Arrêt de Megaupload versus dé-référencement d’Allostreaming : Etats-Unis et Europe s’opposent

Entre les actions judiciaires des ayants droits en Europe pour faire dé-référencer Allostreaming par les acteurs du Web et l’opération policière des Etats-Unis pour arrêter Megaupload et son fondateur, deux visions mondiales de la lutte contre le piratage sur Internet s’opposent.

Par Charles de Laubier

De l’autre côté de l’Atlantique : FBI, hélicoptère, menottes, saisie d’ordinateur et fermeture manu militari du site web Megauplead, mandats d’arrêt internationaux, sur fonds de deux projets législatifs américains controversés. De ce côté-ci de l’océan : ayants droits, assignation en justice et dé-référencement d’Allostreaming demandé via le juge, aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI), aux moteurs de recherche et à d’autres acteurs du Web (1).

Police versus justice
Le Nouveau monde a choisi la manière forte, musclée, digne des cow-boys du Far West ; le Vieux continent s’en remet à la justice et au principe de proportionnalité (2). Alors que le fondateur de Megaupload se voit refuser le 25 janvier sa libération sous caution après son arrestation spectaculaire dans sa villa près d’Auckland en Nouvelle Zélande, les ayants droits français – l’APC (3), le SEVN (4) et la FNDF (5), épaulés par l’ALPA (6) – se sont retrouvés le 26 janvier dernier au TGI de Paris pour s’interroger sur la suite à donner à la procédure après l’arrêt de Megaupload. « Le calendrier de la procédure est en questionnement », nous indique Jean-Yves Mirski, délégué général
du SEVN. Un peu plus d’un mois après la comparution (le 15 décembre) de la dizaine d’entreprises assignées en France pour déréférencer Allostreaming, les Etats-Unis ont coupé brutalement (le 19 janvier) le site Megaupload que l’assignation française ne pouvait envisager de « bloquer » : en effet, selon la demande « en la forme des référés » déposée devant le TGI de Paris le 30 novembre, les trois organisations expliquent que « les plates-formes d’hébergement telles que “Megavideo”, “Megaupload” et “VideoBB”, etc… ne peuvent pas faire utilement l’objet de demandes dans le cadre de la présente procédure. En effet, (…) il a été constaté que l’internaute n’est pas en mesure d’accéder directement aux contenus contrefaisants stockés et se voit contraint de passer par le truchement de sites [d’annuaires] de liens » (7). En outre, l’Alpa n’a pas été capable de distinguer les fichiers qui étaient illicites par rapport aux œuvres légales sur Megaupload.

Résultat : c’est le « réseau Allostreaming » (portail de sites “annuaires de liens”) qui est visé par la France, tandis que les Etats-Unis se sont chargés de la plate-forme de Kim Schmitz. Les ayants droits français se disent satisfaits. « C’est très positif qu’un site qui avait un modèle commercial mondial pour appuyer la contrefaçon massive des oeuvres cesse son activité », a déclaré le 20 janvier Frédéric Goldsmith, délégué général de l’APC. Ce dernier fut par le passé directeur juridique du SNEP (8), lequel s’est également félicité le jour-même – par la voix de son DG David El Sayegh – de ce « signal très fort adressé à tous ceux qui pensent se jouer de la justice ». La SACD (9)
est sur la même longueur d’onde, son DG Pascal Rogard constatant « un tournant [qui] marque la détermination d’un grand pays à mettre fin aux activités illicites sur le dos des créateurs ». La SCAM (10) perçoit aussi un « virage important dans la lutte contre
la piraterie numérique en y apportant une réponse internationale », tandis que l’ARP (11) y voit « une avancée supplémentaire dans la lutte contre la piraterie ». Même l’Hadopi cautionne l’action policière américaine : « Ce qui s’est passé aux Etats-Unis est une bonne chose », a déclaré au Monde sa présidente Marie- Françoise Marais. Pour autant, L’Europe n’est pas les Etats-Unis. La commissaire européenne Neelie Kroes, en charge de l’agenda numérique, a réagi sur son compte Tweeter dès le 20 janvier dernier à propos de la fermeture de Megaupload par les Américains. « La réglementation sur l’Internet doit être efficace, proportionnée et préserver les bénéfices d’un réseau ouvert », a-t-elle déclaré. Et d’ajouter à propos des deux projets de lois américains (12), PIPA (Protect Intellectual Property Act) et SOPA (Stop Online Piracy Act) : « Nous n’avons pas besoin d’une mauvaise législation mais plutôt de protections pour un réseau ouvert ». Jonathan Todd, son porte-parole, a précisé que Neelie Kroes « exprimait ses préoccupations face à une action unilatérale qui a des conséquences globales ».

