Très haut débit : l’Arcep va enfin autoriser « à l’automne » le VDSL2 sur la boucle locale de cuivre

Le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani, a indiqué à Edition Multimédi@ que le Comité d’experts pour les boucles locales cuivre et fibre optique va donner « à l’automne » son feu vert à l’introduction du VDSL2. Les lignes de cuivre vont pourvoir atteindre de 50 à 150 Mbits/s.

Par Charles de Laubier

Catherine Mancini, présidente du Comité d’experts de l’Arcep

Dernière ligne droite avant le lancement en France du VDSL2 (1), qui va offrir 50 à 100 Mbits/s sur la paire de cuivre téléphonique, soit des débits descendants bien plus élevés que les 20 Mbits/s au maximum de l’actuel ADSL2+. Sauf imprévu – ce que le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani, estime « peu probable » – « le Comité d’experts [pour les boucles locales cuivre et fibre optique] doit rendre un avis favorable à l’automne », a-t-il indiqué à Edition Multimédi@ en marge des 6es Assises du Très haut débit, organisées le 9 juillet par Aromates et l’Idate (2). « Ce Comité d’experts est indépendant de l’Arcep », nous précise Jean-Ludovic Silicani. Il n’en est pas moins placé sous l’autorité du régulateur, qui nomme ses membres, depuis qu’il a été créé en son sein il y aura dix ans le 19 septembre prochain (3). Il est présidé depuis lors par Catherine Mancini (notre photo). Aussitôt que cet avis favorable sera rendu, fin septembre au plus tôt,
le VDSL2 pourra sans autre formalité être introduit et déployé au niveau des sous-répartiteurs de France Télécom. Catherine Mancini nous le confirme : « Ce sont ces avis qui prononcent officiellement les autorisations d’emploi de telle ou telle technique, rien d’autre n’est nécessaire. Les déploiements de cette technique peuvent démarrer immédiatement après, à condition de respecter les modalités d’emploi préconisées ».

Neutralité technologique dans le très haut débit ?
Est-ce à dire que le VDSL2 pourra concurrencer le FTTH dans le très haut débit, selon le principe de neutralité technologique ? Lors de son audition par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 11 juillet, le président de l’Arcep a déjà prévenu : « Le VDSL2 sera déployé, mais pas partout, pour que la fibre puisse se développer sur tout le territoire ». En d’autres termes, priorité est donnée aux lourds investissements pour amener, d’ici à 2025, la fibre optique jusqu’au domicile des Français. Et ce, moyennant un coût très élevé de 25 milliards d’euros. Beaucoup moins coûteux, le VDSL2 pourrait contrarier cette volonté politique de déployer coûte que coûte le FTTH. Cela pourrait expliquer l’autorisation tardive de cette nouvelle technologie sur les lignes téléphoniques. D’autant que le coup d’envoi du VDSL2 devait être donné initialement « avant la fin 2011 » par le Comité d’experts (4), lequel a mis plus d’un an à faire des mois de tests de non-perturbation de l’ADSL en place.

