Numérisation des médias : pas sans les journalistes

En fait. Le 19 mai, l’Association mondiale des journaux et des éditeurs d’informations – appelée Wan- Ifra depuis cinq ans (juillet 2009) – a organisé
la première édition de « Innovation Day » pour accompagner les médias dans
leur transformation numérique. Parmi les intervenants, aucun journaliste…

En clair. « Les journalistes sont indécrottables ! », a lancé Eric Scherer, directeur
chez France Télévisions, en charge de la prospective, de la stratégie numérique et des relations internationales liées aux nouveaux médias. « Ne serait-ce que lui faire bouger son bureau, cela déstabilise le journaliste… », a-t-il pontifié. De là à accuser les journalistes de freiner l’innovation numérique des journaux et de leurs rédactions, il n’y a qu’un pas (1)…
Eric Scherer, par ailleurs vice-président du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste), ressert là son qualificatif d’« indécrottable » déjà servi sur son blog « Méta-média » le 16 mai dernier. Pour lancer sans discernement cette charge qui n’engage que lui contre les journalistes, il fait état de deux documents américains très critiques sur les rédactions face au numérique.
Le premier est une étude de l’université privée Duke publiée en mai tendant à démontrer que « les outils numériques manquent dans la plupart des salles de rédaction », lesquelles n’auraient pas fait leur mue ni fait leur révolution culturelle (2). Le second document émane du New York Times, journal dont la directrice de la rédaction Jill Abramson vient d’être licenciée pour des raisons non précisées : il dresse un bilan très négatif sur les soi-disant« freins culturels » des journalistes dans l’appropriation des nouveaux outils de communication (3). Est-ce à dire qu’en France les crises aigües que traversent les rédactions des quotidiens Libération, Le Monde ou autres sont dues aux réticences
des journalistes à franchir là aussi le pas de l’innovation rédactionnelle ?

Intervenant également à l’Innovation Day, Franck Barlemont, directeur des systèmes d’information (DSI) de Prisma Media (Femme Actuelle, Geo, Capital, Gala, …), évoque lui aussi « les rédactions qui sont contre » mais il ajoute tout faire pour les impliquer dans la réorganisation digitale. « C’est aux rédactions d’évoluer. Le journaliste est la source. IL faut que la rédaction ait envie ! », a-t-il expliqué. Sans quoi, rien ne peut se faire. Prisma Lab a été créé il y a trois ans pour tester et innover avec « le droit à l’erreur », et a lancé un « concours d’idées » à la clé sur un site intranet nommé Eurêka (prix de 6.000 euros pour les trois premières idées lauréates). Les journalistes sont prêts à jouer le jeu, pour peu que la déontologie soit respectée… @

Médiamétrie : le replay dans l’audience TV début 2015

En fait. Le 13 mai, en marge du colloque NPA sur les nouvelles frontières du numérique, Médiamétrie a indiqué à EM@ que la prise en compte de la catch up TV dans la mesure d’audience de la télévision pourrait intervenir début 2015. D’ici là, réflexions et tests se poursuivent avec les chaînes.

En clair. « La télévision de rattrapage pourrait faire son entrée dans la mesure d’audience des chaînes d’ici janvier 2015 ». C’est ce que nous a indiqué Alain Ongenyi, responsable du pôle « opérations et analyses stratégiques » du département Télévision de Médiamétrie. Des tests sont en cours et les réflexions se poursuivent avec les éditeurs de chaînes de télévision. Pour l’heure, et depuis le 3 janvier 2011, l’audience TV de Médiamat consolide la mesure de l’antenne et le différé du jour même et des sept jours suivants. Mais ce différé concerne uniquement « un enregistrement personnel ou en léger différé (time-shifting) rendu possible par les équipements numériques » de type box avec système de pause ou de type magnétoscope numérique, enregistreur à disque dur ou autre PVR (Personal Video Recorder). La TV de rattrapage, qui est pourtant un usage dé-linéarisé directement issu de la grille diffusée à l’antenne, ne fait toujours pas partie de la galaxie Mediamat. C’est qu’il faut convaincre les chaînes du bien fondé de la mesure de cette audience différée. Au-delà des aspects techniques pour faire en sorte que tous les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) puissent accepter dans leurs box les outils de mesure et de collecte des audiences des programmes proposés en télévision de rattrapage, l’une des questions a trait à la durée de la catch up TV à prendre en compte : faut-il s’en tenir à 7 jours après la diffusion à l’antenne, ce qui correspond à la durée généralement pratiquée pour la mise à disposition gratuite en différé des programmes télévisuels, ou peut-on aller jusqu’à 28 ou 30 jours après la diffusion ?

