La TV connectée menace les chaînes de télévision et les opérateurs Internet

Le salon est le théâtre d’une bataille inédite pour prendre le contrôle des abonnés équipés d’un téléviseur connecté à Internet. Cet écran interactif bouscule déjà la chaîne de valeur où s’étaient confortablement installés les éditeurs de télévision
et les fournisseurs d’accès à Internet.

Haro sur les téléviseurs connectés. Philips, Samsung, Sony, LG, Sharp, Toshiba, Panasonic ou encore Technicolor : depuis que les fabricants de postes de télévisions commercialisent des modèles connectables et nouent des partenariats éditoriaux
avec des fournisseurs de contenus interactifs (Yahoo, Google, Amazon, Dailymotion, Apple, …), rien ne va plus dans le nouveau paysage audiovisuel français. D’autant qu’il
se sera vendu en France – Noël aidant – quelque 2 millions de téléviseurs connectés cette année, selon les estimations du Syndicat des industries de matériels audiovisuels (Simavelec). Tandis que le cabinet d’études DisplaySearch table sur la vente de
40 millions d’unités dans le monde, toujours cette année.

Préachats de films : Canal+ baisse, Orange monte

En fait. Le 17 mai, au Festival de Cannes, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a dressé le bilan de l’année 2009. Si la fréquentation des salles est un record (201 millions d’entrées), les investissements dans 230 films français ont été en recul de 26,3 % à 1,1 milliard d’euros.

En clair. Bien que le cinéma français « demeure relativement dynamique tant en volume, au-dessus des 200 films, qu’en investissement, au-dessous du milliard
d’euros », comme l’a constaté Véronique Cayla, présidente du CNC, sur la Croisette,
« la diminution des investissements est bien réelle ». Et de mettre en garde : « Dans
ce contexte de tension économique, (…) nous devons donc être prudents, et accorder dans les mois à venir une attention redoublée à l’évolution de la production cinématographique française ». Si les sociétés de production et les chaînes de télévision demeurent les principaux financiers des films « d’initiative française », le premier pourvoyeur de fonds du cinéma en France – Canal+, filiale du groupe Vivendi – a diminué l’an dernier son enveloppe de 5,3 % à 164,79 millions d’euros répartis entre 134 films (dont 121 français). De son côté, le bouquet de chaînes thématiques CinéCinéma (1), qui appartient aussi au groupe Canal+, a vu sa participation augmenter de 18,8 % à près de 20 millions d’euros pour 112 films (dont 103 français). Quant aux préachats de films par TPS Cinéma, également contrôlé par le groupe Canal+, ils sont aussi en baisse, de 46,6 % à 11,90 millions d’euros répartis entre 34 films (dont 33 français). La chaîne cryptée, dont l’accord de décembre 2009 avec le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) vient d’être signé par le Blic (2), contribue encore pour environ 20% de l’ensemble des investissements dans les films
« agrées » en 2009. Mais il faut désormais compter sur un nouvel entrant : Orange Cinéma Séries. La filiale de France Télécom tend à compenser la baisse en 2009 de l’investissement de la seule chaîne cryptée dans le cinéma. Orange Cinéma Séries a en effet augmenté ses préachats de 46,5 % sur un an à 7,22 millions d’euros pour 13 films, dont 6,49 millions dans 12 films français (dont 6 avec les droits de première fenêtre payante). Mais le Septième Art français peut aussi compter sur d’autres sources de financement : les aides publiques du CNC, dont le Compte de soutien à l’industrie des programmes (Cosip) de plus en plus alimenté par les fournisseurs d’accès à Internet (lire EM@ 8 p. 6), les conventions triennales avec les collectivités locales ou encore le crédit d’impôt. En attendant que la vidéo à la demande et la télévision de rattrapage soient mises à leur tour à contribution. @

Hulu, Pandora, HBO GO… Le Web restreint

En fait. Le 18 février, la chaîne de télévision payante américaine HBO – filiale du groupe Time Warner – a lancé un site en ligne de vidéo à la demande (VOD) en streaming baptisé HBO GO. Le service, gratuit pour les abonnés de la chaîne et ceux de l’opérateur Verizon, propose des films et des séries.

En clair. « Nous sommes désolés, mais vous ne pouvez accéder à ce site. HBG GO
est accessible uniquement au sein des Etats-Unis », précise aux internautes du reste
du monde le site de VOD de la chaîne payante du groupe américain Time Warner. Car,
à l’instar de Hulu, un autre site de vidéo et de catch up TV américain (1), il s’agit d’un nouveau site qui met des frontières virtuelles à l’Internet. Pourtant le réseau des réseaux en est dépourvu. La raison de ce blocage géographique du Web réside dans les droits d’auteur et les restrictions de licences conclus localement avec les ayants droit. Le site américain Pandora d’écoute de radio et de musique en ligne illustre lui aussi ce saucissonnage du Net. « Nous sommes profondément désolés de vous dire que, pour des restrictions de licences, nous ne pouvons plus donner accès à Pandora aux auditeurs situés en dehors des Etats-Unis. (…) Il n’y a pas d’alternative », explique son fondateur Tim Westergren. Comme Hulu, Pandora promet de résoudre le problème rapidement avec les industries culturelles pour « avoir une vision vraiment globale de Pandora ». Comme pour Hulu, Pandora ou encore Spotify, l’internaute arrivant sur le nouveau site HBOGO.com est immédiatement identifié par son adresse IP correspondant à son pays d’implantation. Le langage utilisé par le navigateur du visiteur ou les caractéristiques techniques de son ordinateur peuvent être également vérifiés pour démasquer l’intrus ou accueillir l’invité : c’est selon. Les éditeurs de ces sites vidéos, musicaux ou culturels interrogent par exemple des bases de données de type GeoIP de Maxmind et associent l’adresse à un pays. Résultat : les internautes ne sont plus égaux devant le Net, à part peut-être ceux qui sauront techniquement contourner l’obstacle en utilisant un outil proxy (comme FoxyProxy) ou un réseau privé virtuel (comme Thefreevpn) permettant de masquer leur pays d’origine. Les 600 heures de télévision et de films de HBO GO ne sont donc pas visionnables en Europe. HBO a testé durant deux ans son service en ligne auprès de ses 30 millions d’abonnés à sa chaîne à péage. Désormais, les abonnés à FiOS TV de Verizon y ont accès, tout comme ceux du câblo-opérateur Comcast via Fancast.com. La filiale de Time Warner prépare en outre une version pour smartphone, les réseaux mobiles étant réputés plus restrictifs que l’Internet fixe… @

