Culture en ligne et TVA réduite : la France s’impatiente

En fait. Le 5 novembre, lors du Forum d’Avignon, Frédéric Mitterrand, ministre
de la Culture et de la Communication, a interpellé Neelie Kroes, commissaire européenne en charge du Numérique, sur le souhait de la France de pouvoir appliquer la TVA réduite sur les biens culturels en ligne en Europe.

En clair. S’il y avait unanimité entre les Vingt-sept, une TVA à taux réduit – 5,5 % par exemple en France au lieu de 19,6 % – pourrait s’appliquer aux biens culturels en ligne : livres, musiques, films, presse, vidéo, … Pour le ministre français de la Culture et de la Communication, « les nouveaux services de distribution d’œuvres culturelles en ligne sont encore à la recherche d’un modèle économique viable, et doivent pouvoir bénéficier d’un environnement fiscal favorable, comme c’est d’ailleurs le cas au Japon ou dans une grande partie des Etats- Unis ». Frédéric Mitterrand a réitérer le souhait
de la France « que la directive [européenne] sur la TVA permette aux Etats [membres] d’appliquer des taux réduits sur les biens culturelles en ligne ». Pour lui, il en va du pluralisme de la diffusion. La fiscalité sur Internet en Europe fait polémique en France, où le gouvernement va instaurer des obligations progressives de financement de films aux nouveaux services de médias audiovisuels à la demande (VOD, catch up TV, …). Ces derniers se plaignent que des acteurs du Web, dispensés de taxe culturelle, profitent en plus d’une fiscalité réduite, au Luxembourg par exemple. Dans sa contribution au livre vert de la Commission européenne sur les industries culturelles, envoyée le 30 juillet 2010, la France avait déjà exprimé sa demande en faveur d’« un même taux de TVA pour les biens et services culturels diffusés sur support physique ou distribués en ligne ». A l’occasion du Conseil des télécoms de l’Union européenne en avril dernier, la France avait proposé un amendement instaurant un taux réduit de TVA pour « certains services en ligne, en particulier culturels, tels que les e-books, presse en ligne, musique en ligne et VOD ». Mais il n’avait pas été retenu. En France, autant Frédéric Mitterand a obtenu gain de cause pour l’extension du prix unique au livre numérique (adoptée par le Sénat le 26 octobre), autant cela n’a pas été le cas avec la proposition de loi du député Hervé Gaymard (rejetée le 22 octobre par l’Assemblée nationale) plaidant pour une TVA à 5,5 % sur le livre numérique (1). Interpellée lors du Forum d’Avignon, Neelie Kroes n’a pas répondu sur la fiscalité mais sur « les obstacles au partage de la création culturelle et artistique » : droits d’auteur fragmentés, titres de catalogues indisponibles, divergences nationales sur la copie privée « Murs de Berlin culturels », … @

Forum d’Avignon : entre Internet et Ancien Régime

En fait. Du 4 au 6 novembre, s’est tenue à Avignon la troisième édition
des Rencontres internationales de la culture, de l’économie et des médias organisées par le Forum d’Avignon – présidé par Nicolas Seydoux – sur le
thème : « Nouveaux accès, nouveaux usages à l’ère numérique : la culture
pour chacun ? »

En clair. Le Forum d’Avignon, association qui bénéficie d’une convention triennale
avec le ministère de la Culture et de la Communication (lire EM@12 p. 7), se veut un
club d’échange très sélect sur la « diversité culturelle » et les médias. Certains, comme
le directeur général de la SACD (1), Pascal Rogard, ont trouvé ces rencontres
« frustrantes » : « Ce qui a manqué, c’est la présence et l’expression singulière des auteurs et artistes loin des langages formatés des spécialistes du marketing ». De plus, les industries culturelles « ne parlent plus de films, de livres, de musique mais utilisent toutes les dix secondes cet horrible mot de “contenu” qui permet de “consommer du Kant” sans doute comme des yoghourts » ! Avec le soutien de dix-sept partenaires privés (Vivendi, Orange, Bertelsmann, Le Figaro, Bayard, BNP Paribas, …), le Forum d’Avignon a le mérite de débattre sur la vague du numérique pour éviter qu’elle n’emporte toute la culture sur son passage. Sur fond de loi Hadopi, de réponse graduée, d’adoption par les eurodéputés du rapport Gallo sur « le renforcement de l’application des droits de propriété » (2) ou encore de futur accord ACTA anti-contrefaçon, ces troisièmes recontres avaient un petit air de revanche contre « les derniers partisans de la gratuité à tout prix [des contenus en ligne] », qui, selon Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture et de la Communication, « ressemblent de plus en plus à des mutins de Panurge ». Et d’ajouter lors de l’ouverture du Forum d’Avignon :
« La question de la rémunération des créateurs et de la valeur des (…) contenus a repris sa place centrale dans un débat qui vise à articuler offre numérique légale et dynamisme des filières culturelles de nos économies (…) Défendre l’offre légale contre le piratage, ce n’est pas, bien sûr, céder pour autant à la logique du tout marché ».
Le numérique suppose, selon lui, de repenser l’intervention de la puissance publique : partenariats publics-privés, propositions de loi, TVA à taux réduit sur les biens culturels en ligne, … Il a, sur ce dernier point, interpellé Neelie Kroes intervenant elle aussi à Avignon. La commissaire européenne en charge du Numérique a parlé, elle, de
« révolution Internet, qui révèle la position insoutenable de certains “gardiens” [détenteurs de droits, ndlr] des contenus relevant de l’Ancien Régime »… Instaurer
un système de licence de droits musicaux pan-européen fait parti de ses projets. @

