Rémunération proportionnelle du partage : le collège de l’Hadopi bientôt saisi

En fait. Le 17 octobre dernier, lors des 24e Rencontres cinématographiques de l’ARP (Auteurs, Réalisateurs, Producteurs) à Dijon, l’idée – vivement contestée par les producteurs – de « rémunération proportionnelle du partage » avancée par Eric Walter, secrétaire général de l’Hadopi, n’a pas du tout été ouvertement évoquée…

Marie-Françoise-MaraisEn clair. Selon nos informations, le collège de l’Hadopi compte se réunir avant la fin de l’année pour se prononcer sur le rapport que son secrétaire général, Eric Walter, a publié début septembre sur la « rémunération proportionnelle du partage » (RPP) pour, notamment, les échanges non-marchands sur Internet.
Cette idée provoque une levée de bouclier de la part des ayants droits du cinéma et de la musique, comme l’a montré le courrier courroucé daté du 22 septembre dernier et envoyé par les organisations du cinéma (le Bloc, dont l’APC, le Blic et l’UPF) à Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication (1).
Pour l’heure, la publication de ce rapport intermédiaire daté du 30 juin 2014 ne fait pas l’unanimité au sein du collège qui compte bien inscrire à l’ordre du jour de ses prochaines réunions ce rapport controversé.

La RPP inscrite à l’ordre du jour du collège de décembre ?
La RPP, présentée dans le rapport d’activité 2013-2014 du 28 octobre comme « l’hypothèse de l’Hadopi », n’a pas encore été soumise au collège. « Le collège a été saisi il y a deux ans par le secrétaire général de ce projet d’étude, lequel projet avait été approuvé. Eric Walter a récemment fait un point d’étape sur ses travaux et il les a publiés. Ce sont ses travaux et absolument pas la position du collège, dont certains membres n’apprécient pas que cette opération conduise à ce que l’on attribue ce rapport à l’Hadopi », explique à Edition Multimédi@ une personne interne à la Haute autorité, sous couvert d’anonymat.
Selon elle, le collège souhaite être saisie pour se prononcer sur le rapport final à venir et la présidente de l’Hadopi, Marie-Françoise Marais (photo) pourrait l’inscrire à l’ordre du jour de la réunion plénière du collège de décembre prochain une fois le débat budgétaire du PLF 2015 passé.
Et notre contact d’ajouter : « Ce qui énerve au collège de l’Hadopi, c’est que l’on
fasse de la rémunération proportionnelle du partage une contrepartie venant légaliser l’appropriation des œuvres illicites sur Internet ». Selon cette même source, il est légitime pour l’Hadopi de réfléchir à savoir comment on peut compenser – en rémunérant les ayants droits – le préjudice que représente le partage des œuvres
sur Internet et les réseaux peer-to-peer. « En revanche, dire qu’il en résultera une légalisation du partage, c’est en dehors du périmètre de l’Hadopi qui doit au contraire s’en tenir à éclairer les politiques pour leur faire part des obstacles juridiques et internationaux auxquels ils auraient à faire face s’ils décider de légaliser les échanges par la rémunération proportionnelle du partage », nous a encore expliqué notre interlocuteur. @

UPFI et Snep : “Non” à la gestion collective obligatoire

En fait. Le 13 novembre, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) a présenté son livre blanc sur le partage de la valeur à
l’ère des exploitations numériques. Le 14, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a évoqué son étude EY sur la rémunération des artistes.

En clair. S’il y a bien un point sur lequel les producteurs indépendants (UPFI) et les majors de la musique (Snep) sont au diapason, c’est bien celui d’une opposition farouche contre la gestion collective obligatoire. « Le débat sur le partage de la valeur, qui est très franco-français, a été biaisé par des positions défendues par certains acteurs – la patron de Deezer [Axel Dauchez] pour ne pas le citer – et cela remonte au rapport Zelnik, à la mission, à la charte Hoog et au rapport Lescure, lequel dit que si les producteurs n’acceptent pas de négocier un code des usages ou des minima de royauté [pourcentage sur les ventes de leur disque, ndlr] avec les artistes-interprètes, le gouvernement devrait instaurer une gestion collective obligatoire pour les droits voisins dans le numérique. Il y
a donc une ‘’pée de Damoclès’’qui pèse sur la tête des producteurs », a rappelé Jérôme Roger, DG à la fois de l’UPFI et de la SPPF (1). « Ce qui nous a amené à faire cette analyse [le livre blanc] et à considérer que, contrairement à ce que d’aucuns disent, il n’y a pas lieu de mettre en place un système de gestion collective obligatoire. Ce mécanisme autoritaire serait ne nature à rééquilibrer un prétendu déséquilibre dans le partage de la valeur entre les différents acteurs, notamment dans le rapport entre producteurs – majors ou indépendants – et les plate-formes en ligne », a-t-il ajouté. Pour l’UPFI comme pour le Snep, la gestion collective obligatoire est à proscrire, non seulement pour des raisons juridiques mais aussi économiques.