Les chaînes veulent en outre savoir quelles seront les conséquences de la prise en compte de la catch up TV dans leurs parts d’audience, laquelle pourrait mécaniquement augmenter, et quel impact cela pourrait avoir sur la valorisation de leur service replay en termes de monétisation par de la publicité pre-roll (1).Autrement dit, les chaînes pourraient y gagner avec une audience globale « boostée » par la catch up TV mais elles pourraient y laisser des plumes pour certaines à révéler une réalité moindre de leur audience replay au risque d’avoir plus de difficultés à monétiser leur service auprès des annonceurs. En 2013, les recettes publicitaires sur la catch up TV en France ont augmenté de 33 % sur
un an pour atteindre 60 millions d’euros. @

Publicis se retrouve seul face aux géants du Net

En fait. Le 9 avril, les groupes publicitaires Publicis (français) et Omnicom (américain) ont annoncé l’abandon de leur projet de méga-fusion qui devait créer
le numéro 1 mondial de la publicité devant WPP (britannique). Les trois agences
se retrouvent confrontées aux Google, Yahoo et autres Facebook.

En clair. Les géants du Net – Google, Yahoo, Facebook, AOL ou encore Microsoft
– sont en train de siphonner le fond de commerce des grandes agences publicitaires – WPP, Omnicom et Publicis en tête. Numéro 1 mondial de la publicité en ligne, Google commence à faire de l’ombre aux grands acteurs historiques. Pour le groupe français Publicis, créé il y a 88 ans par Marcel Bleustein-Blanchet (1), se faire doubler par une start-up lancée il y a 16 ans par Larry Page et Sergueï Brin a quelque chose d’humiliant. Maurice Lévy, PDG du groupe depuis 27 ans, a bien annoncé le 19 mai un « accord pluriannuel » avec Facebook pour diffuser de la pub vidéo sur le réseau social et Instagram et conclu en 2007 une « collaboration » avec Google, les géants du Net exercent une pression concurrentielle sur le numéro trois mondial de la publicité (2). Publicis s’appuie en outre sur Microsoft, Yahoo et AOL, pour proposer aux annonceurs des audiences ciblées sur des réseaux multiples via VivaKi Nerve Center, plateforme dite AOD (Audience on Demand). Et depuis le rachat en octobre 2009 de Razorfish auprès de Microsoft, le groupe français a noué avec ce dernier (MSN) une « alliance stratégique ».

Mais cette « coopération-compétition » pourrait être plus favorable aux pure players du Web sur le marché de la publicité digitale, lequel exige une expertise internationale et une capacité d’analyse en temps réel accrues. A tel points que les Publicis, Omnicom et WPP se retrouvent sur les mêmes terrains de chasse que les éditeurs de logiciels experts comme Oracle ou Salesforce, lorsque ce ne sont pas les géants du consulting comme Accenture ou IBM. Les grands annonceurs réduisent ainsi leurs dépenses publicitaires grâce aux économies d’échelle globales, achetant à meilleurs prix des espaces à la fois à la télé, à la radio, dans la presse et bien sûr sur Internet et les mobiles. Pour faire le poids face à Google, Facebook ou AOL, Publicis poursuit sa stratégie mondiale d’acquisitions de sociétés spécialisées dans l’e-pub, laquelle pèse cette année près de 40 % du revenu total du groupe. Face au « ralentissement de plus en plus marqué des activités analogiques » (dixit le rapport 2013 publié le 4 avril dernier), le groupe français table sur
« une véritable explosion de l’Internet ». Mais les géants du Net sont eux aussi en pleine campagne d’acquisitions de pépites numériques. Il y aura forcément des perdants. @

Timeline

23 mai
• L’UPFI dénonce le « comportement » de YouTube qui « menacerait de procéder au blocage voire au retrait immédiat » des catalogues de producteurs indépendants « en cas de refus d’accepter le contrat qui leur est imposé ».
• Jook Vidéo (VOD du groupe AB) arrive sur la TV d’Orange.
• Robert Thomson, DG de News Corp : « La presse écrite occupera un rôle absolument crucial dans la plateforme multimédia du futur ».
• Time Warner procède à la scission de sa branche magazine.

