Pourquoi Molotov.tv n’est pas (encore) le cocktail révolutionnaire qu’il prétend être pour la télé

Molotov.tv, le bouquet de chaînes en ligne lancé le 11 juillet dernier par Jean-David Blanc et Pierre Lescure, s’est offert une belle couverture médiatique.
Mais il reste à cette « télévision réinventée » à tenir ses promesses – comme
sur l’enregistrement numérique et la disponibilité multi-terminaux.

Bookmarks. Tel est le nom de la fonction d’enregistrement promise par le nouveau service en ligne lancé cet été par Jean-David Blanc (ex-fondateur d’Allociné), Pierre Lescure (ex- PDG de Canal+), Jean-Marc Denoual (ex-TF1) et Kevin Kuipers
(ex-Allociné). Molotov.tv en avait fait une fonctionnalité-phare, permettant aux internautes d’enregistrer dans un service de
cloud personnel les programmes de télévision de la grille qu’ils
ne pouvaient voir lors de leur passage à l’antenne. Contacté par Edition Multimédi@, Jean-David Blanc (photo) nous a assuré
que Bookmarks sera disponible « dans le courant de l’été ». Pourtant, le nouveau site de télé qui promettait d’« enregistrer en un clic » affirme que « cette fonctionnalité sera opérationnelle dès l’entrée en vigueur de la loi Création votée le 29 juin dernier » : l’indication était toujours affichée en juillet ! Or cette loi (1) a été promulguée au Journal Officiel le 8 juillet et… toujours rien chez Molotov. Les télénautes doivent encore patienter malgré la promesse séduisante : « D’un clic, “Bookmarkez” les programmes que vous aimez, et ils seront enregistrés. Retrouvez-les à chaque fois que vous vous connectez, disponibles pour vous aussi longtemps que vous le voulez. Impossible désormais de rater un épisode de votre série préférée ».

Toutes les chaînes de télévision ne signeront pas de convention avec Molotov
C’est que pour proposer en ligne un stockage audiovisuel à distance et pour un usage privé, la loi Création impose que le distributeur dispose d’« une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision » qui « définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». C’est là que le bât blesse : toutes les chaînes ne sont pas disposées, loin s’en faut, à faire le grand saut dans le Cloud TV. TF1, M6 et Canal+ sont parmi les chaînes les plus méfiantes vis-à-vis de ce nouvel univers délinéarisé par un tiers, en particulier envers non seulement la fonction d’enregistrement numérique, mais aussi la mise à disposition de leurs programmes
en replay (rattrapage). Les dirigeants de Molotov.tv se sont finalement résolus à lancer leur service sans attendre que les négociations aboutissent avec certains éditeurs de chaînes encore hésitants, lesquelles pourront toujours par la suite saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de tout différend – ou casus belli – concernant la conclusion ou l’exécution de la convention en question.

« Amendement Lescure » et copie privée
« Molotov révolutionne la façon dont on accède à la télévision. Avec 35 chaînes dans sa version gratuite, et plus de 70 dans sa version étendue pour moins de 10 euros par mois, vous regarderez la télévision d’une façon radicalement nouvelle, intelligente, et intuitive », est-il expliqué. Mais pas de Canal+, malgré la « caution » Pierre Lescure (2), ni de BeIn Sport. Pas sûr que les négociations estivales aboutissent favorablement pour la rentrée de septembre. Bien avant Molotov, d’autres projets de ce type ont essuyé les plâtres face aux réticences des chaînes : Playtv.fr de Play Media (que France Télévisions a fait lourdement condamné en appel début 2016), Myskreen.com (liquidé en 2015), … Cette fois, s’agit-il d’un passage en force de la part de Molotov ? La fonction enregistrement de Molotov.tv partait pourtant dans de bonnes conditions réglementaires, puisque – grâce à un « amendement Lescure », du nom de l’ancien PDG de Canal+, aujourd’hui président du Festival de Cannes – la loi Création a prévu que la rémunération pour « copie privée » soit également versée par des services en ligne à usage privé de télévision (ou de radio) d’origine linéaire (3). Concoctée spécialement pour Molotov.tv, cette disposition de l’article 15 de la loi Création permet à l’entreprise cofondée par Pierre Lescure de profiter de l’exception au droit d’auteur au nom du droit de tout un chacun à la copie privée (dans un cercle restreint ou familial).

