La faim de la télévision

Vite ! Il faut que je file à mon rendez-vous. Des amis m’attendent pour assister à la finale du 100 mètres féminin des Jeux olympiques, qui doit se courir en fin d’après-midi. Une athlète exceptionnelle capte l’attention mondiale en détrônant les champions masculins, qui ne se sont pas encore remis d’avoir ainsi dû céder leur place sur leur podium millénaire. C’est donc encore une fois la télévision qui nous rassemble, preuve s’il en est qu’elle est loin d’être morte, comme certains ont pu nous l’annoncer au début des années 2000. Bien sûr, ce n’est plus la télé de notre enfance qui se résumait en une formule très simple : un téléviseur, un réseau et trois chaînes. Symbole de notre vingtième siècle, souvent accusée de tous les maux – de « nouvel opium du peuple » à « la télé rend bête » de Roland Barthes – catalyseur de toutes les passions, la télévision a bien changé jusqu’à se noyer « dans un océan d’écrans », selon la jolie métaphore deJean-Louis Missika, l’auteur d’un livre intitulé « La fin de la télévision ». Car, en effet, c’est le téléviseur d’antan associé au modèle économique des chaînes qui a progressivement disparu au profit d’une équation autrement plus complexe associant
de très nombreux écrans, plusieurs réseaux et une myriade de services audiovisuels.

« Mon téléviseur est aussi et surtout un ordinateur, me permettant de surfer sur la Toile et d’accéder à mes sites d’information et à mes réseaux sociaux préférés ».

L’Asic ne dira mot sur la « taxe Google »…

En fait. Le 19 janvier, lors des voeux de Nathalie Kosciusko-Morizet, Giuseppe
de Martino a indiqué à Edition Multimédi@ que l’Association des services Internet communautaires (ASIC), dont il est président avec Pierre Kosciusko-Morizet
(frère de NKM), ne prendra pas position sur la « taxe-Google ».

En clair. Alors que le rapport Création & Internet (1) a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreuses réactions, une organisation professionnelle garde le silence.
C’est l’Association des services Internet communautaires (ASIC), créée en décembre 2007 par Google, Yahoo, Dailymotion, PriceMinister et AOL. Or, justement, l’une des mesures-phare des 22 propositions de la mission Zelnik est la fameuse « taxe
Google ». Cette taxe contestée serait prélevée sur les revenus publicitaires des sites Web, comme « Google, Microsoft, AOL, Yahoo! ou encore Facebook » (dixit le rapport). Interrogé sur ce point par Edition Multimédi@, en marge des voeux de la secrétaire d’Etat à l’Economie numérique (lire ci-dessus), le co-président de l’ASIC – Giuseppe de Martino (2) – a répondu que « L’ASIC n’a pas réagi publiquement et ne le fera pas car, après en avoir débattu, les membres n’ont trouvé de position commune sur les différentes propositions [du rapport Zelnik, dont la taxe Google] ». Et d’ajouter :
« Certains étaient pour, d’autres non », rappelant que Google est membre fondateur
de l’association… Cette idée de taxe « obligatoire » a été très favorablement accueillie par le président de la République, Nicolas Sarkozy, lequel a demandé à la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, de « lancer au plus vite une expertise pour appréhender fiscalement les activités publicitaires des grands portails et moteurs de recherche internationaux présents en France ».
Au passage, le chef de l’Etat les a accusé de fuite fiscale et anticoncurrentielle, tout
en sollicitant aussi « un avis de l’Autorité de la concurrence sur l’éventuelle position dominante par Google sur le marché de la publicité en ligne ». Selon la mission Zelnik,
qui souhaite le ralliement d’autres pays européens à la démarche de la France, cette mesure pourrait à terme rapporter « une dizaine de millions d’euros par an ». Le lendemain de la remise des 22 propositions, le directeur des affaires publiques de Google France, Olivier Esper, a certes réagi à la (mauvaise) nouvelle en gardant espoir que soient « privilégi[ées] des solutions innovantes plutôt que de prolonger une logique d’opposition entre les mondes de l’Internet et de la culture, par exemple la logique de la taxation ». Or, il se trouve que Olivier Esper est également le trésorier de l’ASIC en tant que dirigeant de la filiale française du géant du Web (donc membre fondateur de cette même association). @

Du filtrage de l’Internet à sa… nationalisation !

Que pourraient avoir en commun un chanteur de renommée internationale comme Bono et un député français comme Jacques Myard ? Rien, si ce n’est
leur penchant prononcé pour la mise sous contrôle de l’Internet (filtrage, nationalisation…). Comme en Chine !

« J’espère que l’on va prendre conscience de la nécessité de nationaliser ce réseau [Internet], et d’avoir la capacité de mieux le maîtriser, les Chinois l’ont fait » : quand un député de la République française, Jacques Myard (1), se laisse aller, cela donne ce propos édifiant que même les dirigeants de la République populaire de Chine n’auraient osé… C’est la première fois – au monde – qu’un homme politique demande, très sérieusement, à ce que l’on « nationalise » Internet. Il l’a déclaré le 15 décembre 2009
sur une radio de la bande FM (2).

Un « fonds national pour la société numérique »

En fait. Le 14 décembre, le président de la République a rendu public ses arbitrages sur la répartition des 35 milliards d’euros du grand emprunt. Finalement, ce sont 4,5 milliards qui seront consacrés, d’une part, aux réseaux très haut débit  (44,4 %) et, d’autre part, aux usages et contenus (55,6 %).

