MyTF1 Max et 6Play Max sont prêts à enterrer Salto

En fait. Le 15 novembre, le groupe TF1 a annoncé la disponibilité sur les téléviseurs connectés de Samsung en France de son service payant MyTF1 Max, lequel a été lancé il y aura un an le 30 novembre. Le 11 octobre dernier, M6 lançait à son tour son service payant : 6Play Max. De quoi précipiter la fin de Salto ?

En clair. MyTF1 Max et 6Play Max proposent, moyennant un abonnement mensuel (chacun à 3,99 euros par mois, après une période de promo à 2,99 euros), des programmes de télévision de rattrapage, des contenus exclusifs, des diffusions live et des bonus, en plus du flux direct des chaînes. Le tout sans publicité et en qualité haute définition (contrairement à leur offre replay gratuite respectives, MyTF1 et 6Play). Or, c’est ce que propose depuis deux ans (et désormais pour 7,99 euros par mois) la plateforme télé et vidéo par abonnement Salto lancée en octobre 2020 par TF1, M6 et France Télévisions (1). Le fait que TF1 pousse les feux sur MyTF1 Max, propulsé depuis le 15 novembre sur les Smart TV de Samsung, et que M6 ait lancé à son tour le 11 octobre 6Play Max, une offre payante équivalente, n’augure rien de bon pour Salto. D’autant que le nouveau DG de TF1, Rodolphe Belmer, et Nicolas de Tavernost pour M6 viennent de décider de se retirer de cette plateforme tripartite, si l’on en croit La Lettre A du 17 novembre (2). De son côté, le groupe public France Télévisions – détenant 33,33 % de Salto – avait fait savoir dès 2021 à TF1 et M6 qu’il souhaitait se désengager de la société commune. La cession de sa part (pour 45 millions d’euros) était conditionnée à la fusion des groupes M6 et TF1 (3), laquelle a finalement été abandonnée le 16 septembre (4). Mais selon Le Monde, le sort de Salto pourrait être scellé avant la fin de ce mois de novembre (5) : soit sa liquidation par les trois actionnaires, soit son rachat par un tiers – Canal+ ? Contacté par Edition Multimédi@, son directeur général Thomas Follin n’a pas répondu.
Salto a accumulé en deux ans des dizaines de millions d’euros pertes non divulguées. D’après La Tribune, il n’y aurait à ce jour pas plus de 810.000 abonnés payants à Salto sur 900.000 inscrits (6). Le groupe TF1, présent à 33,33 % dans Salto via la filiale TF1 SPV, dont 28,7 millions d’euros ont été provisionnés sur son compte courant en 2021, pourrait donner le coup de grâce si Rodolphe Belmer en décidait ainsi. Ancien PDG de Canal+ (2012-2015), le nouveau patron de TF1 a siégé au conseil d’administration de Netflix du 22 janvier 2018 au 27 octobre 2022, et il sait qu’il est impossible de lutter contre une telle plateforme globale avec un Salto local. « A chaîne gratuite, streaming gratuit », est plus son crédo, avec un MyTF1 Max payant en appoint et des partenariats – avec Netflix ? @

L’audio payant prospère (streaming, podcasts, …), mais pas de radio hertzienne payante en vue

Spotify et Apple se lancent à leur tour dans les podcasts payants. Tandis que le streaming par abonnement payant a généré en France 74 % des revenus de la musique en ligne. La radio hertzienne (FM ou DAB+) reste, elle, à l’écart de cette monétisation malgré les tentatives sans lendemain d’il y a dix ans.

Il y a dix ans, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) lançait une consultation publique pour la diffusion de radios numériques sur des fréquences de la bande L (1) et dans la perspective d’autoriser un projet de radio hertzienne payante. Alors que la radio FM a toujours été historiquement gratuite pour les auditeurs, donner une place à un service de radio payante aurait été une petite révolution dans le PRF (paysage radiophonique français).