Autrement dit : Molotov.tv se contentera de payer à l’organisme Copie France la redevance, en contrepartie du droit de proposer à ses clients télénautes la fonction d’enregistrement de programmes TV dans leur cloud personnel, sans avoir besoin de négocier directement avec les ayants droits eux-mêmes – en l’occurrence les chaînes de la TNT. La société devra ainsi s’acquitter de la taxe « copie privée » en fonction non seulement du nombre d’utilisateurs de son service de stockage audiovisuel à distance, mais aussi des capacités de stockage mises à disposition de chacun. « Elle [la taxe “copie privée”] est intégrée dans nos coûts, de même que la bande passante, les serveurs, la clim, l’électricité, le chauffage, etc », nous précise Jean-David Blanc. Exemple : si le télénaute bénéficie de 500 Gigaoctets (Go) avec l’offre payante à 3,99 par mois (ou plus pour 9,99 euros), il en coûterait à Molotov.tv 45 euros à payer une bonne fois pour toute à Copie France. Mais force est de reconnaître que, pour l’heure, la commission « copie privée » chargée d’établir les barèmes des taxes applicables aux supports de stockages (DVD, clé USB, disque dur externe, smartphone, tablette, etc) n’a pas encore décidé ceux du cloud (la loi Création venant tout juste d’être promulguée). Mais tout incite Molotov à provisionner les sommes qui seront dues le moment venu, sachant que les 45 euros – assimilables actuellement aux « mémoires
et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur vidéo ou un décodeur TV/box (décodeurs et box exclusivement dédiés à l’enregistrement de programmes audiovisuels) » dans la nomenclature de la commission « copie privée » – pourront être amortis sur plusieurs années si l’abonné reste fidèle au service… De quoi lisser l’impact de la taxe « copie privée » pour ce service freemium. Molotov.tv brassera environ 20.000 programmes télé par mois, en live ou en replay : une sorte de « Netflix de la télévision », avec recommandation et personnalisation s’appuyant dans les coulisses sur des méta-données, des algorithmes, des cookies et des filtres de recherche. De quoi passer du zapping fastidieux à un zapping intelligent. Depuis son lancement le
11 juillet, Molotov.tv est une application téléchargeable à partir d’un ordinateur (PC
ou Mac), de la tablette iPad et de l’Apple TV – en attendant pour « bientôt » l’iPhone, Android de Google (pour smartphones et tablettes), les téléviseurs connectés de LG
et de Samsung. Donc, pas d’appli mobile lors du lancement… En dehors de la France, l’appli TV sera lancée dans six autres pays européens et, avec la bienveillance d’Apple, aux Etats- Unis – sous la responsabilité de Jean-Pierre Paoli, exdirecteur du développement international de TF1, de Canal+ et d’Eurosport.
Cette start-up, créée il y a près de deux ans maintenant (en octobre 2014), compte dans son tour de table – 10 millions d’euros en première levée – le fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté notamment par Lagardère) et des business angels (Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon, Steve Rosenblum).

Seconde levée de fonds en vue
La seconde levée de fonds devrait porter cette fois sur 100 millions d’euros. « Nous communiquerons à la rentrée », nous indique Jean-David Blanc. Face à cette ambitieuse offre OTT (Over-The-Top), les chaînes ne sont pas les seules à hésiter à
lui confier le live, le replay et la relation client. Les opérateurs télécoms Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se demandent en tant que FAI (4) si Molotov n’est pas un cocktail lancé contre leurs « box », lesquelles sont en situation d’oligopole avec l’accès triple play incluant bouquet de chaînes, télévision de rattrapage et VOD. @

Charles de Laubier

Cloud PVR, nPVR, Cloud TV, … Les chaînes TV gratuites menacées

En fait. Le 16 décembre dernier, se tenaient les 9e Assises de la convergence des médias – organisées par l’agence Aromates – sur le thème de « Audiovisuel français : la transformation par le cloud« . Les chaînes de télévision gratuites, comme M6, sont les premières à s’inquiéter de la publicité « skippable » dans le cloud.

Valéry GerfaudEn clair. La grande crainte des chaînes gratuites de télévision, telles que TF1, M6 ou celles de France Télévision, c’est le Cloud PVR – ces magnétoscopes numériques personnels en ligne dans le nuage informatique aux capacités de stockage illimitées – ou nPVR (Network Personal Video Recorder). Il s’agit d’un nouvel usage émergent grâce aux services de cloud grand public.
Cette capacité illimitée de « copie privée » à distance donne, d’un côté, des sueurs froides aux chaînes de télévision linéaires, et de l’autre, des possibilités infinies aux téléspectateurs désireux de s’affranchir des grilles de programmes et des coupures publicitaires intempestives. « Si l’on ne protège pas les revenus publicitaires des chaînes TV et leur capacité à rémunérer les ayants droits, on met totalement en danger l’écosystème de la télévision gratuite », s’est alarmé Valéry Gerfaud (photo), directeur de M6 Web, aux 9e Assises de la convergence des médias.

