Hervé Rony, Scam : « La dynamique de l’Acte 2 de l’exception culturelle s’effiloche »

Le directeur général de la Société civile des auteurs multimédia (Scam) fait part
de ses regrets sur le projet de loi de Finances 2014 (redevance, Cosip, …) et se
dit favorable au conventionnement de services Internet avec le CSA. Pour le livre numérique, il craint le piratage et l’autoédition comme pour la musique (il fut DG
du Snep de 1994 à 2009).

Propos recueillis par Charles de Laubier

HR EM@Edition Multimédi@ : Finalement, la redevance audiovisuelle
ne sera pas dissociée la propriété du poste de télévision, ni étendue aux autres écrans numériques, contrairement à ce
que voulaient Aurélie Filippetti et Rémy Pflimlin (France Télévisions) : le regrettezvous ? Faut-il l’augmenter ?

Hervé Rony : La Scam regrette vivement que le gouvernement ait figé toute réforme de fond de la contribution à l’audiovisuel public (CAP). Pourtant, l’an dernier, lorsque le Parlement a fort justement voté une première hausse, la ministre avait promis ce débat. Aujourd’hui, au nom de la pause fiscale : plus rien !
Du coup, même si le Parlement vote l’indexation de la redevance sur l’inflation, la CAP restera sensiblement moins élevée (133 €) que la redevance britannique (180 €) ou allemande (217,8 € par an). Il est grand temps que les pouvoirs publics proposent un élargissement de l’assiette (par exemple, comme en Allemagne, par foyer fiscal, résidences secondaires comprises).
Sur ce sujet comme sur d’autres, nous avons écrit au président de la République et au Premier ministre. C’est un sujet majeur. Nous attendons une réponse. Seule la CAP apporte un financement pérenne et de nature à assurer l’indépendance du service public de l’audiovisuel.
Car ne l’oublions pas, c’est non seulement France Télévisions qui est concernée mais aussi Radio France, Arte, RFI, France24, TV5 Monde, sans oublier l’INA qui remplit d’importantes missions et qui verse des droits aux auteurs sur l’exploitation des archives audiovisuelles.

L’Observatoire européen de l’audiovisuel voit « Net »

En fait. Le 3 septembre, l’Observatoire européen de l’audiovisuel – rattaché au Conseil de l’Europe – publie une nouvelle étude intitulée « Qu’est-ce qu’un service [vidéo] à la demande ? ». Tandis que la consultation de la Commission européenne sur le livre vert « TV connectée » est reportée à fin septembre.

En clair. Créé il y a plus de vingt ans (en décembre 1992), l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) y voit de moins en moins clair ! « Le paysage européen des services audiovisuels à la demande apparaît de plus en plus complexe, fragmenté et, par bien
des aspects, dépourvu de transparence », pointe Francisco Cabrera-Blázquez, auteur
de l’étude et analyste juridique de l’OEA, lequel héberge depuis 2005 la plateforme européenne des instances de régulation (EPRA). Cette dernière fédère les « CSA » en Europe. Or, constate Francisco Cabrera-Blázquez, « les ARN [Autorités de régulation nationales comme le CSA, ndlr] sont souvent confrontées à des offres audiovisuelles difficiles à classifier ». Que réguler lorsqu’il s’agit de sites Internet de journaux qui proposent des vidéos sur leurs sites web, lorsque des plate-forme vidéo comme YouTube et Dailymotion mettent en ligne des chaînes éditées professionnellement, lorsque des services tels que iTunes ou CanalPlay proposent de télécharger de vidéos en vue d’une location ou d’un achat ? « Le développement exponentiel de services de vidéos en ligne
a un impact de plus en plus important sur les mineurs et le public en général (le service YouTube en étant l’exemple le plus frappant). Il est donc désormais dans l’air du temps de critiquer le champ d’application de la réglementation, considéré comme trop étroit », écrit dans l’avant-propos de l’étude Susanne Nikoltchev, nouvelle directrice exécutive de l’OEA.
Pour tenter d’y voir plus clair et en prévision de la réforme de la directive de 2007 sur les services de médias audiovisuels (SMA) (1), l’observatoire a élargi sa base de données Mavise et recense maintenant non seulement plus de 10.000 chaînes de télévision, mais aussi près de 3.000 services audiovisuels à la demande. « Nous avons complété notre analyse en incluant des services qui ne relèvent pas a priori de la définition de la directive [SMA] : les services de partage vidéo, les services de NVoD (2) et les services de stockage sur PVR (3) (…), ainsi que (…) les ‘’chaînes de marques’’ dans le catalogue de iTunes ou de Xbox Vidéo ; les podcasts ainsi que les applications pour smartphones et tablettes permettant d’accéder à des catalogues à la demande, les applications pour Smart TV ou encore les plateformes de partage vidéo telles YouTube et Dailymotion », explique Francisco Cabrera-Blázquez. @

Pourquoi Rupert Murdoch a cassé en deux son groupe News Corp, sur fond d’échecs numériques

Depuis le 1er juillet, est cotée en Bourse chacune des deux nouvelles sociétés issues de la scission intervenue le 28 juin de l’empire News Corp de Rupert Murdoch : d’un côté les activités de presse et d’édition (nouveau News Corp),
de l’autre celles de télévision et de cinéma (21st Century Fox).