22 mai
• WIN (Worldwide Independent Music Industry Network) lance un ultimatum à YouTube de retirer des musiques en streaming.
• Google France ouvre le kiosque Google Play Kiosque.
• TDF est autorisé par le CSA à expérimenter la diffusion ultra- HD de la tour Eiffel, en DVB-T2 et HEVC.

21 mai
• Aurélie Filippetti, à propos du TTIP : « M. De Gucht a été très clair : il a dit qu’il (…) ne discuterait pas avec les Etats-Unis des services audiovisuels et culturels ».
• Michel Hazanavicius, président de l’ARP : « Ce qui m’inquiète c’est l’arrivée du numérique en tant que diffuseur de films ».
• Google chiffre à 33 Mds de $ ses possibilités d’acquisition à l’étranger.
• Médiamétrie et Google lancent le « premier panel single source multi-écrans » (2.900 foyers équipés télé, ordi, tablette et mobile).
• Le Geste organise une « réunion “de crise” » sur les Adblocks.
• Netflix annonce son lancement avant fin 2014 dans six pays européens, dont la France.
• Spotif yatteint 10 millions abonnés payants, sur 40 millions d’utilisateurs.
• Facebook va lancer la reconnaissance musicale de type Shazam.
• Yahoo va acquérir RayV (logiciel de streaming vidéo), selon le WSJ.
• Google lance « Google + Histoires et Films ».
• Vivendi vend 5,8 % du capital d’Activision pour 850 M$ (6 % retants).

20 mai
• Joaquín Almunia veut clore « après l’été » l’enquête sur Google (engagements contraignants mais pas d’amende), malgré les nouvelles plaintes de l’OIP et de Deutsche Telekom.
• L’Idate publie la 14e édition de son DigiWorld Yearbook : l’économie numérique mondiale atteint 3.478 Mds d’€ grâce à un « léger rebond » de + 3,2 %, seule l’Europe étant en recul de – 0,8 %.
• Netflix va transférer son QG européen du Luxembourg aux Pays-Bas, indiqué le Premier ministre luxembourgeois.
• Netflix ouvrira mi-septembre son service de SVOD en France pour moins de
10 €/mois, affirme Le Figaro.
• Facebook commence à diffuser des pub vidéo dans des pays en plus des Etats-Unis, dont en France.
• Le Geste « s’inquiète des risques d’autocencure », suite à l’arrêt de la CJUE sur le droit à l’oubli.

19 mai
• La Cnil publie son rapport d’activité 2013 : http://lc.cx/Cnil13
• Wild Bunch indique avoir vendu 48.000 visionnages en VOD de « Welcome to New York » en 24 heures.
• Publicis passe un accord pluriannuel mondial avec Facebook.
• CFDT Médias reproche au président de France Télévisions, Rémy Pflimlin, de mener une « politique du digital à outrance ».
• Google acquiert Divide (sécurité des mobiles).
• YouTube (Google) veut acheter Twitch (diffusion en ligne de jeux vidéo).
• Twitter veut racheter SoundCloud, selon Re/code.
• L’Hadopi publie les chiffres de la réponse graduée : http://lc.cx/RG04-14

18 mai
• Arnaud Montebourg vient en appui de l’Open Internet Project (OIP) pour faire pression sur la Commission européenne contre Google.
AT&T annonce l’achat pour 48,5 Mds de $ de DirecTV, dont Berkshire Hathaway (Warren Buffet) était le principal actionnaire.

17 mai
• L’ARP, à propos de la sortie de « Welcome to New York » en VOD mais pas en salles : « Cette expérience (…) témoigne de l’urgence d’une réforme de la chronologie des médias ».

16 mai
• Numericable entre en négociation exclusive pour racheter Omera Telecom (Virgin Mobile).
• Le rapport de Thomas Paris, dressant le bilan des premières expérimentations day-and-date, est publié : http://lc.cx/Cinéma
• L’Asic « s’inquiète de l’absence de limites précises fixées par la CJUE » sur le droit à l’oubli.
• Arte diffuse une « blague » sur le piratage : http://lc.cx/Arte
• Google achète Quest Visual (traduction mobile).

