Pourquoi Rupert Murdoch a cassé en deux son groupe News Corp, sur fond d’échecs numériques

Depuis le 1er juillet, est cotée en Bourse chacune des deux nouvelles sociétés issues de la scission intervenue le 28 juin de l’empire News Corp de Rupert Murdoch : d’un côté les activités de presse et d’édition (nouveau News Corp),
de l’autre celles de télévision et de cinéma (21st Century Fox).

Par Charles de Laubier

RMLe magnat américano-australien des médias Rupert Murdoch (photo), 82 ans, divise pour… mieux régner encore un peu. Alors que son conglomérat News Corp, constitué au cours
des 60 dernières années, vient de terminer pour la dernière
fois une année fiscale « intégrée » au 30 juin 2013, le divorce
est désormais consommé entre les deux branches.
Fini le géant des médias aux actifs valorisés 68 milliards de dollars et au méga chiffre d’affaires annuel de 35 milliards de dollars. Désormais, il faudra compter avec deux entités présidées par le patriarche milliardaire : le nouveau News Corp réunissant les activités presse et édition (Dow Jones/The Wall Street Journal, The New York Post, The Times, The Sunday Times, The Sun, The Australian, The Daily Telegraph, HarperCollins Publishers, Amplify, …), et 21st Century Fox regroupant les activités télévision et cinéma (Fox, FX cable networks. Fox broadcasting, 20th Century Fox, BSkyB, Sky Italia, Sky Deutschland, …).

La presse et la radio se lancent à l’assaut de la télé

En fait. « Le 14 mai à 18h00, vous trouverez à cette adresse [Lopinion.fr] un nouveau média : L’Opinion », a annoncé Nicolas Beytout sur son site web avant
le lancement… vers 20 heures. A l’instar de la presse et de la radio, l’ancien patron des Echos mise sur la vidéo pour être plus visible et attirer la publicité.

En clair. La presse et la radio misent de plus en plus sur la vidéo, laquelle ne relève pourtant pas de leur savoir-faire historique. C’est une tendance de fond qui devrait brouiller à terme les frontières qui préexistaient avant l’ère numérique. L’écrit et l’audio
se mettent ainsi à marcher sur les platesbandes de la télévision. Nicolas Beytout parle
de « chaîne vidéo » et de « journal télévisé » (JT) sur L’Opinion, ce qui lui permet de s’immiscer à nouveau dans le PAF (1).
Il faut dire que l’ex-PDG du groupe Les Echos a toujours été attiré par la télévision, non seulement lorsqu’il était directeur de la rédaction du quotidien économique et financier Les Echos (doté de son propre studio télé) mais aussi lorsqu’il avait des vues sur la direction de l’information de TF1 (en 2007), en passant par ses différentes collaborations télévisées (LCI, iTélé, …).
Avec L’Opinion, présenté initialement comme un « bimédia » (web-papier), Nicolas Beytout renoue avec l’audiovisuel. Quelque 40 minutes de vidéo seront proposées chaque jour sur le site web du quotidien pluri-média, dont deux flashes d’information vidéo diffusés à 12 heures et à 21 heures, ainsi qu’un JT à 18 heures. « L’information vidéo aura la même ligne que le journal, c’est à dire libérale, européenne et probusiness », a tenu à préciser le directeur de la rédaction lors d’une conférence de presse le 13 mai dernier. Et contrairement à la majeure partie de L’Opinion qui est payante, la vidéo sera proposée gratuitement.
Cela se comprend aisément : la publicité sur vidéo en ligne (dite in-stream, c’est-à-dire intégrée dans le flux vidéo en streaming) affiche le plus fort dynamisme (+ 50 % à 90 millions d’euros en 2012) du marché français des recettes de la e-pub (2). Les autres médias traditionnels, comme Le Figaro côté presse et RTL côté radio, ne s’y sont pas trompés. Fin mars, le quotidien de Serge Dassault lançait un portail Figaro TV d’actualités vidéo (video.lefigaro.fr). De plus, le quotidien papier propose la fonction Figaro Play pour les détenteurs de smartphone qui souhaitent prolonger en vidéo un article imprimé. Fin avril, RTL commençait à diffuser sur Internet et en direct vidéo de ses studios la tranche 7h-12h30. Mi-mai, Europe 1 faisait de même sur la tranche 6h30-13h. Le journal vidéo et la radio filmée vont bousculer un peu plus la manière de regarder la télé. @

Lesechos.fr ne sont pas rentables avec la pub seule

En fait. Le 8 avril, l’OJD – l’Office de justification de la diffusion, qui fête ses 50 ans cette année – a publié sa treizième newsletter professionnelle avec une interview de Francis Morel, PDG du groupe Les Echos, lequel est entré au comité de direction de l’OJD en remplacement de Nicolas Beytout.