Pas de blocage en Europe
Quant à la vice-présidente de la Commission européenne, Viviane Reding, en charge
de la justice, elle a déclaré le 22 janvier à Munich : « Jamais vous n’aurez de la part de l’Europe un blocage d’Internet, ce n’est pas l’option [que nous avons] retenue. (…) La liberté d’information est un droit fondamental directement lié à la liberté d’Internet ». Bruxelles se démarque ainsi de Washington sur l’art et la manière d’agir contre le piratage sur Internet. Pendant que les Etats-Unis préfèrent les descentes de police, l’Europe privilégie la voie de la dissuasion judiciaire. @

Steve Crossan, Google : « Etant basé à Paris, l’Institut culturel aura une touche un peu plus européenne »

L’Institut culturel que dirige Steve Crossan sera complètement opérationnel l’été prochain. Conforme à l’ambition mondiale de Google, il met en ligne photos, films, sons, documents ou encore manuscrits. Il en assure aussi la protection et laisse le contrôle total à ses partenaires culturels.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Quelle est la mission et quelles sont les dernières créations de l’Institut culturel de Google ?
Steve Crossan :
L’Institut culturel a pour mission de développer des solutions d’hébergement, de visualisation et de numérisation, pour aider nos partenaires à promouvoir et préserver la culture en ligne. Son objectif est de développer – en partenariat avec les institutions culturelles de différents pays – une plateforme d’ingénierie et de produits afin de favoriser la conservation et l’accès aux contenus culturels à travers le monde. Ainsi,
en France par exemple, nous avons conçu décembre dernier – en partenariat avec le Pavillon de l’Arsenal – la plus grande maquette numérique au monde représentant le Grand Paris en 2020 grâce à Google Earth et à des modélisations des bâtiments en 3D. Le tout est visible sur 48 écrans de l’outil de visualisation Liquid Galaxy.
Nous sommes également partenaires de l’exposition « la France en relief » qui se tiendra le 18 janvier prochain au Grand Palais. Nous avons ainsi relevé le défi – avec des entreprises françaises expertes en numérisation, notamment Aloest et Westimages –
de numériser et mettre en ligne certains plans reliefs (datant du XVII au XIXe siècle)
des principales villes fortifiées françaises.?

EM@ : Quand cet Institut culturel – annoncé en septembre 2010 – sera-t-il installé
et pourquoi Google a-t-il choisi Paris pour l’établir ?
S. C. :
Nous avons choisi d’établir à Paris cet Institut culturel, lancé en avril 2011,
pour porter ce projet ambitieux au-delà du monde anglophone. En tant que carrefour incontournable de la création, de l’innovation et du rayonnement culturel, Paris était un choix évident. L’espace physique de l’Institut culturel, qui se situera rue de Londres, au sein du bureau parisien de Google, sera en place et totalement opérationnel à l’été 2012.

« Il ne s’agit pas seulement de numérisation mais de trouver des solutions d’hébergement et dediffusion des contenus déjà numérisés permettant aux propriétaires
de ces contenus de conserver un contrôle total sur la publication. »

EM@ : Cet Institut culturel a été présenté comme étant européen, puis Google lui
a donné une envergure mondiale. Est-il plus américain qu’européen ?
S. C. :
Mondial ne signifie pas américain ! Le fait que nous soyons en France donnera probablement à l’Institut culturel une touche un peu plus européenne, mais notre objectif est de rendre accessible au plus grand nombre toutes les cultures du monde sans se soucier des frontières géographiques.

