Jeux d’argent : pourquoi les médias ont mal misé

En fait. Le 9 mars, « La Tribune » révèle que France Pari et France Poker sont intéressés par EurosportBet (SPS), filiale de paris sportifs et de poker en ligne
du groupe TF1. Bien que ce dernier soit en négociation exclusive pour vendre
au fondateur de Chilipoker (Chiligaming), Alexandre Dreyfus.

En clair. Les médias ont-ils misé trop vite sur le marché naissant des jeux d’argent et
de hasard en ligne, ouvert il y a maintenant neuf mois à la concurrence (1) ? « Tous les opérateurs ont perdu de l’argent en 2010 », a indiqué Jean-François Vilotte, président
de l’Arjel (2), le 2 mars au Sénat. Le groupe TF1 déclare forfait car ce « nouvel eldorado » médiatique n’en était pas un.«Le marché des paris et jeux sportifs en ligne ne correspond pas à toutes les études qui avaient été faites par les consultants, à toutes les attentes qu’on avait pu mettre en lui », avait regretté le 17 février Nonce Paolini, le PDG du groupe TF1, lors de la présentation de ses résultats annuels. EurosportBet, qui accuse 23,6 millions d’euros de pertes en 2010, va changer de mains. Quant au groupe Canal+, qui a créé une joint venture – Canalwin SAS – avec
le britannique Ladbrokes, il a été le premier opérateur à qui l’Arjel a retiré le 28 janvier l’agrément : la société n’a jamais lancé son site et est en liquidation ! Mauvais présages pour les autres médias. Le groupe Amaury, éditeur de L’Equipe et du Parisien, détient avec Bwin la coentreprise Sajoo (Sajoo.fr, Poker.sajoo.fr). Le groupe Turf Editions, qui publie des quotidiens hippiques (Tiercé Magazine, Bilto, Paris Courses, Paris-Turf), édite via sa filiale Beturf le site de paris en ligne Leturf.fr. D’autres ont joué la prudence en s’en tenant à des partenariats : M6-Mangas Gaming (BetClic et Everest), AB-Partygaming, RMC-Unibet, RTL-PMU ou encore Yahoo-FDJ. Selon l’Arjel, les Français ont misé 5,1 milliards d’euros sur Internet au 31 décembre 2010. Mais la dépense réelle des joueurs est en fait dix fois moindre, en raison du « taux de recyclage des gains en mises ». Les nouveaux entrants déchantent, d’autant que les budgets de publicité respectifs se chiffres en plusieurs millions d’euros. Ce que corrobore une étude de Francis Merlin, délégué général du Monaco iGaming Exchanges (3) : «Le marché des jeux en ligne en France est en dessous des prévisions de 20 %, [voire] 25 %. Ce sont les dispositions législatives qui sont majoritairement responsables ». Tablant sur la notoriété de ses chaînes sportives payantes Eurosport en Europe, TF1 avait lancé le
11 juin 2010 EurosportBet.fr – le jour même du coup d’envoi de la Coupe du monde de football. « Les deux piliers éditoriaux de TF1 sont l’information et le divertissement », avaient alors affirmé les dirigeants, comptant bien attirer une partie des 17 millions de visiteurs uniques par mois de ses différents sites web de la chaîne. Désenchantement. @

Le kiosque E-Presse ne sera ouvert qu’en avril

En fait. Le 9 mars, la société miLibris – partenaire technologique d’Orange pour
sa solution de lecture en ligne Read and Go – indique à Edition Multimédi@ que
le kiosque E-Presse du GIE de titres de journaux ne sera pas ouvert en mars,
mais en avril. Il vient de nouer un partenariat avec Microsoft.

En clair. Cinq quotidiens – Le Parisien, Libération, Le Figaro, L’Equipe, Les Echos –
et trois hebdomadaires – Le Nouvel Observateur, Le Point et L’Express – avaient
prévu d’ouvrir avant fin mars leur kiosque numérique dans lequel ils ont investi via
un groupement d’intérêt économique : le GIE E-Presse. Mais selon nos informations, l’ouverture est décalée à avril et ne proposera dans un premier que la vente à l’acte
de numéros ou d’articles. Pour s’abonner à un titre, il faudra patienter. Une première présentation a été faite aux éditeurs de services en ligne à l’occasion de la réunion du conseil d’administration du Geste (1) le 20 janvier dernier. Xavier Spender, le président
du GIE et par ailleurs PDG de L’Equipe du groupe Amaury (2), a notamment indiqué
que le GIE est hébergé par Les Echos. Grand absent : Le Monde, dont les nouveaux actionnaires Bergé-Niel-Pigasse ne veulent pas en faire partie. « On a peur de rien.
(…) On n’est pas obligé d’ériger des forteresses ou des forts Chabrol ! », avait ironisé Matthieu Pigasse devant l’Association des journalistes médias (AJM) en janvier dernier (3). Avant même d’ouvrir ce kiosque numérique, son directeur général Frédéric Filloux a noué un partenariat « local » avec Microsoft France autour de son moteur de recherche Bing qui a été lancé le 1er mars en France. Pour mieux se poser comme alternative face aux plateformes de presse en ligne concurrente de Google, Apple et Yahoo, le GIE E-Presse s’est ainsi rallié à Microsoft qui offre aux éditeurs une rupture par rapport aux autres géants du Net. Malgré ses efforts en faveur de la presse avec le lancement le 16 février de Google Pass Média pour tenter de faire oublier les griefs des éditeurs contre Google News (4), le numéro un mondial des moteurs de recherche semble avoir perdu la confiance de la presse. Là où Google News est accusé de ne pas partager les fruits de la e-pub avec les journaux, Microsoft joue la proximité locale en prévoyant un partage des recettes publicitaires avec les fournisseurs de contenus. L’algorithme de recherche ne fait plus la loi : Bing offre une amélioration de la « pertinence » en faveur de ses partenaires (5), ainsi qu’une fenêtre de recherche directement sur le site web
du journal. Mais le président de Microsoft France, Eric Boustouller, n’a pas révélé les reversements consentis aux éditeurs. Chez Apple, c’est 70 % voire 61 % (si TVA luxembourgeoise non récupérée). La régie de Google, elle, reverse 51 % ou 68 %
des recettes publicitaires à ses partenaires. @

