Publicité : fin de la prime au leader

Finalement, la bonne nouvelle pour la télé, c’est qu’elle a su s’adapter à Internet sans connaître tout à fait le sort, parfois fatal, de la plupart des autres contenus numériques. Ce super média qu’est la télévision bénéficiait d’une armure protectrice connue sous le nom de « prime au leader »,
cette différence constatée entre la part d’audience des chaînes leaders et leur part du marché de la publicité TV
en valeur, laquelle lui est souvent très supérieure. C’est ainsi que la puissance médiatique des chaînes historiques leur a longtemps permis de pratiquer des tarifs supérieurs à ceux des outsiders et de générer des revenus plus importants comparativement à leur audience ou au volume de publicité qu’ils diffusaient. Ainsi, en France, la chaîne TF1, qui enregistrait une part d’audience moyenne de 23 % sur l’année 2012 (en forte baisse par rapport aux années précédentes), captait 42 % du marché de la publicité TV en valeur. De la même façon, ITV, la première chaîne privée au Royaume-Uni en termes d’audience, captait 43 % du marché publicitaire en valeur pour une part d’audience de seulement 16 %.

« Si la pub TV a fait la preuve de son efficacité,
c’est sa notion même qui a perdu de son sens.
Les spots sont désormais distribués en même
temps en live ou en catch up. »

TVR,VOD,TVC : recommandation contre programmation

En fait. Le 14 juin, la commission TV connectée du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) s’est réunie sous la présidence d’Eric Scherer, directeur de la prospective, de la stratégie et des relations internationales de France Télévisions. Vers la fin de la programmation ?

En clair. La télévision de rattrapage (TVR), la vidéo à la demande (VOD) et la télévision connectée (TVC) sont en train de bousculer les grilles de programmation des chaînes. Les télénautes, de plus ne plus nombreux, prennent le contrôle de « leur » télévision sur
le mode « Atawad » (1) pour une consommation en mobilité. « Il y a de moins en moins de vrais directs. Nous sommes au début d’un point d’inflexion. La VOD devient une chaîne. Le public se moque du tuyau, peu importe que cela soit de la télévision, de l’Internet ou
de la vidéo », constate Eric Scherer. Les fonctions de replay, de time-sharing, de reprise de programme en cours depuis le début (2), la navigation en avance et retour rapide ou
la mise en pause sont autant de ruptures dans l’usage que des utilisateurs se font de la télévision. Et l’on est qu’au début de cette dé-linéarisation qui prendra une autre dimension avec le cloud et l’enregistrement vidéo numérique, ou DVR (Digital Video Recorder).
Alors que l’innovation pour le second écran relègue au second plan le téléviseur, les moteurs et les algorithmes deviennent de vrais programmateurs de chaînes personnalisées. Face à cette fragmentation des programmes et de l’audience, les chaînes sont en train de perdre leur pouvoir de contrôle audiovisuel. C’est là que tout se joue :
la recommandation prend le pas sur la programmation. Netflix n’a-t-il pas plus de 900 développeurs pour améliorer sans cesse la pertinence de ses recommandations et en y consacrant un budget de 350 millions de dollars par an ? Des sociétés se sont spécialisé dans la recommandation « content centric » comme le français Spideo, l’israélien Jinni ou l’américain Fanhattan. Fondée en 2010 et en cours de levée de fonds, la start-up Spideo
a déjà apporté son savoir-faire en moteurs de recommandations à CanalPlus Infinity, le service de SVOD de Canal+. « Avec le “content centric”, nous offrons une pertinence à 100 % des recommandations là où les recommandations par statistiques n’obtiennent
que 90 % », affirme Gabriel Mandelbaum, fondateur de Spideo. Mais son ambition est de s’imposer sur toutes les plates-formes avec sa propre application Spideo, s’appuyant sur les catalogues iTunes et Netflix aux Etats-Unis, seulement iTunes en France et bientôt Lovefilm. Apple l’apprécie beaucoup. Au point de le racheter à terme ? « C’est envisageable ! », répond sans rire Gabriel Mandelbaum. @

Vers une redevance audiovisuelle payée par tous

En fait. Le 29 mai, le Conseil fédéral suisse a décidé que la redevance audiovisuelle ne sera plus acquittée par les seuls détenteurs d’appareils de réception classiques (radio ou téléviseur), mais par tous les foyers et entreprises helvétiques, tous dotés d’écrans numériques. Et elle sera moins chère.

