Les podcasts attirent de plus en plus d’auditeurs : ce marché va faire basculer l’écoute audio

Ils sont 17,6 millions de personnes en France à avoir écouté des podcasts chaque mois, d’après Médiamétrie. Les audiences sont parfois tellement élevées qu’on n’en croit pas ses oreilles. Edition Multimédi@ prévoit qu’en 2023 l’écoute audio se fera majoritairement en ligne.

Pour Edition Multimédi@, il est probable qu’en 2023 la poussée de l’audience des podcasts – notamment sur smartphones – fasse basculer la majorité (51 %) de la consommation audio globale sur Internet, contre 48 % l’an dernier. La radio en direct – sur la FM et/ou en DAB+ – s’arrogeait en 2022 encore 53 % du total de l’écoute audio dans la journée.

2023, année de bascule vers l’audio online
Mais au cours de 2023, elle pourrait devenir minoritaire par rapport à l’écoute en ligne qui deviendra majoritaire (streaming musical, radio à la demande/podcasts replay, musique perso hors CD et vinyles, podcasts natifs hors radio et livres audio confondus). Mais les plateformes de streaming musical – de Spotify à YouTube, en passant par Apple Music, Amazon Music, Deezer ou encore Qobuz – seront encore largement dominants sur l’audio online. La diversification de certaines d’entre elles dans la diffusion de podcasts va augmenter le poids de ces derniers dans l’audience online globale (voir graphique ci-dessous). La consommation de podcasts augmente continuellement, au point que l’on se demande si le binge-listening ne va pas être à l’audio se qu’est le binge-watching à la vidéo. Rien qu’en France, la progression du nombre de personnes écoutant des podcasts chaque mois a progressé en 2022 de 17 % pour atteindre les 17,6 millions d’auditeurs (soit un gain de 2,6 millions d’adeptes en un an). C’est l’institut de mesure d’audience Médiamétrie qui l’indique dans son étude « Global Audio ». Autrement dit, 36,1% des internautes déclarent écouter au moins un podcast par mois en 2022.
Si l’on regarde sur trois ans, le nombre d’auditeurs de podcasts a même bondi de plus de 60 % (voir graphique page suivante). Sont pris en compte aussi bien les podcasts dits « replay » (de contenus audios déjà diffusés à la radio) que des podcasts dits « natifs » (créations audio originales). Cette « radio à la demande » – expression qui relève cependant d’un abus de langage puisque de nombreux podcast sont produits en dehors de toute radio – complète ou concurrence la radio en direct (FM ou via Internet), les services de streaming musical (gratuit et par abonnement), les livres audio (physiques et numériques), ou encore l’écoute musicale de bibliothèques personnelles (CD, MP3, achat de titres, vinyle, …). Les podcasts ont de plus en plus l’oreille des auditeurs. « Les adeptes de podcasts sont plutôt fidèles : près de la moitié d’entre eux (47 %) concentrent leur consommation sur leurs podcasts favoris, généralement de 1 à 3 podcasts par semaine », a constaté Médiamétrie. Et ils sont tout de même 89 % à écouter entre la moitié et l’intégralité du podcast. Sur l’ensemble des auditeurs, la moitié d’entre eux (56 %) pratiquent une écoute régulière, dont 20 % très régulière. La Génération Z (15- 27 ans) est encore plus régulièrement à l’écoute, avec un taux de 61 %. A la fidélité et à assiduité, s’ajoute un accroissement : 85 % des auditeurs de podcasts écoutent autant ou plus de podcasts qu’un an auparavant.

