Cloud TV everywhere

Les nuages, c’est bien connu, ne se préoccupent que rarement des frontières. Les nuages informatiques,
comme les nuages radioactifs en leur temps, ont une fâcheuse tendance à se jouer des contrôles et des barrières dérisoires que tentent de dresser des administrations dépassées par ces phénomènes atmosphériques. Pas plus que l’invasion des magnétoscopes japonais n’avait pu être arrêtée – lorsqu’en 1982 Laurent Fabius, alors Premier ministre, promulgua un arrêté pour contraindre les importateurs à ne plus dédouaner leurs magnétoscopes dans les ports mais au centre de la France, à Poitiers –, l’évolution des nouvelles formes de diffusion de la télévision ne put être stoppée. Edifier des lignes Maginot mobilise inutilement une énergie précieuse, lorsqu’on en a tant besoin pour la nécessaire modernisation des activités audiovisuelles françaises et européennes.
On connaissait pourtant le point de départ, notre télé traditionnelle, et le point d’arrivée, une consommation de vidéo aujourd’hui banalisée sur tous nos terminaux en tout lieu
et à tout moment. Entre les deux, plus de dix ans de mutation que certains ont vécue comme un véritable chaos. Avant que le Cloud TV ne s’impose, de multiples solutions ont été proposées. Les boîtiers de type media gateways ont d’abord permis aux opérateurs, comme Free ou Sky TV, de proposer des terminaux qui, bien qu’onéreux, permettaient de répondre aux nouveaux usages : interface enrichie, VOD, PVR, hybridation IP, distribution multi-terminaux, … D’autres, comme le pionnier américain des magnétoscopes numériques Tivo ou l’opérateur satellite SES, proposaient des boîtiers avec des fonctionnalités de déport de lieu de consommation TV ou de multiécrans. Ils furent ensuite intégrés aux media gateways.

« Les usages ‘TV everywhere’ bénéficient maintenant
de la puissance du Big Data pour personnaliser
la télé et la publicité. »

La France compte 1,5 million de téléviseurs « HbbTV »

En fait. Le 11 juin, l’Association pour le développement des services TV évolués
et interactifs (Afdesi) a organisé un atelier sur la norme HbbTV de télévision connectée, avec une présentation de l’ensemble des services audiovisuels l’utilisant et diffusés sur près de la moitié des chaînes de la TNT en France.

En clair. Les services interactifs à la norme franco-allemande HbbTV ont atteint une maturité en France et gagneraient à être plus connus du grand public. Selon l’Afdesi,
« près de la moitié des chaînes de la TNT en France proposent des services HbbTV directement accessibles depuis leur antenne » : France Télévisions (ses 5 chaînes),
TF1, M6, NRJ 12, Chérie FM, Gulli, D8, D17, iTélé, … Non-propriétaire et basée sur HTML5, la norme HbbTV (Hybrid Broadcast Broadband TV) est ouverte à tous les développeurs et éditeurs. Elle permet aujourd’hui aux téléspectateurs équipés de recevoir en France près de 1.000 heures de programmes supplémentaires sur la TNT. Encore faut-il qu’ils le sachent ! « Il y a aujourd’hui en France 1,5 million de téléviseurs compatibles HbbTV, tous les fabricants intégrant cette norme depuis septembre 2012 et l’activant par défaut depuis septembre 2013. Mais les consommateurs ne le savent pas forcément. C’est pour les sensibiliser à la TV connectée et aux services HbbTV que nous allons lancer d’ici la fin de l’année une campagne de communication et, à l’automne, des sessions de formation des vendeurs de la grande distribution en accord avec la Fenacerem (1) », indique Jean Dacié, délégué général de l’Afdesi, à Edition Multimédi@. Pour la première fois, lors de l’atelier de l’Afdesi organisé en coopération avec le Forum des médias mobiles (ex-Forum de la Télévision Mobile) et en partenariat avec TDF (premier diffuseur de la TNT), la présentation des services HbbTV diffusés en France s’est voulue « exhaustive » et s’est tenue « à titre exceptionnel » chez TDF rue Cognacq-Jay. « Grâce à la richesse des 1.000 heures de programmes proposés en HbbTV, à commencer par les services de vidéo (catch up TV, replay, retour en arrière, …) mais aussi des services d’information comme la météo, le téléspectateur peut regarder sa télévision sans aller du tout sur les chaînes de la TNT elles-mêmes ! », nous fait remarquer Jean Dacié.

