Spectrum Crunch ?

La gestion des ressources rares, au-delà d’alimenter des discussions savantes entre économistes, a toujours des répercutions sur notre vie quotidienne. Certaines, comme l’eau, l’air, les métaux précieux ou l’espace pour les transports urbains sont très concrètes et nous percevons chaque jour un peu plus leur rareté. D’autres sont très longtemps restées dans l’ombre. Les fréquences hertziennes sont de celles-là, invisibles et discrètes pendant des décennies, puis s’invitant régulièrement dans les débats avec l’explosion des services mobiles et la multiplication des chaînes de télévision. Une pression telle que certains n’hésitèrent pas à prédire l’écroulement des plans d’allocation des fréquences ! La pression est en effet montée régulièrement à partir des années 2000 et à chaque changement de réseaux hertziens. Le basculement d’un Internet fixe vers
un Internet mobile, l’usage massif de la vidéo et surtout le développement exponentiel
des usages et du nombre des mobinautes, ont engagé les opérateurs et les Etats dans une course à la puissance des réseaux mobiles. Une course en escalier, où chaque marche correspond à une nouvelle génération de réseaux : 3G, 4G et 5G. Et pour chaque transition, tous les dix ans en moyenne, la question incontournable des fréquences disponibles pour satisfaire cette faim dévorante de spectre radioélectrique. N’oublions pas que, depuis 2010, le volume de données échangées sur les réseaux mobiles du monde entier a été multiplié par plus de 30, pour se monter aujourd’hui à 130 milliards de gigaoctets.

« Cette fameuse bande des 700 Mhz était
l’occasion de permettre une harmonisation spectrale
à l’échelle européenne mais aussi mondiale. »

La vague fut telle que les arbitrages rendus ont régulièrement été favorables à l’utilisation de nouvelles ressources spectrales. Il s’est agi tout d’abord de réallouer les fréquences libérées par l’extinction de la télévision analogique, d’abord dans la bande des 800 Mhz
en 2011 pour la France (premier « dividende numérique ») puis des 700 Mhz trois ans plus tard (second « dividende numérique »). Ces dernières fréquences ont d’ailleurs fait l’objet d’âpres discussions entre l’Etat, qui essayait d’avancer le calendrier pour récolter de nouveau les 3 milliards d’euros attendus de leur mise aux enchères, et les opérateurs télécoms qui déclaraient ne pas être pressés car devant faire face à une crise de croissance et de rentabilité inédite en Europe. Les chaînes de télévision de la TNT ont, elles aussi, voulu une partie de ces nouvelles fréquences libérées afin de pouvoir généraliser la HD et développer de nouveau services audiovisuels. Les nouvelles
normes de diffusion (DVB-T2, LTE, …) et de compression (Mpeg4, HEVC, …) ont
permis d’économiser du spectre et de pouvoir en allouer aussi bien aux télécoms qu’à l’audiovisuel.
Ces fréquences « basses », nouvelles pour les télécoms, étaient dites en or, par leur qualité particulière qui permet de diffuser les signaux plus loin en pénétrant mieux dans les bâtiments que les fréquences « hautes » initialement utilisées pour les communications mobiles. Elles avaient une autre qualité, peut-être plus importante encore : cette fameuse bande des 700 Mhz était l’occasion de permettre une harmonisation spectrale à l’échelle européenne mais aussi mondiale. Cela a en effet facilité le roaming international, mais surtout permis aux opérateurs de réaliser des économies d’échelle, si difficiles à concrétiser dans un contexte européen historiquement fragmenté. La bande des 700 Mhz avait déjà été allouée lors du premier dividende numérique sur tout le continent américain et en Asie. Elle le fut à l’occasion des allocations du second en Europe et pour la zone Afrique-Moyen Orient. Certains n’ont pas attendu que l’utilisation de la bande des 700 soit effective, il y a à peine cinq ans, pour poser bien avant la question de trouver de nouvelles fréquences pour le lancement cette année des premières licences 5G. Dès 2013, NTT Docomo testait au Japon une connexion à 10 Gbits/s dans une voiture en mouvement,
en utilisant des fréquences inhabituelles de 400 Mhz ! Tandis qu’au Royaume-Uni, le régulateur britannique Ofcom préparait le terrain pour disposer du spectre nécessaire,
dès 2020, permettant de faire oublier son retard sur la 4G en reprenant de l’avance sur
la génération suivante. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Publicité
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport :
« La bande des 700 MHz : une nouvelle harmonisation
des fréquences pour le LTE ? », par Frédéric Pujol.