Le Médiateur du livre est contraint d’adapter les lois sur le prix du livre aux usages numériques

Créé il y a plus de trois ans, le « Médiateur du livre » a livré le 1er avril son premier rapport d’activité. Sa présidente Laurence Engel, qui n’ira pas au bout
de son mandat fixé à septembre 2017 (car nommée à la tête de la BnF), quitte
une autorité en plein brainstorming.

La loi n°81-766 du 10 août 1981, dite loi « Lang » sur le prix
du livre, la loi n°2011-590 du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique, la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 sur la consommation qui a modifié les deux lois précédentes…
Tel est l’arsenal législatif français du prix du livre. Ces lois,
dont le fondement remonte à il y a 35 ans, sont obsolètes !

Du soft law pour colmater les lois
Les développements des nouveaux usages numériques, que cela soit les offres d’abonnement, les ventes en ligne ou encore le marché de l’occasion, bousculent le droit régissant toute une filière du livre qui ne s’y attendait pas vraiment. A la demande express des maisons d’édition et des libraires, l’autorité administrative indépendante
« Médiateur du livre » a été instituée il y a maintenant trois ans pour préserver les acquis de l’ancien monde. Mais la pression du numérique est tellement forte que cette AAI (1) s’est aussitôt muée en une sorte de « législateur indépendant » contraint de fixer de nouvelle règles pour endiguer le tsunami numérique. « C’est ainsi un nouveau vademecum des lois sur le prix du livre qui se construit, en concertation avec les acteurs de la filière », peut-on lire dans le premier rapport (2) élaboré par Laurence Engel (photo), juste avant de troquer sa casquette de Médiatrice du livre par celle de présidente de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Le Médiateur du livre doit non seulement faire des rappels aux lois sur le prix unique du livre imprimé ou numérique (sa vocation première), mais il se retrouve aussi à édicter de nouvelles règles que ces lois n’avaient pas prévues. A défaut de légiférer à nouveau, au risque d’être aussitôt dépassé une nouvelle fois par les pratiques en ligne, le parti pris a été de prolonger le droit par de nouvelles mesures adoptées avec la profession du livre pour ne pas rester dans le statu quo. « Le débat engagé autour de l’émergence de formules d’abonnement dans le secteur du livre a ainsi abouti au rappel des principes posés par la loi mais aussi à leur (ré)incarnation dans les pratiques actuelles. Régulation ne signifie donc pas sclérose, mais elle protège de la brutalité des évolutions qui, sans elle, accentuent le risque de destruction de valeur », est-il expliqué. Ainsi, cette AAI en appelle à la soft law qui permettrait de réguler ou de laisser s’autoréguler un secteur en édictant de nouvelles règles sans avoir à légiférer à nouveau en fonction des évolutions technologiques. « Sans doute cette fonction [de médiateur] est-elle née justement à
ce moment de l’histoire des lois sur le prix du livre où le besoin de régulation appelait
à en assurer la continuation par d’autres moyens : non pas une refonte du droit dur, susceptible de se briser au contact de pratiques en constante mutation, mais un mode d’intervention souple », justifie-t-on. Mais ce « droit souple », dont la notion est apparue dans le droit international à partir des années 1930, est justement constitué de règles non obligatoires, non contraignantes, ce qui n’est pas sans créer de l’insécurité juridique comme l’avait relevé le Conseil d’Etat en 2006. Il faut aussi boucher les vides juridiques. « Le ministère de la Culture et de la Communication prévoit de procéder à l’actualisation de “Prix du livre, mode d’emploi”, un vade-mecum relatif à l’application
de la législation sur le prix. Il serait opportun d’intégrer à ce document les recommandations émises dans le cadre de l’activité de médiation », préconise le Médiateur du livre. Reste que le numérique aura toujours un temps d’avance sur le législateur.
A peine les plateformes numérique d’abonnement à des catalogues de livres sont-elles rentrées dans le rang (3) – à savoir que les maisons d’édition fixent elles-mêmes, comme le prévoit la loi, le prix des livres numériques sur Kindle Unlimited d’Amazon, Youboox, Youscribe, Iznéo de Media Participations, Cyberlibris ou encore StoryPlayR – que se profilent déjà d’autres colmatages à faire. D’autant que le Médiateur du livre est aussitôt saisi par le Syndicat national de l’édition (SNE), le Syndicat de la librairie française (SLF) et/ou le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) dès que
la filière du livre croit déceler une infraction. Il en irait ainsi du marché de l’occasion du livre qui se développe grâce au numérique.

