Les majors de la musique dénoncent plus que jamais le « transfert de valeur » du streaming gratuit

Les trois majors de la musique – Universal Music, Sony Music et Warner Music
– se félicitent de la croissance du streaming par abonnement mais continuent
de dénoncer un « transfert de valeur » vers le streaming gratuit, au profit de YouTube notamment. En attendant le rapport Schwartz…

Alors qu’il s’est entretenu le 7 septembre avec Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, Marc Schwartz nous confirme qu’il rendra bien le 30 septembre son rapport final sur le partage de la valeur dans la musique en ligne. Le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) espère, lui, qu’il sera entendu. Son directeur général, Guillaume Leblanc (photo), a encore rappelé – dans l’édito du rapport annuel sur la production musicale publié fin juin – que « la correction du transfert de valeur est plus que jamais nécessaire pour faire en sorte que quelques grands acteurs puissent rémunérer justement la création et cessent enfin de se considérer comme de simples hébergeurs ».

Haro sur les « hébergeurs » de type YouTube
Il en veut pour preuve la différence entre les sommes versées aux ayants droits de la musique par des services en ligne, tels que Deezer et Spotify, et celles acquittées par certaines plateformes comme YouTube. Explication : les services d’abonnement streaming – avec 41 millions d’abonnés payants et plus de 100 millions d’utilisateurs actifs sur leurs offres gratuites au niveau mondial – ont versé plus de 1,6 milliard de dollars aux maisons de disques en 2014. En revanche, le revenu total des maisons de disques provenant des plateformes telles que YouTube, lequel revendique à lui seul plus de 1 milliard d’utilisateurs uniques mensuels, s’est élevé à 641 millions de dollars, soit moins de la moitié du chiffre d’affaires réalisé avec les services d’abonnements.
« Ce fossé est à l’origine du transfert de valeur », affirme le Snep qui présente cela comme « une anomalie à corriger ». Le streaming musical gratuit financé par la publicité, bien qu’en légère diminution de 2,6 % sur un an à 13,5 millions d’euros sur les sept premiers mois de l’année, est ainsi dans le collimateur des majors en raison de revenus beaucoup plus faibles. Alors que, d’après Médiamétrie, l’audience de YouTube continue de progresser en France pour atteindre 30,8 millions de visiteurs uniques (+ 4 % en juin). Le Snep s’est en tout cas félicité le 8 septembre dernier des « bonnes performances » du streaming sur le marché français de la musique. A fin juillet 2015, le marché du streaming – en progression de 42,7 % à 58,6 millions d’euros (sur les sept premiers mois de l’année) – réalise les deux tiers des revenus numériques et 28,2 % du marché global, lequel atteint sur cette période de sept mois 207,3 millions d’euros de chiffre d’affaires (1). Les revenus issus du streaming représentent désormais la moitié du chiffre d’affaires des ventes physiques en France.

Mais le syndicat qui représente notamment les intérêts des trois majors mondiales
du disque (Universal Music, Sony Music et Warner Music) regrette que « la forte croissance du streaming ne permet cependant pas encore de compenser la baisse des ventes de supports physiques (-18 %) et celle des ventes en téléchargement (-15 %), l’ensemble du marché étant en baisse de 6,2%». Le lancement d’Apple Music, la version streaming d’iTunes jusqu’alors limité au téléchargement, devrait accélérer la croissance de la musique en ligne. Reste à savoir si le « fossé » que dénonce le Snep continuera ou pas de se creusera avec la marque à la pomme. La médiation de Marc Schwartz menée depuis le mois de mai devrait tenter de clarifier le partage de la valeur entre les producteurs de musique et les plateformes numériques (2). S’il n’y avait pas d’accord interprofessionnel à l’issue de cette médiation fin septembre, notamment sur l’instauration d’une gestion collective des droits numériques, la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, a déjà prévenu qu’elle en passerait par la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine ». Quoi qu’il en soit, les majors de la musique misent plus sur les abonnements, qui représentent à ce stade un peu plus de 75 % des revenus du streaming et plus de la moitié des revenus numériques (voir graphique ci-dessous). « La part des abonnements au sein du chiffre d’affaires a donc doublé en un an », s’est félicité le Snep. @

Charles de Laubier

Le mobile génère autant de revenus que le fixe en 2014

En fait. Le 28 mai, l’Arcep a publié les chiffres des services télécoms en France sur 2014. Les revenus des opérateurs a moins reculé que l’an dernier (- 3,4 % à 36,8 milliards d’euros, contre – 7,3 % en 2013), en raison du ralentissement de la baisse des prix. Les données mobile explosent, mais pas leurs revenus.

