d’euros
en 2013 et devrait atteindre 82,1 milliards en 2017, selon les estimations de l’Idate,
ce qui représente une croissance annuelle moyenne de 11 %. La dématérialisation de la distribution de jeux vidéo et le paiement online sur tous les écrans ont commencé à prendre le relais : les jeux en ligne génèrent aujourd’hui plus de la moitié des revenus mondiaux et s’arrogeront environ les deux tiers en 2017. @

VOD : Rakuten lance une bêta publique de Wuaki

En fait. Le 25 septembre, Wuaki, la plateforme de VOD du groupe japonais Rakuten, a lancé en France sa bêta publique. Elle était depuis début septembre en test privé auprès des clients PriceMinister (autre filiale de Rakuten). Après la vidéo à l’acte, la VOD par abonnement sera lancée pour contrer Netflix.

En clair. Le 3 septembre, le japonais a grillé partiellement la politesse à Netflix (1)
en lançant en France Wuaki, son service de vidéo à la demande (VOD). Mais il ne s’agissait alors que d’une version test : la « bêta privée » était exclusivement accessible à quelques clients de PriceMinister, la plateforme de e-commerce française créée par Pierre Kosciusko-Morizet (2) et rachetée par Rakuten en juin 2010. Cette fois, le service Wuaki.tv est véritablement lancé dans sa version « bêta publique ». La France est le troisième pays européen où est lancé ce service de VOD, après l’Espagne et le Royaume-Uni (où Rakuten avait aussi racheté Play.com en 2011), et bientôt l’Allemagne.

Rakuten avait racheté en juin 2012 la société espagnole Wuaki, laquelle avait été créée en 1999 à Barcelone par Jacinto Roca. Pour asseoir sa présence internationale en matière de VOD, Rakuten avait aussi racheté en septembre 2013 Viki, une plateforme de VOD en streaming (séries, films, clips, …) basée à Singapour. Wuaki compte plus de 1,5 million d’utilisateurs dans le monde. Ce qui est encore bien loin des 50 millions d’abonnés de Netflix, qui s’est lancé en France le 15 septembre dernier et est déjà présent dans une douzaine de pays en Europe. Mais Rakuten espère profiter de l’effet de levier des 20 millions de clients que compte PriceMinister. Si le Wuaki français propose dans un premier temps de la VOD à l’acte ou à la location, pour offrir des films plus récents que sur Netflix, une offre de VOD par abonnement (SVOD) sera lancée comme en Espagne et au Royaume-Uni. De même, si le service n’est accessible pour l’instant qu’à partir de son site web Wuaki.tv, il sera à terme disponible à partir d’applications.

Rappelons que le 17 février dernier, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères,
a remis la Légion d’honneur au milliardaire et ancien banquier Hiroshi Mikitani, fondateur et PDG du groupe japonais Rakuten. La diversification du géant japonais
du e-commerce Rakuten dans les contenus (3) se joue aussi sur le terrain du livre numérique, avec l’acquisition fin 2011 du canadien Kobo (partenaire de la Fnac en France), ainsi qu’une gamme de liseuses numériques. Par ailleurs, Rakuten a
racheté en février Viber Media (concurrent de Skype) pour 900 millions de dollars
et envisagerait de lancer un concurrent de Airbnb, site Internet de locations courtes
de logements. @

Fréquences : télévision et télécoms toujours opposées

En fait. Le 1er septembre, Pascal Lamy – ancien DG de l’OMC – a remis à la Commission européenne son rapport sur « l’utilisation future de la bande UHF pour la TV et le haut débit sans fil ». Il a été présenté « sous sa seule responsabilité » car télévision et télécoms ne se sont pas mises d’accord.