S’inspirer de l’accord chaînes-opérateurs en Allemagne
« Nous rémunérons les ayants droits (1) pour avoir une offre de contenus de qualité. Et si nous pouvons les rémunérer, c’est que l’on arrive à être financé par les annonceurs (publicitaires) prêts à payer cher des spots dans ce système. Or le nPVR challenge une partie de cet écosystème ». Ce qui pourrait mettre à mal, selon lui, les chaînes gratuites et leurs services de TV de rattrapage financés par la publicité (2). Et de s’interroger : comment pérenniser un écosystème audiovisuel reposant sur des fondements que
les potentialités du cloud comme le nPVR peuvent remettre en cause ou déstabiliser ?
Il y a des pays où le PVR fait l’objet de réglementation très forte ». Pour lui, il faudrait que la France s’inspire de pratiques d’autres pays comme l’Allemagne où les
chaînes de télévision ont mis très longtemps à se mettre d’accord avec les opérateurs télécoms (comme Deutsche Telekom) pour que ces derniers rendent la publicité non
« skippable » sur les enregistrements en PVR. « Certains ayants droits, en particuliers américains, nous fournissent leurs contenus seulement si nous leur garantissons qu’ils ne peuvent pas être enregistrés en nPVR. En France, on voit bien que la réflexion sur la réglementation et l’extension éventuelle de la rémunération pour copie privée au cloud (3) se confronte à cette évolution technologique du Cloud PVR qui soulève de nouvelles questions beaucoup plus vastes », a indiqué Valéry Gerfaud. Le débat est sensible. @

Cloud TV everywhere

Les nuages, c’est bien connu, ne se préoccupent que rarement des frontières. Les nuages informatiques,
comme les nuages radioactifs en leur temps, ont une fâcheuse tendance à se jouer des contrôles et des barrières dérisoires que tentent de dresser des administrations dépassées par ces phénomènes atmosphériques. Pas plus que l’invasion des magnétoscopes japonais n’avait pu être arrêtée – lorsqu’en 1982 Laurent Fabius, alors Premier ministre, promulgua un arrêté pour contraindre les importateurs à ne plus dédouaner leurs magnétoscopes dans les ports mais au centre de la France, à Poitiers –, l’évolution des nouvelles formes de diffusion de la télévision ne put être stoppée. Edifier des lignes Maginot mobilise inutilement une énergie précieuse, lorsqu’on en a tant besoin pour la nécessaire modernisation des activités audiovisuelles françaises et européennes.
On connaissait pourtant le point de départ, notre télé traditionnelle, et le point d’arrivée, une consommation de vidéo aujourd’hui banalisée sur tous nos terminaux en tout lieu
et à tout moment. Entre les deux, plus de dix ans de mutation que certains ont vécue comme un véritable chaos. Avant que le Cloud TV ne s’impose, de multiples solutions ont été proposées. Les boîtiers de type media gateways ont d’abord permis aux opérateurs, comme Free ou Sky TV, de proposer des terminaux qui, bien qu’onéreux, permettaient de répondre aux nouveaux usages : interface enrichie, VOD, PVR, hybridation IP, distribution multi-terminaux, … D’autres, comme le pionnier américain des magnétoscopes numériques Tivo ou l’opérateur satellite SES, proposaient des boîtiers avec des fonctionnalités de déport de lieu de consommation TV ou de multiécrans. Ils furent ensuite intégrés aux media gateways.

« Les usages ‘TV everywhere’ bénéficient maintenant
de la puissance du Big Data pour personnaliser
la télé et la publicité. »

D’autres pistes furent explorées, à l’articulation entre les « box » et l’Internet. Les solutions hybrides de services audiovisuels ont été envisagées telles qu’un outil permettant de distribuer de la télévision linéaires et à la demande, avec le recours
au réseau Internet (IP) et à un boîtier ou un téléviseur connecté. Ces offres se sont particulièrement développées sous l’impulsion des opérateurs broadcast, soutenues notamment par la norme HbbTV en Europe, trouvant là un moyen de pallier leur défaut d’interactivité. Ce fut également le cas de l’alliance RVU, dont la solution TV multiposte, sans décodeur additionnel, permit à DirecTV de présenter début 2014 une interface utilisateur basée sur le cloud. Autant d’initiatives qui démontraient que les frontières entre TV et Internet ne cessaient de s’estomper.