La faim de la télévision

Vite ! Il faut que je file à mon rendez-vous. Des amis m’attendent pour assister à la finale du 100 mètres féminin des Jeux olympiques, qui doit se courir en fin d’après-midi. Une athlète exceptionnelle capte l’attention mondiale en détrônant les champions masculins, qui ne se sont pas encore remis d’avoir ainsi dû céder leur place sur leur podium millénaire. C’est donc encore une fois la télévision qui nous rassemble, preuve s’il en est qu’elle est loin d’être morte, comme certains ont pu nous l’annoncer au début des années 2000. Bien sûr, ce n’est plus la télé de notre enfance qui se résumait en une formule très simple : un téléviseur, un réseau et trois chaînes. Symbole de notre vingtième siècle, souvent accusée de tous les maux – de « nouvel opium du peuple » à « la télé rend bête » de Roland Barthes – catalyseur de toutes les passions, la télévision a bien changé jusqu’à se noyer « dans un océan d’écrans », selon la jolie métaphore deJean-Louis Missika, l’auteur d’un livre intitulé « La fin de la télévision ». Car, en effet, c’est le téléviseur d’antan associé au modèle économique des chaînes qui a progressivement disparu au profit d’une équation autrement plus complexe associant
de très nombreux écrans, plusieurs réseaux et une myriade de services audiovisuels.

« Mon téléviseur est aussi et surtout un ordinateur, me permettant de surfer sur la Toile et d’accéder à mes sites d’information et à mes réseaux sociaux préférés ».

Accord Canal+ : le Blic ne fait pas bloc avec le Bloc

En fait. Le 21 décembre 2009, le Bureau de liaison des industries cinématographiques (Blic) a fait part de sa colère après la signature, sans lui,
d’un accord entre les producteurs ou réalisateurs indépendants de films (Bloc, UPF, ARP) et Canal+, le premier pourvoyeur de fonds du Septième Art français.

En clair. L’accord du 18 décembre 2009 entre la chaîne cryptée et une partie du cinéma français va laisser des traces entre les « gros » du Blic (Bureau de liaison
des industries cinématographiques) et les « petits » du Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma). La filiale TV du groupe Vivendi, premier pourvoyeur de fonds du Septième art français avec plus de 150 millions d’euros investis chaque année, a semé la zizanie entre les différentes organisations de cette industrie culturelle. Si les producteurs de films français (notamment indépendants) réunis au sein du Bloc, de l’UPF et de l’ARP s’en tirent à bon compte – relèvement de la contribution de Canal+
de 9 % à 10% en y intégrant les droits de « catch up TV » sur sept jours et la prime au succès (1) –, il n’en va pas de même du côté du Blic. En effet, ses membres, que sont les salles de cinéma (FNCF), les distributeurs de films (FNDF), des producteurs de cinéma (API), parmi lesquels Pathé, Gaumont, UGC ou encore MK2, ainsi que les industries techniques (FICAM) et les éditeurs de vidéo (SEVN), n’ont pas signé l’accord. Car Canal+ ne financera plus la distribution des films (6,5 millions d’euros) et les exploitants de salles (13,5 millions d’euros). En revanche, la chaîne cryptée crée une fondation d’entreprise « dont l’objet sera notamment d’apporter une aide à l’exploitation et à la distribution indépendantes ».
Le PDG de Canal+, Bertrand Méheut, explique que les exploitants et les distributeurs ont « moins besoin » de son financement (2) et qu’il investira 7 millions d’euros la première année en ciblant sur « les plus fragiles » (notamment en zone rurale). Selon Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), la chaîne du cinéma « met [ainsi] fin à une politique qui avait,
au bénéfice des plus forts, vidé de son sens et de sa pertinence la généreuse idée d’André Rousselet [fondateur de Canal+] de soutien aux maillons les plus faibles du cinéma français, la petite et la moyenne exploitation et la distribution indépendante ». Ce recadrage n’est pas du goût du Blic qui a fait part de sa « stupéfaction » et de son
« immense déception », dénonçant « la démarche de Canal+ visant à mettre fin au partenariat historique qui liait la chaîne cryptée à l’ensemble des métiers de la filière cinématographique ». Et d’ « appeler les responsables de Canal+ à reprendre au plus vite les discussions en vue du renouvellement de l’accord global ». @