Les déceptions du second rapport Attali

En fait. Le 15 octobre, la Commission pour la libération de la croissance – présidée par Jacques Attali – a rendu au Président de la République son second rapport : « Une ambition pour dix ans ». A propos du numérique, le professeur
et écrivain se dit déçu sur plusieurs points depuis son premier rapport.

En clair. Plus de deux ans et demi après le premier rapport de la commission « Attali »,
le second consacre moins de place au numérique. Il se félicite néanmoins des
« décisions importantes » prises à la suite des préconisations du premier (couverture haut débit, quatrième licence mobile, stratégie nationale (1), etc). Cependant, plusieurs regrets sont exprimés. Ainsi, le secrétariat d’Etat à l’Economie numérique – que la commission voulait appeler Haut-commissaire au développement numérique – n’a pas fait l’objet d’un « rattachement auprès (…) des principales directions chargées de l’économie numérique, toujours éclatées entre trois ministères » [Culture, Industrie et Aménagement du territoire, ndlr]. Le rapport « France numérique 2012 » d’Eric Besson répondait pourtant à cette attente en prônant en octobre 2008 la création d’un Conseil national du numérique (CNN). Mais celuici tarde toujours à être créé (lire EM@ 22 p 4). Le rapport Attali « note que plusieurs propositions relatives aux contenus et à la gouvernance et la sécurisation d’Internet sont restées inappliquées ». C’est non seulement le cas pour la gestion des RFID, la sécurisation de la signature électronique
et la concurrence des logiciels libres, mais aussi pour la « contribution des fournisseurs d’accès ». Il s’agissait dans le rapport de 2008 de « faire verser par les fournisseurs d’accès Internet une contribution aux ayants droits auprès des différentes sociétés de gestion collective des droits d’auteur, sous la forme d’une rémunération assise sur le volume global d’échanges de fichiers vidéo ou musicaux ». Mais cette sorte de licence globale à laquelle Nicolas Sarkozy est hostile a été écartée avant l’adoption de la loi Hadopi en 2009 et par le rapport Zelnik en début d’année. Rappelons que Jacques Attali qualifiait l’Hadopi de « loi scandaleuse et ridicule » (mars 2009) et déclarait « On a une guerre de retard » (août 2009). Autre déception : la « coordination de l’Arcep et du CSA pour tenir compte de la convergence des contenus ». La commission Attali juge qu’elle est inappliquée. Là encore, le CNN aurait pu jouer ce rôle de coordination, comme le souhaite la présidente du Forum des droits de l’Internet , Isabelle Falque- Perrotin. En outre, la commission Attali déplore le « retard dans l’utilisation des technologies numériques » dans le système scolaire (e-learning) : dans ce domaine,
la France arrive en seulement 24e position (2) parmi les Vingt-sept. @

Nicolas Sarkozy et l’Hadopi, une déjà longue histoire

En fait. Le 5 octobre, le président de la République en visite dans l’Essonne a déclaré à des lycéens – en présence de la direction de l’Hadopi : « Je ne laisserai pas détruire le livre, je ne laisserai pas détruire le disque, je ne laisserai pas détruire le cinéma, c’est trop important pour notre pays ».