Vivendi : groupe diversifié en manque de synergies

En fait. Le 1er mars, le groupe « diversifié » dans la télévision, les télécoms,
la musique et les jeux vidéo a présenté ses résultats 2010 – bénéfice net de
2,7 milliards d’euros (+ 4,4 %) et chiffre d’affaires de 28,9 milliards (+ 6,4 %) .
Son président, Jean-Bernard Lévy, veut décloisonner ses « métiers ».

En clair. Vivendi ne rime pas vraiment avec synergies. A l’heure de la convergence numérique entre audiovisuel et télécoms, le groupe Vivendi fait aujourd’hui plus figure de conglomérat – où chaque filiale travaille dans son coin – que de véritable groupe intégré et cohérent. Qui a-t-il de commun entre les 21 millions d’abonnés mobile de SFR (12,5 milliards d’euros de revenus), les 12,7 millions d’abonnés à Canal+ (4,7 milliards), les 12 millions d’abonnés dans le monde au jeu en ligne World of Warcraft d’Activision Blizzard (3,3 milliards d’euros) ou encore les ventes de musique d’Universal Music (4,5 milliards) ? Si toutes ces activités sont en hausse sur un an (1), la croissance reste à un chiffre (de 2% pour Universal Music à 9,6 % pour Activision Blizzard) et cela n’en fait pas de réels relais de croissance interne pour le groupe dirigé par Jean-Bernard Lévy. Pourtant la convergence est désormais une réalité mais les différentes filiales du groupe semblent l’ignorer. Est-ce le syndrome AOL-Time Warner qui empêche Vivendi de faire jouer les synergies internes ? « Plus que jamais, le consommateur de services et de contenus numériques est au cœur de nos priorités. Nos investissements dans les réseaux, les plateformes et les contenus s’accompagnent d’efforts soutenus pour développer les partages d’expertises et les projets communs entre nos métiers et pour stimuler l’innovation, afin d’accélérer notre croissance organique », a pourtant expliqué le président du directoire de Vivendi lors de la présentation de ses résultats annuels.
Mais il s’agit plus à ce stade d’un objectif que d’un constat. Dans une interview publiée
le 14 décembre dernier par Wall Street Journal, Jean-Bernard Lévy a clairement exprimé sa volonté de faire bouger les lignes : « Le monde des réseaux de télécommunications et du contenu sont en train de fusionner. Et nous sommes au milieu. (…) Je pense que nous pouvons désormais pousser l’efficacité et l’innovation en nous disant : “pourquoi ne pas travailler ensemble ?“ », a-t-il dit. Plus récemment dans Les Echos datés du 1er mars, cet X-Telecom (qui fête ses 56 ans le 18 mars ses 9 ans à la tête du groupe) a fixé sa priorité pour cette année : « Recentré, Vivendi doit trouver dans chacun de ses six métiers des relais de croissance, quitte à déplacer les frontières de ses activités, pour accroître la valeur ajoutée ». Reste que cette convergence ne pourra pleinement se faire que lorsque Vivendi aura racheté les 20 % de Lagardère dans Canal+ et les 44 % de Vodafone dans SFR. @

L’hébergeur Dailymotion joue aussi un rôle d’éditeur

En fait. Le 17 février, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des ayants droit du film « Joyeux Noël » (Nord-Ouest Production et UGC Images), confirmant un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 mai 2009 qui reconnaît à Dailymotion le statut d’hébergeur. Mais le site de vidéos a une autre « casquette ».