Marketplace et marché d’occasion
« Des risques de confusion, voire de contournement de la loi, exist[er]aient, tenant à la promiscuité entre un marché du livre neuf soumis au régime de prix fixe et un marché du livre d’occasion dont les prix sont libres ». Il en irait aussi des plateformes en ligne dites « marketplace » de mise en relation entre acheteurs et vendeurs : Amazon, Chapitre.com, GibertJoseph, La Fnac, Leslibraires.fr, PriceMinister, etc. Après concertation avec ces acteurs, une charte de bonnes conduites devrait être trouvée. @

Charles de Laubier

Pour la première fois, la consommation d’ebooks croit

En fait. Le 4 août, l’Hadopi a publié la 5e vague du baromètre – réalisé par l’Ifop – des « usages » licites ou non de biens culturels sur Internet. Pour la première fois, la consommation déclarée de livres sur Internet est en progression. De plus, les ebooks donnent davantage lieu à un acte d’achat.

En clair. La consommation en France de livres numériques commence enfin à entrer dans les mœurs, d’après les déclarations des internautes interrogés par l’Ifop pour l’Hadopi. Il s’agit même du seul bien culturel en ligne à vraiment progresser.
Et comparé aux autres biens culturels (musiques, films, vidéos, séries TV, photos),
les livres dématérialisés donnent (avec les jeux vidéo) davantage lieu à un acte d’achat. Mais 57 % disent avoir déjà piraté un ebook… Rappelons que selon le SNE (1), les ebooks ont représenté en France 4,1 % des ventes de livres en 2013 pour un chiffre d’affaires de 105,3 millions d’euros (+ 28,6 %). @

Streaming et abonnement vont révolutionner la lecture

En fait. Le 24 mars, le 34e Salon du livre de Paris a fermé ses portes après avoir été visité par 198.000 personnes sur quatre jours (1.200 exposants et 500 conférences). Si le marché français des ebooks peine à décoller, la révolution pourrait venir du modèle économique : l’abonnement appliqué aux livres.

En clair. Si l’abonnement s’est imposé dans la musique en ligne et, dans une moindre mesure, dans la vidéo à la demande, il pourrait faire une percée dans le livre numérique. Ce serait une vraie révolution pour les maisons d’éditions attachées – et confortées par la loi de 1985 – au prix unique du livre. « L’abonnement va dans le sens des jeunes générations et des nouveaux pratiquants même si ce n’est pas encore rentré dans les mœurs », relève l’Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de- France (Motif) dans son étude « Pratique d’éditeurs : 50 nuances de numérique » publié au Salon du livre de Paris (1).
Des plates-formes comme Izneo (regroupement d’éditeurs de BD, propriété de Média Participations) ou encore (Youboox, startup se revendiquant comme premier site de lecture d’ebooks en streaming) ne parlent pas d’acheter un livre, et d’en être le propriétaire comme pour un ouvrage imprimé, mais d’« accès » ou de « location ».
« Ce qui compte, c’est la valeur d’usage et non plus la valeur de propriété », disent ces pure players du livre numérique. Pour ces acteurs qui ne pratiquent que l’ebook, près d’un tiers des éditeurs offrent l’accès à leurs contenus via le streaming. Mais le Motif constate que « si le streaming signifie souvent abonnement, le modèle de l’abonnement en retour n’est pas réservé qu’au streaming : certains acteurs proposent l’abonnement même pour accéder à du téléchargement ».