Le VDSL2 à l’étude depuis sept ans
En fait, cela fait plus de sept ans que sa présidente Catherine Mancini, par ailleurs directrice chez Alcatel- Lucent, étudie le VDSL2. Cette norme a en effet été adoptée par l’Union international des télécommunications (UIT) en février 2006. Elle a depuis été suivie en mai 2010 par la norme vectorielle « G.Vector » (5) numérotée G.993.5, appelée aussi « VDSL3 », qui permet d’atteindre les 150 Mbits/s sur cuivre ! En attendant les 500 Mbits/s grâce au bonding (6)… Aujourd’hui, déjà plus de 10 millions de lignes téléphoniques dans le monde offrent du très haut débit sur fils de cuivre et leur nombre progresse de 10 % à 15 % par an.
Mais au-delà du principe de précaution technologique dont fait preuve le Comité d’experts pour les boucles locales cuivre et fibre optique, d’aucuns se demandent si cette instance tenue au secret n’est pas le théâtre d’intérêts antagonistes. France Télécom, concerné au premier chef, est membre de ce Comité d’experts aux côtés
des opérateurs du dégroupage (SFR, Free, Bouygues Telecom, …) et des principaux équipementiers télécoms (Alcatel-Lucent, Ericsson, Huawei, …). Mais l’opérateur historique est réticent à laisser la concurrence bénéficier d’un dégroupage total en VDSL2 qui permettrait aux autres opérateurs télécoms de monter en débit avec leur propre équipements. Et ce, au moment où les pouvoirs publics demandent à Orange d’accélérer le coûteux déploiement du FTTH à la rentabilité incertaine. Pourtant, en Pologne via sa filiale TPSA, Orange propose déjà du VDSL2. En France, les 100.000 sous-répartiteurs de la boucle locale de cuivre historique offrent une capillarité et un potentiel de déploiement pour le VDSL2 bien plus importants que les 12.300 répartiteurs utilisés pour l’ADSL. Plus le noeud de raccordement d’abonné (NRA) sera près du domicile de l’abonné, plus le très haut débit sur cuivre n’aura rien à envier à la très chère fibre optique. SFR est dans les starting-blocks depuis l’an dernier pour du VDSL2 à 150 Mbits/s, grâce à une gestion dynamique de la paire de cuivre dite DSM – Dynamic Spectrum Management – que lui fournit la société américaine Assia dirigée par l’inventeur du DSL, John Cioffi (7) (*) (**). Les box de Free et de Bouygues Telecom sont également prêtes. En juin dernier, France Télécom a informé certains de ses clients du lancement d’ici septembre d’un test grandeur nature du VDSL2 à Paris et Marseille, ce qui annoncerait l’arrivée de la Livebox 3 compatible VDSL2 dans les prochains mois (8). C’est dire que le cuivre est encore loin d’être « déterré pour être vendu sur les places de marchés [sic] », contrairement à ce qu’a affirmé Viktor Arvidsson, directeur stratégie et marketing d’Ericsson France, lors des 6e Assises du Très haut débit. La France reste la championne du monde de l’ADSL avec 21,2 millions d’abonnés – en progression de 5 % sur un an – et un taux de pénétration de 75 % des foyers. Et la combinaison FTTB+VDSL2 pourrait augmenter l’espérance de vie de la paire de cuivre au détriment du FTTH. Chez Alcatel-Lucent, Marc Charrière, vice-président des affaires publiques, parle plus volontiers de « complémentarité des technologies », mais avec un « objectif final : la fibre ». Présenté par le régulateur et par le gouvernement comme « une étape intermédiaire vers le déploiement du FTTH » (9), le VDSL2 pourrait devenir un « provisoire qui dure » pour les Français qui ne se précipitent pas pour s’abonner à la fibre : sur les 1.580.000 foyers éligibles au FTTH au premier trimestre 2012, seulement 220.000 se sont abonnés. Et au niveau des Vingt-sept, l’Idate a recensé 4,6 millions d’abonnés FTTH sur les 27,8 millions de foyers raccordables. Les sénateurs Philippe Leroy, président de ces 6e Assises du Très haut débit, et Hervé Maurey, auteur en octobre 2010 d’un rapport sur le sujet, préparent pour l’automne une proposition d’aménagement numérique des territoires qui fixe une date butoir pour l’extinction du fil de cuivre. Objectif : obliger les opérateurs à faire basculer leurs abonnés vers la fibre. Autre solution radicale pour tuer dans l’oeuf le VDSL2 serait d’augmenter le tarif du dégroupage ADSL pour inciter les opérateurs télécoms à investir dans la fibre optique. « La hausse du prix du dégroupage pourrait être de 1 euro par an sur trois ans », a même avancé Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable. Cela remettrait en cause, selon lui, « la rente » dont bénéficierait France Télécom sur le cuivre et l’avantage tarifaire que cela procure aux SFR, Free et autres concurrents dissuadés d’investir dans la fibre.

Déshabiller Pierre pour habiller Paul ?
En s’apprêtant cependant à autoriser le VDSL2, l’Arcep démontre qu’elle croit encore en l’avenir du cuivre. « Le dégroupage est un marché très dynamique et qui va le rester. Nous poursuivons nos efforts pour faciliter l’accès aux très petits NRA », a assuré Jean-Ludovic Silicani, lors de son intervention aux 6e Assises. Mais la pression monte en Europe, la commissaire Neelie Kroes ayant indiqué le 12 juillet qu’elle allait d’ici la fin de l’année prendre « des mesures pour favoriser l’investissement dans la fibre optique ». Le bras de fer entre le cuivre et la fibre ne fait que commercer… @