Gratuit ou payant : les radios sont divisées
« Les projets intéressés par une utilisation de la bande L envisagent-ils de soumettre l’accès à leur bouquet à un abonnement ? », demandait alors le CSA. Si le Syndicat des radios indépendantes (Sirti) s’est à l’époque « opposé au développement d’un modèle de radio numérique payante sur cette bande de fréquences, en rappelant [son] attachement à la gratuité du média radio », le Bureau de la radio (représentant les grandes radios privées Europe 1, RTL, NRJ, RMC, …) et Radio France n’ont « pas n’écart[é] une éventuelle participation à de tels projets ».
Autant dire que les radios du PRF n’étaient pas sur la même longueur d’onde sur la question sensible du gratuit et du payant. C’est du moins ce qui ressort de la consultation du CSA, auprès duquel deux porteurs de projet ont fait part de leur intérêt pour la radio payante : une société toulousaine, Onde Numérique, qui envisageait un bouquet de radios de 54 services radiophoniques à vocation nationale ; une société espagnole, Ondas Media, qui prévoyait un bouquet de radios de 20 à 30 programmes à couverture nationale et locale s’appuyant sur un réseau hybride satellite et terrestre – comme SiriusXM aux Etats-Unis. Franz Cantarano, alors président d’Onde Numérique, insistait sur « la complémentarité éditoriale qu’il y aurait entre radio numérique payante et radio numérique gratuite ».
A l’issue de l’appel à candidature lancé fin 2011 (2), deux candidatures sont déclarées recevables par le CSA : Onde Numérique et La radio numérique en bande L (association cornaquée par TDF et sa filiale Mediamobile proposant un service pour automobilistes « au prix équivalent à un plein d’essence »). En octobre 2012, le CSA sélectionne la candidature du distributeur Onde Numérique et lui délivre l’année suivante l’autorisation d’usage de fréquence. Cette décision fut attaquée en vain par le Sirti devant le Conseil d’Etat. Sur les 54 services de radio envisagés dans son bouquet payant « ON », dont la rediffusion d’Europe 1 du groupe Lagardère (3), de stations de Radio France (dont Fip), de Ouï FM, d’Euronews, de FG Radio, de Radio classique ou encore de BFM, Franz Cantarano veut faire la part belle à de nouveaux programmes « avec la création de plusieurs dizaines de radios thématiques » (4). Même le producteur de musique Naïve Records – créé par Patrick Zelnik (5) – a cru au bouquet ON que l’on surnommait déjà « le CanalSat de la radio ». Onde Numérique n’exclut pas à terme une introduction en Bourse pour lever des capitaux et vise à terme 4 millions d’abonnés – moyennant un abonnement variant de cinq à dix euros par mois. Finalement, le projet tarde, le lancement d’ON – prévu initialement en juillet 2014 – étant repoussé à l’année suivante. « Si le modèle économique était bien là, la levée de fonds n’a pas abouti. Une partie provenait des Etats Unis, mais l’essentiel devait être levé en France et les fonds ont été frileux », nous confie Franz Cantarano. Onde Numérique ayant fait part mi-2016 au CSA de sa « renonciation » à utiliser ses fréquences.
La radio payante fut abandonnée. « Le modèle payant où le consommateur final est le payeur direct semble ne pas fonctionner pour les services hertziens, hormis évidemment la CAP [la redevance audiovisuelle, dont une part va à la radio publique, ndlr] qui est un prélèvement forcé. Onde Numérique est mort-né », indique Nicolas Curien, ancien membre du CSA, à Edition Multimédi@. De son côté, Franz Cantarano rappelle que « la bande de fréquence qui avait été sanctuarisée pour la radio payante (partie de la bande L) a été réattribuée à l’Arcep pour des déploiements télécoms, après que nous ayons “rendu” nos fréquences ».

Bouquet payant R+, lui aussi abandonné
Sur la radio numérique terrestre spécifiquement (DAB+) et dans la bande III cette fois, un autre projet de bouquet payant baptisé R+ était porté en 2013 par Philippe Levrier (6), ancien du CSA et du CNC. L’idée était que « chaque acheteur d’automobile choisissant l’option DAB+ verserait une contribution “cachée” unique – de quelques dizaines d’euros – rétrocédée par les constructeurs automobiles à R+ ». Mais l’attribution des fréquences par le CSA a tardé et, selon Philippe Levrier, « les constructeurs automobiles, auxquels il était demandé 30 euros one shot pour chaque récepteur DAB+ en première monte, se sont progressivement tournés vers d’autres sujets ». @

Charles de Laubier

France Télévisions veut accroître ses services payants, malgré la redevance audiovisuelle

Delphine Ernotte Cunci, qui sera présidente de France Télévisions à partir du
22 août prochain, veut accroître les services payants tels que la TV de rattrapage, la VOD et même la SVOD. Cela revient à faire payer deux fois les Français qui s’acquittent déjà de la redevance audiovisuelle.