Par Charles de Laubier

RMLe magnat américano-australien des médias Rupert Murdoch (photo), 82 ans, divise pour… mieux régner encore un peu. Alors que son conglomérat News Corp, constitué au cours
des 60 dernières années, vient de terminer pour la dernière
fois une année fiscale « intégrée » au 30 juin 2013, le divorce
est désormais consommé entre les deux branches.
Fini le géant des médias aux actifs valorisés 68 milliards de dollars et au méga chiffre d’affaires annuel de 35 milliards de dollars. Désormais, il faudra compter avec deux entités présidées par le patriarche milliardaire : le nouveau News Corp réunissant les activités presse et édition (Dow Jones/The Wall Street Journal, The New York Post, The Times, The Sunday Times, The Sun, The Australian, The Daily Telegraph, HarperCollins Publishers, Amplify, …), et 21st Century Fox regroupant les activités télévision et cinéma (Fox, FX cable networks. Fox broadcasting, 20th Century Fox, BSkyB, Sky Italia, Sky Deutschland, …).

Publicité : fin de la prime au leader

Finalement, la bonne nouvelle pour la télé, c’est qu’elle a su s’adapter à Internet sans connaître tout à fait le sort, parfois fatal, de la plupart des autres contenus numériques. Ce super média qu’est la télévision bénéficiait d’une armure protectrice connue sous le nom de « prime au leader »,
cette différence constatée entre la part d’audience des chaînes leaders et leur part du marché de la publicité TV
en valeur, laquelle lui est souvent très supérieure. C’est ainsi que la puissance médiatique des chaînes historiques leur a longtemps permis de pratiquer des tarifs supérieurs à ceux des outsiders et de générer des revenus plus importants comparativement à leur audience ou au volume de publicité qu’ils diffusaient. Ainsi, en France, la chaîne TF1, qui enregistrait une part d’audience moyenne de 23 % sur l’année 2012 (en forte baisse par rapport aux années précédentes), captait 42 % du marché de la publicité TV en valeur. De la même façon, ITV, la première chaîne privée au Royaume-Uni en termes d’audience, captait 43 % du marché publicitaire en valeur pour une part d’audience de seulement 16 %.

« Si la pub TV a fait la preuve de son efficacité,
c’est sa notion même qui a perdu de son sens.
Les spots sont désormais distribués en même
temps en live ou en catch up. »

TVR,VOD,TVC : recommandation contre programmation

En fait. Le 14 juin, la commission TV connectée du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) s’est réunie sous la présidence d’Eric Scherer, directeur de la prospective, de la stratégie et des relations internationales de France Télévisions. Vers la fin de la programmation ?

En clair. La télévision de rattrapage (TVR), la vidéo à la demande (VOD) et la télévision connectée (TVC) sont en train de bousculer les grilles de programmation des chaînes. Les télénautes, de plus ne plus nombreux, prennent le contrôle de « leur » télévision sur
le mode « Atawad » (1) pour une consommation en mobilité. « Il y a de moins en moins de vrais directs. Nous sommes au début d’un point d’inflexion. La VOD devient une chaîne. Le public se moque du tuyau, peu importe que cela soit de la télévision, de l’Internet ou
de la vidéo », constate Eric Scherer. Les fonctions de replay, de time-sharing, de reprise de programme en cours depuis le début (2), la navigation en avance et retour rapide ou
la mise en pause sont autant de ruptures dans l’usage que des utilisateurs se font de la télévision. Et l’on est qu’au début de cette dé-linéarisation qui prendra une autre dimension avec le cloud et l’enregistrement vidéo numérique, ou DVR (Digital Video Recorder).
Alors que l’innovation pour le second écran relègue au second plan le téléviseur, les moteurs et les algorithmes deviennent de vrais programmateurs de chaînes personnalisées. Face à cette fragmentation des programmes et de l’audience, les chaînes sont en train de perdre leur pouvoir de contrôle audiovisuel. C’est là que tout se joue :
la recommandation prend le pas sur la programmation. Netflix n’a-t-il pas plus de 900 développeurs pour améliorer sans cesse la pertinence de ses recommandations et en y consacrant un budget de 350 millions de dollars par an ? Des sociétés se sont spécialisé dans la recommandation « content centric » comme le français Spideo, l’israélien Jinni ou l’américain Fanhattan. Fondée en 2010 et en cours de levée de fonds, la start-up Spideo
a déjà apporté son savoir-faire en moteurs de recommandations à CanalPlus Infinity, le service de SVOD de Canal+. « Avec le “content centric”, nous offrons une pertinence à 100 % des recommandations là où les recommandations par statistiques n’obtiennent
que 90 % », affirme Gabriel Mandelbaum, fondateur de Spideo. Mais son ambition est de s’imposer sur toutes les plates-formes avec sa propre application Spideo, s’appuyant sur les catalogues iTunes et Netflix aux Etats-Unis, seulement iTunes en France et bientôt Lovefilm. Apple l’apprécie beaucoup. Au point de le racheter à terme ? « C’est envisageable ! », répond sans rire Gabriel Mandelbaum. @