En clair. Dailymotion n’est officiellement pas un éditeur de service qui procède à « une sélection des contenus mis en ligne », échappant ainsi à la lourde responsabilité lié à
ce statut. Selon la Cour de cassation, la plateforme de partage vidéo française est un
« simple » hébergeur, qui peut « revendiquer le statut d’intermédiaire technique au sens
de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 » – loi dite LCEN sur la confiance dans l’économie numérique. A ce titre, Dailymotion bénéficie d’un régime de responsabilité dérogatoire qui ne le rend coupable que si – saisi par une autorité judiciaire – il n’a pas agi « promptement pour retirer le contenu illicite ou à en interdire l’accès ». S’il avait le statut d’éditeur, il aurait été responsable de plein droit et lourdement condamné pour contrefaçon avec versement de dommages et intérêts pour des contenus illégaux mis en ligne. Or, non seulement l’arrêt de la Cour d’appel – confirmé en cassation – a reconnu le statut d’hébergeur à Dailymotion, mais il l’a aussi disculpé en raison d’informations insuffisantes pour lui permettre de retirer plus rapidement le film
« Joyeux Noël » en 2007. Pour le concurrent de YouTube qui est depuis janvier dernier en négociation exclusives avec France Télécom (1), c’est une bonne nouvelle. « Cette décision permet de mettre de côté définitivement de stériles débats juridiques pour nous concentrer sur notre travail quotidien: faire d’Internet un relais de croissance efficace pour les industries culturelles », s’est félicité Giuseppe de Martino, directeur juridique et réglementaire de Dailymotion. Pourtant, l’hébergeur est-il en train d’élargir son métier à celui d’éditeur ! « Nous avons toujours revendiqué une double casquette et nous avons un “rédac chef“ depuis quatre ans », précise Martin Rogard, le DG France de Dailymotion, à Edition Multimédi@. Une équipe “éditorialise” les vidéos. C’est ce que les Anglo-saxons appelle « curation », qui consisteà les sélectionner et à les classer par thèmes pour en faciliter l’accès. Sont ainsi proposé aux internautes des « hubs » thématiques tels que « Bandes-annonces », « Célébrités », « Jeux » ou encore
« Musique ». Des événements comme le Salon de l’agriculture sont aussi “éditorialisés”. Dailymotion, déjà présent sur les téléviseurs connectés de LG, Samsung, Sony ou encore Panasonic, prévoit en outre cette année de lancer un service de VOD payante et de proposer aussi des films de long métrage (2). La frontière entre hébergeur et éditeur s’estompe. @

…mais Google leur offre une plateforme alternative

En fait. Le 16 février, soit le lendemain de l’introduction de l’abonnement sur l’App Store d’Apple, Google annonce le lancement de « One Pass » à destination des éditeurs de journaux qui pourront vendre leurs articles à l’acte ou à l’abonnement. Le géant du Net reversera, lui, 90 % environ du prix de vente.

En clair. Google est le mieux à même de concurrencer Apple sur le marché mondial des kiosques numériques. Face aux interrogations que suscite le monde fermé et contraignant de l’écosystème iTunes/App Store (voir ci-dessus), le numéro un mondial des moteurs de recherche joue la carte de la plateforme ouverte et contrôlable par les éditeurs. L’annonce a été faite à Berlin par le PDG de Google, Eric Schmidt (1). Au-delà du fait que le géant de Moutain View percevra seulement 10 % environ du prix de vente à l’acte ou à l’abonnement (au lieu des 30 % ponctionnés par Apple), One Pass se veut plus attractif. Les éditeurs gardent la maîtrise de leurs ventes et de l’identité de leurs lecteurs, qu’ils soient sur le web, les mobiles ou les tablettes. Autrement dit, Google veut être l’antithèse d’Apple. Les éditeurs déjà séduits par One Pass, tels que Le Nouvel Observateur en France (où le service s’appelle « Pass Média »), Axel Springer en Allemagne ou encore Prisa en Espagne, peuvent établir leurs propres tarifs et conditions commerciales (unité, abonnement, « freemium », packs, etc). Les contenus peuvent être aussi bien vendus à l’intérieur de l’application mobile ou sur le site web de l’éditeur. Cependant, les utilisateurs doivent passer par le mode de paiement Checkout de Google pour faire leurs achats.
« Les utilisateurs déjà abonnés peuvent bénéficier d’un accès complet en ligne en toute simplicité, via un système de coupons. L’éditeur peut choisir de proposer un article en consultation pendant une semaine ou 30 jours », indique par exemple Google. Avec
« Google Pass Média », la presse en oublierait presque les griefs envers « Google
News », accusé de ne partager les fruits de la e-pub. En Italie, ce service agrégeant
les articles des sites web d’information était soupçonné d’abus de position dominante (2) – jusqu’à ce que l’autorité de la concurrence obtienne des garanties en janvier dernier : un éditeur peut désormais décider de ne plus apparaître dans Google News sans disparaître du moteur de recherche Google. En France, l’Autorité de la concurrence a indiqué le 14 décembre dernier qu’elle veillera à ce qu’il en soit de même pour Google Actualités. Reste une pierre d’achoppement : le Syndicat national de la presse quotidienne (SPQN) n’a pas réussi à obtenir une rémunération des articles repris sur Google Actualités (3). Le géant du Net estime qu’il n’a rien à payer aux journaux qui bénéficient déjà en retour d’un afflux de trafic sur leurs sites web. @