EM@ : Sur une soixantaine d’ingénieurs du centre de R&D, combien y seront affectés ? Est-ce suffisant ? Ingénieurs et culture : est-ce compatible ?
S. C. :
Le centre de R&D de Google France comptait au début de l’année six ingénieurs ; ils sont aujourd’hui plus de dix fois plus nombreux. Et l’Institut culturel, qui compte à ce jour une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs et chefs de produit, en fait partie. Il s’agit d’un rythme de croissance très rapide. Or il n’est pas forcément facile d’embaucher autant
de personnes et de s’organiser si rapidement, mais nous n’avons pas terminé. Nous continuerons de nous agrandir au cours de l’année 2012.

EM@ : Après la mer Morte, le musée Yad Vashem, le Art Project et le « Liquid Galaxy » à Paris, quels sont les autres outils et services que lance l’Institut culturel pour préserver et diffuser la culture en ligne ? L’Institut culturel va-t-il aussi numériser livres, magazines et documents ?
S. C. :
Nous allons étendre les services et outils Google déjà existants pour permettre à nos partenaires d’en bénéficier, à travers de nouveaux formats. Nous laissons à Google Livres la numérisation des livres. L’Institut Culturel se concentrera davantage sur la photo, les archives de films, les sons, les documents ou encore les manuscrits. Il ne s’agit pas seulement de numérisation mais de trouver des solutions d’hébergement et de diffusion des contenus déjà numérisés permettant aux propriétaires de ces contenus de conserver un contrôle total sur la publication.

EM@ : L’Institut culturel va-t-il œuvrer pour le respect de la propriété intellectuelle et la lutte contre piratage des œuvres sur Internet ? Comment va-t-il y contribuer concrètement ? Travaillera-t-il (avec YouTube) sur les empreintes numériques de contenus vidéo et audio avec Content ID ou une autre technologie ?
S. C. :
Google a développé de nombreux projets et technologies qui contribuent à résoudre les problématiques de piratage sur Internet. C’est le cas notamment de Content ID, le système d’identification numérique de contenu développé par YouTube. Pour les services et produits que nous lançons, nous proposons à nos partenaires qui le souhaitent, des fonctionnalités permettant de lutter contre le pillage de contenu ou
le marquage numérique. Vous en saurez davantage à ce sujet dans quelque temps.

EM@ : Le 7 décembre, Eric Schmidt a déclaré à Libération que « si les Français veulent faire participer Internet au financement de la culture, je n’ai pas de problèmes avec ça ». Cela veut-il dire que le projet de taxe Google n’aurait pas dû être abandonné par la France ? L’Institut culturel va-t-il lutter contre le dumping fiscal qui pénalise la culture en ligne ?
S. C. :
Je ne suis pas sûr que ce soit à l’Institut culturel de répondre à cette question. Notre rôle dans cet écosystème est de créer des produits et des services qui permettent à la fois de répondre aux besoins du secteur de la culture et d’offrir la meilleure expérience possible aux utilisateurs.?

EM@ : Google a indiqué mi-octobre travailler dans le monde avec plus de 50.000 partenaires médias, auxquels Google News a reversé jusqu’à présent plus de
6 milliards de dollars. Dans quels modèles économiques, Google/YouTube et l’Institut culturel vont reverser de l’argent aux partenaires culturels ? Quels
liens voyez-vous entre culture et publicité ?
S. C. :
Comme vous le mentionnez, Google et YouTube soutiennent un grand nombre de créateurs de contenus, pas seulement à travers la publicité mais également à travers des produits comme OnePass, qui est une solution de paiement développée par Google pour les éditeurs désireux de faire payer leurs contenus numériques. YouTube a en effet contribué à créer un écosystème grâce auquel une nouvelle génération de créateurs
de contenus est capable de gagner sa vie.
L’objectif premier de l’Institut culturel n’est pas de trouver de nouvelles sources de revenus pour les créateurs de contenus. Notre travail s’adresse davantage aux conservateurs de musées et institutions culturelles qui cherchent un moyen de mettre
en ligne leurs contenus pour les rendre disponibles à un large public, tout en gardant
le contrôle. Nous n’excluons pas pour autant de développer, à l’avenir, des solutions technologiques visant à générer des nouvelles sources de revenus, mais ce n’est pas notre priorité pour l’instant. @

