Pourquoi le Midem 2011 n’était toujours pas à la fête

En fait. Le 26 janvier s’est achevé à Cannes le 45e Marché international de la musique et de l’édition musicale (Midem) pour plus de 7.000 professionnels de
la filière. Celle-ci continue de s’inquiéter pour son avenir. La musique s’écoute désormais partout mais le piratage perdure.

En clair. Jean qui rit et Jean qui pleure. Le numérique musical explose puisqu’il représente, selon le rapport annuel de l’IFPI (1), près de 30 % du chiffre d’affaires du marché mondial de la musique, soit une hausse de 6 % sur un an à 4,6 milliards de dollars. La musique est la seconde industrie culturelle à avoir une telle proportion
– 29 % précisément – de ses revenus provenant des ventes numériques, derrière les jeux (39 %) et loin devant la presse (4 %), les livres (2 %) et le cinéma (1 %). Au cours de cette année 2011, la musique digitale pèsera pour la première fois un tiers du marché global (contre un petit 2 % en 2004). La croissance cumulée de la musique numérique entre 2004 et 2010 atteint… 1.000 % ! Le nombre de plateformes légale dépasse les 400 services (contre moins de 60 en 2004) et le nombre de titres disponibles dans les catalogues numériques atteint les 13 millions (contre tout juste
1 million en 2004). La mobilité domine les modes de consommation : si 79 % des mélomanes l’écoute dans leur salon (télé, hifi, console, lecteur de DVD, …) et 46 % sur leur ordinateur, 76% l’écoute dans leur voiture, 39 % sur leur tablette et 20 % sur leur mobile. La tendance – appelée «Cloud Music » (2) – est de ne plus être dépendant d’un appareil mais de pouvoir passer d’un terminal à un autre comme le propose Music Unlimited de Sony, Catch Media de Carphone Warehouse, l’américain mSport, Deezer avec Orange, et bientôt Google Music. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Hélas, le marché mondial de la musique – physique et numérique cumulée –
a décliné en valeur de 31 % depuis que le début de la montée en charge du numérique il y a huit ans. Rien qu’entre 2009 et 2010, la chute est 8,5 % à environ 15,8 milliards de dollars. France Moore, DG de l’IFPI, n’hésite pas à rejeter la quasi-totalité de la faute sur le piratage. L’IFPI cite une étude menée sur Limewire qui affirme que 98,8 % des musiques téléchargées sont illicites ! En France, malgré l’Hadopi, le bilan n’est pas meilleur : le marché de gros total a reculé de 5,9 % en 2010 à 554,4 millions d’euros, selon le Snep (3). La musique numérique, qui a progressé de 16 % à
88,1 millions (y compris 600.000 abonnements), ne compense pas la baisse de 8,9 %
des ventes physiques. Avec seulement 50.000 unités vendues, la carte musique déçoit. La faute au piratage ? Selon une étude de l’Hadopi rendue publique le 23 janvier au Midem, près de la moitié des internautes déclarent télécharger illégalement… @

Puce antipiratage d’Intel : plus qu’une empreinte

En fait. Le 5 janvier, le numéro un mondial des fabricants de microprocesseurs pour PC, l’américain Intel, a présenté Sandy Bridge. Il s’agit d’une puce graphique haute définition dans laquelle est imprimé dans le silicium un système anti-piratage de films qui séduit déjà les producteurs de cinéma.

