Les industries culturelles font appel aux internautes pour cofinancer leurs oeuvres

La musique, le cinéma, le livre ou encore la presse auraient-ils trouvé, à travers
les internautes, un nouveau filon pour cofinancer leurs productions ? MyMajorCompany, EditionduPublic, WeareProducteurs, Jaimelinfo, …
Les sites web participatifs se multiplient.

Chaque industrie culturelle a sa propre logique de financement, dans un univers économique et réglementaire qui lui est propre, son mode de production, d’investissement et de subventions : la musique avec sa licence légale et ses minimums garantis, le cinéma avec sa chronologie des médias et ses taxes « Cosip », le livre avec sa loi dédiée et son prix unique, ou encore la presse avec ses aides
d’Etat et sa publicité. C’est dans ce contexte bien établi qu’émerge un nouvel investisseur : l’internaute, celui-là même que les ayants droits soupçonnent d’être
pirate à ses heures ! Si faire appel aux dons du public – financement appelée crowdfunding – reste encore marginal, ce recours est prometteur.

Des œuvres à petits et gros budgets
Le financement collectif a commencé dans la musique avec notamment MyMajorCompany, qui a lancé le chanteur Grégoire devenu l’un des mieux payé en France avec 1,3 million d’euros perçus en 2009. Le 18 octobre, MyMajorCompany a par ailleurs annoncé un concours avec Virgin Radio pour faire émerger de jeunes artistes, dont le gagnant – révélé le 17 décembre prochain – se verra financé par les internautes. Fort de son succès depuis 2007, MyMajorCompany se diversifie dans le cofinancement de livres avec la création en mai dernier de MyMajorCompany Books (1). Les internautes sont appelés à miser jusqu’à 500 euros, le livre étant édité s’il réunit 20.000 euros, puis les coéditeurs se partagent 25 % des recettes.Le site EditionsduPublic.com est, lui, dédié à l’édition participative. Lancé lors du dernier Salon du Livre de Paris, il a dépassé fin juin ses premiers objectifs « avec 60 manuscrits reçus et 15 pitches et extraits de manuscrits en ligne, soumis aux souscriptions ».
Le co-éditeur en ligne peut « miser » à partir de 11 euros par livre qu’il recevra édité chez lui. Pour qu’un livre paraisse, il faut rassembler 22.000 euros, sinon l’internaute est remboursé (2).
Les médias commencent eux aussi à être concernés, à l’instar du site américain
« Spot.us » créé en 2008. En France, le site Jaimelinfo.fr – dont la version bêta est lancée courant novembre à l’initiative de Rue89 – propose aux internautes de soutenir des sites de presse en ligne par des dons « déductibles fiscalement » de 5 à 50 euros ou plus.
Un autre projet du même type vient de voir le jour : Glifpix.fr. Quant au cinéma, il n’est
pas en reste. Il y avait MyMajorCompany, Touscoprod, PeopleforCinema, Indiegogo, MotionSponsor, KisskissBankbank et, depuis juin, YourMajorStudio. Il faut désormais compter avec un poids lourd : WeareProducteurs. Lancé en mai dernier avec EuropaCorp, la société cotée en Bourse de Luc Besson (3), Orange y a investi 3 millions d’euros et misera autant dans l’achat du film ainsi coproduit avec des internautes (4). Dans ce projet, les cinéphiles du Web sont invités à contribuer à hauteur de 10 euros chacun, dans la limite des 5.000 euros (5).
Le premier scénario – dans sa version synopsis – a été « élu » le 12 juillet, pour une sortie du film à l’automne 2011. Il s’agit d’un thriller intitulé « A l’aveugle » (6). Cette nouvelle vague de coproducteurs cinéphiles a de quoi interpeller les ayants droits du Septième art et les pouvoirs publics quant à la prise en compte de cette nouvelle manne venue du Net. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a indiqué à Edition Multimédi@ que « en l’état actuel des choses aujourd’hui, il ne s’est pas saisi réellement du sujet », tout en constatant que cette pratique « reste encore relativement marginale ». De son côté, l’Association des producteurs de cinéma (APC) constate que « le financement maximum à en attendre aujourd’hui (30 à 70.000 euros) est intéressant, surtout pour le développement des films, c’est aussi un petit appoint pour la fabrication ». Mais son délégué général, Frédéric Goldsmith, met en garde :
« Il ne faut surtout pas, en revanche, que les sites promettent monts et merveilles
en termes de retour sur investissement. Il ne faudrait pas que des gens se sentent floués ».

Crowdfunding : boîte de Pandore ?
Reste à savoir ce qu’induira ce crowdfunding dans les industries culturelles. Si les internautes cofinancent des films, ne seraient-ils pas en droit de pouvoir les voir plus rapidement en vidéo à la demande plutôt que d’attendre les quatre mois réglementaires après la sortie en salle ? Luc Besson n’a-t-il pas suggéré de proposer des films sur Internet « juste après » leur sortie (7) ? Dans la production de musiques ou l’édition de livres, l’arrivée des internautes dans la chaîne de valeur pourrait aussi bousculer les habitudes de financement, de retour sur investissement, de propriété intellectuelle, de gestion collective, de responsabilité éditoriale ou encore de consommation des œuvres
en ligne. A suivre… @

Charles de Laubier