Le Cloud TV s’est donc imposé, par paliers, grâce à la relative simplicité d’une solution proposant ces services à partir d’une plateforme centrale connectée à Internet et touchant l’ensemble des terminaux des utilisateurs. Les usages « TV everywhere » bénéficient maintenant de la puissance du Big Data pour personnaliser la télé et la publicité, avec un gain appréciable en termes de coûts et de gestion des applications. Et finies les contraintes de câblages, de réseaux et de terminaux : les acteurs de la télévision ont désormais moins besoin d’investir (en Capex) dans des infrastructures
et équipements, dont les décodeurs coûteux ; ils se basent sur un modèle (en Opex)
de facturation à la demande. Nous sommes donc bien entrés dans le monde de la
« TV as a service », voire d’« Operator as a service » pour les distributeurs en quête
de souplesse opérationnelle. Si la généralisation du Cloud TV a pris du temps, c’est essentiellement en raison de la nécessité de faire face à l’encombrement des réseaux confrontés à l’inéluctable montée en qualité des flux vidéo : 4K, 3D, HD et maintenant ultra-HD. L’abaissement des barrières à l’entrée pour la distribution vidéo a permis en outre à tous les acteurs en amont de la chaîne TV « broadcast » de se distribuer à grande échelle via des plateformes, les libérant ainsi des contraintes historiques de couvertures réseau, de terminaux ou de géographie. Mais le Cloud TV a surtout ouvert la porte aux géants de l’Internet et aux nouveaux modes d’auto-distribution, désormais en concurrence directe avec les assembleurs et les distributeurs de programmes de télévision. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Monnaie du futur
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/b2025).
Sur le même thème, l’institut a publié sur le rapport
« Cloud TV : Game changer de la distribution TV »,
par Jacques Bajon.

Cloud TV : une télé nouvelle génération en gestation

En fait. Le 21 janvier, Verizon a annoncé l’acquisition à Intel de l’activité de télévision à la demande dans le nuage (« Cloud TV »). Ayant développé OnCue,
un service de Web TV à péage sur Internet, Intel Media n’a pas réussi à le lancer, faute d’accord avec de grands producteurs – Disney en tête.

En clair. La plateforme de Cloud TV d’Intel, baptisée OnCue, voulait révolutionner
la manière de diffuser la télévision aux Etats-Unis, sans passer par les quasi-incontournables câblo-opérateurs Comcast, Time Warner Cable ou encore, par satellite, Direct TV, qui fournissent déjà l’accès et les bouquets de chaînes. C’est un peu comme si, en France, un nouvel entrant dans le PAF (1) cherchait à diffuser des programmes audiovisuels (films, séries, émission, …) sans passer ni par les diffuseurs en place (TDF, FAI, satellite…), ni par les éditeurs de chaînes (TF1, M6, Canal+, …). Or, court-circuiter tout cet écosystème en place n’est pas une mince affaire, même pour le numéro un mondial des microprocesseurs en mal de diversification.

Intel a voulu, à l’instar de Google, d’Apple ou de Sony, préparer dans le nuage informatique la nouvelle génération de la télévision et se positionner par rapport à
des services de SVOD, comme Netflix ou Amazon. Par exemple, l’utilisateur pourrait regarder en direct un programme, tout en le stockant dans le cloud pour pouvoir le mettre sur pause et le reprendre au même endroit (time-shifting). Mais, comme tous
les OTT (2) qui veulent tenter l’aventure, il a rencontré l’importante barrière à l’entrée que constitue l’accès aux droits de diffusion des contenus audiovisuels et cinématographiques. Intel Media a bien discuté avec Disney, notamment pour sa chaîne sportive ESPN. Mais, en général, les majors négocient à la fois des redevances élevées et des minimums garantis en fonction du nombre d’abonnés au service (3).

Cela faisait près de deux ans que la firme de Santa Clara (Californie) travaillait à la fabrication de sa set-top-box de Web TV, en vue d’un lancement commercial fin 2013. Faute de contenus, on connaît désormais la suite : Verizon, qui vient au secours d’Intel Media en rachetant ses activités et en s’engageant à reprendre la plupart des 350 personnes y travaillant, va intégrer OnCue dans son service triple play FiOS sur son réseau haut débit fixe et fibre optique. FiOS, lancé en 2005, a généré l’an dernier 2,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires – soit une croissance de 15 % sur un an et un poids de 73 % du total des revenus résidentiels de Verizon. Il compte 6,1 millions d’abonnés Internet et 5,3 millions d’abonnés vidéo. La Web TV d’Intel Media trouverait
là un fort potentiel de développement. @