En clair. Le numérique est l’une des cinq grandes priorités du grand emprunt qui sera lancé en 2010. On attendait 4 milliards d’euros pour le numérique (voir EM@ 2, p. 3).
C’est finalement 500.000 euros de mieux que prévu. Ces 4,5 milliards d’euros –
soit 12,8 % des 35 milliards du grand emprunt – seront investis dans un « Fonds national pour la société numérique » géré par un établissement public « relevant du Premier ministre via le secrétariat chargé de l’Economie numérique ». La ministre concernée, Nathalie Kosciusko-Morizet, s’est d’autant plus félicitée de la décision présidentielle que – lors du séminaire intergouvernemental qu’elle a organisé le 10 septembre dernier – l’idée d’un financement du numérique par le grand emprunt est fraîchement accueillie par les deux anciens Premiers ministre, Michel Rocard
(« perplexe ») et Alain Juppé.
Ce dernier avait même ironisé en disant que « si l’on consacrait 40 milliards d’euros à la couverture du pays en fibre optique, il ne resterait plus grand-chose »… Pour « NKM »,
les arbitrages de Nicolas Sarkozy « viennent conforter l’idée que les politiques publiques ne doivent pas se concentrer exclusivement sur les infrastructures mais aussi prendre en compte les usages et les services ». Les 2 milliards d’euros n’iront d’ailleurs pas seulement à la fibre optique, mais aussi au très haut débit mobile ou satellitaire, selon trois modalités : prêts ou garanties d’emprunt à des opérateurs privés ; subventions aux projets de couverture dans les zones peu denses, en partenariat avec les collectivités locales ; partenariat public-privé (ou concession de service public) pour déployer un satellite qui apportera le très haut débit d’ici cinq ans à 750.000 foyers en zone rurale. « Ces fonds se joindront aux 750 millions d’euros de co-investissements
en fonds propres avec les opérateurs qui déploieront les réseaux, à réunir à l’initiative de la Caisse des dépôts et consignations (1). L’objectif est d’atteindre en dix ans une couverture en très haut débit de 70 % de la population », explique l’Elysée. Côtés contenus, une partie des 2,5 milliards ira à un partenariat public-privé pour créer de
« grandes centrales numériques » (2). Tandis que 750 millions d’euros seront alloués
à la numérisation du « patrimoine culturel » (musées, bibliothèques, films, …). « Il n’est pas question de laisser ce patrimoine partir », a déclaré le président de la République. Google est prévenu… @

Google Book reste incontournable malgré tout

En fait. Le 18 décembre, Google, le géant américain du Web, a été condamné par
le tribunal de grande instance de Paris à verser 300.000 euros de dommages et intérêts aux éditions du Seuil, Delachaux & Niestlé et Harry N. Abrams, ainsi que
1 euro au SNE et à la SGDL, pour avoir numérisé des livres sans autorisations.

En clair. Entre le début du procès en juin 2006 et la condamnation prononcée en décembre 2009, il s’est écoulé trois ans et demi. Une éternité dans le monde hyper-rapide de l’Internet. Aujourd’hui, la sanction infligée par la justice française s’avère quelque peu dérisoire par rapport au mastodonte du Web qu’est devenu Google Inc. Lorsque le procès débute, la start-up californienne génère trois fois moins de revenus qu’aujourd’hui.
En 2008, Google a franchi la barre symbolique des 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires, à 21,8 milliards, pour un bénéfice net de plus de 4 milliards ! Autant dire que
les 300.000 euros d’amende et 45.000 euros pour frais de procédure (1) que le numéro
1 mondial des moteurs de recherche sur le Web a écopés – au lieu des 15 millions d’euros de dommages et intérêts demandés par les trois maisons de La Martinière
(Seuil en France, Delachaux & Niestlé en Suisse et Harry N. Abrams aux Etats-Unis)
– est une goutte d’eau dans cet océan de recettes publicitaires. Et que dire de l’euro symbolique que Google est aussi condamné à verser au Syndicat national de l’édition (SNE) et à la Société des gens de lettres (SGDL) ? Au final, ce ne sont pas des milliers d’ouvrages qui ont été copiés mais seulement des centaines : 300 environ. Ce qui est notamment reproché à Google est d’avoir mis en ligne les couvertures et des citations
des œuvres, mais pas l’intégralité des livres eux-mêmes faute d’accord. Le droit français autorise de courtes citations mais, selon l’avocat du groupe La Martinière, uniquement si elles sont insérées dans des œuvres ou dans des travaux à visée pédagogique (thèses, articles, …). Ce qui ne serait pas le cas de Google Book.
« Google n’est pas une bibliothèque mais un outil de recherche », se défend le géant du Net qui va faire appel.
Les maisons d’édition restent néanmoins conscientes, comme le sont les sociétés
de presse d’ailleurs, qu’il leur faut trouver un terrain d’entente avec un tel acteur incontournable. La firme de Mountain View va d’ailleurs poursuivre son programme
de numérisation de livres engagé dès 2003 sous le nom de Google Print et rebaptisé Google Book Search. Pour permettre des recherches de mots, d’extraits ou de textes entiers (full text), plus de 10 millions d’ouvrages ont été scannés en cinq ans aux Etats-Unis.
Le 28 février 2010, le tribunal de New York doit justement examiner l’accord conclu entre Google, le syndicat d’auteurs Authors Guild et l’Association of American Publishers. @