En clair. C’est le paradoxe du mobile : la consommation explose, avec un doublement du trafic de données sur les réseaux mobile, mais le chiffre d’affaires des services mobile baisse depuis des années. Au point que les revenus des services mobile est
en passe de se retrouver en dessous de celui des services fixe (1) : ce qui, selon les estimations de EM@, devrait se vérifier pour la première fois au cours du premier trimestre 2015 (chiffres attendus d’ici cet été). Pour l’heure, sur l’année 2014, les services mobile se retrouvent – et c’est sans précédent – au même niveau que les services fixe : autour de 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires chacun. Alors qu’en 2010, le mobile devançait encore le fixe de plus de 3milliards d’euros ! Les revenus
des services mobile ont continué à s’éroder depuis, y compris durant l’année 2014,
de – 7 % (à 14,008 milliards d’euros précisément), tandis que les revenus des services fixe limitaient leur baisse, – 1,4 % (à 14,807 milliards d’euros). Ainsi, mobile et fixe se retrouvent donc dans un mouchoir de poche. Historique.

La bataille tarifaire déclenchée par le lancement de Free Mobile en février 2012 n’explique pas tout, même si l’année 2013 accuse à elle seule une chute de -14 %
des revenus mobile. La multiplication des offres dites d’« abondance », avec des forfaits mobile intégrant des appels téléphoniques illimités, des SMS et MMS illimités, ou encore plus de mégaoctets sur l’Internet mobile, fait que les mobinautes en ont
plus pour leur argent. A cela s’ajoutent le repli du revenu des cartes prépayées
(- 14,3 % en 2014) et de celui des forfaits (-6,2 %) qui représentent 91 % des revenus des opérateurs mobile.
Mais le grand paradoxe de cette « dévalorisation » des services mobile (au point de
se retrouver au même niveau que les services fixe) est que dans le même temps la consommation sur mobile explose : + 6,9% de volume de communications en plus sur un an pour les forfaits et + 8,1% pour les cartes prépayées ; +2,6 % de messages interpersonnels SMS et MMS, pour un total dépassant pour la première fois les 200 milliards de ces messages envoyés durant 2014. Quant à l’Internet mobile, il explose les compteurs sur l’an dernier – non pas en termes de revenus mais en consommation de données : plus de 300.000 téraoctets transmis, soit le double en un an. @

Virginie Courtieu, YouTube France : « Nous offrons de nouvelles sources de revenus en vidéo »

La directrice des partenariats de YouTube en France estime positif l’entraînement suscité par les 13 chaînes françaises exclusives lancées il y a deux ans. Elle répond aussi sur Netflix, la VOD, la musique – dont la prochaine offre par abonnement – ou encore la radio filmée. La publicité est au cœur de l’écosystème.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Que sont devenues les 13 chaînes originales françaises qui ont signé en octobre 2012 avec YouTube une exclusivité sur trois 3 ans, assortie d’un revenu garanti (MG) la première année ? Mis à part Studio Bagel racheté en mars dernier par Canal+ et à la bonne audience de X-Treme Video, la plupart font une audience décevante. Est-ce un échec pour YouTube en France ?
Virginie Courtieu-Peyraud :
Notre objectif avec ce programme de chaînes originales était de catalyser l’arrivée de contenus originaux
sur la plateforme. Le pari est largement réussi lorsque l’on observe que de nombreux partenaires ont depuis décidé de lancer eux-mêmes, sans contribution de YouTube, leurs propres chaînes originales, comme par exemple Golden Moustache, Euronews Knowledge, ou les chaînes de Endemol Beyond.
Ces chaînes originales ont aussi permis de fidéliser une audience toujours plus large
et engagée (1) : nous observons que le temps passé sur YouTube par les Français augmente de plus de 30 % chaque année. Enfin, les annonceurs et investisseurs sont eux aussi aujourd’hui beaucoup plus engagés sur la plateforme.

EM@ : Est-ce par ailleurs de nouvelles chaînes françaises autres que les
13 initiales bénéficient de l’aide avec minimum garantis (MG) de YouTube ?
V. C-P. :
Non. Comme je vous le disais, notre objectif avec ce programme n’était pas
de le généraliser à toutes les chaînes, mais simplement de catalyser l’arrivée de contenus originaux sur la plateforme – et le pari est réussi ! Nous continuons à investir dans l’écosystème par de nombreux biais, comme par exemple avec la campagne d’affichage que vous avez pu découvrir dans Paris récemment visant à soutenir les YouTubers phares de la plateforme, ou d’autres investissements comme les studios
« YouTube Space » à Los Angeles, New York, Londres et Tokyo. A cet égard, nous avons aussi lancé en septembre un programme inédit avec l’ESRA [Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle, ndlr] pour encourager les partages d’expériences entre YouTubers et étudiants. Ce programme est basé sur l’échange d’expertises entre les YouTubers accomplis et les étudiants, créateurs en devenir.

