Google News : articles et communiqués cohabitent

En fait. Sur février 2023, Google News a vu sa fréquentation mondiale baisser, à 364,7 millions de visites (dont Google Actualités en France), et perdu 10 place depuis trois mois. Les médias, eux, s’y bousculent toujours autant, tandis que les communiqués d’entreprises et de gouvernements se multiplient.

En clair. Google News – alias Google Actualités en France – est le site web d’informations le plus visité au monde. Bien que son audience ait baissé en février 2023 de près de 20 % par rapport au mois précédent, à 364,7 millions de visites au total (1), d’après le site de mesure d’audience Similarweb, le numéro un mondial des agrégateurs d’actualités attire toujours autant les médias de la plupart des pays malgré quelques bras de fer sur la rémunération des éditeurs (2).
Or il y a plus de huit ans maintenant, la plateforme d’informations de Google (filiale d’Alphabet) s’est lancée en toute discrétion dans la diffusion de communiqués d’entreprises ou du gouvernement (du pays de consultation de Google News). Ces communications institutionnelles (communiqués de presse, déclarations officielles ou statements) se mêlent aux résultats de recherche d’actualités, toujours en indiquant la source (telle entreprise, tel ministère du gouvernement) mais sans forcément indiquer « communiqué de presse » (3). « Sur Google Actualité, il n’y a pas de monétisation », indique Google à Edition Multimédi@. Cette cohabitation, cette confusion ou ce mélange de genres (c’est selon) entre articles de presse et communiqués (faisant au passage de la publicité à l’entreprise) suscite encore aujourd’hui des interrogations de la part d’internautes. Par exemple, le 27 janvier de cette année, le chef de projet innovation éditoriale de Franceinfo.fr a été surpris de voir, au beau milieu de l’actualité des médias, un communiqué de TotalEnergies en réponse à un enquête de Cash Investigation diffusée la veille au soir – qui plus est sans la mention « communiqué » mais seulement le logo du pétrolier (4). Google News ne prête-t-il pas le flan aux critiques sur la confusion entre rédaction et publicité ? Interpellé à ce sujet, Google a justifié la pratique en assurant que « [ses] algorithmes sont conçus pour mettre en avant des informations provenant de sources expertes et faisant autorité » (5).
Déjà, après leurs apparitions en septembre 2014, ces communiqués de presse dans Google News avaient été critiqués par l’agence Reuters comme « détournant du trafic web des éditeurs de presse en ligne et risquant de tromper les utilisateurs ». A l’époque, le communiqué (statement) du fabricant français de cartes SIM Gemalto (racheté depuis par Thales) était prise en exemple (6). @

Fabrice Fries, PDG de l’AFP : « Trouver un équilibre entre notre visibilité sur Internet et nos clients »

A la tête de l’AFP depuis huit mois, Fabrice Fries a répondu le 3 décembre aux questions de l’Association des journalistes médias (AJM) – notamment sur la prolifération des dépêches à travers les sites web et blogs, ainsi que sur le « droit voisin » réclamé par la presse face à Google, Facebook et autres agrégateurs d’actualités.

Si les dépêches de l’AFP se retrouvent reprises par une multitude de sites de presse en ligne et des blogs d’information, qui les mettent en libre accès sur Internet et les mobiles, à quoi bon pour les médias de s’abonner aux « fils » de l’AFP ? C’est l’une des toutes premières questions posées par l’Association des journalistes médias (AJM) à Fabrice Fries (photo), président-directeur général de l’Agence France-Presse depuis le 15 avril 2018. « Vous pointez le doigt sur un vrai sujet. La vraie question est un problème d’équilibre à trouver entre un minimum de visibilité sur les sites (web) et la génération du chiffre d’affaires que l’on fait avec nos clients », a-t-il répondu. Cette surabondance en ligne de dépêches d’agences de presse telles que celles de l’AFP, mais aussi de Reuters, d’Associated Press (AP) ou encore de Bloomberg, ne date pas d’hier mais elle n’a jamais été aussi visible depuis que la presse sur Internet (1) est apparue avant les années 2000, accompagnée d’une multiplication de sites web et de blogs d’information. Cette prolifération de dépêches – plus ou moins « bétonnées » (2) – aboutit à un effet « moutonnier » des médias en ligne, avec pour conséquence une uniformisation de l’information. Cela tend à décrédibiliser au passage le journalisme et la presse aux yeux du grand public, les internautes et les mobinautes se retrouvant à lire les mêmes dépêches d’un titre à l’autre, ou ayant une impression de déjà lu…

L’AFP face au « copié-collé » de ses dépêches sur le Net
Ce « copié-collé » médiatique a d’ailleurs été démontré par une étude publiée en mars 2017 par l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et intitulée « L’information à tout prix » (3). Ses auteurs ont décrit l’ampleur du phénomène et les liens de cause à effet : « Sur l’actualité chaude, (…), nous avons montré que deux-tiers du contenu était en fait du copié-collé, ce qui vient, d’une part, d’une utilisation très forte des dépêches d’agences, que ce soit l’AFP mais aussi Reuters ou AP. D’autre part, cela est lié au fait qu’on a malheureusement des rédactions qui ont pas mal réduit la voilure ». Résultat : « 64 % de ce qui est publié en ligne est du copié-collé pur et simple » !

