Joe Biden aux GAFA : « Je t’aime… moi non plus »

En fait. Le 3 novembre, a eu lieu l’élection présidentielle américaine afin d’élire au scrutin indirect le président des Etats-Unis. Le 7 au soir, malgré l’incertitude sur le résultat final, Joe Biden s’est proclamé sur Twitter 46e président – successeur de Donald Trump. Sur le front des Big Tech, c’est le soulagement. Quoique.

En clair. La future administration « Biden » sera-t-elle plus pro-Tech et pro-GAFA que ne l’a été l’administration « Trump » ? Rien n’est moins sûr, même si plusieurs grands patrons de la Big Tech se sont précipités pour applaudir la victoire de Biden – mettant un terme aux relations tumultueuses de Trump avec eux (les décrets limitant les visas pour les salariés étrangers diplômés pourraient être abrogés).
Le futur 46e président des Etats-Unis s’est plus entouré d’universitaires et d’anciens fonctionnaires de l’ancienne administration « Obama ». Alors qu’il y a quatre ans l’ex-futur 45e président était plus cornaqué par des industriels et des conservateurs favorables à moins de réglementation. Joe Biden est plus pour l’intervention de l’Etat fédéral, ce qui pourrait aboutir à un renforcement des lois antitrust. De quoi faire frémir les GAFA, déjà sous le coup d’enquêtes – avec menaces de démantèlement – ouvertes sous l’administration Trump. Selon le think-tank Washington Center for Equitable Growth (WCEG), pro- Démocrate (1), l’élection de Biden annonce plus de concurrence et moins de positions dominantes. Google, la filiale d’Alphabet accusée par département de la Justice (DoJ) d’abus de position dominante (lire p. 4), se retrouve en tête de liste de la politique antimonopole du prochain locataire de la Maison-Blanche. Joe Biden pourrait même fait sien le rapport « antitrust » publié début octobre par la Chambre des représentants des Etats-Unis, où la Federal Trade Commission (FTC) reconnaît ses « graves erreurs » d’avoir laissé Facebook racheter Instagram et WhatsApp (2). Du côté d’Amazon, déjà sous le coup depuis le 10 novembre d’une deuxième enquête de la Commission européenne sur ses pratiques anti-concurrentielles (3), le prochain président américain pourrait non seulement en faire de même mais aussi ouvrir la voie à la réforme du « Communications Decency Act » (4) sur la responsabilité des plateformes du Net.
Deux femmes, dont les noms circulaient déjà pour de hautes fonctions, pourraient incarner cette politique antitrust « à la Biden » : Kamala Harris, qui sera investie le 20 janvier 2021 vice-présidence des Etats-Unis, et Terrell McSweeny, qui est pressentie pour présider l’an prochain la FTC ou le DoJ. Quant à la Chine et à ses Big Tech (5) mis en cause par Trump sur fond de bras de fer commercial sino-étatsunien, ils espèrent pouvoir enterrer la hache de guerre. @

L’Europe appelle la France à garder son sang-froid

En fait. Le 23 octobre, le Premier ministre français, Jean Castex, s’est rendu à Bruxelles pour y rencontrer la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Après l’assassinat à Conflans-Sainte-Honorine, le gouvernement est poussé à lutter contre la haine sur les réseaux sociaux – mais sans menacer la liberté d’expression.

En clair. Lutter contre la haine en ligne, oui. Porter atteinte à la liberté d’expression sur Internet, non. C’est en substance la mise en garde qu’a lancée la Commission européenne au gouvernement français, dont le Premier ministre – en déplacement à Bruxelles le 23 octobre – appelle à durcir la lutte contre la cyberhaine. Et ce, après les messages haineux ou appelant au crime lancés sur les réseaux sociaux en France, à l’encontre du professeur d’histoire et de géographie Samuel Paty, au cours des quelques jours précédant son assassinat le 16 octobre à Conflans Saint-Honorine (Yvelines) par un individu russe-tchétchène radicalisé (1). L’enseignant a été décapité dans la rue à proximité de son collège pour avoir montré en classe – dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression et par rapport à l’attentat de Charlie Hebdo – des caricatures représentant le prophète Mahomet. Avant de les montrer, il aurait « invité les élèves musulmans à sortir de la classe », d’après un représentant de parents d’élèves (2). La cyberhaine qui s’était propagée sur les réseaux sociaux, dont Facebook, à l’encontre de cet enseignant avant qu’il ne soit tué, a été unanimement condamnée. « Ceux qui sont derrière des messages inacceptables appelant ou justifiant des meurtres doivent répondre en justice », a assuré le 19 octobre la commissaire européenne Véra Jourová, en charge des valeurs et de la transparence (3). Mais elle met en garde le gouvernement français – poussé par sa droite et l’extrême-droite à mettre au pas les réseaux sociaux – contre une loi répressive envers Internet qui « pourrait miner la liberté d’expression, alors que nous essayons précisément de la protéger ».
La Commission européenne prépare justement un paquet législatif, le Digital Services Act (DSA), qui prévoit en l’occurrence, rappelle la commissaire tchèque, de « garantir que les contenus illégaux soient retirés avec les garde-fous nécessaires pour protéger la liberté d’expression ». Et Véra Jourová d’insister : « La haine ne connaît pas de frontières. Nous devons y répondre ensemble, d’une façon européenne ». Le Premier ministre français, lui, a dit le 21 octobre au Sénat vouloir « attaquer plus fortement encore à ceux qui manipulent et à ceux qui transmettent la haine », quitte à remettre sur le métier le projet de loi Avia qui avait été retoqué par le Conseil constitutionnel pour cause d’atteinte à la liberté d’expression. @