Newsroom

12 janvier 2012
• Le CSA a finalement reçu 34 candidatures « TNT HD gratuite ».
• Jean-Ludovic Silicani, président de l’Arcep, aux « Echos » : « [Free] doit continuer à investir dans la fibre ».
• Jacques Stern remplace Joëlle Tolédano comme membre de l’Arcep.
• L’Icann ouvre jusqu’au 29 mars la période des demandes de mots entiers comme suffixes de nom de domaine (noms d’entreprise, de ville, de genres, etc) : 185.000 euros l’unité !

11 janvier
• Le CSA dit avoir reçu 31 candidatures de TV gratuites pour six nouvelles chaînes HD sur la TNT : TF1, M6, NRJ, Lagardère Active, NextRadioTV, (…) les groupes de presse Amaury/L’Equipe, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, … Canal+ absent et AlloCiné renonce.
• La Commission européenne veut « doubler le volume du commerce électronique en Europe d’ici 2015 », dont « l’accès transfrontalier aux (…) contenus en ligne ».
• Virgin Mobile, premier à contre-attaquer Free Mobile.
• Le SRI, Syndicat des régies Internet, publie son observatoire de l’e-pub en France : 2,5 milliards d’euros en 2011 (+ 11 %).
• The Pirate Bay, site suédois de peer-to-peer (32 millions d’utilisateurs dans le monde), doit être bloqué par deux FAI aux Pays- Bas, ordonne un tribunal à La Haye.

10 janvier
• Xavier Niel dévoile l’offre « sans engagement de durée » de Free Mobile : forfait tout illimité à 19,99 euros par mois.
• Médiamétrie indique qu’un internaute sur cinq (21 %) est « séduit » par la VOD (d’abord sur TV, puis sur PC), mais « le principal frein avancé reste le prix ».
• Lagardère Active rachète DBDS, éditeur du site TV-replay.fr.
• TF1 annonce avoir conclu la distribution de ses chaînes thématiques avec Orange, SFR, Bouygues Telecom, CanalSat et Numéricâble.
• Beezik (lire EM@42) revendique 3 millions d’abonnés.
• MEDIA, programme d’aides européen (72 millions d’euros en 2011), a profité à la France : 19 millions, dont 3,4 millions de « soutien aux nouvelles technologies » (VOD en tête).

9 janvier
• Médiamétrie publie l’audience TV de 2011 : M6 détrône France 3 et devient la 3e chaîne française derrière TF1 et France 3.
• La Sacem et Creative Commons signent un accord « pilote », valable jusqu’au 30 juin 2013, pour la diffusion « non commerciale » de musiques sur Internet.
• Sony confirme que sa nouvelle console de jeux PlayStation Vita donnera accès à Netflix. Sortie en Europe : le 22 février.
• MySpace (que News Corp a revendu en juin 2011 à Specific Media) dévoile au CES MySpace TV surViera, la TV connectée de Panasonic.
• Microsoft annonce pour le 1er février l’arrivée de la Kinect (commande gestuelle et vocale de la Xbox 360) sur ordinateurs Windows.
• Numéricâble annonce le lancement de sa « box » triple play et télévision thématique, intégrant « Facebook en direct sur la TV » .

7 janvier
• L’Hadopi voit trois de ses membres remplacés par décret, dont le député PS Didier Mathus (hostile à l’Hadopi) qui prend la place du sénateur UMP Michel Thiollière.

6 janvier
• LG Electronics annonce son premier téléviseur doté du nouveau service Google TV, rejoignant ainsi Sony et Samsung déjà partenaires.