En clair. Pour la présentation de la plateforme de films en ligne « Ciné-lycée » (1), créée à son initiative, Nicolas Sarkozy était non seulement accompagné de plusieurs ministres (Culture, Education, Economie numérique, …) mais aussi par la présidente
et le secrétaire général de l’Hadopi (2), respectivement Marie-Françoise Marais et Eric Walter. Quatre jours après l’envoi des premiers e-mails d’avertissement par Bouygues Telecom et Numericable, aux internautes suspectés de piratage d’œuvres protégées,
le président de la République s’est exprimé pour la première sur le sujet face à des lycéens. « Quand un créateur crée une chanson, une musique, un film, un livre, il est protégé, ça lui appartient, il doit être respecté et on ne lui vole pas. (…) Mon rôle, comme celui du ministre de la Culture, c’est de défendre la création, sa liberté, bien
sûr, mais aussi son équilibre économique, sinon il n’y a plus un film qui se montera, sinon il n’y a plus une maison d’édition qui publiera un livre. (…) Si on laisse le pillage que représente le piratage prospérer (…) il n’y aura plus de cinéma, il n’y aura plus de disques, il n’y aura plus de livres, il n’y aura plus de créations. (…) Si on autorise le vol, on détruit le processus de la création (…) Je ne laisserai pas détruire le livre, je ne laisserai pas détruire le disque, je ne laisserai pas détruire le cinéma, c’est trop important pour notre pays », a-t-il pris le temps d’expliquer.
Nicolas Sarkozy est l’artisan de la loi Hadopi, laquelle est l’aboutissement de la signature des accords de l’Elysée en novembre 2007 préparés par la mission Olivennes (3). A noter que la vidéothèque Cinelycee.fr affiche en haut de la page d’accueil le logo de l’Hadopi avec la mention « Tout savoir sur la loi Hadopi » renvoyant sur le site de la haute autorité. Il n’en a pas fallu plus pour que Marie-Françoise Marais et Eric Walter citent les propos du chef de l’Etat en introduction de leur conférence de presse organisée l’après-midi même rue de Texel. Il y a été surtout question du lancement d’ici six à huit mois d’un « portail de référencement des offres légales » (gratuite ou payante, musique ou cinéma) et pour les internautes « d’outils de sécurisation ». En outre, un appel à candidatures pour recruter des « experts indépendants » pour constituer cinq
« Labs » où il sera question notamment de filtrage, d’économie numérique ou encore de propriété intellectuelle. @

FDI, CNN, … A quand une inter-régulation numérique ?

En fait. Le 7 octobre, Isabelle Falque-Pierrotin, déléguée générale du Forum
des droits sur l’Internet (FDI), a précisé à Edition Multimédi@ les raisons de ses
« inquiétudes » sur l’avenir de son organisation créée en 2001. Sa transformation en Conseil national du numérique (CNN) semble contrariée.

En clair. Cela fait deux ans que les services du Premier ministre réfléchissent à la création d’un Conseil national du numérique (CNN). En octobre 2008, le rapport
France numérique 2012 d’Eric Besson (alors secrétaire d’Etat à l’Economie
numérique) préconisait pourtant la création d’une telle instance de « gouvernance de l’économie numérique ». Il s’agissait de regouper non seulement le Forum des droits
de l’Internet (FDI) mais aussi d’autres entités disparates (CSTI, CTA, CST, …), ainsi
qu’un « médiateur du numérique ». Le tout devait être en place au… 1er janvier 2009.
Contactée par Edition Multimédi@, la présidente du FDI, Isabelle Falque-Pierrotin,
rappelle qu’elle pousse depuis deux ans l’idée de transformer son association parapublique (loi 1901) en CNN. En vain. « En juin dernier, nous avons répondu à une feuille de route du cabinet du Premier ministre (1) pour expliquer comment nous voyons l’avenir du FDI, dont le rôle de concertation entre les multiples acteurs du numérique et d’élaboration de chartes et labels (déontologie, engagements professionnels, droit à l’oubli, etc) est plus que jamais indispensable. Nous proposons de faire évoluer le FDI en CNN et de renforcer le dispositif, explique-t-elle. Lors d’un colloque de l’Arcep en avril dernier, elle avait en outre proposé « plus de transversalité à travers une inter-régulation ».
Elle propose que cela se fasse autour d’une « plateforme neutre » commune aux différents régulateurs : CSA, Arcep, Cnil, Hadopi, Autorité de la concurrence, etc.
« Emmanuel Gabla, membre du CSA, s’y était dit favorable », rappelle-t-elle (2). Selon
nos informations, il n’y a en revanche pas de réflexion dans ce sens à l’Arcep. Avec aujourd’hui 37 millions d’internautes en France, la déléguée générale a proposé au gouvernement « une augmentation budgétaire de 700.000 euros ». Depuis sa création
il y a près de 10 ans (en 2001), le budget annuel n’a pas évolué : 1.143.000 euros.
« Mi-juillet, les services du Premier ministre nous ont répondu que notre proposition
ne leur convenait pas. Le contexte de déficit public a sans doute joué », indique-t-elle. D’où la sonnette d’alarme que la présidente du FDI a tirée le 6 octobre, soit à moins de trois moins de l’échéance – au 31 décembre – de la convention triennale avec l’Etat.
A la veille du débat parlementaire sur le Paquet télécom, la neutralité du Net ou encore
la loi de Finances 2011, des opportunités législatives sont encore possibles. @