En clair. C’est une mesure prise en Suisse, et déjà appliquée en Allemagne depuis
le 1er janvier 2013, dont la France ferait bien de s’inspirer (1), au moment où le gouvernement s’interroge sur le financement de France Télévision (à 70 % par
la redevance audiovisuelle) et le ministère du Budget lorgne sur la redevance audiovisuelle. Le Conseil fédéral de la Suisse a, en effet, décidé de décorréler l’assujettissement à la redevance audiovisuelle de la possession d’un appareil
de réception, jusqu’alors le poste de radio ou le téléviseur. « Le développement technologique impose de changer le système: les appareils multifonctions comme
les smartphones, les ordinateurs et les tablettes permettent aussi de capter des programmes de radio et de télévision. La définition d’un appareil de réception n’est
plus claire. Par conséquent, presque tous les ménages ont actuellement accès à des programmes de radio ou de télévision et sont assujettis », justifie ainsi l’exécutif de
la Confédération suisse. La future redevance ne sera plus liée à la possession d’un appareil de réception et devra donc être acquittée par tous les ménages et toutes les entreprises.
Mais le montant à payer par chacun sera moindre : environ 400 francs suisses par
an pour les ménages (contre 462 francs actuellement) et les entreprises (612 francs jusqu’alors). Quant à la somme d’environ 1,3 milliard de francs collectés, elle devrait rester stable malgré la baisse de la redevance compensée, en raison d’un plus grand nombre d’assujettis. Elle continuera à financer la SSR et des diffuseurs privés chargés d’un mandat de service public. La France, qui tarde à réformer la contribution à l’audiovisuel public, continue de ne retenir que le poste de télévision pour récolter plus de 3 milliards d’euros par an, qui financent pour les deux tiers France Télévisions, mais aussi Arte France, Radio France, l’Audiovisuel extérieur de la France et l’INA. Soumettre les 27 millions de foyers français à une redevance moins élevée que les 131 euros actuels (2), permettrait de collecter autant – voire plus – et d’éviter à se poser la question dépassée de la prise en compte ou pas d’autres écrans (smartphones, ordinateurs, tablettes) recevant aussi la télévision (3). La question de la résidence secondaire serait, elle aussi, définitivement enterrée. @

La presse et la radio se lancent à l’assaut de la télé

En fait. « Le 14 mai à 18h00, vous trouverez à cette adresse [Lopinion.fr] un nouveau média : L’Opinion », a annoncé Nicolas Beytout sur son site web avant
le lancement… vers 20 heures. A l’instar de la presse et de la radio, l’ancien patron des Echos mise sur la vidéo pour être plus visible et attirer la publicité.