5 janvier
• Le Parlement européen a publié fin 2011 une étude MCG intitulée « Le “forfait sur le contenu” [licence globale] : une solution au partage illégal de fichiers ? » (PCINpact).

4 janvier
• Dailymotion annonce en version bêta une application d’envoi en masse de vidéos, « Mass Uploader ».
• Yahoo nomme Scott Thompson (ex-Paypal) comme DG pour remplacer Carol Bartz remerciée brutalement en septembre 2011.
• Le CNC et Oséo publient le bilan 2007-2010 du RIAM : 54 projets financés, dont 13 pour « faire circuler les oeuvres et promouvoir l’offre légale », parmi lesquels ceux de l’APC (lire EM@47, p. 7), Dailymotion ou encore Vodkaster.

2 janvier
• L’Arjel pourra indemniser les FAI qui bloqueront des sites illégaux, selon un décret entré en vigueur.
• SoundCloud, site de musiques berlinois, lève 50 millions de dollars, selon « TechCrunch ».

28 décembre 2011
• Le CSA lance jusqu’au 27 février un appel à candidatures pour la RNT dans la bande L (lire p. 3).

23 décembre
• L’Idate publie une étude sur le libre numérique : le marché mondial va croître de 30 % par an entre 2010 et 2015, à 5,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
• L’Arcep lance deux consultations publiques sur la neutralité de l’Internet (lire p. 3).
• AlloCiné voit son projet Cinegift, plateforme de VOD payante, financé par le Grand emprunt.
• Le Point rejoint le kiosque Newsstand d’Apple.

22 décembre
• L’Arcep attribue les licences 4G dans les 800 Mhz à SFR, France Télécom et Bouygues Telecom, Free n’étant pas retenu (lire p. 5) : 2,6 milliards d’euros pour l’Etat.

21 décembre
• Twitter accueille un nouvel actionnaire : le prince saoudien Al-Walid Ben Talal, qui s’empare de 3 % du capital pour 300 M$.
• Le Nouvel Observateur (groupe Perdriel) rachète Rue89, lancé en 2007 par d’anciens de Libération, Hi-Media lui cédant ses 9,4 %.
• ActuaLitte.com, magazine littéraire en ligne, lance avec Google Livres une bibliothèque numérique d‘ouvrages libres de droit.
• La nouvelle loi « Copie privée » est promulguée au J.O.
• Patrice Martin-Lalande, député de Loir et Cher, remet à François Fillon et Frédéric Mitterrand son rapport sur le jeu vidéo (régime juridique et droit d’auteur).

Jouer avec les nuages (II)

Ce Noël, rien sous le sapin ! Rien qui ne rappelle, de près ou de loin, les traditionnelles boîtes de jeux vidéo qui venaient s’y empiler, d’une année sur l’autre. Entre temps, la dématérialisation de la filière des jeux vidéo continuait avec obstination à vider la hotte du Père Noël et les magasins spécialisés. Et ce n’est pas terminé. D’abord, parce que les consoles résistent en trouvant, génération après génération, de nouvelles ressources d’innovation justifiant encore leur attractivité : un équipement à domicile s’avère toujours indispensable pour jouer en 3D et ultra haut-débit sur écran géant, en faisant appel aux nouvelles ressources du web des émotions, prometteuses de sensations inédites. Si la console n’est pas (encore) morte, c’est aussi pour la simple raison que, pour les jeux, le processus de dématérialisation est autrement plus complexe que pour la musique, les films ou les livres. Il ne s’agit plus de simplement télécharger des fichiers mais de pouvoir jouer en ligne et en temps réel. Il est question ici de Gaming on Demand (GoD) ou de Cloud Gaming : grâce aux ressources du « cloud computing », toutes les opérations de calcul ne sont plus réalisées sur une machine à domicile mais sur de puissants serveurs distants. Cela concerne un chapitre de plus en plus important du catalogue de jeux, à la complexité accrue mais désormais compatibles avec les performances croissantes des réseaux à très haut-débit. Finie la course des foyers aux micro-ordinateurs survitaminés.

