La faim de la télévision

Vite ! Il faut que je file à mon rendez-vous. Des amis m’attendent pour assister à la finale du 100 mètres féminin des Jeux olympiques, qui doit se courir en fin d’après-midi. Une athlète exceptionnelle capte l’attention mondiale en détrônant les champions masculins, qui ne se sont pas encore remis d’avoir ainsi dû céder leur place sur leur podium millénaire. C’est donc encore une fois la télévision qui nous rassemble, preuve s’il en est qu’elle est loin d’être morte, comme certains ont pu nous l’annoncer au début des années 2000. Bien sûr, ce n’est plus la télé de notre enfance qui se résumait en une formule très simple : un téléviseur, un réseau et trois chaînes. Symbole de notre vingtième siècle, souvent accusée de tous les maux – de « nouvel opium du peuple » à « la télé rend bête » de Roland Barthes – catalyseur de toutes les passions, la télévision a bien changé jusqu’à se noyer « dans un océan d’écrans », selon la jolie métaphore deJean-Louis Missika, l’auteur d’un livre intitulé « La fin de la télévision ». Car, en effet, c’est le téléviseur d’antan associé au modèle économique des chaînes qui a progressivement disparu au profit d’une équation autrement plus complexe associant
de très nombreux écrans, plusieurs réseaux et une myriade de services audiovisuels.

« Mon téléviseur est aussi et surtout un ordinateur, me permettant de surfer sur la Toile et d’accéder à mes sites d’information et à mes réseaux sociaux préférés ».

Le résultat est que la nouvelle télévision a un énorme appétit : faim d’écrans pour être regardée, faim de bande passante pour être accessible partout et faim de programmes pour satisfaire nos attentes. Cependant, le téléviseur familial existe encore : intégré dans nos murs, en haute définition et souvent en 3D, il reste un poste d’investissement conséquent qui justifie sa place de choix dans nos salons. Des écrans plus modestes ont, en revanche, envahi la plupart des autres pièces, en cumulant souvent plusieurs fonctions : ordinateurs, radio, télévision, consoles de jeux… Tous ces terminaux vidéo sont, depuis 2012, « Internet ready » et disposent de toutes les options de connexions connues.
Finis les nœuds de câbles et la collection de télécommandes. Désormais, c’est en bougeant la main devant l’écran et en utilisant la voix que je choisis mes programmes.
Connectés entre eux et reliés au réseau, ces terminaux proposent une véritable galaxie de services. Bien sûr, mon téléviseur est aussi et surtout un ordinateur, me permettant de surfer sur la Toile et d’accéder à mes sites d’information et à mes réseaux sociaux préférés diffusant toujours plus de vidéo. Des outils simples, également apparus sur mes écrans, ont considérablement amélioré la navigation : outils de recherche, widgets, carrousel d’images, … De plus, la continuité de services – longtemps attendue – permet enfin d’avoir une utilisation « sans couture » entre mes écrans à domicile et mes terminaux portables. Je retrouve ainsi mes sélections, mes favoris, mes carnets, sur mon espace personnel, lequel me suit partout. Comme nous avons appris à dompter notre téléphone mobile, il nous a fallu inventer les usages et les pratiques de la télévision mobile : quand, où, pourquoi… autant d’expérimentations pour parvenir à
une utilisation banalisée, intégrée à nos routines quotidiennes.
Avec comme seul frein, les prix des abonnements restés élevés. Dans ce contexte de hautes turbulences, marqué par un transfert important de valeur vers l’Internet et le mobile, il est peu de dire que le PAF a été secoué, même si à la différence des industries de la musique et de la presse, l’industrie de l’audiovisuel a su prendre fortement position sur le Web. Des producteurs puissants ont consolidé leurs positions, sachant qu’il a fallu faire une place à des marques jusqu’alors peu visibles par le grand public. HBO est devenu l’une des signatures majeures des fictions innovantes et addictives. Quelques chaînes ont établi leur suprématie au niveau international en se recentrant sur les événements (informations, spectacles, sports, …). Les acteurs de l’Internet sont devenus les principaux distributeurs de contenus, tandis que les opérateurs télécoms se sont concentrés sur leur métier de fournisseurs de connectivité enrichie. Ouf ! Je suis arrivé à temps pour assister au départ d’un 100 mètres historique, en HD et en 3D. Je crois que l’on s’est repassé le ralenti sur tous les angles possibles plus de cinquante fois ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique “2020” : La Musique
* Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing et com-
mercial de l’Idate (Institut de l’audiovisuel et des télécoms en Europe).
Rapport sur le sujet : « Télévision 2020 », par Gilles Fontaine, et
«NextGen TV », par Florence Le Borgne – www.idate-research.com