Le livre blanc, lui, veut démonter que l’évolution du marché, sa capacité à atteindre une taille critique et à générer des revenus significatifs, va naturellement rééquilibrer le partage de la valeur entre les différents acteurs. A l’horizon 2018, les producteurs indépendants tablent sur le fait que les streaming illimité par abonnement sera le modèle dominant et
que les plates-formes de musique en ligne (Deezer, Spotify, iTunes, …) seront profitables. Tandis que « leur niveau de rémunération devrait en toute logique tendre vers un taux de l’ordre de 10 % à 15 % au lieu de 30 % aujourd’hui ». Et le président de l’UPFI, Stephan Bourdoiseau, par ailleurs président fondateur de Wagram Music, d’en conclure : « Il ne faut rien faire ! ». Quant à l’étude EY du Snep (2) sur le partage de la valeur, elle a été transmise à la mission Phéline sur la musique en ligne sans être rendue publique. @

Meta Musique

On se souvient aujourd’hui de l’année 2012, comme celle qui marqua la sortie de ce que certains croyaient être l’enfer et qui, finalement, n’aura été qu’un sombre et long purgatoire. C’était la première fois, depuis 1999, que le marché mondial de la musique renouait avec la croissance. La progression fut certes modeste avec à peine 0,3 % mais, après presque 15 ans de baisse continue, elle raisonna comme une promesse. Ce fut l’avènement d’une nouvelle ère, où la musique serait numérique et définitivement dématérialisée. Mais attention, le soleil ne s’est d’abord levé que sur quelques terres privilégiées. De petits pays du nord de l’Europe, comme la Suède et la Norvège, terres d’élection pour l’économie numérique et le streaming par abonnement, et de très grandes économies émergentes comme le Brésil, le Mexique et l’Inde adoptèrent rapidement la consommation musicale sur mobile. Pour les autres, le marché fut encore en recul comme en France avec, encore cette année-là, une baisse de plus de 4 %.
C’est dans ce contexte que s’est ouvert un nouvel acte, avec l’entrée en lice des géants du Net, décidés à prendre les rênes laissées quelques temps aux défricheurs Spotify, Deezer ou Pandora, qui avaient quand même eu le temps de consolider leurs positions.

« Le GRD fut décisif pour associer en temps réel un morceau, ses auteurs et les détenteurs des droits,
ainsi que leur rémunération en fonction de l’écoute. »

Une offensive fut lancée par Google, qui présenta en avril 2013 son service « Google Play Music All Access », un accès illimité à des millions de morceaux en ligne pour 9,99 dollars par mois, soit le même tarif que Spotify à l’époque. Apple lui emboîta le pas avec un léger retard. Pour le roi du téléchargement depuis le lancement d’iTunes dix ans plus tôt, il fallut un peu de temps pour lancer son propre service, iRadio, durant l’été 2013. Ce retard de la marque à la pomme s’expliqua par les négociations avec les majors, détenteurs des catalogues-clés, qui tiquaient sur l’intention d’Apple de ne leur reverser que 6 cents les 100 écoutes, quand Pandora payait le double ! Il s’agissait de financer des services de radio personnalisée et gratuites financées par la publicité.
C’était bien sûr sans compter sur de nouvelles initiatives offrant de nouvelles approches, comme HypedMusic, service sur mobile gratuit et assez complet, permettant également d’écouter les morceaux hors ligne, ou 8tracks qui misa avec succès sur la mise en ligne de courtes playlists des internautes comme autant de mini-radios offertes en partage.
Le microbloging entra dans la danse avec Twitter#music, mettant en avant autrement les morceaux les plus populaires. Et personne ne fut étonné quand Rhapsody lança un mort-vivant dans la bataille, en ressortant pour la troisième fois de son cercueil, la marque Napster, pour lancer son service 100 % payant en Europe. Même les radios surfèrent sur la vague, à l’instar de Radio France qui lança, toujours en 2013, sa propre plateforme de musique gratuite diffusant des playlists musicales éditorialisées. Pendant ce temps, de petits sites essayaient de nouveaux modèles économiques, comme Arena.com qui assura aux artistes le plus haut taux de royalties de l’industrie. Tous étaient confrontés à un problème majeur : comment aider les internautes à naviguer dans cet océan infini des musiques du monde. En la matière, une nouvelle étape a été vraiment franchie en 2015, avec le Global Repertoire Database (GRD). Conçue par l’ensemble des organismes de gestion des droits et installée à Londres, cette base de metadonnées unique et mondiale regroupe toutes les informations concernant une musique ou une chanson. Cette étape fut décisive pour « tracer » sur la Toile et associer en temps réel un morceau, ses auteurs et les détenteurs des droits.
Désormais, (presque) tout le 5e Art planétaire est disponible et identifié sur cette base de données universelle qu’est l’Internet, accessible tout le temps et en tout lieu, sur tous les terminaux. C’est le bon vieux modèle de la radio et du reversement des droits en fonction de l’écoute qui s’impose aujourd’hui par-delà les frontières, les moyens techniques le permettant enfin. Face aux offres quantitatives, banalisées, se sont enfin développées
des approches qualitatives, personnalisées, proposant aux amateurs des contenus multimédias enrichis associés à de nouveaux supports physiques. La musique est ainsi de nouveau collectionnable, comme le furent en leur temps les vinyles, mais comme ne
le furent jamais les CD. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Fréquences en or
* Directeur général adjoint de l’IDATE.