EM@ : Netflix a lancé en France, le 15 septembre, sa plateforme de SVOD.
Quelle incidence aura sur YouTube l’arrivée de Netflix ?
V. C-P. :
Les marchés du payant et du gratuit sont en général très différents. Ceci dit,
la concurrence est toujours une bonne chose, peu importe d’où elle vient ! Elle nous oblige à nous concentrer sur l’innovation et le service aux utilisateurs. Nous avons passé ces dernières années à développer notre plateforme, en investissant dans nos créateurs et la construction de nos solutions de monétisation. Et nous continuons à observer une très forte croissance.

EM@ : Est-ce que la présence accrue de Netflix en Europe peut inciter YouTube
à rationaliser sa propre offre de VOD, notamment en France et si une offre de SVOD est envisagée ?
V. C-P. :
Les plateformes Google comme Google Play proposent déjà en France
des films à la location ou à l’achat (2). Par ailleurs, quelques dizaines de partenaires YouTube ont choisi de proposer de nouvelles vidéos à travers l’offre de chaînes YouTube payantes avec abonnement mensuel ou annuel (3). Ces chaînes payantes constituent une nouvelle catégorie sur YouTube, en plus de l’offre croissante de chaînes gratuites.

EM@ : Combien de visiteurs uniques par mois compte YouTube en France ?
V. C-P. :
YouTube rassemble près de 26 millions d’utilisateurs chaque mois en France, selon Médiamétrie.

EM@ : YouTube et NRJ ont annoncé début septembre un partenariat par lequel la 1re radio de France va diffuser sur la plateforme de partage des vidéos musicales « les plus populaires [vues sur YouTube] » qui seront commentées à l’antenne. NRJ envisage-t-il aussi de la « radio filmée » diffusée sur YouTube comme le font déjà les BFM Business, France Inter et quelles autres ?
V. C-P. :
C’est déjà le cas. La chaîne YouTube de l’animateur Cauet est en grande partie de la radio « filmée » de son émission C’Cauet sur NRJ, et elle rencontre un
très grand succès [plus de 2,1 millions d’abonnés à ce jour, ndlr]. De même, la chaîne YouTube de Guillaume Pley, autre animateur sur NRJ, fonctionne très bien.
Nous sommes en tous cas très heureux de ce partenariat avec NRJ qui va permettre aux artistes les plus populaires sur YouTube en France de partager leur musique
avec les auditeurs de NRJ et atteindre une audience toujours plus large. Cette émission est une première pour nous en Europe, après notre partenariat avec SiriusXM aux Etats-Unis.

EM@ : Quelle est la politique de partenariat vidéo de YouTube en France ?
Le Revenu pour mille impressions (RPM) est-il toujours de 0,50 euro à 2 euros
les 1.000 vues, en fonction des clics enregistrés sur les vidéos publicitaires ? Comment se répartissent actuellement vos partenariats vidéo entre les médias (audiovisuel ou presse) et les créateurs indépendants ?
V. C-P. :
Nous ne sommes pas en mesure de communiquer les revenus de nos partenaires. Le modèle est toujours le même et il est identique pour tous : il s’agit
d’un partage des revenus publicitaires qui se fait à l’avantage du partenaire. Il existe plusieurs formats publicitaires sur YouTube, et les annonceurs ont la possibilité d’acheter l’inventaire à la réservation ou à l’enchère. L’un des formats stars de la plateforme est le format « Trueview », qui permet aux internautes de choisir les publicités vidéos qu’ils souhaitent – ou non – regarder.
Nous avons par ailleurs lancé récemment l’offre « Preferred », qui permet simplement aux marques de préempter les chaînes YouTube les plus plébiscitées par leurs audiences cibles. Cet inventaire est déterminé par un algorithme qui sélectionne les chaînes avec des audiences significatives, et un niveau d’engagement important. Nous avons lancé cette offre en France en septembre avec GroupM et Vivaki [respectivement groupes WPP et Publicis, ndlr], et sommes impatients de la mettre avec eux au service des marques et de leurs objectifs sur YouTube.

EM@ : Le différend sur les conditions de rémunération, qui oppose depuis le printemps les producteurs de musiques indépendants et YouTube, sur le point
de lancer la plateforme de streaming musical « YouTube Music Key », inquiète
de nombreux ayants droits de la musique ou du cinéma. Qu’en est-il exactement de ce conflit et que dites-vous à ceux qui se méfient de YouTube ?
V. C-P. :
Notre objectif principal est de proposer de nouvelles sources de revenus aux labels et artistes. D’ailleurs, 95 % des partenaires ont déjà signé ! Nous restons optimistes et espérons rapidement finaliser les négociations avec la petite fraction de l’industrie restante.
Nous travaillons dur pour continuer à proposer à nos utilisateurs de nouvelles façons
de profiter de leurs contenus favoris sur YouTube, et pour permettre à nos partenaires de générer toujours plus de revenus sur la plateforme. C’est dans cet esprit que nos équipes se penchent sur le lancement d’une fonctionnalité « abonnement » pour la musique sur YouTube, mais nous n’avons pas de détails à annoncer à ce sujet pour
le moment. @