La plateforme Salto est payante et… avec publicités

En fait. Le 20 octobre, le groupe public France Télévisions et ses concurrents du privé TF1 et M6 ont enfin lancé leur plateforme commune de TV et de SVOD pour jouer la carte de « l’exception culturelle française » face aux Netflix, Amazon Video et autres Disney+. Salto est payant mais la publicité n’est pas bien loin.

En clair. Pour les abonnés de Salto, il leur en coûtera 6,99 euros par mois pour un seul écran, 9,99 pour deux écrans, ou 12,99 pour quatre écrans. Mais à ce prix-là, y aura-t-il de la publicité sur cette plateforme « publique-privée » de télévision (live ou replay) et de vidéo à la demande (par abonnement donc) ? « Oui et non », diraient les adeptes du « en même temps ». La plateforme que dirige Thomas Follin – transfuge du groupe M6 – assure qu’« il n’y a pas de publicité sur le catalogue Salto, qu’il s’agisse de films et séries en VOD, d’avant-premières, des nouvelles saisons mises à disposition en intégralité ou en US+24 ». Mais, car il y en a un, « en revanche Salto distribue des chaînes et des programmes télé qui seront diffusées avec leur publicité » (1). Autrement dit, sur le bouquet d’une vingtaine de chaînes de télévision proposées par Salto – dont celles déjà accessibles par ailleurs gratuitement sur la TNT (TF1, France 2, France 3, France 4, M6, W9, 6ter, TMC, TFX, LCI ou encore Franceinfo (2) –, les abonnés payants de Salto auront droit à la publicité de ces chaînes-là. Sans parler du fait que les chaînes du groupe public France Télévisions sont, elles, déjà payées par la redevance audiovisuelle – 138 euros en 2020 – dont tout abonné « Salto » est censé déjà s’acquitter. Ils se retrouvent donc à payer deux fois certains contenus de Salto (3). Des chaînes thématiques s’ajoutent au bouquet : TV Breizh, Téva, Paris Première, Ushuaïa TV ou encore Histoire TV.
Concernant cette fois la partie SVOD de Salto, avec son « catalogue en illimité (…) de plus de 10 000 heures [15.000 à terme, ndlr] de séries, films, documentaires et programmes jeunesse », n’y aura-t-il vraiment pas de publicités comme sur Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore AppleTV+ ? Si l’on en croit Salto, il n’y en aura pas. Mais si l’on se réfère à son site web, à propos de la dépose de cookies sur le terminal (ou les terminaux) des abonnés, le propos est alors ambigu : « Avec votre consentement, les cookies sont utilisés sur cette plateforme par Salto et ses partenaires aux fins de réaliser des statistiques de visites et vous proposer des publicités, services et offres adaptés à vos centres d’intérêts » (4). Contacté par Edition Multimédi@, Thomas Follin nous répond via une porte-parole : « Pour l’instant aucune (publicité) ; il n’y a pas de projet en ce sens ». @

Canal+, seul candidat à sa succession : pourquoi ?

En fait. Le 30 septembre, la chaîne cryptée Canal+ a été auditionnée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en tant que seul candidat à sa succession, dans le cadre de l’appel « aux candidatures » du 26 février dernier « pour l’édition d’un service de télévision payant à vocation nationale ». Vivendi, seul contre tous.

