Universal Music-EMI : « super major » du numérique

En fait. Le 21 septembre, la Commission européenne a autorisé l’acquisition
des activités d’éditions musicales d’EMI par Universal Music « sous certaines conditions ». Au-delà de la cession d’actifs, la filiale de Vivendi s’est engagée
à faciliter d’octroi de licences aux plates-formes de musique en ligne.

En clair. « Cette opération sera bénéfique pour l’ensemble des artistes et pour l’industrie culturelle », se félicitent Vivendi et sa filiale Universal Music à propos des feux verts de la Commission européenne et de la Federal Trade Commission (FTC) aux Etats-Unis pour l’acquisition d’EMI Recorded Music. Ces deux autorités anti-trust prennent le risque de créer une « super major » qui pourrait « considérablement affecter la situation du marché du disque » avec des abus de position dominante que cela pourraient engendrer. C’est
du moins ce que craignent les producteurs indépendants, notamment leur association européenne Impala (1) – dont fait partie l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI). Impala a tenté – en vain – de dissuader les autorités anti-trust de donner leur feu vert à cette fusion de deux des quatre majors. Déjà première major mondiale de la musique enregistrée, Universal Music renforce sa position dominante
face non seulement à ses deux autres concurrents (Sony Music et Warner Music), mais surtout face aux nombreux labels indépendants. La « super major » s’est bien engagée devant la Commission européenne (et non de la FTC) à céder d’ici six mois plusieurs actifs – Parlophone (label de Pink Floyd, David Bowie, Tina Turner, David Guetta, Kylie Minogue, …), Chrysalis (label de Depeche Mode, Moby, Nick Cave & The Bad Seeds, …) ou encore EMI Classics – à hauteur de 30 % du chiffre d’affaires d’EMI, mais cela ne représente que 10 % des ventes du nouvel ensemble. Rien qu’en France, selon « Music
& Copyright », la part de marché d’Universal Music en 2010 s’établissait à 38,5 %, celle d’EMI à 13,1 %.
Même après délestage, « Universal-EMI » pourrait s’arroger plus de la moitié du marché. Dans la musique en ligne, la filiale de Vivendi pèse déjà entre 35 % et 45 % de parts de marché. Avec EMI, elle s’arroge là aussi plus de la moitié des ventes numériques. Craignant que la « super major » ne soit tentée « d’imposer des prix plus élevés et des conditions plus onéreuses d’octroi de licences aux fournisseurs de musique numérique », la Commission européenne a obtenu une promesse : « Ne pas insérer de clauses NPF (2) en sa faveur dans les contrats renégociés ou nouvellement conclus avec ses clients du secteur numérique » dans l’espace économique européen. @

Les opérateurs télécoms veulent une meilleure rémunération pour le trafic Internet

Les opérateurs historiques, font du lobbying au niveau mondial – via leur association ETNO – pour que les échanges de trafic Internet soient mieux rémunérés. Mais une « terminaison data » semble impossible, tant qu’il n’existe
pas de levier réglementaire au niveau européen.

Avertissement : cet article est paru dans EM@ n°64 daté du 17 septembre, soit quatre jours avant la décision « Cogent contre Orange »de l’Autorité de la concurrence datée du 20 septembre.

Par Winston Maxwell, avocat associé Hogan Lovells LLP

Cet été la ministre déléguée en charge de l’Economie numérique, Fleur Pellerin, a mis en garde contre une interprétation de la neutralité du Net qui favoriserait trop les acteurs américains de l’Internet, au détriment des opérateurs télécoms français. Implicitement, elle soutient l’idée d’une rémunération équitable pour les opérateurs français dans le cadre de leurs relations avec des acteurs de l’Internet. Ce commentaire « ministériel » fait écho de la proposition de l’association ETNO (1), laquelle souhaite voir inclure dans le traité de l’Union internationale des télécommunications (UIT) un principe de rémunération raisonnable en faveur des opérateurs de réseaux qui acheminent du trafic en provenance du Net. Il s’agit d’un tarif de « terminaison data » similaire au tarif de terminaison pour les appels téléphoniques.

OFNI contre OFPI

Vous êtes déjà en 2020, PAR JEAN-DOMINIQUE SéVAL*

Le domaine de la lutte plus ou moins larvée que se livrent depuis plus de vingt ans les opérateurs télécoms et les géants de l’Internet n’en finit pas de s’étendre. Tout a commencé par une guerre des portails et des nouveaux services de communication : messageries instantanées,
e-mail, voix sur IP fixe ou mobile, réseaux sociaux, …
Les opérateurs tentent encore de trouver des domaines réservés et des services avancés. Les géants du Net,
eux, cherchent à capter une nouvelle part de la valeur en descendant vers les infrastructures : même de manière limitée, comme ce fut le cas pour Google avec ses projets restreints dans la fibre et le spectre, ou de façon plus structurelle, comme l’investissement de tous dans des réseaux planétaires de data centers. Mais l’engagement se joue sur tous les fronts. C’est, par exemple, le cas dans les brevets comme en 2012 : British Telecom attaque Google pour des violations de droits d’auteurs. Mais l’un des plus intéressants combats se déroula entre 2011 et 2015, lorsque les pays européens, sous la pression de la crise de leurs dettes publiques, souhaitèrent réviser la contribution fiscale des acteurs de cette nouvelle économie numérique.

« Les opérateurs télécoms se plaignent d’être des OFPI, ‘’objets fiscaux particulièrement identifiables’’, les GAFA étant de véritables OFNI, ‘’objets fiscaux non identifiés’’ ».