En clair. La presse et la radio misent de plus en plus sur la vidéo, laquelle ne relève pourtant pas de leur savoir-faire historique. C’est une tendance de fond qui devrait brouiller à terme les frontières qui préexistaient avant l’ère numérique. L’écrit et l’audio
se mettent ainsi à marcher sur les platesbandes de la télévision. Nicolas Beytout parle
de « chaîne vidéo » et de « journal télévisé » (JT) sur L’Opinion, ce qui lui permet de s’immiscer à nouveau dans le PAF (1).
Il faut dire que l’ex-PDG du groupe Les Echos a toujours été attiré par la télévision, non seulement lorsqu’il était directeur de la rédaction du quotidien économique et financier Les Echos (doté de son propre studio télé) mais aussi lorsqu’il avait des vues sur la direction de l’information de TF1 (en 2007), en passant par ses différentes collaborations télévisées (LCI, iTélé, …).
Avec L’Opinion, présenté initialement comme un « bimédia » (web-papier), Nicolas Beytout renoue avec l’audiovisuel. Quelque 40 minutes de vidéo seront proposées chaque jour sur le site web du quotidien pluri-média, dont deux flashes d’information vidéo diffusés à 12 heures et à 21 heures, ainsi qu’un JT à 18 heures. « L’information vidéo aura la même ligne que le journal, c’est à dire libérale, européenne et probusiness », a tenu à préciser le directeur de la rédaction lors d’une conférence de presse le 13 mai dernier. Et contrairement à la majeure partie de L’Opinion qui est payante, la vidéo sera proposée gratuitement.
Cela se comprend aisément : la publicité sur vidéo en ligne (dite in-stream, c’est-à-dire intégrée dans le flux vidéo en streaming) affiche le plus fort dynamisme (+ 50 % à 90 millions d’euros en 2012) du marché français des recettes de la e-pub (2). Les autres médias traditionnels, comme Le Figaro côté presse et RTL côté radio, ne s’y sont pas trompés. Fin mars, le quotidien de Serge Dassault lançait un portail Figaro TV d’actualités vidéo (video.lefigaro.fr). De plus, le quotidien papier propose la fonction Figaro Play pour les détenteurs de smartphone qui souhaitent prolonger en vidéo un article imprimé. Fin avril, RTL commençait à diffuser sur Internet et en direct vidéo de ses studios la tranche 7h-12h30. Mi-mai, Europe 1 faisait de même sur la tranche 6h30-13h. Le journal vidéo et la radio filmée vont bousculer un peu plus la manière de regarder la télé. @

YouTube part à la conquête de la Pay-TV et de la SVOD

En fait. Le 9 mai, YouTube, la filiale vidéo en ligne de Google, a annoncé le lancement d’« un programme pilote pour un petit groupe de partenaires
[54 chaînes thématiques dans un premier temps, ndlr] qui proposeront des chaînes payantes (…) avec des frais d’abonnement démarrant à 0,99 dollar par mois ».

En clair. Le géant du Web se lance à l’assaut du marché mondial de la télévision
payante. Les 54 chaînes thématiques qui sont d’ores et déjà proposées moyennant
des abonnements allant de 0,99 cent à 7,99 dollars par mois, en passant par 1,99 dollar, 2,99 dollars ou encore 6,99 dollars (1). Elles sont accessibles via youtube.com/channels/paid_channels. Si le nouveau service de SVOD de YouTube
a été lancé dans dix pays, comme « programme pilote », force est de constater que toutes ne sont pas accessibles dans chacun des pays. Par exemple, selon nos constatations, 24 d’entre elles ne sont pas accessibles en France. « Désolé, cette chaîne payante n’est pas disponible dans votre pays », nous précise-t-on pour certaines sur la mosaïque des thématiques.
Jusqu’alors essentiellement axé depuis son lancement en février 2005 sur le partage
de vidéos entre particuliers et amateurs financées par la publicité en ligne, YouTube – racheté l’année suivante par Google – fait le pari de la Pay-TV et de la SVOD en même temps. Après avoir lancé des chaînes thématiques originales et gratuites en 2011, dont treize en France (2), YouTube se présente désormais comme un sérieux concurrent potentiel des services de vidéo à la demande par abonnement comme Netflix aux Etats-Unis ou des chaînes de télévision payante comme Canal+ en France. Des films et des séries seront proposés. YouTube dispose de ses propres studios, à Los Angeles, et y investit plus de 100 millions de dollars en subventionnant des producteurs et des artistes. Mais des accords ont aussi été passés avec Paramount Pictures (Viacom) ou Walt Disney.
Les chaînes payantes de YouTube constituent en outre un pas supplémentaire vers
une programmation à la carte, à laquelle les médias traditionnels ont résisté. Les recettes d’abonnements seront réparties entre YouTube et l’éditeur de la chaîne thématique, lequel en gardera plus de la moitié. Quant à la publicité, elle est laissée à l’appréciation des éditeurs de ces chaînes premium. La volonté de YouTube est bien de diversifier ses revenus par delà la publicité en ligne qui profite déjà à plus de 1 million de chaînes vidéo (youtube.com/channels), dont 4.089 dans la catégorie « Sciences et éducation », 1.229 dans « Cinéma et divertissement », 1.754 dans « Astuces et tutoriels », 862 dans « Cuisine et santé » ou encore 347 dans « Actualités et politique ». @