En clair. L’autorisation du service Canal+ arrivant à échéance le 5 décembre prochain, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait lancé, le 26 février, un appel « aux candidatures » pour l’édition d’un service de « télévision payant à vocation nationale », c’est-à-dire diffusé « sous conditions d’accès » par voie hertzienne terrestre et en haute définition sur le multiplex R3 de la TNT (1). Les candidats ont eu jusqu’au 10 juillet dernier pour déposer leur dossier. Mais, finalement, « seule une candidature a été reçue et déclarée recevable » : celle de la chaîne cryptée Canal+, éditée par la Société d’édition de Canal Plus, filiale du groupe Vivendi (contrôlé par Vincent Bolloré). Comment expliquer cette candidature unique qui jette le doute sur l’intérêt d’une chaîne payante nationale, à l’heure des Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+, sur fond de « vidéoisation » des GAFAM, YouTube en tête ? « Canal+ est le seul candidat à sa propre succession. C’est inédit, mais également signifiant. Car cela peut vouloir dire qu’aucun nouvel entrant ne juge la TNT suffisamment attractive pour candidater. Ou, surtout, qu’il n’y a pas aujourd’hui d’autres Canal+ potentiels et d’alternatives à Canal+ que Canal+ », a tenté d’expliquer au CSA le président du directoire du groupe Canal+, Maxime Saada. Et celui qui est en outre président de la plateforme vidéo Dailymotion d’ajouter : « Ce qui est d’autant plus riche en enseignements, alors que beaucoup, surtout au cours des dernières années, ont explicitement voulu nous remplacer. Ce qui dit assez combien Canal+, unique à l’époque de sa création [en novembre 1984, ndlr] l’est encore, même si les temps ont changé, avec une singularité d’identité et une place à part dans son écosystème qui ne sont pas faciles à reproduire aujourd’hui ». Mais à bientôt 36 ans, Canal+ a déjà la crise de la quarantaine et surtout le blues… « Je dis souvent aux équipes : “Soit on est des idiots, soit on est des génies”, c’est l’un ou l’autre ! », a confié Maxime Saada.
Son modèle est menacé, d’autant qu’il va à rebours non seulement de la délinéarisation de l’audiovisuel, « la plateformisation de la télévision », dit-il – soit directement en OTT (2) comme Salto qui va être lancé cet automne, soit en « cabsat » (3) –, mais aussi de « la fragmentation monothématique » avec Netflix, Disney+ ou OCS dans les séries et les films, BeIn et Téléfoot (4) dans le sport. @

Digital Services Act (DSA) : un draft sous le manteau

En fait. Les 1er et 2 octobre, à Bruxelles, s’est tenu un conseil européen extraordinaire, où a été abordé le futur Digital Services Act (DSA) que la Commission européenne doit encore finaliser pour le présenter au Parlement européen le 2 décembre. Une version provisoire (draft) a circulé sous le manteau…

En clair. La version préliminaire du futur « paquet législatif sur les services numériques » – instrument de régulation ex ante des très grandes plateformes en ligne jouant le rôle de contrôleurs d’accès (gatekeepers) – a savamment été distribuée sous le manteau à Bruxelles. Quelques médias et agences de presse ont pu « consulter » le document de travail, à l’encre à peine sèche, qui circulait en mode strictement confidentiel, avec interdiction de le publier et encore moins de le mettre en ligne ! Si le Conseil de l’Union européenne avait voulu faire dans la non-transparence et cultiver un certain flou artistique sur l’avancée du Digital Services Act (DSA), il ne s’y serait pas pris autrement. Contactée par Edition Multimédi@, la Commission européenne déplore « ces fuites », un porteparole nous précisant qu’« un rapport d’étape issu de la consultation publique sur le futur DSA va être publié ces tout prochains jours » et que « la proposition du DSA sera présentée le 2 décembre » par Margrethe Vestager (1). La première grande notion qu’introduit le draft du DSA, c’est celle de « plateforme structurante » (structuring platforms). Les GAFA américains sont les premiers concernés par ce statut qui reflète leur position dominante sur le marché unique numérique. Ces plateformes structurantes seraient à l’avenir soumis à une régulation ex ante, c’est-à-dire une réglementation qui définit a priori des obligations applicables aux entreprises des secteurs régulés. « Il convient (…) d’adopter des règles sur le rôle et les responsabilités systémiques des plateformes en ligne générant des effets de réseau importants », sont convenus les dirigeants des Etats membres, dont Emmanuel Macron pour la France, dans les conclusions publiées au sortir du conseil européen extraordinaire (2). Pour appliquer cette régulation ex ante, une liste de pratiques et comportements anti-concurrentiels serait dressée (3). Google et son moteur de recherche, Amazon et sa plateforme de e-commerce, Facebook et son réseau social ou encore Apple et sa boutique d’applications seraient ainsi mis sous surveillance. Le DSA pourrait en outre forcer les GAFA à rendre accessibles les données qu’ils exploitent pour en faire bénéficier aussi les entreprises (marchands, éditeurs, …) qui, tout en étant concurrents, empruntent leurs plateformes. Quant au régime de responsabilité des plateformes, il fait aussi débat. @