L’offre légale laisse toujours à désirer en France, tandis que le piratage prospère faute de mieux

En 2021, cela fera dix ans que l’Hadopi a mis en place un « Baromètre de l’offre légale » des contenus culturels numériques : musique, films, séries, photos, jeux vidéo, logiciels, livres numériques et, depuis 2019, la presse et le sport. Mais un meilleur référencement en ligne limiterait le piratage.

Il y a dix ans, était publié – le 13 novembre 2010 – le décret « Labellisation » de l’offre légale (1), dans le cadre des missions confiées à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Dans la foulée fut créé le label « Pur » avec un site web – www.pur.fr – de référencement des platef

ormes numériques labellisées. Deux ans après, ce « label Pur » est rebaptisé « Offre légale Hadopi » avec un nouveau site web – www.offrelegale.fr (2). Il sera finalement décidé en juillet 2017 de supprimer ce portail pour le fondre dans le site Internet www.hadopi.fr.

Fini la labellisation, place au référencement
Aujourd’hui, selon les constatations de Edition Multimédi@, les deux URL historiques (pur.fr et offrelegale.fr) renvoient chacune à un site web inactif et hors-sujet, www.appelavocat.fr ! Depuis trois ans, la labellisation est tombée en désuétude au profit d’un référencement plus large des offres existantes relevées par l’Hadopi. La raison de cet abandon du label ? « La procédure de labellisation, trop contraignante pour les acteurs de l’offre légale, n’ayant pas trouvé sa fonctionnalité, l’Hadopi a mis en place un système plus souple de recensement des offres apparaissant respectueuses des droits de propriété intellectuelle », justifie l’Hadopi dans le bilan 2019 de son Baromètre de l’offre légale, publié le 3 novembre dernier. A ce jour, le moteur « Rechercher un site ou un service » – qui a été placé dans la rubrique « Outils & usages » (3) – recense 479 plateformes, dont seulement 4 labellisées (4). Et le lien « Qu’est-ce que le “label Offre Légale” ? » ne renvoie à plus rien… C’est dire que la labellisation est bel et bien en train de disparaître au bout de dix ans, alors que le nouveau référencement était censé la compléter, comme en avait délibéré l’Hadopi il y a trois ans (5). Qu’à cela ne tienne, ce moteur a le mérite d’exister et de s’être enrichi d’autres plateformes dans de nouveaux domaines culturels tels que la télévision de rattrapage (59 sites web recensés), les podcasts actuellement en vogue (30 plateformes), mais aussi la photographie (17 sites) et la réalité virtuelle/360° (7 sites). Mais, contre toute attente, c’est le livre numérique qui qui arrive en tête du nombre de référencements (171 plateformes identifiées), suivi de loin par la VOD/SVOD (96 plateformes), la musique (60 offres identifiées) et du jeu vidéo (39). L’on regrettera cependant que ce référencement culturel en ligne n’ait pas sa propre URL pour être bien plus accessible aux internautes, sur le model du moteur de recherche de films VOD.cnc.fr (6) mis en place depuis fin janvier 2015 par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Quitte à renvoyer le cinéphile sur le portail paneuropéen Agorateka.eu (7) proposé par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (Euipo), qui permet de chercher des accès aux offres légales de musique, télévision, films, livres numériques, jeux vidéo et événements sportifs. L’Hadopi pourrait aussi s’inspirer du CNC qui propose en outre aux éditeurs Internet, qui le souhaiteraient, d’intégrer ce moteur de films sur leurs sites web à l’aide d’un widget. Encore faudrait-il que le CNC et a fortiori l’Hadopi fassent mieux connaître leur portail d’offres légales respectifs, que la plupart des internautes ne connaissent pas ! « Je veux regarder tel film mais je ne le trouve pas en VOD »… Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette réflexion, notamment de la part de nos adolescent(e)s qui, à défaut, n’hésitent pas à trouver leur bonheur dans le piratage en ligne ? Car c’est là que le bât blesse, l’offre légale existe mais elle gagnerait à être plus visible.
La campagne de communication « On a tous de bonnes raisons d’arrêter de pirater», lancée le 7 décembre par l’Hadopi avec le CNC (campagne.hadopi.fr), tente d’y remédier. Sur tous ceux qui connaissent et pratiquent « au moins une » offre légale de biens culturels en ligne, 87 % d’entre eux s’en disent satisfaits. C’est ce que relève l’Hadopi avec Médiamétrie dans son Baromètre de l’offre légale paru début novembre. Mais, parmi les internautes, le taux des « consommateurs illicites » (réguliers et occasionnels cumulés) varie de moins de 10 % à plus de 30 % selon les biens culturels dématérialisés obtenus : la presse est la moins piratée, tandis que les contenus audiovisuels sont les plus piratés.