Mesure site-centric avec liens tagués
Médiamétrie fait aussi remarquer que les podcasts se partagent en famille pour 64 % des parents auditeurs qui les font écouter à leurs enfants. Quant aux modes d’accès aux podcasts, ils sont pour 76 % des auditeurs les sites web ou les applications mobiles des éditeurs de radio, suivis des plateformes vidéo et des réseaux sociaux où ils découvrent plus volontiers de nouveaux contenus. Mais qu’écoutent au juste en podcasts les 17,6 millions d’auditeurs ? « Lorsque les Français écoutent des podcasts, c’est avant tout pour e divertir, se détendre. En effet, que ce soit pour les podcasts radios ou natifs, l’humour se classe numéro 1 des genres les plus consommés. Mais les podcasts sont aussi un moyen d’étendre ses connaissances ou encore de s’informer, selon les adeptes qui placent les podcasts d’actualité en deuxième place de leurs thématiques préférées », relève Médiamétrie. La dernière mesure en date des podcasts par Médiamétrie porte sur le mois de décembre 2022, durant lequel près de 182 millions de podcasts français ont été écoutés ou téléchargés dans le monde, dont 142 millions – soit 78 % – d’entre eux l’ont été en France.
L’institut de mesure d’audience publie le volume d’écoutes des éditeurs qui ont souscrits à son « eStat Podcast » pour leurs podcasts préalablement diffusés (replay) et/ou des podcasts natifs (originaux). La méthodologie consiste à comptabiliser l’ensemble des contenus audio écoutés directement en streaming ou téléchargés sur la majorité des supports d’écoute (plateformes, sites web, applications mobiles, …). « Les indicateurs sont établis à partir de la technologie site-centric [trafic enregistré sur le support lui-même, ndlr], explique Médiamétrie.
Cette technologie consiste à intégrer un tag placé dans le lien de téléchargement et n’ayant pas d’incidence sur l’expérience utilisateur. Des filtrages sont effectués chaque mois afin d’exclure les téléchargements abusifs. En outre, afin d’éviter de comptabiliser deux fois un même podcast, les téléchargements intervenant dans l’heure qui suit un premier appel à téléchargement sont également exclus ».

Le poids des éditeurs radios et télés
Ainsi, en décembre 2022, France Inter est le premier éditeur – parmi les souscripteurs de Médiamétrie – en termes de podcasts, avec plus de 45 millions d’écoutes et/ou de téléchargements (dans le monde) parmi des titres tels que « Affaires sensibles », «C’est encore nous », « Géopolitique », « La Bande originale », ou encore « Grand bien vous fasse ». Arrive ensuite en seconde position RTL avec plus de 32 millions d’écoutes et/ou de téléchargements (toujours dans le monde), avec des titres tels que « Les grosses têtes », « Laurent Gerra », « L’heure du crime », « Le journal RTL », ou encore « Ça peut vous arriver ». Sur la troisième marque du podium, c’est France Culture avec plus de 32 millions (mais à 42.114 écoutes du second), avec « Philosophie », « Les Pieds sur terre », « Le Feuilleton », « LSD », ou encore « Le Cours de l’histoire ». Médiamétrie liste au total 19 éditeurs de podcasts qui sont des radios ou des télévisions. Si l’on prend les podcasts titre par titre, le trio de tête est composé de « L’AfterFoot » (édité par RMC) avec plus de 18,7 millions d’écoutes et/ou de téléchargements, « Les Grosses têtes » (RTL) avec plus de 16,9 millions, « Hondelatte raconte » (Europe 1) avec plus de 9,3 millions. Médiamétrie liste ainsi une trentaine de titres (1).

Le « Top » des podcasts par l’ACPM
En revanche, le classement de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM) – ex-OJD – est plus diversifié et important en nombre, avec sur le même mois de décembre 313 titres mesurés. Les trois premiers sont : « Les actus du jour Hugo Décrypte » avec plus de 1,3 million de téléchargements (monde) dans le mois pour 456 épisodes, édités par l’influenceur Hugo Decrypte ; « Transfert » avec plus de 1,1 million pour 233 épisodes par Slate ; et « Métamorphose, éveille ta conscience ! » avec plus de 1 million pour 601 épisodes par Métamorphose. L’ACPM dresse aussi une liste de 63 marques de podcasts (2), dont le trio de tête : Binge Audio (3) avec plus de 1,8 million de téléchargements sur décembre 2022 du monde entier, Studio Minuit avec plus de 1,7 millions de téléchargements, et Slate avec plus de 1,4 million. L’actualité de Hugo Decrypte arrive, elle, en quatrième position avec plus de 1,3 million de télécharge-ments en ce mois de décembre 2022.
Ces milliers d’épisodes bénéficient d’une force de distribution que sont les plateformes de podcasts telles que Spotify, Apple Podcasts, Google Podcasts, Deezer et autres. Depuis 2020, des accords de droit d’auteur ont été négociés et signés (4), avec la Scam, la SACD ou encore la Sacem (5). De son côté, le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) propose désormais aux éditeurs un nouveau mandat pour englober les rediffusions de leurs podcasts lorsque ceux-ci sont repris par des entreprises ou des organismes – via ou pas des prestataires de veille informationnelle (6) – dans leurs panoramas de presse par exemple. @

Charles de Laubier

Affaire « New Media Online » : comment la CJUE a pris à revers son avocat général

Selon l’arrêt « New Media Online » du 21 octobre 2015 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’offre de vidéos sur le site Internet d’un journal peut relever de la réglementation des services de médias audiovisuels. Dans cette hypothèse, cette offre est soumise au contrôle du CSA et aux obligations associées.