15 mai
• Le CSA publie son rapport «Concentration radio » : http://lc.cx/Radio
• Orange et Bouygues Telecom discuteraient d’un rapprochement, selon Les Echos.
• Bouygues annonce de nouvelles économies chez Bouygues Telecom: 300 M€/an dès 2016, les syndicats craignant jusqu’à 2.000 emplois supprimés.
• Ubisoft, résultats 2013/14 (clos le 31 mars) : perte nette de 49,3M€ (-4,9 %) et CA de 1 Mds d’€ (-19,8 %).

14 mai
• Sony, résultats 2013/14 (clos le 31 mars) : perte nette de 950 M€ et CA de 57,5 Mds d’€ (+ 14 %). • Yahoo achète Blink (messagerie éphémère).
• Natalie Nougayrède démissionne de son poste de directrice du Monde, sur fond de réorganisation web-papier contestée.

13 mai
• La CJUE déboute Google tenu de respecter le droit à l’oubli des internautes qui souhaitent l’effacement de leurs données.
• Orange et l’Association Beaumarchais-SACD récompensent 6 nouveaux projets de fiction française transmédia.

12 mai
• Arnaud Montebourg : « Il est parfaitement possible aujourd’hui à deux opérateurs de fusionner et M. Bouygues est parfaitement en mesure d’imaginer des solutions avec d’autres que SFR ».
• Mireille Imbert-Quaretta remet son rapport « Contrefaçon en ligne » : http://lc.cx/DA-PI

Publicité en ligne : à qui appartiennent les données ?

En fait. Le 13 mai, NPA Conseil a organisé son 19e colloque, avec notamment
une première table ronde sur les nouveaux enjeux de la monétisation et de la valorisation des audiences. En toile de fond s’est posée la question de la propriété des données – des data – collectées auprès des utilisateurs.

En clair. Le nerf de la guerre publicitaire est désormais moins l’argent dépensé par les annonceurs que les données livrées gratuitement par les internautes. Mais ce pétrole
du Net que sont les données personnelles et les données de connexions se retrouve
« travaillé » par à la fois les éditeurs, les annonceurs et les plateformes numériques.
Mais qui est véritablement propriétaire de ces données qui échappent le plus souvent
au contrôle des utilisateurs pourtant à l’origine et propriétaire de ses données ? « La data appartient à l’éditeur », a lancé Robin Leproux, directeur général de M6 Publicité. Ce qui a fait réagir le directeur général de l’Union des annonceurs (UDA), Pierre-Jean Bozo : « C’est une déclaration à laquelle je souscris en partie seulement. Au niveau de la propriété de la data, il y a trois parties prenantes. La première, et il ne faut pas l’oublier et le reconnaître de manière très responsable, c’est l’utilisateur (le consommateur) qui est propriétaire de ses données personnelles. Ensuite, chaque annonceur (chaque marque) est propriétaire de ses données de base CRM (1) de ses magasins et sites Internet. Enfin, l’éditeur générant du contenu pour les téléspectateurs, les internautes et les mobinautes est propriétaire des données qui lui ont été autorisées (opt-in) par ses utilisateurs ayant signifié un attachement, un engagement, une relation ». La question
de la propriété des données – traitées en métadonnées – se pose d’autant plus que les sites web en France maintenant sous la surveillance de la Cnil sur le respect de ses recommandations sur l’obtention du consentement préalable de chaque utilisateur du Net et des mobiles avant toute installation de cookies (notamment publicitaires) sur ses terminaux (2). Mais c’est surtout dans le cadre des discussions d’ici la fin de l’année sur
le projet de loi numérique – et le futur « habeas corpus numérique » promis l’an dernier
par le chef de l’Etat, François Hollande – que publicitaires, médias, acteurs du Net et intermédiaires techniques vont devoir gagner la confiance des consommateurs sur l’utilisation maîtrisée et transparente de ces données.
A trop abuser de cette « confiance » et à trop « exploiter » les data, au risque d’être intrusifs, annonceurs, médias et sites web risquent se retrouver stoppés par des ad-blockers, ces petits logiciels qui bloquent l’affichage des publicités en ligne. @