Le transfert de valeur des télécommunications traditionnelles vers l’Internet s’accélère

Les services Internet, dont les revenus devraient atteindre 400 milliards d’euros en 2017 grâce à une croissance annuelle à deux chiffres, n’ont pas fini de donner du souci aux secteurs historiques des télécoms, de l’informatique et de la télévision, où la croissance se le dispute au déclin.

Dans trois ans, les services Internet pèseront 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial grâce à une croissance d’environ… 20 % par an ! Vous avez dit « crise économique » ?
En 2017, les revenus générés par cette nouvelle économie numérique – basée sur l’intermédiation en ligne (moteurs de recherche, publicité en ligne, commerce électronique, …) ou l’agrégation de contenus (vidéo en partage ou à la demande, boutiques d’applications, médias numériques, …) – représenteront ainsi pour la première fois 10 % du poids cumulé des industries télécoms, informatiques et télévision dites « historiques ».
Découplage entre réseaux et services
C’est ce qui ressort de l’étude annuelle DigiWorld Yearbook 2014 de l’Idate. Alors que
ces services Internet ont franchi l’an dernier la barre des 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires (voir tableau ci-contre), soit 6,3 % du total, c’est donc à un doublement de ces nouveaux revenus numériques auquel le monde doit s’attendre dans les trois ans qui viennent. Un véritable pied-de-nez à la morosité ambiante. Les réseaux sociaux, les applications mobiles et la vidéo en ligne sont les segments du Net les plus dynamiques, avec des croissances records situées entre 30 % et 50 % par an ! Ce tiercé gagnant
est suivi de près par le cloud, les moteurs de recherche et le e-commerce (1).
« La très grande majorité des acteurs de ces nouveaux marchés sont américains, et cinq parmi les premiers (GAFAM, pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) pèsent pour plus de la moitié des revenus globaux », relève Didier Pouillot (photo), directeur (2) à l’Idate. L’Amérique du Nord reste aussi la région la plus productive en termes de revenus OTT (3) par internaute, avec près de 271 euros par internaute en 2013 contre 215 en Asie-Pacifique (avec des acteurs aux ambitions internationales comme Alibaba, Sina, Baidu, Tencent, Rakuten, …) et 123 en Europe (où les champions européens du Net font défaut). « L’e-commerce et les moteurs de recherche sont les “vaches à lait” de l’Internet, des segments majeurs mais avec une forte maturité et donc des taux de croissance. Le cloud computing – déjà le plus gros marché Internet – reste en revanche une véritable locomotive. Les perspectives restent également très positives pour les applications et contenus mobiles », ajoute Vincent Bonneau (4). Et ce dynamisme exceptionnel, malgré « un léger ralentissement à… 16 % » prévu par l’Idate, se fera en partie au détriment des secteurs traditionnels qui voient augmenter sur eux la pression venant de ces « nouveaux entrants ». D’autant que, à côté de ce nouvel eldorado du Net, les acteurs traditionnels des télécoms, de l’informatique et de la télévision voient leur croissance annuelle à la peine autour de 3 %. « La téléphonie fixe poursuit depuis 2002 un déclin inéluctable, par des effets de substitution (fixe vers mobile) ou de transfert (vers l’IP via la VoIP et l’IM (5)). La généralisation de l’Internet contribue à favoriser des offres concurrentes de services télécoms par les réseaux sociaux et les acteurs OTT, qui captent de plus en plus de valeur », souligne l’institut d’études. Le marché mondial des services télécoms, qui a généré 1.187 milliards d’euros en 2013 (dont 60 % issus des services mobiles), est désormais le terrain de jeu des acteurs de l’Internet qui poussent de plus en plus à un découplage entre réseaux d’accès et offre de services. A cela s’ajoute une régulation européenne plus favorable jusque-là aux consommateurs qu’aux opérateurs télécoms (6). @

Médiamétrie : le replay dans l’audience TV début 2015

En fait. Le 13 mai, en marge du colloque NPA sur les nouvelles frontières du numérique, Médiamétrie a indiqué à EM@ que la prise en compte de la catch up TV dans la mesure d’audience de la télévision pourrait intervenir début 2015. D’ici là, réflexions et tests se poursuivent avec les chaînes.