En clair. La puce anti-piratage, qui va se retrouver sur les ordinateurs – mais aussi à terme sur des « boxes » multimédias –va-t-elle résoudre pour autant le téléchargement illégal de films sur Internet ? Sera-t-elle plus efficace que les empreintes numériques telles que Content ID de YouTube ou Signature de l’INA (1) ? « Cette solution ne concernera, par définition, qu’une petite partie du parc des internautes, en fonction du renouvellement progressif – et lent – du parc d’ordinateurs. Inversement, nos solutions de “fingerprinting“ sont par définition universelles puisqu’elles opèrent au niveau du serveur luimême. Elles permettent donc de ‘filtrer’ absolument tous les téléchargements, indépendamment de l’équipement des contributeurs… », indique Cédric Tournay, PDG de Dailymotion, à Edition Multimédi@. Intel, dont les puces sont présentes dans huit PC sur dix dans le monde, a misé sur « Sandy Bridge » pour réaliser avec plus d’un tiers de ses ventes dès cette année auprès des fabricants de PC, de consoles de jeux, de « boîtiers » de salon ou encore de smartphones. Mais il faudra du temps pour que son utilisation soit significative, en raison du rythme lent de renouvellement du parc des terminaux.
Les tatouages digitaux comme Signature ou Content ID – qui existent depuis 2007 –
ont l’avantage d’être compatibles avec tous les terminaux. TF1, EuropaCorp, Canal+
ou encore TDF utilisent déjà Signature. Tandis qu’ils sont plusieurs centaines de clients
à avoir adopté Content ID, dont M6, EuropaCorp ou Pathé en France (2). Reste à savoir si la puce antipiratage dans le cinéma subira-t-elle le même sort que les systèmes de gestion des droits numérique DRM (Digital Right Management) qui ont été finalement abandonnés par la musique car « contre-productifs » ? Boudés par les internautes et considérés finalement par la filière musicale comme un « frein » au développement des plateformes légales de téléchargement, les DRM avaient en effet été abandonnés. Cette fois, ce DRM est posé par Intel au coeur d’un microprocesseur avec la complicité des studios d’Hollywood (20th Century Fox, Warner Brothers, DreamWorks, …). Objectif : lutter à la source contre le piratage en ligne. L’ordinateur
de l’internaute deviendrait ainsi son meilleur ange gardien ! – si tant est que cette sentinelle des droits d’auteur – verrou « propriétaire » greffé au cœur du terminal censé être ouvert et neutre – puisse être pleinement acceptée par les internautes eux-mêmes. @

Nicolas Sarkozy et l’Hadopi, une déjà longue histoire

En fait. Le 5 octobre, le président de la République en visite dans l’Essonne a déclaré à des lycéens – en présence de la direction de l’Hadopi : « Je ne laisserai pas détruire le livre, je ne laisserai pas détruire le disque, je ne laisserai pas détruire le cinéma, c’est trop important pour notre pays ».

En clair. Pour la présentation de la plateforme de films en ligne « Ciné-lycée » (1), créée à son initiative, Nicolas Sarkozy était non seulement accompagné de plusieurs ministres (Culture, Education, Economie numérique, …) mais aussi par la présidente
et le secrétaire général de l’Hadopi (2), respectivement Marie-Françoise Marais et Eric Walter. Quatre jours après l’envoi des premiers e-mails d’avertissement par Bouygues Telecom et Numericable, aux internautes suspectés de piratage d’œuvres protégées,
le président de la République s’est exprimé pour la première sur le sujet face à des lycéens. « Quand un créateur crée une chanson, une musique, un film, un livre, il est protégé, ça lui appartient, il doit être respecté et on ne lui vole pas. (…) Mon rôle, comme celui du ministre de la Culture, c’est de défendre la création, sa liberté, bien
sûr, mais aussi son équilibre économique, sinon il n’y a plus un film qui se montera, sinon il n’y a plus une maison d’édition qui publiera un livre. (…) Si on laisse le pillage que représente le piratage prospérer (…) il n’y aura plus de cinéma, il n’y aura plus de disques, il n’y aura plus de livres, il n’y aura plus de créations. (…) Si on autorise le vol, on détruit le processus de la création (…) Je ne laisserai pas détruire le livre, je ne laisserai pas détruire le disque, je ne laisserai pas détruire le cinéma, c’est trop important pour notre pays », a-t-il pris le temps d’expliquer.
Nicolas Sarkozy est l’artisan de la loi Hadopi, laquelle est l’aboutissement de la signature des accords de l’Elysée en novembre 2007 préparés par la mission Olivennes (3). A noter que la vidéothèque Cinelycee.fr affiche en haut de la page d’accueil le logo de l’Hadopi avec la mention « Tout savoir sur la loi Hadopi » renvoyant sur le site de la haute autorité. Il n’en a pas fallu plus pour que Marie-Françoise Marais et Eric Walter citent les propos du chef de l’Etat en introduction de leur conférence de presse organisée l’après-midi même rue de Texel. Il y a été surtout question du lancement d’ici six à huit mois d’un « portail de référencement des offres légales » (gratuite ou payante, musique ou cinéma) et pour les internautes « d’outils de sécurisation ». En outre, un appel à candidatures pour recruter des « experts indépendants » pour constituer cinq
« Labs » où il sera question notamment de filtrage, d’économie numérique ou encore de propriété intellectuelle. @

Tous pirates ?

