Les réseaux sociaux versus la neutralité de l’info

En fait. Le 8 octobre, Facebook a annoncé l’extension en Afrique de son programme de fact-checking via l’ONG Africa Check, couvrant désormais 15 pays africains à en bénéficier. Le 3 octobre, le Pew Research Center a constaté que la majorité des Américains pensent que les réseaux sociaux contrôlent trop l’actualité.

En clair. De l’Afrique à l’Amérique, en passant par l’Europe et l’Asie, l’emprise des réseaux sociaux sur l’information est telle que se pose de plus en plus la question de leur neutralité. La « neutralité des médias sociaux » mériterait d’être garantie, au même titre que la neutralité de l’Internet – bien que ce dernier principe soit remis en cause outre-Atlantique par la FCC (1). Les réseaux sociaux comme Facebook constituent pour la plupart des Africains l’accès principal à l’information. Or quand le numéro un des réseaux sociaux se mue en « rédacteur en chef de l’actualité » qu’il diffuse via un programme de factchecking panafricain, cela remet en cause sa neutralité médiatique. Sur le Continent, avec l’ONG Africa Check (Africacheck.org), la firme de Mark Zuckerberg a lancé en 2016 son programme de vérification « Third party fact-checking » auprès d’abord de l’Afrique du Sud, du Kenya, du Nigeria, du Cameroun et du Sénégal. Le 8 octobre, dix autres pays africains les ont rejoints : Ethiopie, Zambie, Somalie, Burkina Faso, Ouganda, Tanzanie, RDC (Congo), Côte d’Ivoire et Guinée Conakry. Cette chasse aux « fausses informations » se fera souvent avec l’aide de l’Agence France-Presse (AFP). Les articles et les posts incriminés ne seront cependant pas supprimés, mais rendus moins visibles dans les fils d’actualité. Faisant déjà du fact-checking aux Etats-Unis et lançant un fil spécial « news » avec des médias partenaires, Facebook a dû faire un pas en arrière le 25 septembre : les déclarations des politiques – et leurs publicités (syndrome des manipulations russes de 2016) – seront épargnées par le « sérum de vérité » de Facebook, qui assure ne pas vouloir être un « arbitre des débats politiques » (dixit Nick Clegg).
Or, selon une étude du Pew Research Center présentée le 3 octobre, la majorité des Américains trouvent que les réseaux sociaux comme Facebook « contrôlent trop l’actualité » et ont « trop de pouvoir sur l’info ». D’autant que plus de 50 % des Américains s’informent via le réseau social. Paradoxalement, en France, le CSA a présenté le 7 octobre une étude universitaire (LIRIS) selon laquelle les consommateurs en ligne « associent davantage l’information à la télévision et le divertissement à Internet » – confortant « l’hypothèse de départ » de cette étude. On peut en douter, tant l’actualité en ligne et sur smartphone a pris une place prépondérante. @

Face aux entreprises et au secret des affaires, la liberté de la presse bat de l’aile devant les tribunaux

La liberté de la presse s’arrête-t-elle là où commence le secret des affaires et la confidentialité des procédures de conciliation ou de mandat ad hoc ? Les affaires
« Conforama » et « Consolis » rappellent la menace judiciaire qui pèse sur le droit d’informer. L’avenir de la démocratie est en jeu.

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Deux décisions importantes ont été rendues en juin 2019, qui contribuent à la définition des limites de la liberté d’expression lorsqu’elle est confrontée aux dossiers économiques. Ces deux décisions concernent des révélations, faites par les sites de presse en ligne, sur la désignation d’un mandataire ad hoc dans l’intérêt de sociétés – d’un côté le groupe Conforama (1), de l’autre le groupe Consolis (2). Dans ces deux cas, c’est la responsabilité de l’organe de presse qui a été recherchée devant les tribunaux.