« Au moment où les chronologies des médias de la vidéo ou du livre sont mises à mal, une chronologie des jeux vidéo se met en place ! »

La guerre est désormais déclarée entre les acteurs en mesure de dominer cette nouvelle scène de diffusion des jeux vidéo. Les acteurs historiques du secteur s’y sont finalement lancés pour assurer leur survie. Mais il faut se souvenir qu’ils n’y entrèrent qu’à reculons, laissant à d’autres le soin de défricher devant eux. Les early adopters se sont familiarisés avec des jeux sur navigateurs proposés par des développeurs audacieux. On se souvient en particulier des succès des studios lillois 3DDuo, avec Leelh et Ankama avec Dofus lancé en 2004. Mais c’est Crytek, puissant studio indépendant de Frankfurt, qui, dès 2005, a investi dans une solution en mode GoD pour son jeu-phare Crysis, avant d’abandonner les recherches deux ans plus tard faute de réseaux à niveau. Le véritable lancement commercial du jeu online ne date en réalité que de 2010, avec l’arrivée très remarquée de la plateforme de distribution OnLive, lancée après plus de sept années de recherche par le pionnier Steve Perlman. Elle permet aux joueurs d’accéder à plus de 150 jeux de tout premier plan, instantanément et sur tous les terminaux, de la « télé » à l’ « ordi » en passant par les tablettes et les smartphones. Le tout, pour moins de 10 dollars par mois sans engagement et en s’appuyant dès le départ sur des opérateurs comme AT&T ou BT. Un autre californien lança en 2011 Gaikai, en misant pour sa part sur sa compatibilité avec Linux et en proposant de rémunérer les éditeurs de sites partenaires en fonction du temps passé sur un jeu. Depuis, de nombreuses sociétés ont mis en place ces nouvelles plates-formes de diffusion de jeux basées sur le nuage informatique multi-terminaux comme Playcast Media, Otoy, GameStop, G-cluster, Transgaming, Spoon, Darkworks, Gamestring, ou encore iSwifter. Autant de start-up qui, aujourd’hui, ont disparu ou ont été reprises par les géants du Net pour lesquels les catalogues de jeux sont devenus une part de l’offre de base de leurs services. L’expérience pour les joueurs réguliers ou occasionnels fut très positive et leur adhésion très rapide.
Pour les acteurs de la filière, il a fallu repenser une part importante de la distribution et stabiliser de nouveaux business models. Mais il est intéressant de noter, au moment où les traditionnelles chronologies des médias de la vidéo ou du livre sont mises à mal et drastiquement raccourcies, qu’une chronologie des jeux vidéo se met peu à peu en place – là où elle était initialement absente ! Les éditeurs ont en effet dû organiser de manière progressive une distribution de leurs titres « AAA », en privilégiant une sortie initiale sur les consoles avant d’autoriser leur diffusion sur les plates-formes de GoD. Preuve de la maturité nouvelle d’une industrie qui n’en finit pas de s’imposer, définitivement, en tant que Dixième Art aux côtés du Septième (le cinéma) ou du Quatrième (la musique). @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
Programmes audiovisuels à l’heure du web
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’IDATE publie en 2012 son rapport
« Cloud Gaming », par Laurent Michaud.

L’Europe prend des airs de régulateur mondial de la protection des données sur Internet

La Commission européenne va présenter autour du 28 janvier, journée mondiale des données personnelles (Data Privacy Day), deux projets de textes législatifs sur la protection des données personnelles en ligne : l’un sur la régulation, l’autre sur la nouvelle directive.

Edition Multimédi@ s’est procuré la derrière version – numérotée 56 et datée du 29/11/11 – de la proposition de la Commission européenne au Parlement européen
et au Conseil de l’Union sur l’évolution de la législation en matière de protection des données personnelles. Deux projets de textes y sont proposés que Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, présentera fin janvier : le premier sur
la régulation de la protection des données personnelles ; le second sur la directive sur la protection des données personnelles.