« Afin de créer une passerelle directe avec les usagers, une nouvelle plateforme numérique, basée sur un algorithme de recommandation doit rendre la télévision
de rattrapage plus accessible, sur le modèle de Netflix
par exemple. (…) Il faut aller plus loin et penser une offre numérique plus riche, qui n’est plus uniquement liée à l’antenne. Le catalogue doit être complété en mettant notamment à disposition tous les épisodes d’une série
ou en s’adaptant au rattrapage séquencé », a notamment expliqué Delphine Ernotte Cunci (photo), lors de la présentation de son projet stratégique pour France Télévisions, devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

« Monétiser » les contenus
Selon celle qui a été désignée le 23 avril dernier comme future présidente du groupe public de télévisions, le modèle économique à suivre est celui de Netflix, le service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) basé sur profilage et la recommandation « personnalisée ». « France Télévisions doit repenser son modèle économique. (…) La première voie à défricher est la monétisation de la seconde vie des contenus », a-t-elle encore déclaré. Le développement des services payants, émanant d’un groupe public aux contenus « gratuits » déjà financés par la redevance audiovisuelle, est clairement l’objectif de son projet baptisé « Audace 2020 ».
Sans évoquer l’actuelle plateforme payante PluzzVàD (1) de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci laisse entendre que télévision de rattrapage et vidéo à la demande payantes – à l’acte (VOD) ou par abonnement (SVOD) – seront intensifiées.
« Adapté à la télévision de rattrapage, il s’agit d’avoir une offre pour tous les publics et tous les rythmes de vie. Le catalogue vaste en programmes pour la jeunesse est une première piste à explorer. France Télévisions peut agir seule sur la [VOD] jeunesse, premier motif de visite sur Netflix ou CanalPlay », a-t-elle expliqué, en évoquant aussi par la suite la même démarche dans d’autres domaines que la jeunesse. Selon les cabinets NPA Conseil et GfK, la vidéo à la demande en France (VOD et SVOD) n’a progressé que de 3,8 % sur un an, à 248,9 millions d’euros en 2014. C’est un peu mieux que l’année 2013 qui affichait pour la première fois un recul du chiffre d’affaires de 4,7 %, à 239,8 millions d’euros. « Il n’est pas absurde de viser une certaine part de marché pour France Télévisions en dépit de la contrainte actuelle des 42 mois de durée d’exclusivité de ses droits », a assuré Delphine Ernotte Cunci, tout en évoquant deux pistes pour bâtir un catalogue indépendant : un partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) ou bien un partenariat avec les autres chaînes gratuites pour « une proposition commune ». A moins qu’elle ne songe à un partenariat avec son employeur de toujours, Orange France, dont elle est jusque-là directrice exécutive (2).
La future présidente de France Télévisions est donc prête à aller sur le terrain de la SVOD où le président sortant Rémy Pflimlin n’avait osé s’aventurer. Interrogé en novembre 2012 par Edition Multimédi@ à propos de ce segment de marché, il avait répondu : « Il n’y a pas de réflexion dans ce sens, ni sur d’autres services payants
car, vous le savez, nous sommes un service public. Le seul service payant que nous proposons est la VOD à l’acte » (3). Le groupe de télévisions publiques n’a pas attendu Delphine Ernotte Cunci pour se lancer dans la VOD payante à l’acte. Lancée dès 2010 pour proposer la télévision de rattrapage pour les chaînes du groupe public, la plateforme Pluzz s’est en effet mise aussi au payant en lançant deux ans après la
VOD à l’acte.

France Télévisions Distribution (FTD)
« La VOD représente une part de plus en plus importante du chiffre d’affaires de l’activité d’édition de FTD [France Télévisions Distribution, ndlr] : 2,2 % en 2009, près de 15 % en 2012 et sans doute plus de 20 % en 2013. Le montant reste cependant modeste (3,1 millions d’euros en 2013) et ne représente que 1,5 % du chiffre d’affaires total de la VOD en France », souligne un rapport de la Cour des comptes sur FTD, révélé en décembre dernier (4) mais resté confidentiel. Les magistrats de la rue Cambon s’interrogent sur le modèle économique de cette filiale chargée notamment de la vente de DVD et de VOD, dont le chiffre d’affaires devait atteindre en 2015 les 65 millions d’euros. L’actuel PDG de FTD, Yann Chapellon, avait même dit en 2012 qu’il visait les 130 millions d’euros (5). On en serait bien loin : il devrait être cette année inférieur à 50 millions d’euros… « Une réflexion plus fondamentale sur l’activité de FTD et sur son intégration dans celle de France Télévisions doit être conduite », estime la Cour des comptes.