La presse non tenue à la confidentialité
Car selon l’article L611-15 du code du commerce, les procédures de mandat ad hoc et
de conciliation sont couvertes par la confidentialité (3). Il ne s’agit pas, ici, de contester la nécessité de protéger les droits et libertés des entreprises qui recourent à une mesure de prévention des difficultés. La confidentialité permet d’abord de favoriser le succès de la négociation en assurant aux créanciers ou partenaires que les efforts ou les sacrifices qu’ils vont consentir ne puissent servir de références ultérieures. La confidentialité permet aussi d’éviter que les difficultés de l’entreprise qui sollicite ces mesures ne soient aggravées par leur publicité (vis-à-vis des tiers, fournisseurs, clients et concurrents). Cependant, cette obligation de confidentialité pèse sur les personnes limitativement énumérées par le texte
(à savoir « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance »). Il apparaît clairement que les organes de presse ne figurent pas sur la liste des personnes tenues à la confidentialité.
Si une des personnes énumérées par L611-15 astreints à la confidentialité viole son obligation légale pour informer la presse, cette dernière doit-elle s’autocensurer et ne pas diffuser l’information (puisqu’elle provient de la violation d’une disposition légale) ou doit-elle diffuser l’information au nom du droit à l’information du public ?
Dans l’affaire « Conforama », l’organe de presse – en l’occurrence Challenges – avait été condamné par le tribunal de commerce à retirer l’information de son site web et à ne plus évoquer l’affaire « sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée ». La cour d’appel de Paris a cassé ce jugement dans un arrêt (4) du 6 juin 2019. Elle a jugé que les difficultés économiques importantes (5) du groupe sud-africain Steinhoff et ses répercussions sur Conforama, qui se présente comme un acteur majeur de l’équipement de la maison en Europe et qui emploie 9.000 personnes en France, constituent sans conteste un sujet d’intérêt général tel que garantit par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CSDHLF). Si cette décision constitue manifestement un progrès, force est de constater que les dossiers économiques continuent de bénéficier d’une protection dérogatoire qui remet en cause tant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que la conception traditionnelle de la liberté d’expression.
D’abord, la cour d’appel de Paris suit respectueusement la jurisprudence de la Cour de cassation (6), selon laquelle – au nom de l’effectivité du principe – la confidentialité pèse aussi sur la presse, attachant ainsi la confidentialité à l’information et non aux personnes visées par L611-15. De plus, probablement par timidité, la cour d’appel ne s’est pas contentée de constater que les informations diffusées sur Conforama contribuaient à l’information légitime du public sur un débat d’intérêt général. Elle n’a pas pu s’empêcher
de relativiser l’appréciation par plusieurs autres constats. La cour a relevé que la publication des informations a été faite au mode conditionnel. Si l’information avait été publiée de manière affirmative, la publication aurait-elle perdue son caractère d’intérêt général ?

Préjudice versus intérêt général
De même, la cour d’appel a noté que la publication faisait suite « à plusieurs autres articles de presse décrivant les difficultés financières importantes du groupe Steinhoff, maison mère du groupe Conforama, et de ce dernier ». Si la publication avait été un scoop, aurait-elle perdue son caractère d’intérêt général ? Ensuite, la cour a mentionné que le déficit de la maison-mère de Conforama avait eu pour cause « des irrégularités comptables ». Si tel n’avait pas été le cas, la publication aurait-elle perdu de son caractère d’intérêt général ? Enfin, quel est le besoin de faire référence à l’absence de démonstration du préjudice du plaignant ? Si le préjudice avait été démontré, la publication aurait-elle perdu son caractère d’intérêt général ? Et comment démontrer le préjudice si ce n’est en prouvant que la conciliation a échoué ? Mais l’échec de la conciliation (dont le succès n’est jamais garanti) peut-il réellement être imputable à la publication de l’information ?

Le risque des dommages et intérêts
L’unique critère qui doit être appliqué par un tribunal est de savoir si la publication contribue à la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général sans avoir à ajouter des critères surabondants. Ce critère unique est déjà difficile à apprécier du fait de son absence de définition. De plus, l’arrêt rendu par la Cour de cassation (7) dans l’affaire « Consolis » rajoute de l’incertitude en appréciant la manière dont l’organe de presse évoque ledit sujet d’intérêt général. Mergermarket avait diffusé sur son site web Debtwire.com, spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises et consultable par abonnement, des articles sur l’évolution d’une procédure de conciliation demandée par la société Consolis en exposant notamment les négociations engagées avec les créanciers des sociétés du groupe, citant des données chiffrées sur la situation financière des sociétés.
La Cour de cassation a reconnu que la question de la résistance des opérations d’achat avec effet de levier (LBO) à la crise et les difficultés que des sociétés ainsi financées peuvent connaître relevait d’un débat d’intérêt général. Cependant, elle a aussi considéré que l’information diffusée portait sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée. De ce fait, les informations divulguées n’étaient plus justifiées par un débat sur des questions d’intérêt général et ne contribuaient pas à la nécessité d’en informer le public puisque ces informations intéressaient, non le public en général, mais les cocontractants
et partenaires de ces sociétés en recherche de protection. En conséquence, un organe de presse peut informer le public mais à la condition de se contenter d’informations générales. A l’inverse, une information détaillée peut retirer à un sujet sa qualification d’intérêt général. L’absence de définition d’un sujet d’intérêt général et sa possible remise en cause en fonction de la manière dont l’information a été traitée sont de nature à exposer la presse à des sanctions d’une gravité inconnue à ce jour. En effet, les organes de presse sont dorénavant sous la menace d’une sanction pouvant conduire à leur disparition pure et simple. C’est là une seconde particularité dont bénéficient les dossiers économiques. Jusqu’à ce jour, et pour tous les sujets, les organes de presse bénéficiaient d’une immunité totale en cas d’abus de la liberté d’expression. Certes, le directeur de publication ainsi que le journaliste pouvaient s’exposer en cas de délits de presse (essentiellement la diffamation ou l’injure) à une peine de prison ainsi qu’à une amende, mais un organe de presse n’était jamais condamné à des dommages et intérêts. La raison en était simple, vu l’importance de la liberté de la presse (8), un abus – s’il doit être sanctionné – ne doit pas conduire à la disparition économique du journal. C’est pour cela aussi que régulièrement, la jurisprudence fermait la porte à toute tentative d’engager la responsabilité d’un organe de presse en dehors de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (9) et notamment sur le fondement de la responsabilité civile (10).
La Cour de cassation vient de mettre définitivement fin à cette immunité de fait dans l’affaire « Mergermarket » (11). Après avoir obtenu en référé le retrait de l’ensemble des articles contenant les informations confidentielles et l’interdiction de publier d’autres articles, Consolis a ensuite assigné Mergermarket en indemnisation des préjudices subis du fait de la publication des articles litigieux et a obtenu devant la cour d’appel la somme de 175.854 euros.
Dans son arrêt, la Cour de cassation soumet donc l’organe de presse en ligne au régime de droit commun et juge « qu’ayant retenu qu’en divulguant des informations qu’elle savait couvertes par la confidentialité sans que cette divulgation soit justifiée par la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général, la société Mergermarket avait commis une faute à l’origine d’un préjudice, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a évalué le montant de la réparation propre à indemniser ce préjudice ».

