OFNI contre OFPI

Vous êtes déjà en 2020, PAR JEAN-DOMINIQUE SéVAL*

Le domaine de la lutte plus ou moins larvée que se livrent depuis plus de vingt ans les opérateurs télécoms et les géants de l’Internet n’en finit pas de s’étendre. Tout a commencé par une guerre des portails et des nouveaux services de communication : messageries instantanées,
e-mail, voix sur IP fixe ou mobile, réseaux sociaux, …
Les opérateurs tentent encore de trouver des domaines réservés et des services avancés. Les géants du Net,
eux, cherchent à capter une nouvelle part de la valeur en descendant vers les infrastructures : même de manière limitée, comme ce fut le cas pour Google avec ses projets restreints dans la fibre et le spectre, ou de façon plus structurelle, comme l’investissement de tous dans des réseaux planétaires de data centers. Mais l’engagement se joue sur tous les fronts. C’est, par exemple, le cas dans les brevets comme en 2012 : British Telecom attaque Google pour des violations de droits d’auteurs. Mais l’un des plus intéressants combats se déroula entre 2011 et 2015, lorsque les pays européens, sous la pression de la crise de leurs dettes publiques, souhaitèrent réviser la contribution fiscale des acteurs de cette nouvelle économie numérique.

« Les opérateurs télécoms se plaignent d’être des OFPI, ‘’objets fiscaux particulièrement identifiables’’, les GAFA étant de véritables OFNI, ‘’objets fiscaux non identifiés’’ ».

Les opérateurs télécoms furent les premiers à être dans le collimateur du collecteur d’impôt. En tant que fournisseurs d’accès à Internet (FAI), ils focalisèrent l’attention
de ceux pour qui ils profitèrent d’une économie du téléchargement en partie illégal. Cela fut fait en France dès 2010, en portant la TVA du taux réduit de 5,5 % au taux commun de 19,6 %. On demanda ensuite aux FAI de contribuer au financement du cinéma via la taxe sur les services de télévision (TST), laquelle rapporta quelque 200 millions par an payés par les fournisseurs d’accès à Internet sur un total de près de 600 millions d’euros, Ce premier succès donna des idées aux autres industries culturelles, la musique, la presse ou le livre, qui élaborèrent des plans pour obtenir la mise en place de mécanismes équivalant. Mais dans un contexte de crise et de concurrence renforcée, les opérateurs se plaignent d’être des OFPI, « objets fiscaux particulièrement identifiables ». C’est bien là en effet une clé de cet affrontement planétaire.

Alors que les « telcos » sont nationaux d’origine, les géants du Net sont par nature des entreprises globales, assurant la promotion de services déployés en un clic sur toute la surface du monde par des marques reconnues. Véritables OFNI, « objets fiscaux non identifiés », ils jouent à la fois sur la nouveauté de leur business models et sur leur présence multinationale. Ce qui leur a permis d’échapper au signal radar des administrations fiscales nationales. Mais avec la maturité des e-marchés, une normalisation fiscale a bien eu lieu. D’abord dans leur pays d’origine comme le prouvent les mesures prises par différents Etats dès 2012 pour soumettre les ventes d’Amazon à de nouvelles taxes. Comme d’autres sites marchands, ce géant bénéficiait d’une décision de la Cour Suprême l’exemptant de charges là où il n’avait pas de présence physique. De même, Apple économisa des milliards de dollars via une de ses filiales basée au Nevada à la fiscalité nulle. L’Europe, elle, a lancé une véritable chasse au GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et à leurs optimisations fiscales facilitées par l’implantation des sièges européens en Irlande ou au Luxembourg. Le législateur eut la tâche complexe de mieux faire contribuer les géants du Net en taxant leurs recettes publicitaires et les ventes en ligne, sans pour autant freiner le développement de tout un écosystème de pure players encore fragiles et de commerçants mariant boutique et ventes en ligne. Cette bataille fiscale est aujourd’hui apaisée. La Commission européenne a finalement révisé le cadre réglementaire pesant sur les opérateurs télécoms, tandis que le monde de l’Internet arrivant à maturité a rejoint un régime fiscal commun. D’autres luttes se sont engagées, rendant plus floue la frontière entre opérateurs de réseau et géants du Net. Ce matin, nous apprenons que Google lance une opération d’achat sur Verizon ! @

* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut publie tous les six mois son rapport « Le Marché mondial des services Internet 2012-2016 », par Soichi Nakajima.
Prochaine chronique « 2020 » : Le Q.I. de nos villes