De tout temps, les pirates ont évolué à la marge, suscitant la peur et la fascination. Ils étaient une poignée de marins ayant largué les amarres avec la légalité, et prêts à tout.
Et il ne saurait en être autrement : comment imaginer une société largement pacifiée et pour laquelle cependant une grande partie des citoyens pourrait être qualifiée de pirates ? C’est pourtant ce qui se passa durant presque vingt ans, de l’apparition des échanges de fichiers de musique au format MP3 (grâce au site pionnier Napster en 1999) jusqu’à la lente et progressive mise en place de services et de catalogues légaux dans des cadres fixant les droits et devoirs de chacun. « Tous pirates ! » Cette simple injonction pointe à elle seule les failles du système. Bien sûr, l’Internet a, depuis son origine, rimé avec partage et ouverture tout en restant rétif aux contraintes.

« Si la licence globale n’est toujours pas en place, ce sont des systèmes très proches qui se sont peu à peu imposés :
un utilisateur peut s’abonner à une offre d’accès incluant vidéo, presse, musique et littérature. »

Décrets Hadopi : le Conseil d’Etat pourrait invalider

En fait. Le 12 août, le fournisseur d’accès à Internet FDN (French Data Network)
a annoncé avoir déposé un deuxième recours devant le Conseil d’Etat contre le nouveau décret de la loi Hadopi portant sur la procédure de saisine des ayants droits et les obligations de coopération des opérateurs Internet.

En clair. Et de deux! Après le décret du 5 mars de la loi Hadopi sur le traitement automatisé des données à caractère personnel (paru au J.O. du 7 mars) prévu par
la loi Hadopi, c’est au tour du décret du 26 juillet 2010 sur la procédure des ayants droits (1) devant la commission de protection des droits (paru au J.O. du 27 juillet), prévue par cette même loi Hadopi que FDN, de s’en pndre cette fois en saisissant la Haut juridiction administrative. Le fournisseur d’accès Internet à vocation associative, dirigé par Benjamin Bayart, estime que ces deux décrets sont illégaux et demande leur annulation pour vice de forme. Le second décret découle du premier, lequel aurait dû être soumis pour avis à l’Arcep selon le premier recours de FDN le 6 mai dernier. D’autant qu’il touche au cœur de l’activité des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), tenus de « communiquer dans un délai de huit jours suivant la transmission par la commission de protection des droits (CPD) de la haute autorité des données techniques nécessaires à l’identification de l’abonné ». Les FAI, eux, exigent toujours par ailleurs que l’Etat prenne en charge le coût que cela leur engendre (2). Il y a urgence : « Comme l’Hadopi veut mettre en oeuvre la procédure très vite, on a déposé en plus un recours en référé demandant au Conseil d’Etat de suspendre l’application de ce décret le temps qu’on sache si le tout est légal ou pas », a précisé Benjamin Bayart à l’AFP. Cette double procédure pourrait-elle remettre en question le fonctionnement de l’Hadopi ? « Nous attendons de voir ce que va dire le juge administratif », a indiqué Eric Walter à Edition Multimédi@ dans une interview exclusive fin juillet (EM@ 18). Pour le gouvernement, « l’Hadopi est en état de commencer son action ». Il l’a déclaré le 28 juillet à l’issue du Conseil des ministres, au cours duquel le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, a présenté la « négligence caractérisée ». A savoir : le fait pour un abonné de ne pas avoir sécurisé son accès à Internet. Encore faut-il que les logiciels capables de sécuriser cette connexion soient disponibles. Or, là encore, l’incertitude demeure. L’internaute peut protéger son ordinateur par un mot de passe, un logiciel de contrôle parental ou encore une clé dite WAP pour son Wifi. Mais d’autres moyens de sécurisation seront à mettre en oeuvre. L’Hadopi a lancé une consultation professionnelle dans ce sens jusqu’au 10 septembre. @