Arrêt de Megaupload versus dé-référencement d’Allostreaming : Etats-Unis et Europe s’opposent

Entre les actions judiciaires des ayants droits en Europe pour faire dé-référencer Allostreaming par les acteurs du Web et l’opération policière des Etats-Unis pour arrêter Megaupload et son fondateur, deux visions mondiales de la lutte contre le piratage sur Internet s’opposent.

Par Charles de Laubier

De l’autre côté de l’Atlantique : FBI, hélicoptère, menottes, saisie d’ordinateur et fermeture manu militari du site web Megauplead, mandats d’arrêt internationaux, sur fonds de deux projets législatifs américains controversés. De ce côté-ci de l’océan : ayants droits, assignation en justice et dé-référencement d’Allostreaming demandé via le juge, aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI), aux moteurs de recherche et à d’autres acteurs du Web (1).

Police versus justice
Le Nouveau monde a choisi la manière forte, musclée, digne des cow-boys du Far West ; le Vieux continent s’en remet à la justice et au principe de proportionnalité (2). Alors que le fondateur de Megaupload se voit refuser le 25 janvier sa libération sous caution après son arrestation spectaculaire dans sa villa près d’Auckland en Nouvelle Zélande, les ayants droits français – l’APC (3), le SEVN (4) et la FNDF (5), épaulés par l’ALPA (6) – se sont retrouvés le 26 janvier dernier au TGI de Paris pour s’interroger sur la suite à donner à la procédure après l’arrêt de Megaupload. « Le calendrier de la procédure est en questionnement », nous indique Jean-Yves Mirski, délégué général
du SEVN. Un peu plus d’un mois après la comparution (le 15 décembre) de la dizaine d’entreprises assignées en France pour déréférencer Allostreaming, les Etats-Unis ont coupé brutalement (le 19 janvier) le site Megaupload que l’assignation française ne pouvait envisager de « bloquer » : en effet, selon la demande « en la forme des référés » déposée devant le TGI de Paris le 30 novembre, les trois organisations expliquent que « les plates-formes d’hébergement telles que “Megavideo”, “Megaupload” et “VideoBB”, etc… ne peuvent pas faire utilement l’objet de demandes dans le cadre de la présente procédure. En effet, (…) il a été constaté que l’internaute n’est pas en mesure d’accéder directement aux contenus contrefaisants stockés et se voit contraint de passer par le truchement de sites [d’annuaires] de liens » (7). En outre, l’Alpa n’a pas été capable de distinguer les fichiers qui étaient illicites par rapport aux œuvres légales sur Megaupload.

Résultat : c’est le « réseau Allostreaming » (portail de sites “annuaires de liens”) qui est visé par la France, tandis que les Etats-Unis se sont chargés de la plate-forme de Kim Schmitz. Les ayants droits français se disent satisfaits. « C’est très positif qu’un site qui avait un modèle commercial mondial pour appuyer la contrefaçon massive des oeuvres cesse son activité », a déclaré le 20 janvier Frédéric Goldsmith, délégué général de l’APC. Ce dernier fut par le passé directeur juridique du SNEP (8), lequel s’est également félicité le jour-même – par la voix de son DG David El Sayegh – de ce « signal très fort adressé à tous ceux qui pensent se jouer de la justice ». La SACD (9)
est sur la même longueur d’onde, son DG Pascal Rogard constatant « un tournant [qui] marque la détermination d’un grand pays à mettre fin aux activités illicites sur le dos des créateurs ». La SCAM (10) perçoit aussi un « virage important dans la lutte contre
la piraterie numérique en y apportant une réponse internationale », tandis que l’ARP (11) y voit « une avancée supplémentaire dans la lutte contre la piraterie ». Même l’Hadopi cautionne l’action policière américaine : « Ce qui s’est passé aux Etats-Unis est une bonne chose », a déclaré au Monde sa présidente Marie- Françoise Marais. Pour autant, L’Europe n’est pas les Etats-Unis. La commissaire européenne Neelie Kroes, en charge de l’agenda numérique, a réagi sur son compte Tweeter dès le 20 janvier dernier à propos de la fermeture de Megaupload par les Américains. « La réglementation sur l’Internet doit être efficace, proportionnée et préserver les bénéfices d’un réseau ouvert », a-t-elle déclaré. Et d’ajouter à propos des deux projets de lois américains (12), PIPA (Protect Intellectual Property Act) et SOPA (Stop Online Piracy Act) : « Nous n’avons pas besoin d’une mauvaise législation mais plutôt de protections pour un réseau ouvert ». Jonathan Todd, son porte-parole, a précisé que Neelie Kroes « exprimait ses préoccupations face à une action unilatérale qui a des conséquences globales ».

Pas de blocage en Europe
Quant à la vice-présidente de la Commission européenne, Viviane Reding, en charge
de la justice, elle a déclaré le 22 janvier à Munich : « Jamais vous n’aurez de la part de l’Europe un blocage d’Internet, ce n’est pas l’option [que nous avons] retenue. (…) La liberté d’information est un droit fondamental directement lié à la liberté d’Internet ». Bruxelles se démarque ainsi de Washington sur l’art et la manière d’agir contre le piratage sur Internet. Pendant que les Etats-Unis préfèrent les descentes de police, l’Europe privilégie la voie de la dissuasion judiciaire. @