Jouer avec les nuages (II)

Ce Noël, rien sous le sapin ! Rien qui ne rappelle, de près ou de loin, les traditionnelles boîtes de jeux vidéo qui venaient s’y empiler, d’une année sur l’autre. Entre temps, la dématérialisation de la filière des jeux vidéo continuait avec obstination à vider la hotte du Père Noël et les magasins spécialisés. Et ce n’est pas terminé. D’abord, parce que les consoles résistent en trouvant, génération après génération, de nouvelles ressources d’innovation justifiant encore leur attractivité : un équipement à domicile s’avère toujours indispensable pour jouer en 3D et ultra haut-débit sur écran géant, en faisant appel aux nouvelles ressources du web des émotions, prometteuses de sensations inédites. Si la console n’est pas (encore) morte, c’est aussi pour la simple raison que, pour les jeux, le processus de dématérialisation est autrement plus complexe que pour la musique, les films ou les livres. Il ne s’agit plus de simplement télécharger des fichiers mais de pouvoir jouer en ligne et en temps réel. Il est question ici de Gaming on Demand (GoD) ou de Cloud Gaming : grâce aux ressources du « cloud computing », toutes les opérations de calcul ne sont plus réalisées sur une machine à domicile mais sur de puissants serveurs distants. Cela concerne un chapitre de plus en plus important du catalogue de jeux, à la complexité accrue mais désormais compatibles avec les performances croissantes des réseaux à très haut-débit. Finie la course des foyers aux micro-ordinateurs survitaminés.

« Au moment où les chronologies des médias de la vidéo ou du livre sont mises à mal, une chronologie des jeux vidéo se met en place ! »

La guerre est désormais déclarée entre les acteurs en mesure de dominer cette nouvelle scène de diffusion des jeux vidéo. Les acteurs historiques du secteur s’y sont finalement lancés pour assurer leur survie. Mais il faut se souvenir qu’ils n’y entrèrent qu’à reculons, laissant à d’autres le soin de défricher devant eux. Les early adopters se sont familiarisés avec des jeux sur navigateurs proposés par des développeurs audacieux. On se souvient en particulier des succès des studios lillois 3DDuo, avec Leelh et Ankama avec Dofus lancé en 2004. Mais c’est Crytek, puissant studio indépendant de Frankfurt, qui, dès 2005, a investi dans une solution en mode GoD pour son jeu-phare Crysis, avant d’abandonner les recherches deux ans plus tard faute de réseaux à niveau. Le véritable lancement commercial du jeu online ne date en réalité que de 2010, avec l’arrivée très remarquée de la plateforme de distribution OnLive, lancée après plus de sept années de recherche par le pionnier Steve Perlman. Elle permet aux joueurs d’accéder à plus de 150 jeux de tout premier plan, instantanément et sur tous les terminaux, de la « télé » à l’ « ordi » en passant par les tablettes et les smartphones. Le tout, pour moins de 10 dollars par mois sans engagement et en s’appuyant dès le départ sur des opérateurs comme AT&T ou BT. Un autre californien lança en 2011 Gaikai, en misant pour sa part sur sa compatibilité avec Linux et en proposant de rémunérer les éditeurs de sites partenaires en fonction du temps passé sur un jeu. Depuis, de nombreuses sociétés ont mis en place ces nouvelles plates-formes de diffusion de jeux basées sur le nuage informatique multi-terminaux comme Playcast Media, Otoy, GameStop, G-cluster, Transgaming, Spoon, Darkworks, Gamestring, ou encore iSwifter. Autant de start-up qui, aujourd’hui, ont disparu ou ont été reprises par les géants du Net pour lesquels les catalogues de jeux sont devenus une part de l’offre de base de leurs services. L’expérience pour les joueurs réguliers ou occasionnels fut très positive et leur adhésion très rapide.
Pour les acteurs de la filière, il a fallu repenser une part importante de la distribution et stabiliser de nouveaux business models. Mais il est intéressant de noter, au moment où les traditionnelles chronologies des médias de la vidéo ou du livre sont mises à mal et drastiquement raccourcies, qu’une chronologie des jeux vidéo se met peu à peu en place – là où elle était initialement absente ! Les éditeurs ont en effet dû organiser de manière progressive une distribution de leurs titres « AAA », en privilégiant une sortie initiale sur les consoles avant d’autoriser leur diffusion sur les plates-formes de GoD. Preuve de la maturité nouvelle d’une industrie qui n’en finit pas de s’imposer, définitivement, en tant que Dixième Art aux côtés du Septième (le cinéma) ou du Quatrième (la musique). @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
Programmes audiovisuels à l’heure du web
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’IDATE publie en 2012 son rapport
« Cloud Gaming », par Laurent Michaud.