En clair. « Les journaux doivent apprendre à dépendre moins de la publicité et plus de la diffusion payante. La crise actuelle aura au moins cette vertu de le rappeler. Ce qui a une valeur se paie et c’est dans cet esprit que nous avons développé le paywall [partie à péage lancée sur lesechos.fr en novembre 2012] et augmenté le prix de vente [de l’édition papier passé de 1,70 à 1,90 euro en janvier 2013] », explique Francis Morel,
à la tête des Echos depuis octobre 2011. Mais pour le successeur de Nicolas Beytout,
« le vrai prix des Echos devrait être 2 euros » et n’exclut pas une nouvelle hausse tarifaire à partir de 2014. Les Echos sont déjà le quotidien le plus cher de la presse française, ce que justifie Francis Morel par le fait que ce n’est pas un quotidien généraliste. Celui qui est par ailleurs vice-président de l’Association IPG (information
de politique générale), signataire de l’accord avec Google, confirme ainsi implicitement la fin des velléités du journal à devenir un quotidien d’information politique général. Comme avait tenté de le transformer Nicolas Beytout, lequel lancera « mi-mai » son quotidien bimédia web-papier d’« actualité politique, économique et internationale » : L’Opinion (1). « Partout dans le monde, les quotidiens économiques et financiers sont vendus plus cher que les quotidiens généralistes », souligne Francis Morel.
En mettant un terme au presque tout-gratuit sur lesechos.fr (2), le quotidien du groupe LVMH est passé au presque tout-payant en novembre dernier. Avec le risque de voir la presse à péage faire baisser son audience. « Nous avions quelques interrogations sur les conséquences du paywall sur l’audience. Finalement, l’audience globale du site a continué à progresser et les abonnement payants sont en hausse », affirme Francis Morel. Paywall rime d’ailleurs avec freemium : au-delà de quinze articles par mois,
voire cinq supplémentaires après enregistrement, Lesechos.fr deviennent payants moyennant 20 euros par mois (soit 240 euros par an). « Le poids du numérique est actuellement de l’ordre de 13 %. Le plan stratégique prévoit de dépasser les 20-25 % dans trois ans », précise-t-il. Mais le développement des abonnements présente un
« handicap » : celui de la TVA à 19,6 %, contre 2,10 % pour l’édition papier. « C’est une telle absurdité que le dossier évoluera sûrement. Quand, je l’ignore ». @

L’accord entre Google et certains éditeurs de presse : un compromis bien imparfait

Le protocole d’accord conclu à l’Elysée le 1er février entre Google et l’Association de presse IPG soulève des problèmes financiers, commerciaux et concurrentiels, au risque d’être contesté devant l’Autorité de la concurrence. A moins que l’accord final prévu fin mars ne remédie à ces problèmes.

Par Christophe Clarenc (photo), associé et Céline Bonfils, collaboratrice, August & Debouzy

Depuis plusieurs années, les éditeurs de presse revendiquent et réclament un partage des recettes issues
du référencement par les moteurs de recherche des contenus publiés sur leur site internet. Ils estiment que les moteurs de recherche exploitent commercialement leurs propres contenus et tirent un revenu de cette exploitation, sans toutefois leur reverser une quelconque part de ce revenu.

IPG versus Spiil : vers deux presses opposées ?

En fait. Le 1er janvier 2013, le site de presse en ligne Rue89 a démissionné du Syndicat de la presse d’information indépendante en ligne (Spiil), dont il a été
à l’automne 2009 l’un des cofondateurs avec le site Mediapart. Ainsi en a décidé
Le Nouvel Observateur, actionnaire de Rue89 et membre de l’IPG.

En clair. La taxe « Google », que demandent des éditeurs de la presse en guise de paiement de ce droit dit voisin et que devrait, selon eux, leur reverser le numéro un des moteurs de recherche, ne fait pas l’unanimité. C’est le moins que l’on puisse dire. Le Spiil est contre, qui réunit 75 sites de presse en ligne tels que Mediapart, @rrêt sur images, Slate, Actualitté, Atlantico, Causeur ou encore Satellifax. L’IPG est pour, qui est l’association de la presse d’information politique et générale regroupant notamment Le Monde, Les Echos, L’Humanité ou encore Le Nouvel Observateur.
Rue89, dont le directeur général Laurent Mauriac est vice-président du Spiil, est le premier à faire les frais de ce désaccord au sein de la presse française. Pourquoi ? Parce que Nathalie Collin, coprésidente du directoire du groupe Nouvel Observateur, est présidente de l’IPG justement (1). « Je suis démissionnaire depuis le 1er janvier du bureau du Spiil,
à la demande de notre actionnaire qui a souhaité que Rue89 se mette en cohérence avec sa nouvelle situation au sein du groupe Nouvel Observateur. C’est regrettable », a précisé Laurent Mauriac à Edition Multimédi@. Il nous répond en outre que ni lui ni Pierre Haski
« n’ont songé à démissionner de Rue89 », et que Claude Perdriel (86 ans) « n’est pas intervenu directement » dans cette affaire. Après le courrier au Spiil du 23 décembre
de Pierre Haski, fondateur de Rue89, il dit avoir appelé le 3 janvier le président du Spiil, Maurice Botbol, pour formaliser son départ. L’assemblée générale du Spiil a lieu habituellement en mars.
Ce projet de taxe Google en faveur de la presse française est devenue une affaire d’Etat, depuis que François Hollande a demandé fin octobre au patron de Google, Eric Schmidt, de trouver un accord avec les éditeurs de presse. A défaut de quoi, une loi serait promulguée. Ces négociations ont été prolongées jusqu’à fin janvier 2013 (au lieu fin décembre 2012) sous la houlette du médiateur Marc Schwartz nommé par le gouvernement. Autre différend de taille entre le Spiil et l’IPG : celle des aides directes
de l’Etat à la presse que le premier a déclaré en octobre vouloir supprimées « en trois
ans » au profit d’« aides à la presse numérique » (2). Le 2 janvier, le Spiil a dénoncé la
« décision autoritaire de Claude Perdriel » comme «mesure de rétorsion contre [lui-même], à travers Rue89 ». @