Anti-piratage : l’AFP surveille Web et TV
L’AFP se retrouve face à un sérieux dilemme, d’autant que, une fois les dépêches publiées en ligne par de nombreux éditeurs de sites web, de blogs ou d’applications mobiles (abonnés ou pas à l’AFP d’ailleurs), ces mêmes dépêches accessibles gratuitement sur Internet peuvent être reprises et partagées en l’état par les internautes et mobinautes. Quelque peu embarrassé par le problème soulevé par l’AJM, Fabrice Fries a indiqué que cela rejoignait la question de la lutte contre le piratage de photos ou de vidéos produites par l’agence de presse, laissant répondre sur ce point Marie-Noëlle Vallès, nommée directrice de la marque et de la communication de l’AFP en novembre dernier : « Nous-mêmes, nous mettons en ligne et sur les réseaux sociaux une sélection de dépêches. C’est en effet un outil de visibilité et un enjeu d’attractivité de
la marque. Sur le texte, la lutte contre le piratage est très compliquée. Pour l’image (photos et vidéos), nous avons en revanche un outil technologique très élaboré de
lutte contre le piratage », explique-t-elle, également en charge du développement commercial de la vidéo au sein de la direction commerciale et marketing de l’AFP –
où elle est entrée il y aura 30 ans en 2019.
Selon nos informations, l’Agence France-Presse a confié il y a plus de deux ans à PicRights la gestion du respect des droits d’auteur des images qu’elle produit (3.000 photos et 75 infographies par jour). Cette société suisse basée à Zürich scanne les sites web à la recherche d’images AFP par similarité. Près de 400 millions de scans sont ainsi opérés chaque année pour l’AFP, dans une douzaine de pays pour l’instant (Europe, Amérique du Nord/Canada, Moyen-Orient et récemment Brésil). PicRights s’occupe non seulement de l’identification des photos présumées piratées, mais aussi de la collecte des sommes à payer auprès des éditeurs de sites web « en faute » pour rémunérer les ayants droit des images utilisées sans autorisation. Pour la vidéo, cette fois, l’AFP – dont la production est actuellement de 250 vidéos par jour – fait appel depuis plus de dix ans à Teletrax. Cette société britannique (basée à Londres et filiale de Medialink) scrute pas moins de 2.100 chaînes de télévision dans plus de 76 pays, afin de détecter très précisément les vidéos de l’AFP dans les programmes télévisés grâce à la technologie d’empreinte numérique développée par Civolution (4). Quant aux dépêches AFP, elles sont plus délicates à protéger dans la mesure où elles pullulent sur Internet au rythme des 5.000 produite chaque jour. Toujours selon nos informations, l’agence de la place de la Bourse a confié à la MatchHamster le pistage de ses textes sur le Web. Cette société néerlandaise (basée à Amsterdam) scanne tous les sites web (du moins ceux indexés par Google) pour calculer le pourcentage de similarité des pages « texte » des sites web avec les dépêches. « Normalement, nous concédons des droits de licence [avec un droit de reprise d’un certain nombre de dépêches par mois, ndlr] mais nous ne donnons pas le droit à nos clients de mettre tous nos contenus sur les plateformes (en ligne). C’est pour cela que nous pensons être légitimes à bénéficier du droit voisin », a expliqué le patron de l’AFP devant l’AJM. Faisant l’objet d’un âpre débat dans le cadre du projet de directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (5), ce droit voisin a pour but de faire payer les Google News, Yahoo News et tous les agrégateurs d’actualité. C’est, selon Fabrice Fries,
« d’abord une question de principe avant d’être un enjeu de business ». L’AFP recours au cabinet de lobbying GPlus (groupe Omnicom) à Bruxelles. Il s’agit de faire reconnaître « la valeur de l’information en ligne, de qualité et honnête, qui a un prix », même sous la forme de snippets, ces courts extraits associés aux hyperliens. « Pour que l’on puisse suivre si rémunération il y a, il faudra que l’on ait des outils d’anti-piratage et de tracking », envisage-t-il. Le nouveau PDG, dont mandat de cinq ans court jusqu’au 15 avril 2023, compte-t-il donner encore plus de visibilité à l’agence sur Internet en sélectionnant encore plus de contenus (dépêches, photos et vidéos), comme peuvent le faire ses concurrents mondiaux Reuters, AP ou Bloomberg, et comme l’avait envisagé son prédécesseur Emmanuel Hoog avant d’y renoncer sous la pression des clients « presse » historiques de l’AFP ? « Ce n’est pas dans les dossiers que j’ais en ce moment. Pour moi, ce n’est pas d’actualité. On a déjà fait beaucoup ; l’AFP est déjà très présente (en ligne). Et cela rejoint la question de savoir ce que l’on retrouve sur Internet et quel est l’impact », a répondu Fabrice Fries. Bien que Emmanuel Hoog ait dû réfréner ses ambitions initiales de « sortir d’un système strict où les agences vendent des contenus aux journaux, qui les vendent au grand public » (6), jamais l’AFP ne s’est autant déployée sur Internet : site AFP.com, compte Facebook, chaîne YouTube, @AFP sur Twitter, AFPphoto, AFPsport et AFPentertainment sur Instagram, Making-of.afp.com, le site data EDNH.news européen, …

