« Préalable » : le mot qui pourrait compromettre la publicité sur Internet

Le gouvernement doit publier d’ici le 25 mai une ordonnance pour transposer la nouvelle directive européenne « Service universel et droits des utilisateurs » sur Internet. Elle impose aux Vingt-sept de prévoir le « consentement préalable » des internautes pour chaque « cookie » déposé dans son ordinateur.

Le marché de la publicité, qui devrait dépasser cette année en France les 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires (contre 2,3 milliards en 2010 selon l’Irep) et franchir en Europe la barre des 10 milliards d’euros (contre 8,6 milliards en 2010 selon l’Idate),
est sur le point d’être déstabilisé par un petit mot : « préalable ».

L’opt-in va remplacer l’opt-out
« Préalable » a été rajouté dans la nouvelle directive européenne Service universel et droits des utilisateurs sur les réseaux et services de communications électroniques,
qui a été promulguée le 18 décembre 2009 au JOCE (1) et qui doit être transposée d’ici
le 25 mai 2011 après avoir notifié le texte à la Commission européenne. Ainsi, l’article 6
de ce texte communautaire prévoit désormais que tout éditeur de contenus en ligne ou tout fournisseur de services sur le Web obtiennent le « consentement préalable » de chaque internaute avant de déposer dans l’ordinateur de ce dernier – ou le smartphone
du mobinaute – un cookie. La précédente directive de 2002 prévoyait bien le consentement mais pas de façon préalable. Ce que modifie la nouvelle directive (2).
C’est ce passage de l’opt-out (accord tacite) à l’opt-in (accord exprès) que redoutent
les acteurs de l’Internet. D’autant que toute l’économie de la publicité en ligne est basée sur les fameux « cookies », ces petits fichiers informatiques nés en 1994 chez Netscape sous le nom de « magic cookie » et destinés à suivre à la trace chaque internautes naviguant sur le Web. Une fois installé discrètement dans l’ordinateur au moment de la première visite sur un site web, le cookie fait office de témoin, voire de mouchard ou d’espion, à chaque fois que l’utilisateur se reconnecte. Ils sont déposés par le navigateur complice (Google, Firefox, Opera, Chrome, …), à l’insu de l’internaute, et servent aux éditeurs de services en ligne à collecter toutes sortes
de données utiles à la gestion des connexions (identifiants par exemple), à la personnalisation des sessions (préférences notamment), ou au pistage des visites (statistiques, centres d’intérêt, transactions, etc). C’est sur ce tracking que s’appuie particulièrement l’industrie de la publicité en ligne qui égrène pour ce faire des millions de cookies, dits « tierces parties » car ils relèvent de noms de domaine différent de celui visité par l’internaute. Les annonceurs, leurs agences de publicité et les régies publicitaires en sont friands. Et pour cause : c’est grâce à leurs cookies que les publicitaires vont mesurer l’audience de leurs bannières, pub vidéo et autres liens sponsorisés (3), afin d’en mesurer leur efficacité et de proposer par la suite des publicités ciblées en fonction des préférences de l’internaute recueillis sans qu’il le sache par le cookie. Dans son considérant 25, la directive de 2002 explique que « les dispositifs de ce type, par exemple des témoins de connexion (cookies), peuvent constituer un outil légitime et utile, par exemple pour évaluer l’efficacité de la conception d’un site et de la publicité faite pour ce site, ainsi que pour contrôler l’identité des utilisateurs effectuant des transactions en ligne. (…) L’accès au contenu d’un site spécifique peut être, toutefois, subordonné au fait d’accepter, en pleine connaissance
de cause, l’installation d’un témoin de connexion (…). » (4). Or, les internautes sont suspicieux envers cette intrusion. Selon une étude de ETO et Market Audit publiée
le 10 mars, 70 % des consommateurs refusent que leurs données personnelles – et les cookies en font partie selon la Cnil – soient utilisées par les annonceurs. De plus, selon Benoît Cassaigne, directeur exécutif de Médiamétrie, jusqu’à 50 % des cookies sont effacés par les internautes dans le mois à partir de leur navigateur (5). Le consentement préalable pourrait anéantir les cookies. Le gouvernement français ne pourra faire l’impasse sur l’opt-in malgré les pressions des premiers concernés – tels que l’Interactive Advertising Bureau France (IAB) – pour assouplir le texte. Depuis un an, une première version de l’ordonnance prévue dans le cadre de la transposition du Paquet télécom prévoit bien le consentement préalable des internautes vis-à-vis des cookies et, toujours conformément à la directive de 2009, « la possibilité de retirer à tout moment leur consentement pour le traitement des données relatives au trafic ».

Pas de débat, grande inquiétude
Les professionnels n’ont eu de cesse d’alerter le gouvernement sur les risques que
ces dispositions faisaient peser sur le marché de la publicité en ligne. Maintenant que
le gouvernement est habilité à transposer par ordonnance, donc dans l’urgence et
sans débat parlementaire (6), l’inquiétude monde. S’il y a méfiance et désaffection
des annonceurs vis-à-vis de l’e-pub, qui financera les contenus gratuits du Web ? @

Charles de Laubier