Service public gratuit et payant
Mais l’audace de Delphine Ernotte Cunci d’étendre le payant de France Télévisions à
la SVOD semble aller dans le sens du rapport Schwartz de mars dernier, du nom de l’ex-directeur financier de France Télévisions, Marc Schwartz. Il y explique ceci : « Un enjeu important de France Télévisions résidera dans sa capacité à trouver des pistes de monétisation accrue des plateformes numériques, au-delà des sources actuelles
de revenus. Sans oublier que le modèle économique du groupe repose sur une forte proportion de ressources publiques, il est légitime d’attendre à l’avenir un meilleur taux de couverture des charges du numérique, avec une réflexion qui peut être ouverte sur le partage entre offres gratuites et services payants ».
Bref, selon lui comme pour Delphine Ernotte Cunci, rendre payants des services publics ne serait pas incompatible avec la redevance audiovisuelle. Le seul moment où cette dernière évoque la redevance audiovisuelle, c’est pour dire que « les 65 millions de Français, par leur contribution à la redevance publique, sont en droit d’être traités comme 65 millions d’abonnés »…

Pourquoi les contribuables-téléspectateurs auraient à payer deux fois la télévision publique ? La redevance audiovisuelle, que Bercy appelle la contribution à l’audio-visuel public (CAP), est en hausse cette année de 2,2 % à 136 euros pour la France métropolitaine (86 euros pour les départements d’outre-mer). Elle va rapporter à l’audiovisuel public 3,67 milliards d’euros en 2015, soit une augmentation de 3,3 % sur un an. France Télévisions est le premier groupe audiovisuel public à en bénéficier, à hauteur de plus de 2,3 milliards d’euros – soit 64,3 % de cette manne « fiscale » (car collectée avec la taxe d’habitation en novembre). Viennent loin derrière Radio France (64,4 millions d’euros, soit 16,7 %), Arte France (267,2 millions, soit 7,4 %), France Médias Monde (6) (247,1 millions, soit 6,7 %), suivis de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et TV5 Monde. C’est en contrepartie de cette redevance audiovisuelle – obligatoire pour tout foyer détenteur d’un poste de télévision – que les contribuables sont en droit de recevoir gratuitement les chaînes de télévision et les stations radios publiques.
L’incursion de France Télévisions dans le payant ne pose pas seulement un problème vis-à-vis de la redevance audiovisuel que les téléspectateurs ont déjà payée pour un accès « libre » aux chaînes publiques, cela pourrait soulever aussi quelques problèmes en terme de concurrence. Ce fut par exemple le cas en Allemagne pour la plateforme de VOD payante « Germany’s Gold », commune aux chaînes publiques ARD et ZDF. Après un avis de l’autorité de la concurrence allemande, accusant les deux groupes de distorsion de concurrence avec cette offre, leur plateforme a été forcée de s’arrêter en septembre 2013.
Derrière ce dilemme du gratuit et du payant pour l’audiovisuel public, se pose aussi
une autre interrogation : celle du bien fondée de la redevance audiovisuelle, au moment où l’audience des chaînes publiques voient leurs audiences baisser au profit des nombreuses autres chaînes de la TNT et des vidéos sur Internet – pendant que les ressources issues de la contribution à l’audiovisuel public ont, elles, cru de 18 % entre 2005 et 2014 en euros constants (33 % en euros courants). Les chaînes publiques enregistrent en effet une érosion continue de leur part d’audience, passant de 39,5 % en 2003 à 28,6 % dix ans plus tard. Et une érosion peut en cacher une autre. Avec
la nouvelle génération, le taux d’équipement des foyers en téléviseur (96,7 %) tant à diminuer au profit d’autres écrans pour regarder la télévision linéaire ou non (tablettes, smartphones, phablettes). Ce qui fait peser à moyen terme un risque d’érosion de l’assiette de la redevance, assise actuellement sur le seul téléviseur.

Pourquoi payer deux fois ?
Si le groupe audiovisuel public est moins regardé et se finance de plus en plus avec des services payants, les Français ne seraient-ils pas en droit de voir leur redevance diminuer sérieusement – plutôt que de la voir augmenter constamment. Et est-il raisonnable d’envisager, comme le préconise le rapport Schwartz, d’élargir son assiette aux nouveaux supports ? Une réflexion de fond est assurément à mener sur la vocation publique et le financement de France Télévisions. Sinon, les Français risquent de ne plus comprendre pourquoi ils paient deux. @

Charles de Laubier