Par Katia Duhamel, experte en droit et régulation des TICs, K. Duhamel Consulting

C’est à la suite d’une demande de décision préjudicielle, dont elle a avait été saisie par une juridiction autrichienne afin de déterminer si le site web d’un quotidien sur lequel figure des vidéos relève de la directive européenne « Services de médias audiovisuels » (SMA) (1), que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu son arrêt « New Media Online » (2). La Cour a ainsi rejeté les conclusions de l’avocat général Maciej Szpunar datant de juillet 2015, selon lesquelles ni le site web d’un quotidien qui comporte des vidéos, ni aucune partie d’un tel site, ne constitue un « service de médias audiovisuel » au sens de la directive SMA (3).

Interprétations divergentes
Pour mémoire, la directive SMA en cours de révision crée des obligations applicables aux fournisseurs de services de médias audiovisuels en ligne dont le siège social se situe dans le pays d’un Etat membre de l’Union européenne. Elle soumet ainsi les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) aux obligations suivantes : déclaration auprès du régulateur audiovisuel, respect de diverses règles liées à la déontologie, la protection des mineurs, les conditions des communications commerciales, obligation de contribuer au financement de la production cinématographique et audiovisuelle européenne d’une part et, spécifiquement, d’expression originale française, d’autre part, respect des quotas de diffusion liés à
ces œuvres.
L’affaire portait sur le site web du quotidien Tiroler Tageszeitung (« Tiroler Tageszeitung Online »), exploité par la société autrichienne New Media Online. Le site web du quotidien disposait d’une section « vidéo » comportant près 300 vidéos de quelques secondes à plusieurs minutes, le plus souvent sans rapport avec les articles de presse diffusés en ligne. En 2012, le régulateur autrichien des communications (4) avait estimé que la section vidéo du site de presse en ligne constituait un SMAd, conformément à législation autrichienne transposant en droit interne la directive SMA. Cette décision avait fait l’objet d’un recours devant la Cour suprême administrative autrichienne, laquelle avait saisi en 2014 la CJUE d’une demande de décision préjudicielle formulée sous la forme des questions suivantes :
• L’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive [SMA] doit-il être interprété en
ce sens qu’on peut affirmer que la forme et le contenu d’un service en cause sont comparables, de la manière requise, à ceux de la radiodiffusion télévisuelle lorsque
de tels services sont également proposés par la radiodiffusion télévisuelle, qui peut
être qualifiée de média de masse destiné à être reçu par une part importante de la population et susceptibles d’avoir sur elle un impact manifeste ?
• L’article 1er, paragraphe 1, sous a), point i), de la directive [SMA] doit-il être interprété en ce sens que, aux fins de déterminer l’objet principal d’un service offert dans le cas des versions électroniques des journaux, on peut envisager une section partielle, dans laquelle sont fournies majoritairement de courtes vidéos qui, dans d’autres domaines
du site web de ce média électronique, sont utilisées uniquement pour compléter les articles du quotidien online ? Dans cette affaire, l’avocat général a estimé que la
section vidéo du site de presse autrichien ne constituait pas un SMAd pour les trois raisons suivantes :
• La directive assimile VOD et TV de rattrapage à la télévision, car ces flux sont en concurrence, ce qui n’est pas le cas de la section vidéo des sites de presse.
• Une telle assimilation reviendrait à faire tomber dans cette régulation « un nombre considérable d’opérateurs qui, certes exploitent un site Internet comportant des contenus audiovisuels, mais dont l’activité n’a pas pour principal objectif d’offrir » de tels services, avec à la clef « un énorme défi aux autorités de régulation des États membres, compte tenu de la facilité avec laquelle ces sites sont créés et du fait que l’on y publie tout type de contenus, y compris audiovisuels. »

Lecture littérale de la directive
• Enfin, cette assimilation serait illogique puisqu’elle dépendrait de la structure des sites. Cette régulation serait ainsi proscrite lorsque les vidéos sont noyées dans le site de presse, mais possible si isolée dans un sous domaine. Selon l’avocat général, en effet, « le fait qu’un service relève ou non de la directive ne peut dépendre que de sa nature, et non de l’architecture du site Internet dans le cadre duquel il est offert. » De fait, l’approche de l’avocat général pour défendre la thèse du « non appartenance » des vidéos diffusées sur le site de presse en ligne relève d’une interprétation téléologique du texte de la directive SMA, c’est-à-dire qui s’appuie sur des objectifs fondamentaux du texte et surtout des Traités communautaires, et non pas sur une lecture littérale de
la directive. Au demeurant, c’est ce qui transparaît clairement des conclusions de Maciej Szpunar lorsque qu’il écrit lui-même : « Je ne conteste pas qu’une lecture littérale de la directive 2010/13 puisse suggérer que l’interprétation retenue par l’autorité de régulation autrichienne soit appropriée, ou qu’elle constitue en tout état de cause l’une des interprétations permises de cette directive. Il ne me semble toutefois pas
que cette interprétation soit conforme à la volonté du législateur. Pour les raisons mentionnées ci-dessus, j’estime également qu’elle ne permet pas d’atteindre utilement les objectifs de la directive et qu’elle ne contribue pas non plus à son application uniforme dans l’ensemble des États membres »