De l’offre légale dépend la baisse du piratage
C’est justement ce que démontre la nouvelle étude de l’Hadopi publiée le 2 décembre dernier sur le piratage audiovisuel et sportif, qui évalue à 1 milliard d’euros en 2019 le manque à gagner en France pour ces deux secteurs. Mais, en creux, c’est l’offre légale qui est critiquée comme étant trop fragmentée et aux prix trop élevés. L’Hadopi met en garde : « La fragmentation en cours des services et plateformes [de SVOD], fondée sur un principe d’exclusivité, pourrait cependant amoindrir la capacité de l’offre légale à juguler la consommation illicite ». @

Charles de Laubier

Pierre Louette devient président de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) pour tenir tête aux GAFA

L’Alliance de la presse d’information générale (Apig), qui réunit depuis deux ans « la presse quotidienne et assimilée » en France, a un nouveau président : Pierre Louette, PDG du pôle médias de LVMH et ex-dirigeant d’Orange. Et ce, au moment où le bras de fer « presse-GAFA » est à une étape historique, sur fond de crises.

C’est le 8 octobre, lors de l’assemblée générale de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), que Pierre Louette (photo) – PDG du groupe Les Echos-Le Parisien (pôle médias de LVMH) et ancien directeur général délégué d’Orange – en est devenu président. Sa désignation, sans surprise, et pour un mandat de deux ans, était attendue, étant le seul candidat pour succéder à Jean-Michel Baylet (1) à la tête de cette alliance créée il y a deux ans (2) par les quatre syndicats historiques de « la presse quotidienne et assimilée » : SPQN (3), SPQR (4), SPQD (5) et SPHR (6), soit un total de 300 journaux d’information politique et générale. Coïncidence du calendrier : c’est aussi le 8 octobre que la Cour d’appel de Paris a donné raison à l’Autorité de la concurrence qui, en avril dernier, avait enjoint Google « dans un délai de trois mois, de conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse sur la rémunération de la reprise de leurs contenus protégés ». Selon le gendarme de la concurrence, un médiateur pourrait être désigné, mais Google a dit le 7 octobre qu’il était disposé à un accord. La nomination de Pierre Louette à la présidence de l’Apig intervient aussi au pire moment pour la presse française, qui traverse une crise structurelle qui perdure depuis les années 1990 : généralisation d’Internet, érosion du lectorat papier, baisse des recettes publicitaires, sous-capitalisation, concentration aux mains d’industriels, …

La presse française est sinistrée voire en faillite
Les journaux sont en plus confrontés à une crise conjoncturelle aigüe provoquée par la pandémie du coronavirus, dont la deuxième vague augure le pire : fermeture des kiosques mis en difficulté depuis le confinement, baisse du nombre des kiosquiers justement, faillite de la distribution des journaux imprimés, … La presse est donc sinistrée, sinon en faillite. Pas sûr que le total des 483 millions d’euros d’aides supplémentaires accordés par le chef de l’Etat – lequel avait reçu le 27 août à l’Elysée « une délégation » de l’Apig – sorte la presse française de l’ornière, secteur qui touche déjà plus de 800 millions d’euros par an d’aides d’Etat. Environ 22 % de ce demi-milliard supplémentaire ont déjà été budgétés fin juillet dans les « mesures d’urgence », notamment par un crédit d’impôt de 30 % pour les abonnements à un journal d’information politique et générale (8), et les 78 % à venir seront étalés sur deux ans – « jusqu’en 2022 » – pour notamment, dit le gouvernement, « accompagner les transitions écologique et numérique du secteur ».