La presse indépendante menacée
Quand on connaît les difficultés financières des organes de presse indépendants, seuls les groupes de presse puissants vont pouvoir survivre à des condamnations financières de cette nature. L’évolution de la jurisprudence sur ces dossiers économiques n’est pas de bon augure au regard des dossiers à venir concernant le périmètre strict du secret des affaires. C’est probablement lorsque la presse indépendante aura disparu qu’on se rendra compte des effets bénéfiques qu’elle avait sur notre démocratie, mais une fois de plus, il sera probablement trop tard. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique : de la
révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

Média public d’information en continu : radio filmée

En fait. Le 3 novembre, se tenait le 22e colloque NPA-Le Figaro sur le thème :
« Vers la société de l’omnimedia ? ». Intervenait notamment Frédéric Schlesinger, directeur délégué aux antennes et aux programmes de Radio France : il a esquissé ce que pourrait être la chaîne d’information en continu avec France Télévisions.

En clair. M-10. C’est dans dix mois, en septembre 2016, que sera lancé le médias public d’information en continu auquel réfléchissent ensemble Mathieu Gallet et Delphine Ernotte, respectivement PDG de Radio France et présidente de France Télévisions. Le compte à rebours est largement engagé : « Il faut qu’avant la fin de l’année, au plus tard le 15 décembre, nous soyons absolument d’accord sur le concept, sur le projet qu’il faudra partager et porter ensemble. Il reste donc un grand mois de travail pour parvenir à cet accord, à cette mutualité. Si les fondamentaux ne sont pas posés à Noël, il sera impossible de démarrer au mois de septembre 2016 », a prévenu Frédéric Schlesinger, directeur délégué aux antennes et aux programmes de Radio France.
Ce sont Laurent Guimier, directeur de France Info, et Germain Dagognet, directeur délégué à l’information de France Télévisions, qui pilotent ce projet commun voulu
par Mathieu Gallet et Rémy Pflimlin (prédécesseur de Delphine Ernotte), après que le rapport Schwartz de février 2015 sur France Télévisions ait épinglé la volonté initiale des deux groupes publics de lancer chacun son média d’information en continu…

Quoi qu’il en soit, ce projet commun préfigure-t-il l’idée d’un grand service public audiovisuel, pas seulement limité au numérique ? François Hollande en a rêvé dès
fin 2013 (1) (*), le tandem Gallet-Ernotte le fera-t-il ?
La Belgique fait office de modèle, où « l’ORTF existe toujours ! » : dixit Frédéric Schlesinger. « La RTBF, c’est la radio et la télé, explique-t-il. Elle s’est mise à réfléchir sur les mêmes bases que notre propre réflexion sur un média d’information en continu du service public : sera-t-il piloté par la télévision ou par la radio ? Il y a là aussi une obligation de maîtrise des coûts mais il ne s’agit pas de faire du low cost. Finalement,
la RTBF a décidé que la radio allait piloter l’offre d’information en continu du service public en Belgique. C’est en filmant la radio – je ne parle pas de “radio filmée” – qu’ils continuent d’offrir une radio, VivaCité, qui reste de la radio, et cette même radio qui, quand on la voit par l’image, devient une télévision d’information en continu, réellement, qui réinvente des codes de proximités et de ressemblances – de miroirs ». Questionné à propos de BFM Business, partant d’une radio devenue aussi télé, il répond : « Oui, c’est aussi un bon modèle ». @