Yves Le Mouël, FFTélécoms : « Il faut rapidement étendre l’assiette fiscale à tous les acteurs d’Internet »

Le DG de la Fédération française des télécoms, qui réunit les opérateurs (sauf Free et Numericable), répond aux questions de Edition Multimédi@ sur ce qu’il attend du nouveau gouvernement. Même s’il y a des signaux positifs, la FFTélécoms reste vigilante– notamment en matière fiscale.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Pensez-vous que la proposition de loi de fiscalité numérique – que dépose en juillet le sénateur Philippe Marini en vue d’imposer les acteurs du Web sur la base des déclarations de leur référent fiscal – sera suffisante pour retrouver une équité fiscale avant le passage de la TVA au pays de consommation entre 2015 et 2019 ?
Yves Le Mouël : Les opérateurs télécoms, qui subissent en tant qu’ « objets taxables bien identifiés » en France, une fiscalité spécifique de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an, sont également en butte à une situation de concurrence déséquilibrée de la part des OTT (1). Ces derniers bénéficient légalement des niches fiscales européennes (Irlande et Luxembourg) et offrent des services concurrents de ceux des opérateurs (téléphonie, messagerie, visio, accès aux contenus, …) en utilisant leurs réseaux. La concurrence en elle-même est positive. Encore faut-il qu’elle s’exerce dans des conditions de régulation et de fiscalité équitables. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui en France. Pour étendre l’assiette fiscale aux OTT, il est nécessaire de procéder rapidement, tant au niveau français qu’au niveau européen. C’est le sens de l’action menée par le sénateur Philippe Marini.
C’est aussi l’axe de travail annoncé par le président François Hollande et par son gouvernement. Le délai de l’harmonisation fiscale européenne, qui devrait être achevée en 2019, n’est en aucun cas adapté aux enjeux nationaux pour les acteurs européens. Cela handicape notre secteur mais également la transformation et la croissance de l’économie et de la société française. Nous faisons donc de la lutte pour la baisse de la pression fiscale et contre la dissymétrie fiscale et règlementaire un axe majeur de notre action. Ce sont les messages que nous portons à tous nos interlocuteurs, français et européens, et en particulier aux membres du nouveau gouvernement. Nous partageons en effet des intérêts convergents : sur le déploiement des réseaux très haut débit, sur le plan fiscal versus les acteurs internationaux, sur l’accès à la culture, sur l’attractivité des territoires, ou sur la confiance numérique.

Canal+ veut un cadre global face à Netflix et BeIn

En fait. Le 5 juin, Rodolphe Belmer, directeur général de Canal+, est intervenu à l’invitation de la Chaire « Media & Entertainment » de l’Essec sur le thème « A quoi ressemblera le PAF demain ? ». Au même moment, Libération publiait une interview de lui où il s’inquiète de la concurrence « globalisée ».

En clair. « Amazon et Netflix vont arriver sur le marché français d’ici la fin de l’année.
La rumeur se fait de plus en plus persistante », s’inquiète déjà Rodolphe Belmer, DG de Canal +. Déjà préoccupé par le lancement des chaînes sportives d’Al- Jazeera, BeIn Sport (l’une depuis le 1er juin et l’autre le 28 juillet), le numéro 1 français de la télévision payante appréhende l’entrée d’ »acteurs globaux » dans le PAF (1) : « Netflix va arriver sur
le marché de la VOD par abonnement, substituable à la télévision payante. Google développe sur YouTube une vingtaine de chaînes gratuites ; ils nous ont même contactés. Al-Jazeera est un acteur global du sport », a-t-il expliqué. Sans parler de la iTV d’Apple… Face à cette concurrence globale, la filiale de télévision du groupe Vivendi en appelle aux pouvoirs publics : « Il faut un nouveau cadre [réglementaire] global où les différents acteurs aient les mêmes règles du jeu pour être à armes égales. Google, Netflix et Canal+ doivent évoluer selon de mêmes principes de concurrence, de fiscalité et d’obligations [de financement de films français] », a-t-il insisté, tout en rappelant que la chronologie des médias est indispensable au financement du cinéma. Et de prévenir : « Si Netflix veut entrer en SVOD sur la même fenêtre que Canal+ [soit à 36 mois après la sortie en salle, ndlr], il faudra qu’il ait les mêmes obligations que les nôtres ». Dans l’immédiat, Canal+ attend pour juillet les deux décisions de l’Autorité de la concurrence sur ses rachats :
celui de TPS en 2006 et celui de Direct 8 en 2011, lesquels soulèvent des problèmes
de position dominante. Le groupe de la chaîne cryptée craint qu’il ait à se séparer de CanalSat. « L’Autorité de la concurrence ne prend pas en compte les acteurs globaux et ne regarde pas au-delà des frontières », déplore Rodolphe Belmer, en expliquant que Canal+ se doit de « financer des contenus de classe mondiale face aux productions américaines que distribuent Netflix et Amazon ». Il a indiqué que là où les Américains investissaient
2,5 millions d’euros pour une heure d’une série ou d’un films en prime time, Canal+ y consacrait au moins 1 million d’euros de l’heure. « Nous rachetons Direct 8 [à Bolloré, ndlr] qui va rediffuser, deux ans après, les productions de Canal+ et trouver ainsi un complément de financement auprès d’une cible CSP+ [très prisée des annonceurs] »,
a-t-il justifié (2). @