Risque de concurrence déloyale
A contrario la CJUE, revenant au texte lui-même de la directive SMA a estimé que la notion-cœur de « programme », soit « un ensemble d’images animées, […] constituant un seul élément dans le cadre d’une grille ou d’un catalogue établi par un fournisseur de services de médias et dont la forme et le contenu sont comparables à ceux de la radiodiffusion télévisuelle » pouvait s’appliquer aux services vidéo du quotidien autrichien en ligne. Elle a également considéré que cette définition ne comportait pas d’exigence relative à la durée de l’ensemble d’images concerné et que la radiodiffusion télévisuelle proposait également des « programmes de courte durée ». En outre,
la Cour a jugé qu’un certain nombre des vidéos accessibles sur le site du quotidien comportaient des actualités locales en concurrence avec les radiodiffuseurs radiophoniques régionaux. Tandis que les vidéos relatives à des reportages culturels, sportifs ou récréatifs « sont en concurrence avec les chaînes musicales, les chaînes sportives et les émissions de divertissement ». Dès lors, il convenait d’appliquer les règles de la directive SMA aux services vidéo du Tiroler Tageszeitung Online sous peine de générer des cas de concurrence déloyale. La deuxième question portant sur les critères qu’il convient d’appliquer pour apprécier l’« objet principal » du site web
d’un quotidien qui met à disposition des vidéos, comportait plus de difficulté. La directive SMA exclut en effet du champ de son application « les services dont le contenu audiovisuel est secondaire et ne constitue pas la finalité principale », ainsi
que les versions électroniques des journaux et des magazines. Exigeant une analyse au cas par cas compte tenu de la diversité des situations, la CJUE a contourné cette difficulté en considérant que pour « l’appréciation de l’objet principal d’un service de mise à disposition de vidéos offert dans le cadre de la version électronique d’un
journal », il faut examiner « si le service proposé dans le sous-domaine “vidéos” a
un contenu et une fonction autonomes par rapport à ceux des articles de presse
écrite de l’éditeur du journal en ligne. Si tel est le cas, ce service relève du champ d’application de la directive SMA. Si, en revanche, ledit service apparaît comme l’accessoire indissociable de l’activité journalistique de cet éditeur, notamment en
raison des liens que présente l’offre audiovisuelle avec l’offre textuelle, il ne relève
pas du champ d’application de cette directive ». La CJUE renvoie donc aux juridictions nationales l’appréciation de ce point tout en empiétant par avance sur la compétence des juges du fond, considérant en l’espèce que « très peu d’articles de presse sont reliés aux séquences vidéos en cause », de plus, « la majeure partie de ces vidéos est accessible et consultable indépendamment de la consultation des articles de la version électronique du journal ». Dès lors, le sort des services vidéo du site de presse en ligne du quotidien autrichien semble d’ores et déjà tranché. @

ZOOM

En France, des sites de presse en ligne sous le contrôle du CSA
Après la décision « New Media Online » de la CJUE datée du 21 octobre 2015, les sites de presse en ligne sont désormais susceptibles d’être soumis en France au contrôle du CSA, afin de respecter toute une série de contraintes – en particulier contributives (5).
Il faut néanmoins nuancer le risque financier dans la mesure où les services considérés ne sont susceptibles d’être soumis à des obligations de contribution à la production cinématographique et/ou audiovisuelle que s’ils réalisent un chiffre d’affaires annuel
net supérieur à 10 millions d’euros.
Ce revenu doit résulter soit de l’exploitation d’œuvres cinématographiques (seuil de déclenchement de l’obligation de contribution à la production cinématographie), soit
de l’exploitation d’œuvres audiovisuelles (seuil de déclenchement de l’obligation de contribution à la production audiovisuelle). On peut donc espérer que les sites de presse qui maximisent leurs statistiques de fréquentation avec des contenus sans rapport avec la partie rédactionnelle – mais non payants – échappent à ces obligations. @