En clair. « La télévision de rattrapage pourrait faire son entrée dans la mesure d’audience des chaînes d’ici janvier 2015 ». C’est ce que nous a indiqué Alain Ongenyi, responsable du pôle « opérations et analyses stratégiques » du département Télévision de Médiamétrie. Des tests sont en cours et les réflexions se poursuivent avec les éditeurs de chaînes de télévision. Pour l’heure, et depuis le 3 janvier 2011, l’audience TV de Médiamat consolide la mesure de l’antenne et le différé du jour même et des sept jours suivants. Mais ce différé concerne uniquement « un enregistrement personnel ou en léger différé (time-shifting) rendu possible par les équipements numériques » de type box avec système de pause ou de type magnétoscope numérique, enregistreur à disque dur ou autre PVR (Personal Video Recorder). La TV de rattrapage, qui est pourtant un usage dé-linéarisé directement issu de la grille diffusée à l’antenne, ne fait toujours pas partie de la galaxie Mediamat. C’est qu’il faut convaincre les chaînes du bien fondé de la mesure de cette audience différée. Au-delà des aspects techniques pour faire en sorte que tous les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) puissent accepter dans leurs box les outils de mesure et de collecte des audiences des programmes proposés en télévision de rattrapage, l’une des questions a trait à la durée de la catch up TV à prendre en compte : faut-il s’en tenir à 7 jours après la diffusion à l’antenne, ce qui correspond à la durée généralement pratiquée pour la mise à disposition gratuite en différé des programmes télévisuels, ou peut-on aller jusqu’à 28 ou 30 jours après la diffusion ?

Pourquoi M6 et TF1 échouent avec la chaîne TF6

En fait. Le 5 mai, le groupe Métropole Télévision – plus connu sous le nom de sa chaîne phare, M6 – a tenu son assemblée générale annuelle. Fin avril, il annonçait l’arrêt le 31 décembre prochain de la chaîne payante TF6 lancée 15 ans plus tôt et détenue à parts égales avec TF1. C’est un échec révélateur.

En clair. La génération des 15-34 ans, à qui s’adressait TF6 en tant que chaîne généraliste destinée à un « public de jeunes adultes » et diffusée sur la TNT (mais aussi en exclusivité sur CanalSat et Numericable), a de nouvelles pratiques de consommation en ligne de vidéos qui ne correspondent plus à certaines offres audiovisuelles traditionnelles. Qui plus est, linéaire et payante. Lancée il y a 15 ans, juste avant l’envolée du haut débit sur Internet et par la suite de la dé-linéarisation des programmes, TF6 proposait des programmes originaux, des séries inédites, des fictions et des films.
Mais, malgré une couverture mensuelle de 8 millions de téléspectateurs, cette «mini-généraliste » n’a jamais dépassé – au mieux – les 1,1 % de part d’audience (selon Médiamétrie), retombant même à 0,9 % fin 2013. Cet échec de M6 et TF1 (1) à vouloir
en faire « la première chaîne de divertissement dans l’univers du payant » pourrait un premier signe annonciateur de bouleversements à prévoir dans le paysage audiovisuel français (PAF) à l’ère du numérique. Officiellement, TF6 doit s’arrêter car le format a été
« fortement concurrencé par les chaînes de la TNT gratuite » et le recul des recettes publicitaires n’a pas été compensé par « les redevances des distributeurs de télévision payante » (CanalSat, Numericable). Mais les raisons sont sans doute plus profondes et
la conséquence des nouveaux comportements de la génération du « tout-gratuit » et du
« tout-Internet ». M6 et TF1 auraient pu demander au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de transférer leur chaîne commune vers la TNT gratuit, comme ils l’ont déjà fait pour respectivement Paris Première (M6) et LCI (TF1) ou comme songerait à le demander Canal+ pour Planète. Mais la concurrence sur la TNT gratuite est déjà telle que le jeu n’en valait pas la chandelle.