En clair. Ce sera à la nouvelle Commission européenne, qui sera installée en novembre prochain, de faire des propositions à partir de celles de Pascal Lamy, lequel a présenté le rapport « en son nom seul car des désaccords n’ont pu être résolus entre les représentants des deux secteurs [audiovisuel et télécoms] au sein du groupe de travail qu’il présidait ». C’est sur le dividende numérique – fréquences des 700 Mhz (1) libérées après l’extinction de la diffusion analogique de la télévision et convoitées par les opérateurs mobiles – que se situe la pomme de discorde.
Trois Etats membres, Allemagne, Finlande et Suède, ont déjà décidé d’attribuer une partie de ces fréquences à l’Internet mobile haut débit. La France, elle, s’apprête à
les suivre dans cette voie après les premières orientations confirmées en juin 2013
lors du congrès de l’ANFR (2) par Fleur Pellerin, alors ministre déléguée à l’Economie numérique (aujourd’hui ministre de la Culture et de la Communication). Certains pays européens sont ainsi tentés d’avancer le calendrier pour récolter des milliards d’euros espérés de la mise aux enchères de ces ressources rares. Pour éviter un patchwork dans l’affectation des fréquences Europe, avec le risque d’interférences avec les services audiovisuels, Pascal Lamy propose « une formule “2020-2030-2025” »,
à savoir : la bande de 700 MHz devrait être totalement affectée au haut débit sans
fil dans toute l’Europe d’ici à 2020 – « avec une tolérance de deux ans », de façon à pousser l’audiovisuel à investir de nouvelles technologies de compression (Mpeg4, DVB-T2, HEVC, …). En échange de cette perte d’environ un tiers de ses fréquences, l’audiovisuel (télévisons et radios) serait assuré de garder ses autres fréquences UHF (inférieures à 700 Mhz) jusqu’en 2030.
Cette perspective lointaine « préoccupe » la GSMA qui regroupe les opérateurs mobiles dans le monde et demande un calendrier plus resserré. Tandis qu’un bilan devrait être fait d’ici à 2025 pour « évaluer l’évolution des technologies et du marché ». Malgré six mois de discussions, la « mission de maintien de la paix » (dixit Pascal Lamy) entre l’audiovisuel et les télécoms n’a donc pas réussi à trouver de consensus. Pourtant le temps presse, avant la Conférence mondiale des radiocommunications (CMR) qui se tiendra en novembre 2015 à Genève sous la houlette de l’Union internationale des télécommunications (UIT). @

Google Search : la fausse bonne idée du « dégroupage »

En fait. Les 9 et 10 septembre se sont tenues deux conférences, à Berlin et à Bruxelles, sur le thème « Internet and Neutral Search », organisées par l’Open Internet Project (OIP) et les associations européennes des éditeurs de quotidiens (ENPA) et magazines (EMMA). Mais Google est-il un « France Télécom » ?

En clair. L’Open Internet Project (OIP), association européenne créée en mai dernier
à l’initiative franco-allemande d’Axel Springer, de Lagardère et de CCM Benchmark (1), entend dissuader la Commission européenne de clore son enquête sur Google soupçonné d’abus de position dominante avec son moteur de recherche. L’un de
ses membres fondateurs, Lagardère Active via sa filiale LeGuide.com (comparateur
de prix), avance une solution radicale : le dégroupage de Google ! C’est un ancien dirigeant de France Télécom – ancien PDG de Wanadoo, artisan du triple play et de
la Livebox – qui milite dans ce sens. Et en connaissance de cause : Olivier Sichel, aujourd’hui PDG de LeGuide.com, n’y va pas par quatre chemins : «Si l’Europe se décidait à mettre en oeuvre le dégroupage de Google en donnant accès – dans des conditions acceptables – à cette nouvelle boucle locale qu’est le moteur de recherche général, beaucoup d’entreprises européennes relèveraient le challenge, offrant aux Européens le luxe du choix », écrit-il dans une tribune passée presque inaperçue cet été (2).

Les concurrents de Google dans la recherche en ligne reprochent à ce dernier (90 % du search en Europe) de favoriser ses propres services dans les résultats présentés aux internautes (YouTube avantagé par rapport à Dailymotion, Google Maps par rapport à Mappy ou encore Hotel Finder par rapport à Easyvoyage, par exemple). Pour Olivier Sichel, « la constitution d’acteurs puissants et innovants alternatifs à France Télécom sont autant d’effets positifs directement dus au dégroupage ». Mais peut-on vraiment comparer Google à l’ex-France Télécom ? Le géant du Net n’est pas un monopole comme à pu l’être l’opérateur télécoms historique : même s’il est plébiscité par les internautes, d’auteurs moteurs de recherche existent : Bing, Ask, Yahoo, etc. Google Search n’est pas une « infrastructure essentielle » qu’il serait impossible de contourner, alors que la boucle locale de France Télécom (le réseau téléphonique) l’était. Enfin, Google a présenté en février dernier des propositions – pour mieux distinguer ses propres services de ceux de ses concurrents – que la Commission européenne juge acceptables a priori. Reste à savoir si, à la suite de nouvelles plaintes (3), le commissaire européen à la Concurrence, Joaquín Almunia, « obtiendra plus de concessions » de Google – comme il l’a dit sur Bloomberg TV le 8 septembre. @