La décision d’une « Cnil » suffira
Dix-sept ans après la promulgation de la directive européenne sur la protection des données personnelles (1), l’Europe s’apprête à imposer aux géants du Net (Facebook, Google, Amazon, Apple, Yahoo, Microsoft, …) et à tous les acteurs du Web ou d’Internet mobile (moteurs, sites, éditeurs, médias, régies pub, agrégateurs, opérateurs, FAI, plateformes de téléchargement ou de streaming, …) des règles contraignantes pour renforcer la protection des données personnelles collectées en ligne, exploitées et transférées par-delà les frontières. Depuis l’été dernier, mais surtout depuis la version
« 56 » des propositions divulguée à quelques professionnels lors du congrès de l’IAPP (2) Europe Data Protection à Paris le 29 novembre dernier, les lobbyistes – notamment les trois de l’IAPP, dont la liste des membres n’est pas publique – s’activent à Bruxelles pour tenter d’atténuer le caractère contraignant pour eux du prochain cadre réglementaire. Dans ce double projet législatif, Viviane Reding – commissaire en charge de la Justice après l’avoir été pour le Numérique – entend ajouter aux codes
de bonne conduite existants des obligations non explicitement prévues dans la directive de 1995 mais qui ont été identifiées par le « Groupe 29 » réunissant les Cnil (3) européennes. Il s’agit de permettre aux internautes et mobinautes de (re)prendre l’initiative sur leurs données personnelles et leur vie privée sur Internet, en leur (re)donnant le pouvoir d’exercer leurs droits : du consentement explicite (explicit consent) avant que leurs données ne soient enregistrées et exploitées, jusqu’au droit à l’oubli (right to be forgotten). Et ce, même si l’entreprise du Net est basée en dehors de l’Union comme c’est souvent le cas dans le « cloud computing » par exemple (lire p. 8 et 9). « En cas du marketing direct à des fins commerciales, [cette démarche] devrait être légale seulement si la personne concernées par ces données a donné son consentement préalable (prior consent). Le consentement peut être [aussi] retiré », précise le projet de directive dans son considérant n°50. Sont notamment visés les
« cookies » déposés par les éditeurs et/ou les annonceurs sur le terminal des internautes ou des mobinautes (4) (*) (**). Cette contrainte, déjà prévue dans le Paquet télécom de 2009, a été transposée en France par l’ordonnance du 24 août dernier (5) mais avec un compromis (6).
Plus généralement, la grande réforme de la protection des données personnelles
va consister en une seule loi européenne : les entreprises n’auront plus à demander l’autorisation préalable (prior autorisation) à chacune des vingt-sept « Cnil ». « Cette fragmentation juridique est un fardeau administratif coûteux. (…) C’est nuisible à la crédibilité et à l’efficacité des autorités de protection de données », a d’ailleurs déploré Viviane Reding, qui entend harmoniser la législation et tenter de mettre un terme au patchwork communautaire. Lorsqu’une des autorités nationales en Europe approuvera des règles ou des transferts de données personnelles d’une entreprise, cette autorisation préalable devra être reconnue par les vingt-six autres Etats. « Les citoyens (…) seront protégées d’une façon semblable partout dans l’Union européenne », a promis la vice-présidente. La nouvelle législation prévoit en outre de renforcer le pouvoir de sanction des Cnil en cas d’infraction à l’encontre d’entreprises et/ou de parties tierces contrevenantes. La portée de ce nouveau cadre aura même une portée globale, s’appliquant aussi bien aux données personnelles sur le marché unique intérieur mais aussi ailleurs dans le monde. Une mise en garde pour les multinationales du Net telles que Facebook, relevant actuellement du droit irlandais, et pour les adeptes du « nuage informatique » délocalisé.

Les « nuages informatiques » visés Ainsi, les utilisateurs pourront faire valoir leur droit sur leurs données personnelles, quel que soit l’endroit dans le monde où elles sont traitées.
« Les obligations concerneront aussi les entreprises du cloud computing », a insisté Viviane Reding. L’exécutif européen espère ainsi faire école dans le monde entier en matière de protection des données, en mettant en place une législation sans précédent
et compatible mondialement. @

Charles de Laubier