Les pure players du livre numérique ne sont pas si nombreux que cela en France :
le Motif en a répertorié un peu plus d’une centaine : 107, dont 54 en Ile-de-France,
33 en région, 15 à l’international dont 7 hors Europe, 5 indéterminés. « L’offre est très concentrée : 20 % des acteurs publiant de l’ebook concentrent 80 % de la production, et il en est de même pour les applications ». Selon une étude Ipsos, sept Français sur dix déclarent avoir lu au moins un livre au cours des douze derniers mois. Mais le taux de lecteurs au format papier est en baisse : 69 %, contre 74 % en 2011.
En revanche, le taux de lecteurs de livres au format numérique augmente : 11 %, contre
8 % en 2011. « Pour autant, cette hausse sur le livre numérique ne vient pas accroître le niveau de lecture en France puisque neuf lecteurs de livres numériques sur dix sont aussi lecteurs de livres au format papier », montre le sondage (2), seulement 1% des Français étant des lecteurs uniquement de livres numériques. @

Le streaming s’apprête à dépasser le téléchargement

En fait. Le 3 février, les chiffres 2013 du marché français de la musique en ligne
– que le Snep a publiés au Midem – ont révélé un ralentissement de la croissance du streaming payant ou gratuit (+ 3,9 %) à 54 millions d’euros, et, pour la première fois une baisse du téléchargement (- 1,1 %) à 62,7 millions.

En clair. Selon nos estimations, le streaming devrait dépasser fin 2014 le téléchargement dans les modes de consommation de la musique en ligne en France (1). C’est un tournant majeur dans l’industrie musicale, confrontée au numérique depuis une douzaine d’année. Lorsque le téléchargement enregistrait encore en 2012 une croissance à deux chiffres, soit + 11,8 % sur un an à 63,4 millions d’euros de chiffre d’affaires, il pesait un peu plus
de la moitié des 125 millions d’euros du marché numérique de la musique enregistrée.
L’an dernier, cette fois, le « fléchissement du download » constaté par le président du Snep (lire ci-dessus) se traduit pour la première fois par un recul de ce mode de consommation, soit – 1,1 % sur un an à 62,7 millions d’euros. Résultat : le téléchargement pèse désormais un peu moins de la moitié des 125,8 millions d’euros des ventes numériques (voir tableau p. 10).

Face au téléchargement en déclin, le streaming pourrait donc devenir d’ici la fin de cette année le premier mode de consommation de la musique en ligne en France. L’Hexagone était déjà le deuxième pays dans le monde où la proportion du streaming est aussi importante, derrière la Suède où ce mode de consommation est le principal avec 90 %
des ventes de musiques numériques (2). Qu’il soit sur abonnement (comme Deezer en bundle avec Orange) ou gratuit (comme YouTube financé par la publicité), le streaming musical s’impose progressivement aux internautes et mobinautes. D’une part, le streaming payant (ou sur abonnement) a généré l’an dernier 35,8 millions d’euros de chiffre d’affaires (+ 1,2 %), soit 66,2 % du total des revenus du streaming. D’autre part,
le streaming gratuit (financé par la publicité) a progressé plus vite à 18,2 millions d’euros (+ 9,6 %), soit 33,8 % du total du streaming.

A l’instar de la plupart des pays dans le monde, le streaming se pratique en grande partie par abonnement – lorsqu’il ne se fait pas totalement par abonnement comme au Japon. Pour les producteurs de musique, l’avenir se trouve dans le streaming par abonnement qui est le mieux à même de leur assurer des revenus suffisants. Ils apprécient plus la formule « freemium » de type « essai gratuit » de Spotify que celle de Deezer partie d’emblée sur la gratuité (lire p. 2) avec aujourd’hui la difficulté de revenir vers du payant malgré le bundle avec son partenaire et actionnaire Orange. @