Internet et mobile : présence ambiguë
« Nous pourrions arriver sur Instant Articles [le fil d’actualité de Facebook, ndlr],
en tant qu’AFP. C’est en tout cas une possibilité que l’on étudie », avait même avancé Emmanuel Hoog devant l’AJM, le 5 avril 2017, ayant conscience de marcher sur des oeufs : « Quand je dis que l’AFP doit être présente sur Internet, cela a toujours été mal compris » (7). L’ambiguïté perdure. @

Charles de Laubier

Brut : le média social va surfer sur la pub vidéo

En fait. Le 6 février, le producteur télé Renaud Le Van Kim, cofondateur du
média vidéo Brut « 100 % réseaux sociaux » (via Facebook, Twitter, YouTube, Dailymotion, Instagram et SnapChat), a annoncé avoir confié à France Télévisions sa régie publicitaire. Sa cible : les jeunes qui ne regardent plus
la télé.

En clair. Les jeunes ne regardent plus la télévision, mais ils s’intéressent à l’actualité. C’est en partant de ce constat que le producteur d’émissions de télévision Renaud Le Van Kim a cocréé « Brut », un média de vidéos courtes et percutantes – de quelques minutes, à raison de sept vidéo environ par jour pour l’instant et à terme une douzaine (1) – axées sur l’actualité et diffusées uniquement sur les réseaux sociaux (2). L’ancien producteur du « Grand Journal » de Canal+, évincé l’an dernier par Vincent Bolloré qui a réintégré en interne la production de cette émission emblématique de la chaîne cryptée du groupe Vivendi, a pris le contre-pied de la télévision pour lancer en septembre dernier un média social de vidéos courtes surfant sur l’actualité. Les deux autres cofondateurs de Brut sont Guillaume Lacroix (fondateur de Studio Bagel) et Roger Coste (ancien de la régie de Canal+).
Destinées principalement à la jeune génération qui ne regarde plus ou très peu le
petit écran, ces Millennials devenus majeurs dans les années 2000, Brut accélère son développement en passant à la vitesse supérieure : cela passe par la monétisation de ses 25 millions de vidéos vues par mois – en attendant les 50 millions d’ici la fin de l’année – par de la publicité vidéo. Cependant, son audience n’est pas encore certifiée par Médiamétrie. C’est le groupe public France Télévisions qui assurera la régie publicitaire de ce média privé. La monétisation via des publicités vidéo passera aussi par du brand content (contenus de marques).
Brut est lancé par la nouvelle société de production de Renaud Le Van Kim : Together Studio, qui compte Luc Besson parmi ses actionnaires et qui dispose en outre d’une filiale baptisée Together Media pour produire des émissions de télé (« C dans l’air » et
« C Politique » pour France 5, « 28 Minutes » pour Arte, ou encore « Saturday Night Live » pour M6). Si Brut se vocalise sur l’actualité, la société de production réalise par ailleurs des fictions pour la plateforme vidéo pour mobiles Blackpills, dont le lancement est prévu le 22 février. En s’adossant à France Télévisions, Brut va bénéficier de la force de négociation sur le partage des recettes publicitaires avec Facebook et YouTube, « les carrefours d’audience ». Le groupe de chaînes publiques est déjà un poids lourd de la vidéo sur Internet avec chaque mois plus de 400 millions de vidéos vues. @