En plus des 800 M€ d’aides d’Etat annuelles
Une partie de la rallonge de 483 millions d’euros passera par le ministère de la Culture et son Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), dont « les crédits seront fortement augmentés pour un total de 50 millions d’euros » (contre 16,5 millions de dotation initiale), ainsi que par un plan de transformation des imprimeries à hauteur de 18 millions d’euros par an. En outre, « une aide pérenne sera instaurée en faveur des services de presse en ligne d’information politique et générale, à hauteur de 4 millions d’euros par an », avait précisé le trio Macron-Le Maire-Bachelot (9). Dans la foulée de ce plan de secours additionnel sans précédent en faveur de la presse française – donc en plus de presque 1milliard d’euros d’aides d’Etat annuelles –, le président de la République a promis à la filière en souffrance que « l’Etat continuera de s’engager, au niveau national comme au niveau européen, pour la bonne application du droit voisin des éditeurs de presse et pour une meilleure régulation du marché de la publicité en ligne ».
Cela fera un an fin octobre qu’entrait en vigueur la loi française instaurant un droit voisin au profit des éditeurs de presse et des agences de presse (10). Avec ce premier texte législatif, la France ne manque pas une occasion de revendiquer être le premier pays des Vingt-sept à avoir transposé dans son droit national la directive européenne « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (11). Elle prévoit des négociations entre, d’une part, les éditeurs et agences de presse qui peuvent autoriser ou interdire la reprise de leurs contenus, et, d’autre part, les plateformes numériques, en vue d’un « partage de la valeur ». Mais aussitôt que les discussions se sont ouvertes entre l’Apig et Google en France, aussitôt elles se sont soldées par un échec. Sur ses moteurs de recherche (dont Google Actualités), le géant du Net veut remplacer les snippets (vignettes) affichant extrait, photo ou vidéo – pour les journaux qui n’acceptent pas la gratuité de cet aperçu – par quelques mots seulement. Les éditeurs français, eux, accusent Google de vouloir contourner l’esprit de la loi en ne voulant pas tous les rémunérer. Le point de blocage est là. Saisie en novembre 2019 par l’Apig, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l’Agence France-Presse (AFP), l’Autorité de la concurrence avait le 9 avril dernier ordonné à Google (12) de négocier « dans un délai de trois mois » avec la presse généraliste. Google avait fait appel pour tenter d’annuler cette décision, sans que ce recours ait été suspensif du compte à rebours. Mais, à fin juilletdébut août, les nouvelles négociations n’ont pas eu plus de succès que les précédentes. En conséquence, début septembre, l’Apig, le SEPM puis l’AFP ont annoncé avoir chacun ressaisi le gendarme de la concurrence pour « non-respect de l’injonction ». « Google n’a pas négocié de bonne foi [et] nous a proposé une extension des discussions, ce qu’on a refusé car celles-ci ont tourné en rond », a affirmé Fabrice Fries, PDG de l’AFP… dans une dépêche AFP. La balle est à nouveau dans les mains de l’Autorité de la concurrence, confortée par l’arrêt du 8 octobre qui condamne en plus Google « aux dépens et à payer » 60.000 euros répartis entre l’Apig, le SEPM et l’AFP.
Qu’il est loin le temps où une précédente association de la presse généraliste, l’AIPG (13), pactisait avec Google en signant en grande pompe le 1er février 2013 à l’Elysée – avec François Hollande – un accord pour créer en France un « fonds pour l’innovation numérique de la presse » (Finp) doté de seulement 60 millions d’euros sur trois ans. Une aumône (14). Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) en critiqua la portée (15). Le « Digital News Initiative » (DNI) qui prit la suite du Finp, au niveau européen cette fois mais pour seulement 150 millions d’euros étalés sur trois ans (16), ne fit guère fait mieux. Parallèlement au dialogue de sourds de cet été, l’Apig annonçait le 30 juillet avec VG Media, la puissante société allemande de gestion collective des droits d’auteur et les droits voisins des médias outre-Rhin (télévision, radio, presse, numérique), la cocréation d’« une nouvelle société de gestion collective, ouverte à tous les éditeurs de presse européens ». Ce projet franco-allemand a été salué par Emmanuel Macron. Pas de quoi, semble-t-il, impressionner Google qui continue de raisonner mondialement malgré les exigences locales des éditeurs de presse en France, en Allemagne ou encore en Australie.

Google, Apple et Facebook ont « mauvaise presse »
Le PDG de Google (depuis plus de cinq ans), Sundar Pichai, qui est aussi le PDG de la maison mère Alphabet (depuis près d’un an), a mis sur la table le 1er octobre 1 milliard de dollars pour nouer des partenariats avec des éditeurs de journaux du monde entier. « Cet engagement financier, notre plus important à ce jour (17), permettra aux éditeurs de créer et de sélectionner du contenu de haute qualité (…). Google News Showcase [« Vitrine d’actualités », ndlr] est un nouveau produit qui bénéficiera à la fois aux éditeurs et aux lecteurs », a-t-il lancé sur son blog (18). Quelques journaux en Europe, tels que les allemands Der Spiegel, Stern, Die Zeit et le Handelsblatt, ou des britanniques, ont déjà signé ce nouveau partenariat aux côtés de 200 autres publications dans le monde. Sur un autre terrain, l’Apig se bat – avec d’autres organisations d’éditeurs de presse en Europe – contre Apple et ses 30 % de commission (19) que les éditeurs de presse jugent « excessivement élevé, inéquitable et discriminatoire ». Prochaine cible : Facebook, comme en Australie. @

Charles de Laubier